Forces spéciales : quand la Défense s'attaque au cinéma

31 décembre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Retour sur un film ayant bénéficié d'une implication inédite des armées.

En salles depuis le 2 novembre, Forces spéciales raconte le sauvetage d'une journaliste prise en otage par des Talibans. Selon son réalisateur, Stéphane Rybojad, ce film constitue un hommage aux militaires français engagés en opérations extérieures. À ce titre, il méritait le détour, en dépit du scepticisme des critiques. En cinéphiles avertis, ceux-ci auront traité avec dédain cette pale imitation des blockbusters hollywoodiens... Bon public, nous avons préféré l'aborder avec une complaisance délibérée : des héros bien français, cela fait plaisir à voir !

À la différence de leurs homologues américains, ceux-ci ne marchent pas sur l'eau. En revanche, de part et d'autre de l'Atlantique, on dépense apparemment les munitions sans compter. Pourtant, le réalisme serait « à peu près tenu », selon notre confrère Jean-Marc Tanguy, auteur d'un album consacré au film. Entres autres incongruités, signalons la mixité de l'équipe engagée par le COS (Commandement des opérations spéciales), où des commandos de marine côtoient des parachutistes de l'air. Par ailleurs, aucun hélicoptère Puma n'a jamais été déployé en Afghanistan...

Cela dit, on le devine à l'écran, cette production a bénéficié d'un soutien inédit des armées. « L'idée consistait [...] à ne pas demander des moyens particuliers (humains et matériels), mais à nous greffer sur des moyens planifiés et engagés sur des séquences réelles d'entrainement », explique Jackie Fouquereau, l'officier dépêché auprès de l'équipe de tournage. Quelques plans ont même été filmés à Kaboul. Notamment un scène de poursuite, où un sous-officier assure la doublure de Diane Kruger.

Bien que la complexité du théâtre afghan soit occultée par la caricature des Talibans, dont l'ambigüité des liens avec la population est passée sous silence, le film donne à réfléchir sur le souci de parer aux réactions de l'opinion publique – un élément clef de la guerre menée en Afghanistan. « C'est un sujet qui suscite l'intérêt partout sauf en France », relève le réalisateur, dont le film constituerait « l'une des meilleures préventes à l'international depuis dix ans ».

Les armées seront-elles appelées à transformer l'essai ? Leur immixtion dans les salles obscures apparaît somme toute naturelle. Ce faisant, peut-être espèrent-elles susciter des vocations, voire contribuer à la résilience de la nation. Reste à trouver le ton juste. Leurs communicants devront se montrer subtils pour parer aux critiques. Un jeune homme a d'ailleurs chahuté la projection à laquelle nous avons assisté : avant de quitter la salle, il a dénoncé une propagande d'État et accusé les militaires français d'avoir perpétré des exactions en Afghanistan.

À la lecture de la dédicace finale, des applaudissements ont balayé son injure. Depuis, nous avons appris le décès de Goran Franjkovic, un légionnaire mort au combat lundi dernier, 14 novembre, alors qu'il venait de rejoindre le théâtre afghan. Il s'était distingué par sa motivation et sa rusticité, témoignant, selon l'armée de Terre, d'une volonté et d'une discipline exemplaires. Il était âgé de vingt-cinq ans : c'était "un jeune Français", dont le sacrifice nous inspire le plus profond respect.

L'Armée envahit les salles obscures

6 novembre 2011

En salles depuis le 2 novembre, Forces spéciales raconte le sauvetage d'une journaliste prise en otage par des Talibans. Selon Stéphane Rybojad, son réalisateur, ce film constitue un hommage aux militaires français engagés en Opex. À ce titre, il méritait le détour.

