Madrid partage la barre

7 janvier 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

L'Espagne assure pour six mois la présidence du Conseil de l'UE. Ses dirigeants devront cohabiter avec de nouveaux responsables européens... Rappels historiques et résumé des priorités affichées par Madrid.

Depuis le 1er janvier, l'Espagne assure la présidence du Conseil de l'Union européenne. C'est la quatrième fois que cette responsabilité lui incombe depuis son entrée dans la Communauté européenne en 1986. Madrid avait frappé à sa porte dès les années soixante, obtenant seulement qu'elle lui soit entrouverte, avec la souscription d'un accord préférentiel en 1970. Formalisée en 1977, moins de deux ans après le décès du général Franco, sa demande d'adhésion avait été accueillie avec réticence par la France...

Un pays europhile

Elle suscitait en revanche un consensus national. L'adhésion fut approuvée à l'unanimité par le parlement. « L'appui de l'Espagne au processus d'intégration européenne a toujours été supérieur à la moyenne européenne », constate Lorenzo Delgado Gomez-Escalonilla. « L'entrée dans l'Europe n'est pas associée à la perte de la souveraineté ou de l'identité nationale comme cela se produit dans d'autres États. » (Dictionnaire critique de l'Union européenne, Armand Colin)

En vingt ans, bénéficiant largement des fonds structurels européens, l'économie espagnole s'est radicalement transformée. Cela n'est pas allé sans douleur, mais le "revenu par tête" est passé de 8 000 euros annuels en 1985 à 23 000 euros en 2005. Il y a quatre ans, le traité établissant une constitution pour l'Europe ayant fait l'objet d'un référendum, le "oui" l'avait emporté à la faveur de 77 % des voix.

Animant pendant six mois les travaux des ministres européens (à l'exception de ceux touchant aux affaires étrangères, désormais coordonnés par le Haut Représentant), l'Espagne revendique quatre priorités : « application fidèle et résolue du nouveau traité ; une plus grande coordination des politiques économiques afin de garantir la relance économique et d'asseoir les bases d'une croissance européenne durable ; renforcement de l'Union en tant qu'acteur politique décisif dans la mondialisation ; veiller constamment aux intérêts des citoyens européens et au respect de leurs droits dans toutes les nouvelles initiatives ».

« Nous voulons que le président Van Rompuy et la Haute Représentante [sic] Ashton puissent, dès le début, exercer pleinement leurs fonctions », assure José Luis Rodríguez Zapatero. Sa fidélité à l'"esprit de Lisbonne" est pourtant mise en doute. Le chef du gouvernement espagnol parviendra-t-il à se faire une place aux côtés du président du Conseil européen ? En pleine période de transition institutionnelle, on guettera les incidents. Mais, de part et d'autre, on se satisfera vraisemblablement de quelques arrangements. Dorénavant, par exemple, un délégué du Haut Représentant est censé présider le COPS (Comité politique et de sécurité) ; aussi Mme Ashton a-t-elle assigné cette mission à l'ambassadeur espagnol, tout simplement (Bruxelles 2, 19/12/2009).

L'Espagne devrait porter un intérêt tout particulier au Parlement européen. Elle y sera plus souvent confrontée que ses prédécesseurs en raison des pouvoirs accrus de l'assemblée. En outre, elle s'attachera à faire adopter aussi vite que possible le protocole permettant de réviser sa composition sans attendre les prochaines élections européennes. Parmi les douze États bénéficiant de sièges supplémentaires, elle est en effet celui qui en gagne le plus (quatre députés).

Questions pour un champion

Naturellement, il appartiendra à Madrid d'accompagner la mise en œuvre du Service européen pour l'Action extérieure (SEAE). Catherine Ashton voudrait en faire « un vrai service, pour mener la diplomatie de l'Union [...] avec les moyens budgétaires nécessaires, non pas pour remplacer la diplomatie des États membres mais pour [s'] y ajouter » (Bruxelles 2, 16/12/2009). « Je pense que nous pouvons obtenir beaucoup de la "diplomatie tranquille" », a-t-elle déclaré. Affichant un optimisme bien naïf, elle espère « réunir les représentants les plus talentueux de tous les États membres de l'UE » (Le Figaro, 18/12/2009).

