Interrogation sur l'immigration

5 septembre 2014

Le mois dernier, Le Figaro a rendu compte des « accrochages entre les candidats à l'exil et les routiers », qui seraient « de plus en plus violents » à Calais ou dans les environs.

« À la frontière », rapporte Édouard de Mareschal, « les véhicules sont passés au peigne fin : détecteur de chaleur, de CO2, de battements de cœur, scanner... » – on se croriait dans un film de science-fiction mettant en scène quelque dictature à la pointe de la technologie ! « Le port doit encore renforcer sa sécurité avec des caméras thermiques, des grillages et des fils de fer barbelés », précise notre confrère. « Le budget sécurité de la chambre de commerce et d'industrie Côte d'Opale, gestionnaire du port, avoisine désormais les 11 millions d'euros. Un projet d'installation de caméras et de grillage chiffré à 1,5 million d'euros est envisagé ». L'enjeu serait de « regagner la confiance des entreprises de transport, dont certaines menacent de quitter Calais pour la Belgique ».

Tout cela est-il bien raisonnables ? À supposer qu'il faille effectivement lutter contre la pression migratoire, et en mettant de côté toute considération morale, y a-t-il une quelconque efficacité à œuvrer de la sorte, ou bien s'agit il seulement de satisfaire à la nécessité de l'affichage politique ? Simples questions !

Affaire des Mistral : à qui la "crédibilité" ?

5 septembre 2014

Quand les populistes renient leurs principes par amour de Poutine.

Livrera, livrera pas ? Le président de la République semble cultiver l'indécision quant à la vente des BPC Mistral à la Russie. Cela ne manquera pas de nourrir les critiques à son endroit. D'ores et déjà, l'extrême droite à la botte du Kremlin s'en donne à cœur joie !

Il est d'ailleurs piquant de voir des populistes se soucier soudainement de la "signature de la France", eux qui réclament que ses créanciers soient remboursés en monnaie de singe, à moins de carrément répudier la dette contractée à leur égard ! « La politique ne se fait pas à la corbeille », clament ces néo-gaullistes, prompts à dénoncer le rapprochement avec le Qatar au motif qu'il serait motivé par des considérations économiques. Or, François Hollande n'est-il pas tenté d'appliquer leur chers principes, comme le suggérait hier l'excellent Jean-Marc Daniel au micro de BFM Business ?

Selon nous, dès lors qu'elle revêt une dimension stratégique pour l'État, la préservation des intérêts industriels peut légitimement participer à la définition de sa politique étrangère. Cela étant, la crédibilité internationale de la France, dont certains feignent de se soucier aujourd'hui, passe également, avant tout même, par la solidarité à l'égard de ses alliés, tout particulièrement ses alliés militaires. Ceux de l'Otan, donc. Du moins tant qu'on en a pas changé !

Alors, faut-il suspendre voire annuler cette satanée livraison ? À vrai dire, nous sommes perplexe. Faute d'être en mesure de conseiller le président Hollande, dont les atermoiements publics sont grotesques, nous nous contenterons, dans l'immédiat, de fustiger le "parti de l'étranger", en plein essor à la faveur de son inconséquence.

Associations de malfaiteurs

3 septembre 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

Quand l'Éducation nationale parraine des associations, à l'image du Refuge luttant contre l'"homophobie".

Se donnant pour mission de lutter « contre l'homophobie et la transphobie », l'association Le Refuge bénéficie désormais de l'agrément de l'Éducation nationale pour intervenir en milieu scolaire, comme elle a commencé à le faire depuis 2010 dans des lycées du Languedoc-Roussillon, et plus récemment en Provence-Alpes-Côte d'Azur et en région parisienne. L'année dernière, l'association dit avoir « sensibilisé plus de mille cinq cents élèves aux problématiques de l'homosexualité et de l'homophobie, dont mille cent vingt-sept dans le Sud de la France ». Ses interventions sont jugées « indispensables » par son président, Nicolas Noguier, selon lequel « les préjugés et les stéréotypes sur l'homosexualité et la transsexualité sont très ancrés chez une majorité de lycéens ».