Nous n'avons pas été déçu, mais il faut dire que nous n'en attendions pas grand chose et que nous sommes (très) bon public : d'emblée, quelques plans d'hélicos arborant la cocarde tricolore ont suffi à nous faire vibrer. Des héros bien français, cela fait plaisir à voir ! D'autant qu'on échappe, dans une mesure certes très relative, à l'aspect parodique affublant moult productions de ce type, succédanés grotesques des blockbusters américains : ici, point de président roulant les mécaniques, ni de commandos marchant sur l'eau, en dépit d'un inévitable sacrifice et de plusieurs affrontements à l'intensité exagérée.

Outre ces échanges de tirs (beaucoup) trop nourris, l'incapacité de l'état-major à localiser ses hommes nous a étonné. Cela dit, nous sommes peu compétent pour juger du réalisme du film. Précisons toutefois que nous l'avons découvert avec un a priori positif, étant donné les antécédents du réalisateur et la bienveillance de l'Armée à son égard : « Ses équipes de tournage ont installé leurs caméras dans les camps de Caylus (Tarn-et-Garonne) et de Djibouti, dans un hélicoptère Tigre du 4e régiment d'hélicoptères des forces spéciales (4e RHFS) de Pau, dans un avion Transall de l'armée de l'Air et sur le porte-avions Charles-de-Gaulle », précise la Défense nationale. « En juin 2010, les acteurs ont également suivi un stage d'une semaine à la base des fusiliers marins de Lorient pour se former aux techniques des commandos marines. »

Des cinéphiles plus avisés ont pointé les tares du scénario et le manque d'épaisseur des personnages. Dommage, surtout, que la complexité du théâtre afghan soit occultée par la caricature des Talibans, dont l'ambigüité des liens avec la population est passée sous silence. Ils sont d'ailleurs accusés d'avoir raflé les enfants de tout un village. Cela s'est-il effectivement produit ? En revanche, l'accueil sympathique réservé ici ou là aux soldats français fait écho, nous semble-t-il, à des témoignages bien réels : on y verra une forme d'hyperbole ! Quant à l'intrigue, qui rappelle à certains égards celle du Soldat Ryan, elle renvoie ouvertement au débat suscité par la présence de journalistes en Afghanistan. Le spectateur est d'ailleurs conduit à s'indigner de la moindre valeur apparemment conférée à la vie des militaires. Lesquels témoignent d'une abnégation forçant le respect. La timide immixtion des politiques justifie leur sacrifice par la nécessité de parer aux réactions de l'opinion publique – un élément clef e la guerre menée en Afghanistan.

Ce faisant, le film fait œuvre de pédagogie, si l'on peu dire. À nos yeux, ce n'est pas son moindre mérite, et cela tombe à pic, à l'heure où les Français sont suspects de lâcher le terrain pour coller au calendrier électoral. Reste que, parallèlement, les critiques s'en trouvent légitimées. Formaté, vraisemblablement, par un certain communautarisme, un jeune homme a chahuté la projection à laquelle nous avons assisté : avant de quitter la salle, il a dénoncé une propagande d'État et accusé les militaires français d'avoir perpétré des exactions en Afghanistan. À la lecture de la dédicace finale, des applaudissements ont balayé son injure. Mais peut-être les choses se seraient-elles mal passées si nous nous étions retrouvé tout près de lui... Respect pour nos soldats, merde !

À découvrir également, deux entretiens avec le réalisateur, sur le site de la Défense nationale et celui de Jean-Dominique Merchet. Sur l'engagement français en Afghanistan, nous renvoyons également à notre article rendant compte de l'"épopée" de la TF Tiger.

Une biographie d'Hergé

3 novembre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Aperçu d'un ouvrage signé Francis Bergeron.

Le retour de Tintin au cinéma n'a pas manqué d'alimenter l'actualité éditoriale. Francis Bergeron se distingue par la publication d'une biographie iconoclaste de Georges Rémi, dit Hergé. S'inscrivant dans la collection "Qui-suis-je ?", son livre ne sied guère aux canons du politiquement correct. De fait, l'auteur cite volontiers Minute ou Rivarol, et revendique une relative sympathie pour Léon Degrelle, tandis qu'il évoque l'amitié qui l'unissait à Hergé.