À moins qu'une grève des fonctionnaires européens ne perturbe le calendrier, le Parlement entamera lundi prochain, 11 janvier, les auditions des nouveaux membres de la Commission. Mme Ashton sera la première soumise à ce "grand oral" minuté à la seconde près, où les questions s'enchaîneront pendant trois heures à un rythme infernal (Bruxelles 2, 17/12/2009). Curieuse façon d'évaluer des compétences sur un sujet aussi complexe que les relations internationales.

Dixit McCreevy

29 décembre 2009

Depuis Dublin, un commissaire européen prononce un éloge dithyrambique de la diplomatie française. Charlie McCreevy a-t-il perdu la tête ?

Le président de la République n'a pas manqué de fanfaronner, tandis qu'il venait d'obtenir pour la France le portefeuille de commissaire européen en charge du Marché intérieur. Ce faisant, il aurait « enterré une fois pour toutes le mythe selon lequel les commissaires européens, et tout particulièrement les Français, arrivant à Bruxelles, sont supposés laisser de côté les intérêts nationaux ». C'est en tout cas l'opinion formulée le 18 décembre par le commissaire irlandais Charlie McCreevy, auquel Michel Barnier doit justement succéder. Selon lui, l'influence de la France à Bruxelles serait « impressionnante » : « On oublie que la bureaucratie de Bruxelles a été conçue par la France. [...] Au fil des années, cela a donné aux Français un énorme avantage pour savoir comment actionner les leviers de pouvoir. » En conséquence, il a salué l'« habileté extraordinaire » de la diplomatie française.

Propos rapportés par Stephen Collins dans le quotidien irlandais Irish Times

Sémantique européiste

3 décembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Les commentaires vont bon train depuis la désignation du premier président "stable" du Conseil européen. On en fait volontiers le président « de l'Union européenne ». Un simple abus de langage ?

Les Vingt-Sept se sont accordés pour désigner le Belge Herman Van Rompuy à la tête du Conseil européen. « Cela s'est passé relativement facilement, en tout cas rapidement », selon le témoignage du président de la République. Rappelons que le Conseil européen réunit les chefs d'État ou de gouvernement des États membres de l'UE. Selon les traités, il « donne à l'Union les impulsions nécessaires à son développement et en définit les orientations et les priorités politiques générales ». Il en est devenu une institution à part entière avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre. Cette consécration nourrit d'ailleurs quelque inquiétude en l'exposant au contrôle de la Cour de Justice de Luxembourg.

Quels pouvoirs ?

Évoquant le Premier ministre belge sortant, nombre de nos confrères se sont empressés d'en faire le président non pas du Conseil européen, mais de « l'Union européenne » tout entière. C'est méconnaître ses responsabilités. Officiellement, il « préside et anime les travaux du Conseil européen ; assure la préparation et la continuité des travaux du Conseil européen en coopération avec le président de la Commission, et sur la base des travaux du Conseil des Affaires générales ; œuvre pour faciliter la cohésion et le consensus au sein du Conseil européen ; présente au Parlement européen un rapport à la suite de chacune des réunions du Conseil européen ».

Le 12 novembre, Herman Van Rompuy se serait paraît-il prononcé « lors de la réunion du groupe Bilderberg, à Bruxelles, pour un fédéralisme européen sur le modèle de celui des États-Unis » ; il aurait « plaidé en faveur d'un financement direct du budget européen par l'impôt, en l'occurrence une taxe environnementale » (Coulisses de Bruxelles, 29/11/2009). Tout juste désigné à la tête du Conseil européen, il a prononcé une déclaration bien plus consensuelle : « Je veillerai à respecter les sensibilités et les intérêts de tout un chacun. [...] Chaque pays a son histoire, sa culture et sa façon de faire. Sans respect pour notre diversité, nous ne constituerons jamais notre unité. Ce principe sera toujours présent dans mon esprit. »

Son influence dépendra de l'habileté avec laquelle il dessinera les contours de sa fonction. Mais il ne saurait convoiter un pouvoir exécutif. « Il ne s'agissait pas d'élire George Washington à la tête des États-Unis d'Amérique », proclame Pierre Lellouche, le secrétaire d'État en charge des Affaires européennes : « Son rôle sera non pas de faire de la représentation et de donner des conférences de presse, mais d'être capable de poser les bonnes questions au Conseil européen, puis, une fois qu'un accord aura été dégagé, d'en assurer le suivi. » Jacques Delors balaie lui aussi les utopies giscardiennes : « Il n'a jamais été question [...] d'avoir une personne qui serait président de l'Europe, les États ne l'auraient pas supporté. [...] Au bout de six mois, les tensions entre les différentes institutions auraient été telles que tout aurait été paralysé. » (Le Monde, 30/11/2009)