Inventaire à la Prévert

Plus d'une centaine d'associations s'invitent ainsi dans les établissements scolaires avec la bénédiction de la Rue de Grenelle. Quelques-unes poursuivaient d'ores et déjà des objectifs similaires à ceux du Refuge, tels SOS homophobie, mais aussi Contact et Estim'. Le féminisme n'est pas en reste : le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, le Centre national d'information sur les droits des femmes et des familles, Femmes et Ingénieurs, Femmes et Sciences, le Mouvement du Nid (contribuant « à l'information et à la connaissance des réalités du système de la prostitution »), Ni putes ni soumises, sont autant d'associations bénéficiant d'un agrément national.

Dans la liste publiée par le ministère de l'Éducation nationale, elles côtoient, outre des associations humanitaires, SOS racisme, Ensemble contre la peine de mort, le Mouvement européen... Selon les points de vue, leurs interventions relèveront de la propagande plutôt que de l'éducation... Dans un registre plus insolite y figurent également la Fédération française des motards en colère, ainsi que les Naturalistes de Mayotte, dont la présence apparaît à nos yeux plus légitime, tout comme celle de l'Association française d'astronomie, par exemple, susceptible de participer à la transmission de savoirs, et non d'inculquer des valeurs (républicaines) plus ou moins partagées.

Un précieux label

Selon le code de l'Éducation, « l'agrément est accordé après vérification du caractère d'intérêt général, du caractère non lucratif et de la qualité des services proposés par ces associations, de leur compatibilité avec les activités du service public de l'éducation, de leur complémentarité avec les instructions et programmes d'enseignement ainsi que de leur respect des principes de laïcité et d'ouverture à tous sans discrimination ». Toutefois, il ne constituerait rien d'autre qu'un label. Comme le souligne l'académie de Montpellier, « c'est le chef d'établissement ou le directeur d'école qui autorise l'intervention d'une association agréée dans le respect de la réglementation et des orientations définies par le conseil d'administration ou le conseil d'école ». Afin d'esquiver un débat délicat, certains chefs d'établissement se réfugieront vraisemblablement derrière l'avis du ministère. De fait, à la faveur de son agrément national, le Refuge espère doubler ses interventions en milieu scolaire au cours de l'année qui vient de s'ouvrir.

BPC : la France opportuniste

3 septembre 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

Au sommet de l'Otan, Paris risque d'occuper le banc des accusés.

Les 4 et 5 septembre 2014 se tiendra à Newport (Pays de Galles) le sommet des chefs d'État et de gouvernement des pays membres de l'Otan. À cette occasion, l'Organisation devrait entériner son retrait d'Afghanistan, décider la création d'une nouvelle force de réaction rapide et débattre de la crise ukrainienne. Tandis que Varsovie proposera de vendre des armes à Kiev, Paris sera vraisemblablement montré du doigt... Ses alliés lui proposeront-ils de racheter les navires militaires promis à la Russie ? Pointant son manque de solidarité, ils jugeront peut-être sa politique inconséquente. La France est alliée, mais non alignée, a-t-on coutume de rétorquer en pareille circonstance !

Intérêts industriels

Elle préserve ses intérêts industriels, observe-t-on par ailleurs. Les partisans d'un rapprochement avec Moscou sont les premiers à le faire valoir. Mais les atlantistes leur renvoient l'argument : « la coopération militaire avec la Russie pourrait faire perdre à la France de gros contrats d'armement en Europe centrale », s'est ainsi inquiété Olivier Bault, sur Nouvelles de France.

