Le bric-à-brac parlementaire du 1er avril

15 avril 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Loups et béliers, forte corpulence, parrainage dans l'entreprise, affichage solennel de la Déclaration des droits de l'homme dans les écoles... Autant de sujets sur lesquels les députés voudraient légiférer.

À la différence des projets de loi, présentés par le gouvernement, les propositions sont déposées par des parlementaires. La plupart de ces textes enregistrés à la présidence de l'Assemblée nationale le 1er avril, parfois insolites, sinon grotesques, demeureront vraisemblablement sans lendemain.

Traditions mises à mal

Bravant certains écologistes, Mme Henriette Martinez, soutenue par quelques collègues, demande la mise en place d'un plan de gestion du loup : « Avec un nombre d'attaques et de victimes en constante progression », le prédateur menace selon elle « la pratique du pastoralisme avec de graves conséquences pour l'élevage mais aussi pour la survie de la biodiversité de la montagne ». Marc Le Fur et quatre autres députés déplorent les mésaventures juridiques des organisateurs d'un tournoi de lutte bretonne, dont le gagnant recevait traditionnellement un bélier : « Une nouvelle fois le patrimoine local et les traditions ancestrales sont mis à mal par une vision réductrice du droit. » En conséquence, ils souhaitent « permettre l'attribution en lot ou prime d'animaux vivants dans le cadre des manifestations sportives et folkloriques régionales traditionnelles ».

Changement de registre avec Mme Valérie Boyer. Soulignant l'augmentation du tour de taille moyen de 4,7 centimètres entre 1997 et 2009, elle mobilise la chambre basse pour « interdire de surtaxer une personne de forte corpulence qui achète un billet d'avion ». Sa proposition de loi prie le gouvernement d'établir les conditions d'application d'une telle disposition. Faudra-t-il communiquer ses mensurations lors de l'achat d'un billet d'avion ? Le cas échéant, comment les compagnies pourront-elle s'assurer de la bonne foi de leurs clients, tentés de s'approprier deux sièges pour le prix d'un quelle que soit leur corpulence ? À travers ces questions quelque peu triviales, on mesure l'irresponsabilité des parlementaires.

Michel Zumkeller peut se vanter, quant à lui, d'un travail prolifique, mené de plus en solitaire – un signe du crédit que lui accordent ses collègues ? Le député juge « très important d'instaurer la possibilité d'un parrainage de deux ans entre ceux qui vont quitter l'entreprise pour partir en retraite, et ceux qui doivent entrer dans la vie active ». À cet effet, il a présenté un texte dont la rédaction nous semble hasardeuse – En quoi cette « possibilité » est-elle aujourd'hui exclue ? –, et dont l'objet devrait plutôt être discuté par les organisations professionnelles.

Le règne du bon sens

Promoteur de dispositions inutiles, M. Zumkeller demande également que « tout produit vendu en France comporte une étiquette précisant que la fabrication de ce produit est conforme à notre modèle social, principalement en matière de travail des enfants ». Encore faudrait-il s'en assurer...

Le député du Territoire-de-Belfort propose, en outre, de « rendre obligatoire l'affichage de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 à l'entrée de tous les établissements publics d'enseignement scolaire de France ». De son point de vue, « un tel affichage solennel s'impose d'autant plus aujourd'hui qu'élèves et enseignants sont souvent victimes d'atteintes à leurs droits ou auteurs d'atteintes aux droits ». Autrement dit, ce serait une réponse à « la violence entre les élèves ou contre les professeurs ». Selon le scénario échafaudé par M. Zumkeller, « lorsque se produira un incident dans ou autour de l'école », « des rassemblements pourraient alors être organisés devant ce texte fondateur ». De quoi inculquer la discipline aux sauvageons.

Un peu de sérieux

Plus sérieusement, Bruno Le Roux et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche entendent « renforcer l'exigence de parité des candidatures aux élections législatives ». Thierry Mariani voudrait « rétablir la manifestation de volonté » et instituer un « serment républicain » préalables à l'obtention de la nationalité après un mariage ou par des enfants nés en France de parents étrangers. Enfin, Jacques Remiller réclame la reconnaissance des votes blancs et l'annulation des scrutins où ceux-ci représenteraient plus de 30 % des bulletins. Peut-être sa proposition mérite-t-elle d'être débattue, mais sans doute son application aurait-elle pour principale conséquence de rendre la démocratie un peu plus coûteuse.

Maîtriser la pointe électrique

15 avril 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Les énergies renouvelables sont la coqueluche des médias. Mais nulle politique ne saurait se réduire à favoriser leur développement. La maîtrise des pics de consommation électrique figure parmi les enjeux majeurs.

Plusieurs écueils se sont heurtés, tout récemment, aux discours les plus convenus appelant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 31 mars, un rapport d'information présenté par le député Franck Reynier s'est montré critique à l'égard du développement de l'énergie éolienne, jugé « désordonné ».

Camouflet

Par ailleurs, alors que le président de la République avait jugé acquise l'institution d'une taxe carbone aux frontières de l'UE, la Commission européenne a pointé « un nombre d'inconvénients considérables qu'il faudra résoudre » (Euractiv, 07/04/2010). Enfin, un colloque parlementaire a mis en relief, jeudi dernier, l'incapacité de la France à prendre des mesures claires en faveur des énergies renouvelables, censées couvrir 23 % de la consommation nationale d'ici 2020 (Euractiv, 09/04/2010).

La maîtrise de la pointe électrique, sur laquelle ont planché Serge Poignant et Bruno Sido, respectivement député et sénateur, est un enjeu moins connu, mais néanmoins stratégique. Depuis une dizaine d'années, la puissance appelée en période de pointe augmente plus rapidement que la consommation générale. Plusieurs facteurs sont en cause, telles l'attractivité croissante du chauffage électrique, qui rend la consommation française d'autant plus sensible à la température en hiver, ou l'augmentation du nombre de ménages, qui tire la consommation résidentielle – preuve que l'évolution des mœurs a de multiples conséquences. Le dernier record fut enregistré le 7 janvier 2009, avec une demande de 92,4 GW. Selon un scénario "référence" échafaudé par RTE (Réseau de transport d'électricité), la puissance requise dans des conditions climatiques se présentant en moyenne tous les dix ans devrait atteindre 104 GW à l'hiver 2014-2015 et 108 GW en 2019-2020.

Ces chiffres sont d'autant plus préoccupants que la plupart des moyens de production de pointe sont vieillissants. Le nucléaire domine certes le parc de production français (63,3 GW sur un total de 117), mais celui-ci ne s'accommode que de modulations saisonnières. En période de pointe, outre des importations et l'hydraulique, seuls le charbon et le gaz, voire le fioul, autorisent les ajustements nécessaires. C'est pourquoi un lissage de la courbe de charge contribuerait à réduire les émissions de gaz carbonique – lesquelles affectent environ 10 % de la production électrique française.