Un vrai ministre

Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, la Britannique Catherine Ashton est quant à elle promue « ministre des Affaires étrangères » par certains journalistes, qui empruntent l'expression au défunt traité établissant une constitution pour l'Europe. Ce titre apparaît moins usurpé que le précédent : Mme Ashton présidera le Conseil des ministres des Affaires étrangères ; elle s'appuiera à terme sur le Service européen pour l'Action extérieure qu'il lui appartient de mettre en place. Aussi Paul-Marie Coûteaux annonce-t-il d'ores et déjà la « suppression » des ambassades nationales. Avant d'en arriver là, l'UE devra unifier son embryon de diplomatie, scindée entre ses piliers communautaire et intergouvernementaux. À titre d'exemple, elle a entrepris il y a seulement quelques mois d'unifier sa représentation en Afghanistan, où le délégué du Conseil cohabitait avec celui de la Commission ; ainsi, bien sûr, qu'avec les représentants des États membres maintenus à leur poste.

Cristal opaque

La nationalité du Haut Représentant pourrait en outre tempérer l'inquiétude des souverainistes. « C'est assez intéressant de prendre [...] une femme qui vient d'un pays qui a parfois plus de difficultés avec l'Europe », souligne Nicolas Sarkozy. Sans doute sera-t-elle confrontée à quelques tiraillements. Parmi les premiers dossiers qu'elle aura à traiter figure ainsi le déploiement, en Ouganda, d'un dispositif européen de formation des soldats somaliens ; une opération dont les préparatifs sont accueillis avec réticence par le Royaume-Uni.

Les approximations sémantiques observées dans la presse s'expliquent par des motifs idéologiques. Elles illustrent également ce travers par lequel des schémas institutionnels nationaux sont calqués sur la réalité européenne, où ils s'avèrent inopérants. La mise en œuvre du traité de Lisbonne rendra-t-elle le fonctionnement de l'UE plus intelligible aux yeux des profanes ? La présidence de la Commission n'est pas subordonnée à celle du Conseil européen, et celle, tournante, du Conseil des ministres est maintenue... Tandis qu'on lui demandait quel était désormais le visage de l'"Europe", le président de la République lâcha cet aveu : « Tout n'est pas d'une pureté de cristal. »

Cohn-Bendit pleuré par les souverainistes

19 novembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Le Conseil d'État reconnaît désormais "l'effet direct" des directives européennes.

En 1975, Daniel Cohn-Bendit demanda l'abrogation de l'arrêté d'expulsion dont il avait fait l'objet le 25 mai 1968. Confronté, dans un premier temps, au refus du ministre de l'Intérieur, il fit valoir, en vain, que sa décision était contraire à la directive adoptée par le Conseil des Communautés européennes le 25 février 1964.

À la différence des règlements, rappelons que les directives requièrent une "transposition" par les autorités nationales.

À l'époque, le Conseil d'État considéra que les États membres étaient les seuls destinataires des directives, et que celles-ci « ne sauraient être invoquées par [leurs] ressortissants [...] à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif individuel ». Sa position tranchait avec celle de la Cour de Justice de Luxembourg, dont il se rapprocha toutefois en pratique par la suite, jusqu'à revenir sur cette jurisprudence le 30 octobre dernier.

Un revirement

Appelé à statuer sur une affaire de discrimination, l'Assemblée du contentieux – la formation juridictionnelle la plus élevée du Conseil d'État – a jugé, suivant les termes du communiqué officiel, « que tout justiciable [pouvait] se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif même non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive lorsque l'État n'a pas pris, dans les délais impartis par elle, les mesures de transposition nécessaires. » "L'effet direct" des directives européennes se trouve ainsi reconnu. Et la prégnance du droit communautaire confirmée, bien que son primat fût admis de longue date : depuis 1984, par exemple, le Conseil d'État pouvait annuler les dispositions de tout acte réglementaire contraire à une directive.

Pour expliquer son revirement, la juridiction administrative invoque l'« obligation constitutionnelle » que revêtirait désormais la transposition en droit interne des directive communautaires. Depuis 1992, en effet, la constitution de la Ve République affirme la participation de la France aux Communautés et à l'Union européennes, dans les conditions fixées par les traités européens successifs. Aux yeux des juristes, l'influence des normes communautaires puise donc sa légitimité dans notre propre constitution.