Bien qu'il fût parmi les premiers à lever le voile sur l'imposture soviétique, celui-ci ne saurait être classé parmi les auteurs engagés. Toutefois, s'il fallait absolument attribuer une filiation idéologique au reporter du Petit Vingtième, ce ne serait par vers le rexisme qu'il conviendrait se tourner selon Francis Bergeron, mais « plutôt du côté des pendants belges de l'Action française ou encore de la Fédération nationale catholique du général de Castelnau ».

Un chapitre est précisément intitulé « Hetrgé et le roi ». En exergue, on découvre comment Sébastien Lapaque définissait « l'idéal politique de Tintin ». Un peu plus loin, c'est L'Action Française 2000 qui est citée, pour s'être amusée, dans son numéro du 15 mai 2003, à relever quelques inspirations prêtées à Hergé : porté sur la bouteille, maniant volontiers l'invective, le capitaine Haddock rappelle effectivement Léon Daudet ; quant au professeur Tournesol, avec sa barbiche et sa surdité, n'est-il pas le parent de Charles Maurras ?

Francis Bergeron, Georges Rémi dit Hergé, Pardès, collection "Qui-suis-je ?", 128 pages,12 euros.

Après L'Express, France Culture

29 avril 2011

Brève incursion sur la bande FM 😉

À l'occasion du mariage de Kate et William, France Culture a donné la parole aux républicains britanniques, mais aussi aux monarchistes français.

Notre consœur Laurie Fachaux, dont la voix vous sera peut-être familière, est venue visiter les bureaux de L'Action Française 2000, où nous lui avons accordé un bref entretien.

Ce faisant, nous n'avons pas manqué de faire la publicité de notre employeur, sachant bien que notre racolage serait coupé au montage. Or, très courtoisement, notre interlocutrice a finalement choisi d'annoncer notre prochain numéro en conclusion de son reportage. Qu'elle en soit remerciée.

« La guerre des monarchistes français »

24 avril 2011

À l'approche du mariage du prince William, L'Express consacre deux pages aux royalistes.

Votre serviteur arbore-t-il un « sourire poupin » ?. C'est, en tout cas, l'avis de ma consœur Julie Joly, qui l'écrit dans L'Express du 20 avril 2011. Nan mais... Au moins notre racaille préférée nous saura-t-elle gré de l'avoir fait passer pour « une fille rangée » – portrait ô combien immérité, n'est-ce pas ? 😉

Cet article est loin d'avoir enthousiasmé notre collègue François Marcilhac, qui s'en désole sur le blog du Centre royaliste d'Action française. De fait, ce coup de projecteur sur les querelles dynastiques n'est pas à l'honneur des royalistes. Cela étant, bien qu'elle rebondisse sur quelques clichés, notre consœur les tempère, soulignant tout particulièrement la diversité d'une mouvance où l'on croise certes « descendants de la grande noblesse », mais aussi « maurrassiens de la dernière heure, jeunes Chouans idéalistes, vieux réacs ou intellos pur jus ». Car, explique-t-elle, « on l'aura compris, les monarchistes ne défendent pas un programme, mais une famille ».

Mégalomanie mise à part, cela nous donne à réfléchir sur notre métier – que nous apprenons sur le tas –, tandis que nous ne nous reconnaissons que partiellement dans les propos qui nous sont prêtés. Par exemple, si la prose de Maurras a exercé sur nous quelque influence, nous ne croyons pas avoir subi un « choc » à sa lecture. Conséquence de notre expression maladroite ? D'une interprétation excessive ? D'une dramatisation inhérente à la démarche journalistique ? Sans doute aurons-nous l'occasion de le vérifier à l'épreuve de notre propre expérience.

Laïcité : Roland Ries dément les accusations de l'Agrif

20 avril 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Des propos prêtés au maire de Strasbourg ont déclenché un tollé sur la frange la plus "réactionnaire" de la Toile.