Effacements contractuels

On cherchera donc à pratiquer des effacements de consommation. Le délestage est  la solution la plus radicale... L'information d'urgence aurait par ailleurs prouvé son efficacité en Bretagne. Notons que certains effacements n'auraient rien d'intolérable : « le fait d'éteindre le chauffage électrique pendant 15 à 30 minutes dans un logement bien isolé ne modifie pas la température ressentie par le consommateur », soulignent MM. Poignant et Sido. À l'avenir, les opérateurs pourraient être habilités à modifier la consommation de leurs clients, comme cela se fait déjà en Californie : « Les Programmable Communicating Thermostat (PCT) permettent de commander temporairement une hausse de la température de consigne des climatiseurs de 1 à 3° C en période de pointe estivale et le client – informé de ce changement – garde la possibilité de rétablir la température initiale. Ces dispositifs sont obligatoires dans les logements neufs. » De nouvelles offres tarifaires devront favoriser les effacements aux moments les plus critiques. « La clé est la mise en place rapide du compteur communicant Linky qui permettra un comptage à la carte », poursuivent les rapporteurs.

Comment contraindre des acteurs privés ?

Rappelons enfin que la maîtrise de la pointe électrique s'inscrit dans un contexte de libéralisation. Or, le financement des moyens de pointe « exclusivement par un marché en énergie est voué à l'échec », affirment les parlementaires. « Car même si les marchés en énergie peuvent en théorie assurer la rentabilité des moyens de pointe – et symétriquement des effacements – la visibilité qu'ils offrent n'est pas suffisante. Les pics de prix sont trop aléatoires en fréquence et en niveau et le risque est trop important pour un investisseur. Dans un système avec de multiples responsables d'équilibre, aucun fournisseur n'a intérêt à assumer le risque d'un tel investissement, dans la mesure où une défaillance éventuelle ne sera pas nécessairement de son fait et n'entraînera pas nécessairement de pertes insupportables. » Il appartient aux pouvoirs publics d'encadrer strictement les évolutions en cours. Serge Poignant et Bruno Sido voudraient imposer aux fournisseurs une obligation de capacité. Reste à définir les modalités qui permettront d'en assurer le respect.

L'outre-mer dans l'Union européenne

15 avril 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Bruxelles recèle une manne financière convoitée par l'outre-mer français. Au-delà, les relations des territoires ultra-marins avec l'Europe sont à l'image de celles entretenues avec la métropole, selon qu'ils souhaitent resserrer ou assouplir les liens politiques les attachant à Paris.

L'appartenance des pays et territoires d'outre-mer (PTOM) « à la famille européenne » doit être mieux considérée, affirme l'Assemblée nationale. Dans une résolution adoptée le 26 mars, la chambre basse « souligne la nécessité de remédier à l'érosion des préférences commerciales dont bénéficient les PTOM » ; elle demande que l'UE tienne compte de leurs intérêts « dans la définition et la conduite de sa politique commerciale », et invite le gouvernement à préserver, plus particulièrement, ceux de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Deux statuts européens

Les départements d'outre-mer (DOM) sont intégrés à la Communauté européenne depuis son origine ; selon la terminologie introduite par le traité de Maastricht, ils constituent des « régions ultra-périphériques » (RUP) de l'Union. Les « pays et territoires d'outre-mer » bénéficient, quant à eux, d'un régime d'association. Certains sont devenus indépendants à la faveur de la décolonisation, formant, dans le jargon européen, les « États ACP » (Afrique, Caraïbes et Pacifique). « Historiquement, la catégorie des PTOM a donc un caractère "résiduel" », observent Mme Annick Girardin et Hervé Gaymard, auteurs d'un rapport d'information enregistré le 10 février à la présidence de l'Assemblée. Parmi les PTOM figurent Mayotte, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon, les Terres australes et antarctiques françaises, Wallis-et-Futuna. Les RUP européennes correspondent, plus au moins, aux départements d'outre-mer français, et les PTOM aux collectivités d'outre-mer. « Cependant, le changement de statut d'une collectivité en droit interne n'a pas de conséquence automatique sur son statut au regard du droit communautaire », soulignent les députés.

Les produits originaires des PTOM entrent librement sur le territoire européen. En revanche, les exportations communautaires peuvent être soumises à des droits de douane perçus par les PTOM, « qui répondent aux nécessités de leur développement et aux besoins de leur industrialisation ou qui, de caractère fiscal, ont pour but d'alimenter leur budget ». Alimenté par les États membres de l'UE, sans dépendre stricto sensu du budget de l'Union, le Fonds européen de développement (FED) bénéficie à la fois aux PTOM et aux pays ACP. La France en est aujourd'hui le deuxième contributeur (19,5 %) derrière l'Allemagne (20,5 %). Pour la période 2008-2013, 286 millions d'euros sont alloués aux PTOM, sur un total de 22,7 milliards (soit 1,25 %). « Les montants sont modestes », commentent les rapporteurs. À titre de comparaison, les sept régions ultra-périphériques bénéficient de 7,8 milliards d'euros de fonds communautaires pour la période 2007-2013.

Mayotte veut s'intégrer à l'Europe

« En tant que PTOM, Mayotte bénéficie depuis 1976 de l'action cruciale de l'Europe au service de son développement », soutient le sénateur Soibahadine Ibrahim Ramadani. L'investissement labellisé par Bruxelles aurait permis de financer l'électrification rurale, le reboisement, la construction de la station d'épuration des eaux usées, la protection du lagon... Pourtant, entre 2000 et 2007, alors que la dotation avoisinait les 25 millions d'euros, seul un peu plus d'un million aurait été consommé. « Cette situation n'est en rien exclusive à Mayotte », poursuit M. Ibrahim Ramadani, « puisque les DOM étant eux-mêmes des RUP, recevant les fonds structurels, ne consomment en moyenne que 40 à 50 % des crédits alloués ». En cause : « la complexité des procédures » et « un manque crucial de personnel qualifié dans la gestion et l'exécution des crédits européens ».