Transparence

19 novembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Souverainistes et européistes s'offusquent de l'opacité des négociations européennes.

Les tractations allaient bon train à l'approche du Conseil européen du 19 novembre, où les chefs d'État et de gouvernement devaient désigner celui qui présiderait leurs réunions pendant deux ans et demi, en application du traité de Lisbonne.

Les candidats potentiels à ce genre de poste n'ont pas l'habitude de se déclarer. Jean-Claude Juncker, le Premier ministre du Luxembourg, a certes rompu avec la tradition ; gageons que c'était moins dans l'espoir de satisfaire ses ambitions qu'afin de faire échec à Tony Blair.

Quoi qu'il en soit, le président du Conseil européen reste désigné sous l'empire de négociations diplomatiques. Pour les européistes, cela témoigne de l'empreinte insupportable que les États continuent d'imprimer sur l'UE. « Ces tractations secrètes donnent des arguments à ceux qui plaident pour l'élection au suffrage universel d'un "président de l'Union" », clame Jean Quatremer (Coulisses de Bruxelles, 11/11/2009). C'est le cas de Ségolène Royal, qui renouvelle son vœu de « créer les États-Unis d'Europe » dans un entretien accordé à La Tribune le 10 novembre. Sans doute aurait-elle mieux fait de se taire : l'utopie apparaît selon nous trop manifeste pour berner l'électeur moyen en quête d'un projet mobilisateur.

Comme en URSS...

De son côté, Yves Daoudal a fait écho aux déclarations de Mme Vike-Freiberga, dont le nom était parfois avancé pour prendre la tête du Conseil européen. L'ancien président de la Lettonie fustige les nominations décidées « comme toujours dans l'obscurité, derrière des portes closes » : « Il y en a assez que l'Union européenne fonctionne comme l'ancienne Union soviétique. » Le Salon Beige a lui aussi relayé ses propos, qui semblent réjouir les souverainistes. La comparaison puise ses racines dans l'histoire, comme le rappelle L'Encyclopédie de l'Agora : « En 1985, Mikhaïl Gorbatchev, alors premier secrétaire du Parti communiste au pouvoir en Union soviétique, fit l'annonce d'une nouvelle politique fondée sur la Glasnost, mot que l'on traduisit par transparence en français. C'est ainsi que l'on put connaître les faits sur les grandes purges de Staline et le massacre de Katyn... »

Cela dit, la blogosphère réactionnaire se fourvoie en versant apparemment dans l'apologie de la "transparence". En effet, sa revendication participe d'un libéralisme forcené, tandis que son application revêt une incontestable dimension totalitaire.

L'entracte est terminé

5 novembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Privé du soutien de la cour constitutionnelle tchèque, Vaclav Klaus jette l'éponge. Le traité de Lisbonne pourrait entrer en vigueur dès le 1er décembre. D'ici là, les Vingt-Sept devront s'accorder sur les nominations aux postes clefs.

Les derniers espoirs des nonistes s'évanouissent : mardi 3 novembre, la cour constitutionnelle tchèque a rejeté l'ultime recours déposé contre le traité de Lisbonne. Résigné, le président Vaclav Klaus considère que « sa probable entrée en vigueur ne va pas être la fin de l'histoire » (Coulisses de Bruxelles, 17/10/2009). A-t-il vraiment envisagé de lui faire obstacle ? Un rappel de ses responsabilités passées permet d'en douter : il dirigeait le gouvernement tchèque quand celui-ci déposa sa demande d'adhésion à l'UE ; élu chef de l'État en février 2003, il assista depuis à l'entrée de son pays dans l'Union, à la négociation du traité établissant une constitution pour l'Europe, puis à celle du traité de Lisbonne qui s'acheva le 13 décembre 2007.

« Une discussion assez vive »

Quoi qu'il en soit, ce trublion souverainiste peut se targuer d'avoir fait plier l'Europe. Le 29 octobre, à l'issue d'« une discussion assez vive », selon le témoignage du président de la République, les chefs d'État ou de gouvernement des Vingt-Sept sont convenus d'un arrangement dissipant sa crainte – réelle ou prétendue – d'une remise en cause des décrets Benes par lesquels furent expulsés de Tchécoslovaquie trois millions d'Allemands des Sudètes. La République tchèque sera ajoutée aux États mentionnés dans le protocole stipulant que la Charte des droits fondamentaux « n'étend pas la faculté de la Cour de justice de l'Union européenne, ou de toute juridiction de la Pologne ou du Royaume-Uni, d'estimer que les lois, règlements ou dispositions, pratiques ou action administratives de la Pologne ou du Royaume-Uni sont incompatibles avec les droits, les libertés et les principes fondamentaux qu'elle réaffirme ». Le droit primaire européen sera amendé en ce sens à la faveur d'un protocole inclus dans le prochain traité d'élargissement. Encore une fois, il s'agit moins d'une véritable dérogation que d'une "explication de texte".