En définitive, Paris se montre opportuniste, tout simplement... S'agit-il d'une singularité française ? Loin s'en faut. « Il y a une part de mauvaise foi dans les protestations », a relevé l'eurodéputé (UMP) Arnaud Danjean, ancien président de la sous-commission Sécurité et Défense du Parlement européen. « Lorsque la Russie a voulu acheter de tels navires, d'autres pays européens étaient sur les rangs, comme l'Espagne ou les Pays-Bas », a-t-il rappelé à notre confrère Jean-Dominique Merchet, animateur du blog Secret Défense. « Plusieurs États vendent des matériels de sécurité et de défense à la Russie, même s'ils sont moins emblématiques que les Mistral. Les Américains exercent sur nous une énorme pression, mais j'observe que les autres pays européens, comme l'Allemagne ou l'Italie, sont beaucoup plus modérés. » Alors, Washington nous réserverait-il un traitement de faveur ?

L'islamophobie paranoïaque à l'assaut des manèges

29 août 2014

Récit des mésaventures d'un petit cochon aperçu à Istres, dont la disparition n'a pas manqué d'inquiéter des esprits devenus crédules, tant ils sont convaincus d'être les victimes d'un "islamisme rampant".

La rumeur, qui remontre vraisemblablement à l'hiver dernier, s'est apparemment amplifiée pendant l'été, sous l'impulsion de quelques internautes peu scrupuleux : à la demande du maire d'Istres (Bouches-du-Rhône), un cochon aurait été retiré d'un manège pour répondre à la demande d'administrés musulmans.

De fait, si le cochon a effectivement disparu, c'est pour laisser la place à un carrousel traditionnel, dont la location avait été commandée à l'issue d'un appel d'offres, mais dont la livraison n'avait pas été assurée dans les délais impartis. Les chevaux de bois n'étant pas arrivés à temps pour l'inauguration du centre-ville rénové, les animaux de la ferme s'y étaient donc substitués quelques mois durant, jusqu'à novembre dernier et l'installation du carrousel programmée de longue date.

C'est en tout cas l'explication qui vient de nous être rapportée par le cabinet du maire François Bernardini, avec lequel nous avons pris contact par téléphone. Nous pardonnera-t-on de lui accorder davantage de crédit qu'aux ragots colportés par les blogueurs du dimanche ?

Internet : une liberté très encadrée

31 juillet 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

Les propos à connotation raciste tenus sur la Toile ne sont pas les seuls passibles d'une condamnation judiciaire.

La Toile n'est pas une zone de non droit, clament les responsables politiques. La justice vient de le confirmer récemment. Pour avoir relayé sur Facebook une image comparant Chritiane Taubira à un singe, et l'avoir assumé devant des caméras de télévision, Anne-Sophie Leclère a été condamnée à neuf mois de prison ferme et 50 00 euros d'amende. Avait-elle conscience de la peine encourue ? Le cas échéant, sans doute se serait-elle davantage investie dans sa défense.

L'endroit à éviter

Cela étant, les lois réprimant le racisme sont loin d'être les seules auxquelles s'exposent les internautes. Déçue par un restaurant, une blogueuse avait dénoncé « l'endroit à éviter au Cap-Ferret ». Or, cela « constitue un dénigrement manifeste destiné à faire fuir des clients potentiels avant même toute lecture », a estimé le tribunal de grande instance de Bordeaux. Aussi la critique en herbe a-t-elle été condamnée à verser « 1 500 euros à titre de provision sur dommages et intérêts et 1 000 euros de frais de procédures », rapporte Le Figaro. « La blogueuse, qui s'est dite "très étonnée" de cette décision, ne fera pas appel, en partie pour des raisons financières », précisent nos confrères. Quant au restaurateur, qui aurait porté l'affaire devant la justice sans tenter aucune conciliation amiable au préalable, il s'est attiré les foudres des internautes, si bien qu'en voulant rétablir sa réputation, il a peut-être contribué à l'aggraver... Une fois de plus, la censure s'avère contreproductive. C'est une nouvelle illustration de "l'effet Streisand", dont on se souvient qu'il avait été pitoyablement négligé, voilà un peu plus d'un an, par feue la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur), qui s'était attaquée à Wikipedia.