Malgré tout, l'enveloppe destinée à Mayotte apparaît « quelque peu "dérisoire" » aux yeux du sénateur, qui la compare à celles octroyées aux régions ultra-périphériques – telles  la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion. L'île aux Parfums convoite leur statut européen, qui lui ouvrirait une nouvelle manne financière. Il appartient aux responsables nationaux d'agir pour que Mayotte bénéficie des fonds structurels de la période 2014-2020. « Mais l'Europe, c'est plus qu'une chance pour Mayotte », conclut Soibahadine Ibrahim Ramadani. Ce serait même « vital » : « Le statut de DOM-ROM garantit notre ancrage dans la République. Le statut de RUP de l'UE consolidera à jamais la position des Mahorais et écartera définitivement toute crainte liée aux revendications territoriales d'un pays étranger et sera une force pour endiguer devant la communauté internationale les condamnations injustes et injustifiées liées à la présence légitime de la France à Mayotte. »

Émancipation

À l'inverse, après s'être détachée de la Guadeloupe pour devenir en 2007 une collectivité d'outre-mer française, Saint-Barthélémy a demandé à passer du statut de région ultra-périphérique à celui de pays et territoire. Forte d'un PIB par habitant supérieur à 75 % du PIB moyen de l'Union européenne, l'île ne peut prétendre au bénéfice des fonds structurels. En tant que RUP, elle n'en reste pas moins soumise au droit communautaire, dont la transposition serait « génératrice de normes souvent exorbitantes et d'application contraignante », selon le sénateur Michel Magras. « Du point de vue des relations commerciales avec les États-Unis, d'où proviennent une grande part des biens de consommation, le respect strict des normes constitue un handicap », affirme-t-il. En outre, le nouveau code des douanes communautaires pourrait menacer le "droit de quai". « Sa remise en cause équivaudrait à supprimer l'élément principal de l'autonomie budgétaire de la collectivité », avertit M. Magras. Or, le risque planant sur sa perception serait dissipé par l'accession au statut de PTOM. En résumé, « Saint-Barthélemy souhaite trouver dans le régime d'association les facultés d'adaptation de la réglementation que le statut de [collectivité d'outre-mer] permet en droit français ».

Quelles perspectives ?

Adoptée en 2001, l'actuelle décision d'association expirera le 31 décembre 2013. À l'avenir, selon les conclusions du Conseil du 22 décembre 2009, « les relations entre l'UE et les PTOM ne devraient plus être polarisées, comme c'est le cas actuellement, sur la réduction de la pauvreté, mais se muer en un partenariat [...] qui favorisera le développement durable des PTOM et mettra à profit leur potentiel et leurs atouts, tout en contribuant à promouvoir les valeurs et les normes de l'UE dans le reste du monde ». « Le discours sur le renforcement de la compétitivité, c'est le refrain à la mode », commente Jean-Claude Fruteau. Le député de la Réunion juge « illusoire de croire que les seuls mots de "partenariat réciproque et renforcement de la compétitivité" permettront aux PTOM de combler définitivement leurs retards et de résoudre les difficultés structurelles en présence ». De son point de vue, « la question de fond est de savoir quelle sera la compétitivité des PTOM face à la concurrence mondiale si on les "lâche" après les avoir assistés pendant longtemps ».

« Les objectifs environnementaux [...] sont plus que louables », poursuit M. Fruteau. « Cependant, à l'heure actuelle, la valorisation et la sauvegarde de la biodiversité ne peuvent constituer à elles seules un levier suffisant... »  Son collègue Michel Buillard se montre plus optimiste : « Le développement des énergies renouvelables permettrait à la Polynésie française d'être un laboratoire d'expérimentation dans le Pacifique dans un domaine de technologie de pointe et à forte valeur ajoutée tel que l'énergie thermique des mers, l'énergie houlomotrice, l'éolien ou le photovoltaïque. »

« Cette évolution devrait mettre fin au parallélisme existant avec le régime des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique », soutient l'Assemblée nationale, qui envisage la création d'un fonds spécifique. La chambre basse souhaite un rapprochement entre le régime des PTOM et celui des régions ultra-périphériques. M. Buillard propose de « substituer au critère du PNB celui de vulnérabilité ». En outre, la Polynésie réclame une participation accrue à la prise de décision.

Saint-Pierre-et-Miquelon

De fait, Saint-Pierre-et-Miquelon pourrait faire les frais de la relative indifférence de Bruxelles. Des produits de la pêche en provenance du Canada y sont transformés, après paiement des droits de douane de la collectivité, et sont ensuite réexportés vers l'Union européenne en franchise de droits de douane. Or, des discussions avec Ottawa pourraient aboutir à une libéralisation totale des échanges. Le cas échéant, il n'y aurait plus d'intérêt pour le Canada à faire transiter ses produits par Saint-Pierre-et-Miquelon. « Ce risque n'a pas été identifié au moment de l'adoption du mandat de négociation de l'accord », déplorent Mme Annick Girardin et Hervé Gaymard. « À présent que les négociations ont commencé, les intérêts de Saint-Pierre-et-Miquelon [...] doivent impérativement être pris en compte par la Commission ».

Mais « la question des accords commerciaux dépasse très largement le sujet des PTOM » selon l'ancien ministre de l'Agriculture. « Nous trouvons là, comme ailleurs, une des grandes faiblesses européennes », a-t-il expliqué devant la commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale : « l'absence de cohérence entre des politiques en tuyaux d'orgue. Ainsi les discussions sur le cycle de Doha se poursuivent-elles en parfait cloisonnement à l'égard des débats sur l'avenir de la PAC ou des progrès des politiques européennes d'aides au développement. Or, tous ces enjeux sont intrinsèquement liés, et ce maillage organique n'est nulle part aussi spectaculaire que dans les PTOM. » Peut-être la mise en place, en décembre dernier, d'un "pôle outre-mer" au sein de la représentation permanente de la France à Bruxelles contribuera-t-elle à changer la donne.

La « cathophobie », paravent d'un intégrisme paranoïaque

5 avril 2010

Nouveau crime contre Dieu ! L'Éducation nationale veut encourager le travail des écoliers le mercredi matin. Une initiative d'inspiration éminemment démoniaque...

Selon une circulaire publiée le 18 mars dans le Bulletin Officiel de l'Éducation nationale, en prévision de la rentrée 2010, « les recteurs et les inspecteurs d'académie seront attentifs à la gestion des rythmes scolaires, en relation avec les collectivités locales, les parents d'élèves et les enseignants. En visant avant tout l'intérêt de l'enfant, ils étudieront les formules les plus adaptées aux besoins de l'élève. L'organisation de la semaine en neuf demi-journées (du lundi au vendredi en incluant le mercredi matin) est encouragée chaque fois qu'elle rencontre l'adhésion. »

Sandale dans la réacosphère ! Liberté politique a dénoncé une « menace sur la liberté d'enseignement du catéchisme » – rien de moins ! –, accusant le ministre Luc Chatel de participer « sans états d'âme au détricotage insidieux du christianisme en France ». Sa responsabilité dans la désertion des églises est certes incontestable : n'a-t-elle pas commencé en juin 2009 avec sa nomination rue de Grenelle ? On devine la main du démon derrière les manigances du gouvernement. Sans doute Satan en a-t-il lui-même dicté la composition au président Sarkozy – ce dont atteste le soutien de Frédéric Mitterrand au festival Hellfest. Échaudés par les attaques lancées contre le pape, certains catholiques ont manifestement perdu la tête !