Ainsi peut-on « tourner la page de dix ans de débats institutionnels stériles », se félicite Nicolas Sarkozy ; « raisonnablement, on peut dire que le traité de Lisbonne entrera bien en vigueur d'ici à la fin de l'année, sans doute dès le 1er décembre », a-t-il annoncé. Dans l'immédiat, les responsables européens s'affairent sur deux chantiers. Le premier recouvre des aménagements règlementaires, voire quelques clarifications politiques, avec, par exemple, la mise en place du Service européen pour l'action extérieure, ou la répartition des responsabilités entre, d'une part, le Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité et, d'autre part, le gouvernement continuant d'assurer la présidence semestrielle de l'Union. Le second chantier est plus médiatisé : les tractations s'accélèrent afin de distribuer les postes.

Qui sera le nouveau Washington ?

Pour amuser la galerie, on insiste sur la "parité" ou le degré d'engagement "européen" des candidats potentiels. Plus sérieusement, on souligne également la nécessité de respecter un certain "pluralisme politique" : c'est une exigence du Parlement européen, dont l'accord sera indispensable pour installer la nouvelle Commission. L'attention se focalise plus particulièrement sur la désignation du président du Conseil européen – l'instance réunissant les chefs d'État ou de gouvernement – élu pour deux ans et demie, dont le mandat sera renouvelable une fois. C'est un choix capital selon Valéry Giscard d'Estaing : « l'Europe doit rechercher et inventer son George Washington », rien de moins, avait-il lancé en 2008 ! Jacques Delors se montre plus réaliste : « Je n'étais pas partisan de la création d'un tel poste, mais si c'est ainsi, ce doit être un facilitateur et non un président à la française. Si c'est un président exécutif, qui veut représenter l'Europe partout, il y aura des conflits avec les autres chefs d'État et à l'intérieur des institutions. Cela amènerait plutôt une paralysie de l'ensemble qu'une avancée. » (Toute l'Europe, 22/10/2009) « Il y a un débat », reconnaît le président de la République, qui préférerait manifestement un « leader charismatique ». Nostalgique des six mois qu'il a passés à la tête de l'UE, il nourrit selon nous quelques illusions.

Convoitise

« Nous nous sommes mis d'accord avec Mme Merkel pour [...] soutenir le même candidat le moment venu », a-t-il révélé lors d'une conférence de presse. Aucun Français ne serait sur les rangs. Paris ne semble pas convoiter davantage la fonction de Haut Représentant. « Je ne crois pas que ce soit l'intérêt de la France de revendiquer ce poste », a déclaré Hubert Védrine (Europe 1, 12/10/2009). « Dans le système de Lisbonne, il y a un poste en tout pour la France et je comprends la position des autorités françaises, notamment du président, qui voudraient que la France ait le poste de commissaire pour le marché intérieur, y compris les services financiers. » Le chef de l'État entend confier ce portefeuille à Michel Barnier ; peut-on compter sur lui pour défendre les intérêts de la France ?

Le Sénat et l'Europe

22 octobre 2009

Hubert Haenel consacre un rapport parlementaire « à la fonction de contrôle du Sénat sur les questions européennes ». Une fonction « en pleine mutation pour le parlement français, en raison de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et de la réforme des règlements des assemblées qui vient d'en tirer les conséquences ».

La chambre haute s'appuie désormais non plus sur une délégation, mais sur une véritable commission en charge des Affaires européennes. « Cette disposition a mis fin à une anomalie : au sein de l'Union, les assemblées françaises étaient les seules (avec le parlement maltais) à ne pas être dotées d'un tel organe. L'évolution a été radicale puisque, aujourd'hui, la commission "chargée des affaires européennes" est la seule dont l'Assemblée nationale et le Sénat soient constitutionnellement obligés de se doter. »

D'ores et déjà, le Sénat serait l'assemblée ayant adressé à la Commission « le plus grand nombre d'"observations" sur la subsidiarité et la proportionnalité. Cela dans le cadre d'une procédure informelle introduite par José Manuel Barroso après l'échec des référendums français et néerlandais de 2005, officialisée et renforcée par le traité de Lisbonne.