Effet Streisand

Un effet comparable semble à l'œuvre dans l'affaire Taubira-Leclère. « Il est impossible de [...] critiquer » le garde des Sceaux, écrivait Aristide Leucate dans le dernier numéro de L'Action Française 2000 (n° 2890 du 17 juillet 2014). « Par une odieuse mécanique rhétorique », expliquait-il « elle neutralise d'avance toute contestation à son encontre par une assimilation a priori de celle-ci à une attaque à sa propre personne, donc à du racisme ». Considérant la sévérité de la peine infligée par les juges de Cayenne, l'opinion publique ne sera-t-elle pas d'autant plus tentée de lui donner raison ? Nos confrères de Libération s'en sont eux-mêmes inquiétés : « De quelque manière qu'elle s'en défende - si elle se soucie de s'en défendre - Christiane Taubira sera désormais soupçonnée d'avoir manœuvré obliquement le marteau-pilon », observe Daniel Schneidermann. Ce faisant, bien qu'elle prétende enrayer la parole raciste, peut-être la justice et les pouvoirs publics prennent-ils le risque de la légitimer.

Mariage pour tous : ma famille contre la leur

31 juillet 2014

Rebond sur la "trahison" d'un maire résigné à célébrer un "mariage pour tous".

La famille, nous ne l'avons jamais rencontrée. Nous avons connu des familles plus ou moins nombreuses, unies ou déchirées, etc. Mais quant à "la" famille... Si elle existe, c'est bien à notre insu !

Beaucoup ont pourtant prétendu la servir, tandis qu'ils la jugeaient menacée par l'institution du "mariage pour tous". Ce fut le cas de Raymond Bardet, maire de Ville-la-Grand (Haute-Savoie), qui avait promis que jamais il n'unirait de couple homosexuel devant la loi. Voilà qu'il vient de renier son engagement.

« Je n'ai pas changé d'avis », s'est-il justifié auprès du Dauphiné libéré. « Je pense que ce n'est pas ce que veut la nature », a-t-il répété à nos confrères. « Mais mon fils se mariait, il n'était pas question que je le confie à quelqu'un d'autre. Si j'avais demandé à un adjoint de célébrer le mariage, les gens auraient pu penser que je dénigrais mon fils ou que nous étions fâchés. Pas du tout, je suis son père, c'était à moi de célébrer son union, comme je l'avais fait pour sa sœur. » Et d'ajouter : « Je ne connaissais pas son compagnon, c'est quelqu'un de très bien, ils forment un beau couple ensemble. »

Autrement dit, si M. Bardet a trahi "la" famille, c'est par amour pour la sienne. Par amour pour une famille bien réelle, donc. Du genre de celles que Joseph de Maistre aurait pu rencontrer.

Dans cette affaire, qui sont les vrais réactionnaires ?

Vol MH17 : un complot américain, c'est une « évidence » !

23 juillet 2014

Chronique du populisme conspirationniste à la botte de Moscou.

Alors que venait d'être annoncé le crash d'un avion survolant l'Ukraine, Marine Le Pen a d'abord fait part d'une réaction relativement mesurée. Dans un communiqué publié le 18 juillet 2014, elle a appelé « à la plus grande prudence quant à toute conclusion hâtive car chacun sait que la guerre de l'information, et donc de la désinformation, est partie intégrante des conflits modernes ». Cela étant, elle n'a pas exclu « des calculs géopolitiques » qui pourraient miser « sur la "stratégie de la tension" ».

Aymeric Chauprade, élu tout récemment au Parlement européen, s'est empressé, quant à lui, de prendre la défense de Moscou : « quant à la Russie, c'est une certitude, elle ne peut en aucun cas être impliquée dans cette tragédie », a-t-il déclaré le même jour. Entre autres hypothèses à ses yeux vraisemblables, il envisageait alors « une erreur de l'armée ukrainienne ».