« Les enfants n'ont pas classe le mercredi, non pas d'abord pour qu'ils se reposent mais parce qu'une loi de mars 1882 prévoit que les écoles ferment pendant une journée pour que les enfants puissent aller au catéchisme », affirme encore Liberté politique. Le ministre appellerait-il ses subordonnés à bafouer la loi ? En dépit de moult révisions, le code de l'Éducation stipule toujours que « les écoles élémentaires publiques vaquent un jour par semaine en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s'ils le désirent, à leurs enfants l'instruction religieuse, en dehors des édifices scolaires ». À vrai dire, nous n'imaginions pas que la République se montrait si magnanime à l'égard des curés. Magnanimité nullement remise en cause, puisque, depuis le XIXe siècle, c'est « un jour par semaine, en outre du dimanche » – et non le mercredi nécessairement – qui leur est réservé.

Les protestations conservatrices apparaissent d'autant plus grotesques à la lumière de ce rappel historique. Reste que l'extrême droite, fût-elle catholique, se complait volontiers dans une posture de victime. Le Salon Beige l'a souligné vendredi dernier, Michel Janva citant saint François de Sales : « Quoi que nous fassions, le monde nous fera toujours la guerre. » En peignant leur propre caricature, ces "laïcs engagés" ne servent guère la cause de l'Église. Ce serait son affaire si cela n'avait pas une incidence politique.

Paravent d'un intégrisme religieux paranoïaque, la dénonciation irraisonnée de la « cathophobie » légitime le laïcisme et les appels incessants en faveur du « métissage » – dont le culte contribue, nous semble-t-il, à l'éclatement de la société. Agnès Rousseaux n'avait pas tort de fustiger dans Témoignage Chrétien « certains catholiques [qui] semblent vouloir réduire l'identité nationale à la France chrétienne ». Mais dans la foulée, notre consœur a pris ses distances avec Mgr Aillet, pour qui « ceux que nous accueillons doivent être dans le grand respect de ce qui fait notre identité nationale, c'est-à-dire dans le grand respect de nos racines culturelles chrétiennes ».

Nostalgiques d'un passé révolu, des intégristes entretiennent délibérément la confusion entre des racines incontestablement chrétiennes et les fruits qu'elles ont produits, où la prégnance religieuse est devenue très diffuse. Ce faisant, ils encouragent nos contemporains à fouler au pied notre héritage national... Chapeau les cathos !

Divorces européens

1 avril 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

L'Union européenne s'achemine vers la mise en œuvre d'une première coopération renforcée.

On recenserait chaque année près de 300 000 mariages internationaux dans l'Union européenne. En cas de divorce, la variété des législations nationales entraine « des complications sur le plan juridique et des frais élevés, rendant plus difficile le prononcé des divorces à l'amiable », selon les observations de la Commission européenne. Celle-ci a proposé un règlement en vertu duquel les couples contrôleraient davantage leur séparation, et les juridictions disposeraient d'une méthode commune pour déterminer le pays dont la loi s'applique lorsque les couples ne peuvent pas s'accorder sur ce point. « L'objectif est d'alléger la charge pesant sur les enfants et de protéger les conjoints les plus vulnérables » explique-t-on à Bruxelles.

La Commission répond à la demande de dix États membres, dont la France, qui doivent désormais obtenir l'approbation du Conseil et du Parlement européen pour mettre en œuvre une "coopération renforcée" – la première depuis l'introduction de ce mécanisme par le traité d'Amsterdam entré en vigueur en 1999.

En février dernier, la France et l'Allemagne avaient déjà signé une convention créant un régime matrimonial commun (Coulisses de Bruxelles, 01/03/2010). Par ailleurs, un projet de directive vise à établir un ordre de protection européenne, qui permettrait à un État membre d'étendre des mesures d'éloignement au territoire de ses partenaires. Un nouveau signe de l'immixtion croissante de l'Union dans la justice et les affaires intérieures (JAI).

Conseil européen du printemps

1 avril 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Quelques mots sur la réunion des chefs d'État ou de gouvernement de l'UE  les 25 et 26 mars.

Stratégie sans surprise

Réuni à Bruxelles les 25 et 26 mars, le Conseil européen des chefs d'État ou de gouvernement de l'UE a approuvé les principaux éléments d'une nouvelle stratégie pour l'emploi et la croissance : porter à 75 % le taux d'emploi des femmes et des hommes âgés de vingt à soixante-quatre ans, investir 3 % du PIB en recherche et développement, réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 % par rapport aux niveaux de 1990, améliorer l'éducation et réduire le taux de décrochage scolaire, favoriser l'inclusion sociale et lutter contre la pauvreté... Des objectifs somme toute très généraux , qui seront certes précisés d'ici l'été.

Selon les conclusions du Conseil européen, « la Commission présentera prochainement un rapport sur d'éventuelles sources novatrices de financement, comme un prélèvement mondial sur les transactions financières ». En outre, « la stratégie comprendra une dimension extérieure forte afin de garantir que les instruments et les politiques de l'UE seront mis en œuvre pour promouvoir nos intérêts [...] par la participation, à l'échelle mondiale, à des marchés ouverts et où les conditions de concurrence sont équitables ». D'aucuns y verront un écho aux propos de Nicolas Sarkozy jugeant « invraisemblable que l'Europe interdise le soutien aux industries exportatrices », alors que « ses concurrents asiatiques déploient des financements massifs »...

« Si certains objectifs sont inscrits dans les textes législatifs de l'UE, les autres ne le sont pas et n'impliquent pas de partage de l'effort », observent les chefs d'État ou de gouvernement ; « ils constituent un but commun à atteindre par une combinaison d'actions entreprises à l'échelon national et à celui de l'UE ». Commentant la stratégie précédente, Yves Bertoncini s'était interrogé « sur la nécessité pour l'UE de retenir comme une priorité politique majeure une stratégie pour laquelle ses moyens d'action directs sont limités » (Dictionnaire critique de l'Union européenne, Armand Colin). La question demeure pertinente, malgré l'annonce d'une implication accrue du Conseil européen et celle d'un meilleur suivi. « Un dialogue étroit » entre les États membres et la Commission permettra, paraît-il, « d'améliorer la qualité de la surveillance et de favoriser l'échange de bonnes pratiques » ; « il pourrait notamment prendre la forme de réunions entre des experts de la Commission et des États membres ». Une vraie révolution !

Service minimum en Euroland

Craignant une asphyxie de son pays sous la pression des marchés, le Premier ministre grec Georges Papandréou avait sollicité un « large soutien politique » qui lui permettrait de financer sa dette « à des taux raisonnables ».