Passons sur l'examen détaillé des dispositions réglementaires propres au Sénat ; leur complexité a eu raison de notre curiosité. En conclusion, Hubert Haenel souligne que les institutions européennes « apparaissent souvent lointaines, difficilement compréhensibles et malaisément contrôlables ». Force est de constater, à la lecture de ce rapport, que l'appréhension des institutions françaises n'est pas une sinécure... L'UE se distingue surtout par son originalité, à laquelle se heurte le mimétisme des analystes de bas étage.

Où sont les plombiers polonais ?

20 octobre 2009

La hantise du "plombier polonais" avait gagné l'opinion française en 2005, contribuant au rejet du "traité constitutionnel" européen. Il s'agissait bien d'un épouvantail, si l'on en croit des statistiques à la fiabilité certes discutable.

« Les chiffres publiés par Eurostat sont [...] à prendre avec précaution », prévient Euractiv. Ils méritent toutefois d'être cités : « Dans le cas de la Pologne, 15 000 travailleurs ont été recensés en France en 2005 contre 14 000 en 2007. Contrairement à la déferlante annoncée, on s'orienterait donc plus vers une stabilité voire un léger déclin. [...] La comparaison avec la Grande-Bretagne se révèle [...] éclairante : en 2005, 88 000 travailleurs polonais ont été recensés outre-Manche. Trois ans plus tard, ce chiffre est porté à 370 000, soit quatre fois plus. [...] Autant dire que la France ne joue pas dans la même cour. La part dérisoire de travailleurs polonais présents sur son territoire au regard des effectifs accueillis en Grande-Bretagne [résulterait] de l'application [...] d'une politique migratoire relativement stricte à l'égard des derniers pays ayant rejoint l'UE. »

Étonnant, n'est-ce pas ?

Vaclav Klaus est-il un bouffon ?

15 octobre 2009

En provenance de Prague, des échos médiatiques dessinent le portrait d'un trublion tchèque dont l'irresponsabilité apparaît à la mesure de ses provocations : que vaut la parole d'un État dont le chef monnaie soudainement sa signature, au mépris des institutions de son propres pays et des engagements souscrits auprès de vingt-six partenaires ?

Non content de se réfugier derrière l'ultime recours déposé par ses complices sénateurs, qui lui imposerait de patienter jusqu'à la décision de la Cour constitutionnelle pour apposer son paraphe, le président tchèque a demandé jeudi dernier (8 octobre) « à ce qu'une note de bas de page de deux lignes soit ajoutée en lien avec la charte des droits fondamentaux », selon le témoignage du Premier ministre suédois, président en exercice du Conseil européen. Autrement dit, Vaclav Klaus suggère la réouverture des négociations bouclées le 13 décembre 2007. Il a certes « convenu que le procédé était "peu habituel" », rapporte Jean Quatremer. Bel exemple de désinvolture !

Son outrecuidance forcerait l'admiration s'il n'était pas censé représenter dix millions d'habitants. Les aléas de la cohabitation française semblent insignifiants comparés au sabotage qui sévit en Tchéquie. Là-bas, le président s'attaque ouvertement à son gouvernement, dont il observe pourtant de longue date, depuis le château de Prague, le déploiement de la politique européenne. Élu par les parlementaires en février 2003, Vaclav Klaus se trouvait déjà dans son fauteuil présidentiel quand fut organisé, quatre mois plus tard, le référendum autorisant l'adhésion de son pays à l'Union européenne le 1er janvier 2004. Il y était toujours installé quand furent négociés le traité établissant une constitution pour l'Europe, puis le traité de Lisbonne.

Un traité dont la portée nous semble largement exagérée par les souverainistes. Cela n'est pas sans incidence sur l'accueil que nous réservons à l'édification des barricades tchèques. Apporteront-elles quoi que ce soit à la France ? Les responsables politiques ayant bien d'autres chats à fouetter, autant souhaiter qu'elles s'écroulent au plus vite. Cette conviction nous rend d'autant plus enclins à fustiger le nationalisme de posture pratiqué par Vaclav Klaus. Cela dit, nos compatriotes l'ayant choisi pour coqueluche devraient s'interroger : apparemment, certains seraient tout disposés à porter à la tête du pays un agitateur qui en saperait la crédibilité internationale ; cela au nom de l'intérêt de la France. Nouveau paradoxe.