L'Agrif part en croisade contre l'"allahicité" – un concept en vogue dans la blogosphère catholique, censé désigner la « synthèse dialectique de l'islam et de la laïcité ». L'association présidée par Bernard Antony vient de créer un prix qui en récompensera chaque année « un grand penseur ou poète ». Pour 2011, ses foudres se sont abattues sur Roland Ries, sénateur PS du Bas-Rhin et maire de Strasbourg.

Selon un communiqué de l'Agrif, « à des parents d'élèves qui lui demandaient pourquoi on servait à leurs enfants des menus halal dans les cantines scolaires de Strasbourg et pas de repas maigre par exemple avec du poisson le vendredi », M. Ries aurait répondu : « Nous servons de la viande halal par respect pour la diversité, mais pas de poisson par respect pour la laïcité. »

Moult blogueurs se sont emparés de cette annonce. Néanmoins, si l'on excepte un article publié par Causeur (le site d'Élisabeth Lévy), seule la frange réactionnaire de la Toile semble l'avoir diffusée. Cela pourrait expliquer le silence du maire de Strasbourg, qui se refuse, pour l'heure, à réagir par communiqué. Il n'en dément pas moins les accusations de l'Agrif : ces propos sont « totalement contraire à ses convictions », nous a confié l'un de ses collaborateurs.

Quant aux repas servis dans les cantines de Strasbourg, ils garantiraient effectivement aux élèves musulmans la possibilité de manger halal tous les jours – et cela depuis plus de dix ans. En revanche, du poisson ne figure pas toujours au menu le vendredi. Mais un repas végétarien est proposé quotidiennement. « Les catholiques y trouvent leur compte », nous a-t-on assuré. Sans doute l'Agrif ne sera-t-elle pas de cet avis !

NB - La réacosphère a beau se targuer de verser dans la "réinformation", elle a fait écho au communiqué de l'Agrif sans témoigner d'un esprit critique manifeste. Au point que nous sommes peut-être les premiers à signaler la réaction du maire de Strasbourg – qu'il a certes fallu solliciter. Si les accusateurs n'ont pas d'autre preuve à agiter que la bonne foi supposée d'une mère de famille, alors l'attribution de leur "prix" relève d'une mascarade dérisoire, dont la publicité donne à réfléchir sur l'influence de la Toile.

La torture en spectacle

19 novembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

La saison 7 de 24 Heures chrono met en scène le débat sur la torture. La série en dit long sur le fossé qui nous sépare des mentalités américaines.

La septième saison de 24 Heures chrono est disponible en DVD depuis le 4 novembre. Référence en matière de thriller, cette série met en scène Jack Bauer, un agent fédéral aux méthodes musclées, prêt à perdre son âme pour déjouer les complots terroristes fomentés contre les États-Unis. Tournée plus ou moins à la façon d'un reportage, elle prétend rapporter ses péripéties en temps réel, les vingt-quatre épisodes d'une saison correspondant aux vingt-quatre heures d'une journée riche en rebondissements.

Polémiques

Dans un pays marqué par le traumatisme du 11 Septembre, pointé du doigt après la proclamation du Patriot Act, Twenty four s'est livré, avec une outrance croissante, à une véritable apologie de la torture... pour la plus grande satisfaction du public. Cela n'a pas manqué de susciter des polémiques outre-Atlantique, voire « un certain malaise » selon le Courrier International du 14 février 2007 : « Pour preuve, "un groupe inhabituel formé de militants des droits de l'homme, du doyen de l'académie militaire américaine de West Point et des interrogateurs vétérans de Saigon ou d'Abou Ghraib s'est réuni autour d'une table à la mi-novembre 2006." [...] En venant à la rencontre des créateurs de la série, ces visiteurs n'avaient qu'un souhait : "Que les scènes de torture soient plus authentiques. Cela ne veut pas dire plus sanglantes ou plus sauvages." Au contraire, ils veulent qu'elles soient plus réalistes, moins expéditives. Ce qui fait dire au Los Angeles Times que "24 Heures chrono prend une leçon de torture de la part d'experts". The Independant n'en revient pas lui non plus. "L'armée américaine a fait appel aux producteurs [...] pour modérer les scènes de torture à cause de l'impact qu'elles ont à la fois sur les troupes sur le terrain et sur la réputation de l'Amérique à l'étranger. »