Le 25 mars , en marge du Conseil européen, les chefs d'État et de gouvernement des seize pays de la zone euro sont convenus de contribuer à des prêts bilatéraux coordonnés. Cela en « dernier recours », avec une implication « substantielle » du Fonds monétaire international.

« Il a fallu travailler dur » pour parvenir à cet accord, a reconnu le président de la République. À l'approche des élections en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le chancelier allemand craignait vraisemblablement de froisser son opinion publique, exaspérée par les déboires de la Grèce, lesquels contrastent avec la rigueur pratiquée outre-Rhin. La déclaration de l'Eurogroupe annonce d'ailleurs une surveillance renforcée des risques économiques et budgétaires. « La question des sanctions est clairement posée », a souligné Nicolas Sarkozy.

De fait, l'accord arraché à Angela Merkel ne fait aucun mystère de ses réticences. Prenant le risque de tester les marchés lundi dernier, Athènes a toutefois bénéficié d'un accueil relativement favorable après avoir lancé un emprunt de 5 milliards d'euros sur sept ans. Affaire à suivre.

Le Parlement européen joue des coudes

1 avril 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Innovation majeure du traité de Lisbonne, la création du Service européen pour l'Action extérieure se prépare sur fond de rivalités institutionnelles. Le Parlement européen entend bien conforter ses prérogatives...

Le Haut Représentant de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité continue de faire jaser. Selon Jean Quatremer, Mme Catherine Ashton aurait refusé une rencontre le 18 avril avec les ambassadeurs du Conseil de Sécurité des Nations unies, « tout simplement parce que ce jour-là est un dimanche et que la baronne passe tous ses week-ends à Londres, là où résident son mari et ses enfants » (Coulisses de Bruxelles, 18/03/2010).

Architecture du SEAE

Les critiques sont d'une autre nature depuis qu'elle a révélé son projet d'architecture du futur Service européen pour l'Action extérieure (SEAE) – « un bureau autonome de l'UE, séparé de la Commission et du secrétariat général du Conseil, avec la capacité juridique nécessaire pour accomplir ses tâches et atteindre ses objectifs ».

Il serait dirigé par un secrétaire général placé sous l'autorité du Haut Représentant, prenant « toutes les mesures nécessaires pour assurer le bon fonctionnement du SEAE ». L'administration centrale serait organisée en directions générales comprenant des bureaux géographiques ou thématiques. Les organes de gestion de crises, civils et militaires, dépendraient directement du Haut Représentant.

Du côté des gouvernements, on reconnaît à demi-mot la difficulté des négociations en cours : « La présidence espagnole est déterminée à ne pas ménager ses efforts pour parvenir à un accord », précise un communiqué du secrétariat général du Conseil. À travers le transfert au SEAE (suivant un principe de neutralité budgétaire) de services rattachés jusqu'alors tantôt au Conseil des ministres, tantôt à la Commission, l'équilibre institutionnel pourrait se trouver modifié. Or, le Parlement européen entend bien tirer la couverture à lui.

Un projet inacceptable

Ce projet d'architecture, qui ne devrait pas dépayser les diplomates français, est jugé « inacceptable » par une majorité de députés. Fustigeant tout particulièrement l'ampleur des pouvoirs conférés au secrétaire général –  un fonctionnaire –, ils réclament « un service autonome lié à la Commission aux niveaux administratif, organisationnel et budgétaire » qui serait « responsable devant le Parlement aux niveaux politique et budgétaire ».

Forte de sa mainmise sur le budget européen, l'assemblée n'a pas caché sa volonté d'« intensifier la pression sur les autres institutions de l'UE ». Elle l'a réaffirmée le 10 mars, en votant, par 633 voix contre 13 (Le Point, 10/03/2010), une résolution « sur la transparence et l'état d'avancement des négociations ACTA » (Anti-Counterfeiting Trade Agreement). Mandatée par les gouvernements, la Commission participe à la négociation d'un accord multilatéral censé renforcer la protection des droits de propriété intellectuelle. Or, les parties sont convenus d'une clause de confidentialité. Les députés le tolèrent d'autant moins que les fuites nourrisent moult inquiétudes quant au contenu de l'accord. « Les douanes pourraient fouiller lecteurs MP3, téléphones et ordinateurs portables de tout citoyen suspecté d'avoir téléchargé illégalement un quelconque fichier », prévient Bruno Gollnisch.

Le souverainisme piégé ?

La résolution adoptée condamne une telle perspective, invitant par ailleurs la Commission et le Conseil « à assurer l'accès des citoyens et des organes parlementaires aux documents et aux synthèses relatifs à la négociation de l'ACTA ». Le Parlement « attend de la Commission qu'elle présente des propositions avant le prochain cycle de négociations qui se tiendra en Nouvelle-Zélande en avril 2010, qu'elle exige que la question de la transparence soit inscrite à l'ordre du jour de cette réunion et qu'elle communique au Parlement le résultat du cycle de négociations immédiatement après sa conclusion ». Enfin, le texte « souligne que, s'il n'est pas informé immédiatement et intégralement à tous les stades des négociations, le Parlement se réserve le droit de prendre les mesures appropriées, y compris d'intenter une action auprès de la Cour de justice afin de défendre ses prérogatives ».

Le cas échéant, si la Cour donnait raison au Parlement, l'Europe serait-elle contrainte de trahir la confiance de ses partenaires internationaux ? S'exprimant au nom du groupe "Europe, libertés, démocratie" où siège Philippe de Villiers, le Britannique Derek Roland Clark n'a pas manifesté davantage de réserve que le porte-parole du Front national dans son explication de vote en faveur de la résolution. Le souverainisme révèle ici son ambiguïté : en effet, à travers l'exigence de transparence, c'est, en définitive, l'influence des gouvernements sur le fonctionnement de l'Union qui nous semble contestée.

Le nucléaire militaire en débat

1 avril 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que nos voisins veulent "dénucléariser" l'Europe, la France renforce sa coopération avec le Royaume-Uni et vante son exemplarité en matière de désarmement, confirmant par ailleurs son soutien aux usages civils de l'atome.

À l'approche de la conférence d'examen du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui se tiendra à New York du 3 au 28 mai, des voix se sont élevées pour réclamer, à l'image de Barack Obama, un monde « sans armes nucléaires ». Faisant écho au discours prononcé l'année dernière par le président américain, la Belgique, l'Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Norvège ont proposé d'inscrire la politique nucléaire à l'ordre du jour d'une prochaine réunion de l'Otan (Bruxelles 2, 28/02/2010).