L'UE face aux barricades tchèques

15 octobre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Seul contre tous, le président tchèque Vaclav Klaus bataille pour retarder l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, désormais ratifié par tous les États membres de l'Union européenne à l'exception de son pays. Les négociations en cours s'en trouvent d'autant plus délicates...

Après avoir franchi le barrage irlandais, le traité de Lisbonne se heurte aux barricades tchèques. Depuis le château de Prague, où il n'a jamais laissé flotter le drapeau bleu étoilé, le président Vaclav Klaus orchestre l'exaspération de ses homologues européens, réfugié derrière l'ultime recours déposé le 30 septembre par ses complices sénateurs : « Je ne peux rien signer avant la décision de la Cour constitutionnelle », a-t-il affirmé le 3 octobre (Euractiv, 05/10/2009). « Il est difficile de dire combien de temps cela prendra », proclame son conseiller politique Ladislav Jakl (La Croix, 06/10/2009). Peut-être plusieurs mois.

Klaus exige une dérogation

Le président Klaus s'est entretenu par téléphone le 8 octobre avec le Premier ministre suédois Fredrik Reinfeldt, dont le pays assure actuellement la présidence de l'Union. Un pas en avant ? Depuis juillet dernier, il refusait tout contact avec les responsables européens (Coulisses de Bruxelles, 08/10/2009). Au cours de la conversation, selon le témoignage de son correspondant, il demanda « à ce qu'une note de bas de page de deux lignes soit ajoutée en lien avec la charte des droits fondamentaux » annexée au traité. Prudent, le Suédois répondit qu'il s'agissait « d'un mauvais message envoyé au mauvais moment pour l'UE ». C'est le moins que l'on puisse dire. Cette requête serait motivée par la crainte d'encourager les revendications des Allemands expulsés après la Seconde Guerre mondiale – une inquiétude que récuse le gouvernement tchèque. En échange de sa signature, M. Klaus exige une dérogation dont la concession supposerait la modification d'un traité négocié de longue date, signé le 13 décembre 2007 par les représentants de vingt-sept États, et ratifié depuis par vingt-six d'entre eux (le processus s'est achevé en Pologne samedi dernier).

Les Tchèques pourraient en être scandalisés : que vaut la parole d'un État dont le chef joue ainsi les trublions, au mépris de son gouvernement et de son propre parlement ? Jean-Louis Bourlanges fustige « une manifestation d'égocentrisme extrêmement immorale »... Bataillant seul contre tous, Vaclav Klaus s'attire pourtant moult sympathies dans son pays : il y serait « très populaire » selon Christian Lequesne, directeur du Centre d'études et de recherches internationales, « car il plaît pour sa capacité de résister. Il résiste sur le traité de Lisbonne, sur le débat mondial sur le changement climatique, il capitalise en interne son côté "Astérix". Mais paradoxalement, les gens qui approuvent sa politique ne sont pas contre l'Europe. » (Euractiv, 12/10/2009) En France, il est devenu la coqueluche des souverainistes. Alain Bournazel, secrétaire général du Rassemblement pour l'indépendance et la souveraineté de la France (RIF), a pris la tête d'un comité de soutien informel. Il faut tenir jusqu'aux élections britanniques de juin 2010 ! David Cameron, le chef de file des Tories, est pressenti pour succéder à Gordon Brown au 10 Downing Street. Le cas échéant, si le traité de Lisbonne n'était pas encore appliqué, il organiserait un référendum ; du moins l'a-t-il laissé entendre à ses électeurs potentiels.

Du bricolage

Le Premier ministre tchèque, Jan Fischer, se trouve dans l'embarras. Son gouvernement souhaiterait permettre l'entrée en vigueur du traité « d'ici la fin de l'année ». Lundi dernier, il a fait part de son intention de « négocier avec ses partenaires européens une solution possible ». Le Conseil européen réunira les chefs d'État ou de gouvernement des Vingt-Sept les 29 et 30 octobre. Peut-être s'accordera-t-il pour annexer au traité d'adhésion de la Croatie un nouveau protocole susceptible de satisfaire le président Klaus. Encore du bricolage institutionnel !

En attendant, ce climat d'incertitude complique les négociations en cours, portant sur  la répartition des postes, mais aussi, à travers elle, sur l'équilibre des institutions européennes. En filigrane se heurtent les intérêts divergents des États ; ainsi les pays les moins peuplés chercheront-ils vraisemblablement à privilégier la Commission, censée les protéger de l'influence de leurs partenaires les plus puissants.