Quelques jours plus tard, cependant, le 22 juillet, il a appelé à « constater l'évidence » selon laquelle, « depuis 2001, régulièrement, un événement dramatique provoque une accélération de l'Histoire qui profite à l'agenda américain » – cela « pour sauver les suprématies monétaire et géopolitique américaines et faire ainsi échec au nouveau monde multipolaire ».

Autrement dit, selon le conseiller de Marine Le Pen pour les questions internationales, les passagers du vol MH17 seraient morts en raison du cynisme de Washington, tout comme l'auraient été les victimes des attentats du 11 septembre 2001.

Notons toutefois qu'à la différence des communiqués précédents, ces insinuations, mises en ligne sur le site Internet d'Aymeric Chauprade, ne semblent pas avoir été publiées sur celui du Front national.

Frédéric Bastiat et la concurrence déloyale de la Toile

21 juillet 2014

Loi contre Amazon, arbitrage parlementaire dans le conflit opposant taxis et VTC : ces jours-ci, les pétitions des fabricants de chandelles ont rencontré un certain succès.

Rappelons que ceux-ci avaient réclamé, jadis, « une loi qui ordonne la fermeture de toutes fenêtres, lucarnes, abat-jour, contre-vents, volets, rideaux, vasistas, œils-de-bœuf, stores, en un mot, de toutes ouvertures, trous, fentes et fissures par lesquelles la lumière du soleil a coutume de pénétrer dans les maisons, au préjudice des belles industries » que l'État  « ne saurait sans ingratitude [...] abandonner [...] à une lutte si inégale ».

Dans la continuité des sophistes mis en scène par Frédéric Bastiat, libraires et taxis ont obtenu quelque faveur des pouvoirs publics : renchérissement des achats en ligne au bénéfice des premiers, usage exclusif des technologies de géolocalisation au profit des seconds. Pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Forcer des chauffeurs à rallonger leurs trajets ne donnerait-il pas du travail aux pompistes, par exemple ?

Écoutons nos fabricants de chandelles : « Si vous fermez, autant que possible tout accès à la lumière naturelle, si vous créez ainsi le besoin de lumière artificielle, quelle est en France l'industrie qui, de proche en proche, ne sera pas encouragée ? S'il se consomme plus de suif, il faudra plus de bœufs et de moutons et par suite on verra se multiplier les prairies artificielles, la viande, la laine, le cuir et surtout les engrais cette base de toute richesse agricole. S'il se consomme plus d'huile, on verra s'étendre la culture du pavot, de l'olivier et du colza. Ces plantes riches et épuisantes viendront à propos mettre à profit cette fertilité que l'élevage des bestiaux aura communiquée à notre territoire. [...] Direz vous que la lumière du soleil est un don gratuit et que repousser des dons gratuits ce serait repousser la richesse même sous prétexte d'encourager les moyens de l'acquérir ? [...] Soyez donc logiques car, alors que vous repoussez comme vous le faites la houille, le fer, le froment et les tissus étrangers à raison du fait que leur prix se rapproche de zéro, quelle inconséquence ne serait-ce pas d'admettre la lumière du soleil dont le prix est à zéro pendant toute la journée ? »

La concurrence déloyale de la Toile a succédé à celle du soleil. Pour le reste, rien n'a changé.

Genre à l'école : le Sénat s'obstine

17 juillet 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

La délégation sénatoriale aux droits des femmes demande que soient instrumentalisés les manuels scolaires afin d'encourager les élèves à s'émanciper des représentations sexuées.

Quoi qu'il advienne des "ABCD de l'égalité", moult responsables politiques semblent décidés à inculquer aux petits Français les valeurs qui les avaient inspirés. Témoin de cette obstination, le rapport d'information du socialiste Roland Courteau, présenté au nom de la délégation aux droits des femmes du Sénat. Celle-ci « a toujours considéré que c'est dès le plus jeune âge que les stéréotypes doivent être appréhendés et déconstruits ». C'est pourquoi elle s'est intéressée aux manuels scolaires, souhaitant « prendre la mesure de l'évolution des représentations sexuées transmises aujourd'hui à l'école ».