Permanence à la mer

« La Guerre froide est terminée. Il est temps d'adapter notre politique nucléaire aux circonstances nouvelles », ont proclamé quelques personnalités belges (Le Soir, 19/02/2010). Selon Willy Claes, Jean-Luc Dehaene, Louis Michel et Guy Verhofstadt, « les armes nucléaires tactiques américaines en Europe ont perdu toute importance militaire ». Considérant qu'elles stimulent indirectement la prolifération, et minent de ce fait la sécurité de leur pays, ils demandent leur retrait. Cette perspective semble inquiéter Jean-Pierre Chevènement : « Une "Europe sans armes nucléaires" créerait un vide stratégique étant donné que la Russie, puissance eurasiatique, con-serve un arsenal très important, tout comme les États-Unis, et que le Moyen-Orient n'est pas une zone dénucléarisée », affirme-t-il dans un rapport déposé au Sénat le 24 février.

Dans ce contexte, selon les révélations du Guardian (19/03/2010), la France aurait proposé au Royaume-Uni un partage des patrouilles sous-marines censées garantir la dissuasion nucléaire. Un projet surprenant, sinon surréaliste, naturellement rejeté par Londres. Le Premier ministre britannique n'en a pas moins confirmé sa volonté d'accroître sa coopération avec Paris. En effet, « il est possible de se parler et de se dire beaucoup de choses », souligne notre confrère Jean-Dominique Merchet (Secret Défense, 19/03/2010). « Notamment en aidant les Britanniques à conserver un certain nombre de savoir-faire... sans l'aide des Américains. En partageant quelques technologies complexes et coûteuses. Ou pour éviter que nos sous-marins ne naviguent dans les mêmes eaux au même moment. On se souvient qu'en 2009, deux SNLE [sous-marins nucléaires lanceurs d'engins] étaient entrés en collision en pleine mer. »

Craignant de se trouver isolée en Europe, la France chercherait peut-être à se prémunir d'un hypothétique abandon du nucléaire militaire outre-Manche. En septembre dernier, Gordon Brown avait envisagé de réduire le nombre de sous-marins britanniques, au risque de compromettre la permanence à la mer. « Chaque année, la dissuasion nucléaire coûte aux Français la moitié du budget de la Justice ou de celui des transports », avait estimé le président de la République en 2008. « Mais je suis déterminé à assumer ce coût », avait-il assuré, arguant que « ce n'est ni une affaire de prestige ni une question de rang, c'est tout simplement l'assurance vie de la nation ».

Stricte suffisance

Les restrictions budgétaires conduiront-elles le chef de l'État à renier son ambition ? C'est d'autant moins probable que la France peut se targuer, selon ses propres mots, d'« un bilan exemplaire » en matière de désarmement nucléaire. Et de louer alors « la France, premier État, avec le Royaume-Uni, à avoir signé et ratifié le traité d'interdiction complète des essais nucléaires ; la France, premier État à avoir décidé la fermeture et le démantèlement de ses installations de production de matières fissiles à des fins explosives ; la France, seul État à avoir démantelé, de manière transparente, son site d'essais nucléaires situé dans le Pacifique ; la France, seul État à avoir démantelé ses missiles nucléaires sol-sol ; la France, seul État à avoir réduit volontairement d'un tiers le nombre de ses sous-marins nucléaires lanceurs d'engins ».

La France compterait désormais 348 têtes nucléaires, selon l'estimation reprise par le sénateur Jacques Gautier – chiffre que le président entendait ramener à trois cents, soit la moitié du maximum détenu pendant la Guerre froide. Outre les bons sentiments, la fiabilité accrue des charges et la meilleure précision des tirs plaident en faveur d'une réduction des arsenaux. « Dimensionnées selon le principe de stricte suffisance, qui a conduit à des réductions unilatérales successives, les forces nucléaires françaises ne peuvent être prises en compte, à ce stade, dans aucun processus de négociation multilatérale de désarmement », avertit Jean-Pierre Chevènement. « La disproportion est telle entre les arsenaux des deux premières puissances nucléaires (22 400) et tous les autres réunis (environ 1 100) que l'effort de désarmement nucléaire doit porter en priorité sur les États-Unis et la Russie. » Lesquels ont annoncé la prochaine signature d'un accord bilatéral de réduction de leurs armes stratégiques offensives, faisant suite au traité Start. Depuis le pic de la Guerre froide, ils ont éliminé les deux tiers de leurs têtes nucléaires. La Chine en détiendrait quatre cents, la Grande-Bretagne moins de deux cents, Israël entre cent et deux cents, l'Inde et le Pakistan une petite centaine, et la Corée du Nord moins d'une dizaine.

Consensus au Sénat

Le 23 mars, lors d'un débat au Sénat – le premier du genre depuis la création de notre force de frappe nucléaire selon Mme Michelle Demessine – Mme Dominique Voynet n'a pas manqué de stigmatiser la France « qui a été l'un des principaux vecteurs de la prolifération dans le monde ». « Sauf à renoncer à voir advenir un monde sans armes nucléaires de notre vivant, nous ne pouvons plus nous contenter de discours convenus », a-t-elle lancé, exprimant son soutien à ses collègues communistes. En leur nom, Mme Demessine a appelé la France à « montrer l'exemple » en renonçant à déployer le missile stratégique M51. À ses yeux, il serait « davantage un héritage de la Guerre froide qu'un instrument de défense adapté aux menaces d'aujourd'hui ». Le "tir d'acceptation" devrait néanmoins intervenir au début de l'été en baie d'Audierne, dans le Finistère, et marquer l'arrivée effective du missile dans la Force océanique stratégique (Secret Défense, 20/03/2010).

En dépit de quelques voix discordantes, le rapport de Jean-Pierre Chevènement « fait désormais autorité », a observé Jean-Paul Gautier. Un consensus politique semble se dessiner en faveur du statu quo national, et si le rêve d'un monde dénucléarisé n'est pas exclu, il est poursuivi sans angélisme. D'autant qu'« il n'y a pas de lien univoque entre désarmement et prolifération », martèle l'ancien ministre. C'est pourquoi « il est essentiel d'agir sur les déterminants régionaux de la prolifération nucléaire, qui s'enracine beaucoup moins dans la lenteur du désarmement des pays dotés que dans les crises politiques régionales ».

Sans nier la fragilité du TNP, M. Chevènement y voit « un instrument irremplaçable pour la sécurité internationale ». Il con-viendrait dorénavant de promouvoir, entre autres : la réduction des arsenaux américain et russe jusqu'à un niveau de quelques centaines d'armes nucléaires ; la ratification du traité d'interdiction complète des essais nucléaires par les États-Unis et tous les autres États qui n'y ont pas procédé ; l'ouverture rapide et sans condition de la négociation d'un traité d'interdiction de la production de matières fissiles à usage militaire. Autant de perspectives que la France soutiendra vraisemblablement en mai prochain.