Tony Blair est-il disqualifié ?

Le mandat de la Commission arrive à son terme le 31 octobre. Si elle devait intervenir dès maintenant, sous l'égide du traité de Nice, la désignation d'un nouveau collège susciterait de vives discussions. « L'Allemagne a d'ores et déjà fait savoir que si le traité de Lisbonne ne pouvait être appliqué, elle plaiderait pour un exécutif européen restreint à quinze ou dix-huit commissaires », rapporte Euractiv (06/10/2009). On devine que les États batailleraient ferme pour retarder la perte de leur commissaire.

La semaine dernière, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, suivis par l'Autriche, sont partis en croisade contre Tony Blair. « Il a plus souvent divisé que rassemblé », déplore le chef de la diplomatie du Grand Duché, faisant allusion au soutien qu'il apporta aux velléités guerrières  de George W. Bush. Fort de l'appui de Paris, l'ancien Premier ministre britannique était pressenti pour assurer la présidence du Conseil européen pendant deux ans et demi. « L'idée d'une présidence stable était une proposition uniquement française qu'il a fallu, au début, défendre avec acharnement », raconte Jean-Pierre Jouyet. Toutes les réticences de nos partenaires n'ont pas été dissipées, et certains préféreraient sans doute confier ce poste à une personnalité dotée d'une moindre stature internationale ; pour la cantonner, éventuellement, à la préparation des réunions des chefs d'État ou de gouvernement.

Dix ans de travail

Quoi qu'il en soit, sous le régime de Lisbonne, le président du Conseil européen devrait compter avec le maintien d'une présidence tournante, les États membres continuant d'assurer tour à tour, pour une durée de six mois, la présidence des différentes formations du Conseil des ministres (à l'exception du Conseil des Affaires étrangères). Sur la scène internationale, il devrait se faire une place aux côtés du Haut Représentant de l'Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité (HR), dont les pouvoirs seraient accrus par rapport à ceux dont dispose aujourd'hui Javier Solana (lui aussi maintenu à son poste pour le moment).

« Dans l'accomplissement de son mandat », précise le traité sur l'Union européenne, « le Haut Représentant s'appuie sur un service européen pour l'action extérieure. Ce service travaille en collaboration avec les services diplomatiques des États membres et est composé de fonctionnaires des services compétents du secrétariat général du Conseil et de la Commission ainsi que de personnel détaché des services diplomatiques nationaux. L'organisation et le fonctionnement du service européen pour l'action extérieure sont fixées par une décision du Conseil. » Autrement dit, tout reste à construire. « C'est un nouveau travail de dix ans qui s'engage », commente Nicolas Gros-Verheyde (Bruxelles 2, 9/10/2009).

Concurrence des institutions

Afin d'en jeter les bases, les ambassadeurs du Coreper II (Comité des représentants permanents à Bruxelles) vont plancher sur le sujet au moins deux fois par semaine à l'approche du Conseil des Affaires étrangères du 26 octobre. S'appuyant sur des éléments issus des administrations existantes, le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) leur fera inévitablement de l'ombre. Sa mise en place agace naturellement les Britanniques, les Français témoignant quant à eux du plus grand enthousiasme. « Le HR est un "objet" non encore identifié, assez hétéroclite : un peu commissaire, un peu ministre (puisqu'il préside le Conseil des Affaires étrangères), et toujours diplomate en chef de l'UE et chef de la défense de l'UE. » Se demandant où il logera, l'animateur du blog Bruxelles 2 soulève une question qui n'a rien d'anodine, en ce sens qu'elle illustre la proximité qu'il entretiendra soit avec les "nationalistes" du Conseil, soit avec les "apatrides" de la Commission...

On le voit, Vaclav Klaus est loin de tenir entre ses mains tout le destin du continent. S'il se résout à signer, l'Europe s'en trouvera-t-elle transfigurée ? Les européistes veulent croire qu'elle parlera enfin d'une seule voix grâce à Lisbonne. On mesurera leur manque de réalisme à la lumière des tractations accompagnant la mise en œuvre du traité... On se souvient de l'interpellation d'Henry Kissinger : « L'Europe, quel numéro de téléphone ? » L'ironie de Jean-Louis Bourlanges nous semble de circonstance : tout au plus l'UE disposera-t-elle bientôt d'un « standard téléphonique ».