Le poids des images

Avec une relative satisfaction, le rapporteur y observe « l'émergence d'un masculin neutre, à l'image de l'évolution des rapports de sexe dans le reste de la société ». Mais il s'attache surtout à dénoncer « une permanence dans la reproduction des stéréotypes de genre et des préjugés ». Sans surprise, il constate « une association permanente entre le féminin, la maternité, l'éducation et les soins aux enfants, les activités ménagères  ». Soulignant « à quel point les stéréotypes se nichent dans l'iconographie », la délégation demande, notamment, « que le ministère de l'Éducation nationale mette à la disposition des éditeurs privés une banque de ressources iconographiques publiques ». Elle suggère, également, « que des experts, spécialistes des questions d'égalité entre les hommes et les femmes, soient intégrés au sein des groupes de travail pilotés par le CSP [Conseil supérieur des programmes], afin de pouvoir systématiquement procéder à une relecture spécifique des programmes ». À cet effet, est-il précisé, « le respect du délai d'un an entre la publication des programmes et leur entrée en vigueur est essentiel ».

Comment cette démarche se traduirait-elle concrètement ? Dans un manuel de mathématiques, par exemple, un exercice pourrait proposer « d'agréger des ustensiles de cuisine et des outils mécaniques ». Aux yeux du rapporteur, cela serait « bien plus efficace pour éveiller le regard critique de l'enfant qu'une "leçon" sur l'orientation des filles et des garçons ». De fait, « pour les élèves comme pour les enseignants », l'objectif serait « d'ouvrir le regard et de donner la possibilité de remettre en question l'ordre établi », au motif que celui-ci serait injuste.

Façonner les esprits

« Être éducateur au XXIe siècle », soutient la délégation sénatoriale, « c'est permettre à chaque enfant de se développer en fonction de ses potentialités sans être assigné à son sexe ou à sa classe sociale ». Or, « de la même manière que des manuels qui véhiculent des stéréotypes contribuent à l'intériorisation des normes de genre », il lui semble « évident que diversifier les modèles d'hommes et de femmes, de filles et de garçons, encourage les enfants et les jeunes à faire des choix basés sur leurs goûts et leurs aptitudes », ce qui leur conférerait « une plus grande liberté ». En effet, « les limites que crée l'intériorisation de l'assignation de genre » seraient « un frein à un plein épanouissement des filles et des garçons ». En résumé, « traquer les stéréotypes de genre à l'école participe donc à la construction d'un projet d'émancipation ». Autant le dire clairement : « l'enjeu d'une éducation non stéréotypée, c'est de transmettre plus de bonheur » – rien de moins !

Le terrain à la traîne

Reste à savoir dans quelle mesure cette conviction s'avère partagée, voire mise en œuvre. « À l'heure actuelle », regrette Roland Courteau, « la formation des enseignants à la transmission des valeurs d'égalité et de respect n'existe pas véritablement ». Plus précisément, « la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) semble s'accompagner d'une régression de la formation sur ces thématiques ». Selon lui, « la valeur "égalité" » devrait « intégrer tous les concours de recrutement de l'Éducation nationale ». Mais en pratique, explique-t-il « la mobilisation des cadres de l'Éducation nationale dépend essentiellement du niveau académique, rectorat par rectorat ». Dans ces conditions, « un professionnel investi dans telle ou telle académie peut impulser une dynamique positive, comme l'inverse, hélas » – tout étant affaire de point de vue, cela va sans dire. En résumé, si l'on en croit la délégation sénatoriale aux droits des femmes, il y aurait « un décalage certain entre les bonnes intentions affichées du ministère de l'Éducation nationale et la réalité de terrain ». Enfin une bonne nouvelle ?