Une carte à jouer

Intervenant devant la chambre haute, le ministre des Affaires étrangères a réaffirmé « le choix déterminé » de la France en faveur du nucléaire civil, « en pleine renaissance ». Paris se dit disposé à aider tous les pays voulant s'engager sur cette voie. En conséquence, a annoncé Bernard Kouchner, lors de la conférence d'examen du TNP, « nous ferons valoir l'exigence qui accompagne notre proposition : que le développement du nucléaire se fasse avec les meilleures garanties de sécurité, de sûreté, et de non-prolifération ».

À court terme, précise Jean-Pierre Chevènement, il apparaît « indispensable » de concrétiser le projet de "banque du combustible" : un mécanisme international garantirait l'approvisionnement en combustible nucléaire de tous les États demandeurs respectant les normes de non-prolifération. À plus long terme devraient être mises en place des installations d'enrichissement ou de retraitement à caractère multilatéral. « Une approche régionale mériterait d'être privilégiée, avec notamment la création d'une telle installation sous la responsabilité de l'AIEA [l'Agence internationale de l’énergie atomique], dans un État du Moyen-Orient, où les projets de réacteurs civils sont nombreux. » Le moment venu, il appartiendra aux industriels français de remporter les appels d'offre...

Le Conseil vulgarisé

19 mars 2010

Quelques jours après la tenue de sa 3000e session ordinaire, présentons brièvement cette institution tantôt dénommée Conseil de l'UE, Conseil des ministres ou plus simplement Conseil, qui ne doit pas être confondue avec le Conseil européen – réunissant les chefs d'État ou de gouvernement –, ni avec le Conseil de l'Europe  –  indépendant de l'Union.

Le Conseil a tenu sa 3000e session ordinaire le lundi 8 mars 2010. « La numérotation actuelle des sessions du Conseil remonte à l'entrée en vigueur, le 1er juillet 1967, du traité de fusion, qui instituait un conseil unique et une commission unique », rappelle-t-il dans un communiqué. « Auparavant, quelque 460 sessions du Conseil spécial de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), à partir de 1952, et des Conseils de la Communauté économique européenne (CEE) et de la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA), à partir de 1958, avaient déjà eu lieu. »

« Le Conseil exerce, conjointement avec le Parlement européen, les fonctions législative et budgétaire. Il exerce des fonctions de définition des politiques, notamment dans le domaine des affaires étrangères, ainsi que des fonctions de coordination, notamment dans le domaine économique. [...] Il est composé d'un représentant de chaque État membre au niveau ministériel, habilité à engager le gouvernement de l'État membre qu'il représente et à exercer le droit de vote. »

Le Conseil siège aujourd'hui en dix formations différentes : affaires générales ; affaires étrangères ; affaires économiques et financières (ECOFIN) ; justice et affaires intérieures (JAI) ; agriculture et pêche ; emploi, politique sociale, santé et consommateurs ; compétitivité (marché intérieur, industrie et recherche) ; transports, télécommunications et énergie ; environnement ; éducation, jeunesse et culture. « En règle générale, les ministres des Affaires générales, des Affaires étrangères, des Affaires économiques et financières ainsi que de l'Agriculture se réunissent chaque mois. Les autres formations du Conseil se réunissent d'une à trois fois par semestre. » On compterait actuellement entre soixante-dix et soixante-quinze sessions chaque année.

À l'exception de celle des Affaires étrangères, confiée au Haut Représentant, la présidence des formations du Conseil est assurée par les représentants des États membres selon un système de rotation semestrielle. « Le comité des représentants permanents (Coreper) des gouvernements des États membres est responsable de la préparation des travaux du Conseil. Les travaux de ce comité sont eux-mêmes préparés par plus de 150 comités et groupes de travail composés de délégués des États membres. [...] Les sessions du Conseil se tiennent à Bruxelles, sauf aux mois d'avril, de juin et d'octobre, où elles ont lieu à Luxembourg. Toutefois, le Conseil s'est également réuni à d'autres endroits, en particulier à Genève, dans le cadre des négociations de l'OMC. »

« Le Conseil est assisté d'un secrétariat général [qui] emploie environ 3 500 fonctionnaires. [...] Le Conseil a son siège à Bruxelles, depuis 1995 dans le bâtiment Justus Lipsius, situé dans le quartier européen, sur le rond-point Schuman. Auparavant, le Conseil avait successivement occupé le bâtiment Ravenstein, au centre de Bruxelles puis, de 1971 à 1995, le bâtiment Charlemagne. »

Le français dans la Babel européenne

18 mars 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que la Francophonie fête son quarantième anniversaire, alors que ses adhérents ont renforcé leur poids dans l'UE, le français perd du terrain en Europe depuis les derniers élargissements. Qu'en est-il, désormais, de son usage dans les institutions de l'Union ?

Samedi 20 mars sera célébrée la journée internationale de la Francophonie, quarante ans après la signature du traité à l'origine de l'organisation éponyme (l'OIF). Plusieurs centaines d'événements sont annoncés sur le Vieux-Continent pour fêter cet anniversaire. Outre la France, l'Union européenne compte quatorze États membres appartenant à l'OIF : cinq membres à part entière avec la Belgique, la Bulgarie, la Grèce, le Luxembourg et la Roumanie ; un membre associé, Chypre ; et huit pays observateurs, l'Autriche, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Slovénie.

Paradoxe

À la faveur des derniers élargissements, les ressortissants de la francophonie institutionnelle ont accru leur présence dans l'Union. Une chance pour la langue de Molière ? Loin s'en faut. The more languages, the more english ! « La logique est en effet implacable, commente Astrid von Busekist. L'anglais possède la plus grande centralité (la proportion de locuteurs multilingues compétents en anglais en tant que langue seconde), bien qu'il ne possède pas la plus grande prévalence (la proportion de natifs d'une langue, soit les locuteurs des [...] langues européennes). » (Dictionnaire critique de l'Union européenne, Armand Colin)

« L'année 2009 a confirmé la tendance observée depuis plusieurs années au sein de l'UE », souligne le rapport au Parlement sur l'emploi de la langue française diffusé par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF). « Sous l'effet de l'élargissement de 2004, on assiste à un renforcement des positions de l'anglais et à une érosion parallèle de celles de notre langue et, plus encore, des autres langues. »

On relève quelques nuances selon les institutions, voire les rotations de la présidence semestrielle. « La part du français est logiquement plus élevée au cours des présidences francophones. Cependant, même lorsque cette langue est le français, il arrive que le projet rédigé par le secrétariat général du Conseil (SGC) soit en anglais, ce qui révèle un affaiblissement de la capacité de rédaction des fonctionnaires du SGC dans notre langue. En matière d'interprétation en revanche, les règles en vigueur font toute sa place au français et demeurent appliquées très strictement. » Selon le sénateur Jacques Legendre, auteur d'un rapport déposé le 11 mars 2009, « un bilinguisme traditionnel anglais-français » caractériserait les réunions des groupes de travail sur la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Sera-t-il remis en cause par la nomination d'une Britannique au poste de Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité ? La langue de Shakespeare est en tout cas la seule qui lui soit familière.

Un déclin flagrant

Conformément à son "manuel des procédures opérationnelles", la Commission s'appuie sur trois langues de travail. Selon la DGLFLF, « l'examen des documents traduits au cours de cinq dernières années montre que les élargissements et le passage consécutif de onze à vingt-trois langues officielles ont été suivis à la fois d'une accélération du recours à l'anglais et d'un recul sensible du français et de l'allemand ». Entre 1996 et 2008, la proportion de documents rédigés initialement en français est passée de 38 à 11,9 %, tandis que l'anglais progressait de 45,7 à 73,55 %.

Dans la salle de presse du Berlaymont (le siège de la Commission), le français aurait jadis régné sans partage. Dorénavant, il serait utilisé à parts égales avec l'anglais, rapporte la DGLFLF. Le président de la Commission, José Manuel Durao Barroso, aurait pourtant confié que lorsqu'il pratiquait la langue de Molière devant la presse, « cela créait des remous dans la salle » (Coulisses de Bruxelles, 18/01/2010). Notre confrère Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles, a d'ailleurs tiré la sonnette d'alarme à plusieurs reprises.

Le déclin est moindre au Parlement européen, dont le tiers du budget est consacré aux dépenses de traduction et d'interprétation. « L'obligation d'interprétation est systématiquement respectée pour le français », affirme la DGLFLF. Un seul manquement aurait été signalé en 2009, « au sein d'une commission, dû à la configuration technique de la salle et à l'absence attendue de députés français ». Pour autant, poursuit la Délégation, « l'approche plus flexible adoptée concernant les documents et réunions préparatoires contribue à renforcer le rôle de l'anglais [...] comme la langue de travail des contacts informels. [...] Par ailleurs, la possibilité de disposer d'une version en français des amendements aux projets de textes dépend du temps dont disposent les services de traduction. »

Jacques Legendre rappelle « l'importance des usages linguistiques à l'occasion de réunions informelles, que ce soit entre ministres ou encore lors d'interruptions de séance au cours desquelles les délégués des États membres ont l'opportunité de se concerter sur leurs positions ». À cet égard, le français serait « sensiblement plus présent [...], en particulier lorsqu'il s'agit de se consulter entre délégués de pays de langue latine ou de pays associés à l'espace francophone ».

Dans ce contexte, la Cour de justice ferait presque figure d'ilot préservé. Traditionnellement, la langue de Molière y est employée pour délibérer. « Cette situation n'est pas nécessairement neutre en termes d'effets sur la jurisprudence » remarque le parlementaire, « la Cour étant en effet susceptible d'être plus sensible à la tradition du droit romano-germanique qu'à la tradition juridique anglo-saxonne, inspirée de la Common law. Le français dispose ainsi d'une position privilégiée au sein d'une institution de quelque 1 800 agents. »

« La langue ne se résume pas, en effet, à un simple instrument de communication », martèle le parlementaire. « Elle est également le vecteur d'expression de cultures politiques, juridiques et économiques spécifiques aux pays dont elle est la langue naturelle. [...] À l'évidence, la prédominance d'une langue, notamment dans le cadre de négociations diplomatiques, constitue un levier d'influence majeur. »

Une âme québecoise

Nos politiques en ont-ils conscience ? Le cas échéant, ils devraient compter avec de fortes pressions en faveur du "tout anglais". « La traduction des documents officiels coûte 65 millions d'euros par an et par État membre », a estimé Astrid von Busekist. « Pour huit des vingt langues [vingt-trois désormais...], le coût de la traduction dépasse 25 euros par citoyen et [il] atteint 980 euros pour chaque citoyen maltais. »

Jean-Pierre Raffarin s'est rendu à Bruxelles le 14 janvier, où il a rencontré les présidents du Conseil européen, de la Commission et du Parlement. En qualité de "représentant personnel du président de la République, il entendait défendre auprès d'eux l'usage du français dans les institutions européennes. « Le français ne recule que lorsque l'offre de français est insuffisante », a proclamé l'ancien Premier ministre. « Quand, dans une ville du monde, on ouvre une école française, les capacités d'accueil sont immédiatement saturées. Quand dans une institution on fragilise le français, ce sont les valeurs du pluralisme et de l'humanisme qui sont étouffées. » Et de lancer : « Pour le combat du français et de la francophonie, j'ai l'âme résistante, l'âme québécoise ! »

Le secrétariat général aux Affaires européennes signalerait systématiquement les entorses faites au multilinguisme institutionnel en rédigeant une protestation destinée à l'organisme pris en défaut. En règle générale, si l'on en croit la DGLFLF, « ces initiatives portent leurs fruits s'agissant de la publication d'annonces de recrutement spécifiant que les candidats doivent obligatoirement être de langue maternelle anglaise et de la publication d'appels d'offres en anglais, d'autant plus que, dans ce dernier cas, le Commission a l'obligation de les publier au Journal officiel de l'Union européenne. À titre d'exemple, le secrétariat général aux affaires européennes est intervenu, après avoir été saisi par le Centre national de la recherche scientifique, dans le cas d'appels d'offres exigeant une réponse [...] en  anglais. »

Formons, formons !

Astrid von Busekist voudrait imposer la combinaison de l'anglais, du français et de l'allemand « car c'est celle qui exclut le moins : 19 % seulement des citoyens de l'Union des quinze ne possèdent aucune de ces trois langues et ce taux s'élève à 26 % dans l'UE des vingt-cinq ». En soutenant un tel projet, la France s'attirerait toutefois les foudres de moult partenaires. Tout particulièrement l'Espagne, l'Italie, le Portugal, les Pays-Bas et la Pologne, précise M. Legendre. Lequel « invite les pouvoirs publics français à la plus grande prudence dans leurs démarches en faveur du seul français [...], en soulignant notamment la nécessité de ménager la susceptibilité d'autres langues sensiblement négligées dans le processus décisionnel européen. Il s'agit d'envisager la promotion de la diversité linguistique dans sa globalité et de ne pas se limiter à un combat vain et naïf fondé sur un antagonisme systématique entre le français et l'anglais. »

La priorité doit être accordée à la formation, notamment en direction des fonctionnaires étrangers. La mise en œuvre d'un "plan pluriannuel d'action pour le français en Europe" avec la Communauté française de Belgique, le Luxembourg et l'OIF s'inscrit dans cette démarche. Le budget de ce programme s'est élevé à 2,3 millions d'euros en 2008. Ne négligeons pas non plus la formation de nos compatriotes aux langues étrangères : anticipant de prochains départs en retraite, la Commission européenne s'était inquiétée, le 23 septembre dernier, d'une pénurie sérieuse d'interprètes de langue française pour les cinq à dix ans qui viennent...