Jack Bauer, héros damné

Loin de se repentir, les producteurs du "Jour 7" ont pris le parti culotté de mettre en scène le débat. Le premier épisode s'ouvre sur le procès orchestré  par un sénateur contre Jack Bauer, appelé à répondre à Washington de crimes qu'il assume apparemment sans scrupule. Son audition est interrompue à la demande du FBI, qui requiert son aide pour résoudre une enquête. Travaillant à ses côtés pendant vingt-quatre heures, l'agent Renée Walker se laisse convaincre du bien fondé de ses méthodes. Avec toutefois quelques réticences, si bien que sa sensibilité contribue à "réhumaniser" le héros damné.

En guise de prologue, le téléfilm Redemption (disponible séparément) fustige l'impuissance – voire la lâcheté – des Nations Unies, ainsi qu'un certain isolationnisme américain, lui préférant manifestement l'ingérence humanitaire. Au fil des épisodes, on relève une mise en garde contre le développement des armées privées – largement utilisées en Irak – et le "retour à la foi" de Jack sous l'influence d'un imam qu'il avait accusé à tort de protéger un terroriste. Bien évidemment, la part belle est réservée au patriotisme ainsi qu'au sens du devoir. Cela ne va pas sans déchirement dans la famille du président – une femme...

Le suspens étant au rendez-vous les amateurs du genre seront comblés. Tous nos lecteurs n'en sont pas, mais ils mesureront à travers ces quelques lignes le fossé qui nous sépare des mentalités américaines.

24 Heures chrono, saison 7 ; coffret six DVD, 24 x 41 minutes environ, format 1.78, VF et VO en 5.1, Fox-FPE, 39,99 euros.

Le livre à l'heure numérique

5 novembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

La numérisation massive d'ouvrages entreprise par Google interpelle les pouvoirs publics, en France et en Europe. Il était temps : c'est une nouvelle révolution qui s'est engagée.

La numérisation des contenus culturels serait « l'une des priorités » du ministre de la Culture. Aussi Frédéric Mitterrand a-t-il installé le 26 octobre une "commission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques".

Appels du pied

Présidée par Marc Teissier (ancien directeur général du Centre national de la cinématographie, ancien président de France Télévisions, aujourd'hui directeur général de Vidéo futur), elle devra évaluer « la pertinence d'un accord entre la BNF et Google du triple point de vue du partage et du rayonnement des contenus français sur Internet, de l'intérêt économique et financier pour l'État et le contribuable, du message politique à adresser à la communauté internationale ».

Incapables d'assumer le coût d'une numérisation massive et rapide de leur fonds documentaire, les bibliothèques sont sensibles aux appels du pied du géant américain de l'internet, qui se propose de prendre en charge ce vaste chantier. Dans un entretien accordé à Frédérique Roussel, Robert Darnton, le directeur de la bibliothèque universitaire d'Harvard, révèle qu'en vertu d'un accord conclu en 2005, Google a numérisé 800 000 ouvrages, « aujourd'hui disponibles pour tout le monde », mais dont les fichiers ne seront pas exploitables par l'établissement avant 2050 ! Bruno Racine, le président de la Bibliothèque nationale de France, exigerait quant à lui des conditions plus favorables : « Dans le cas des discussions préliminaires que nous avions eues avec Google, la proposition était que les œuvres [...] soient également accessibles à travers [les sites Internet] Gallica et Europeana. » (Libération, 14/10/2009)

Se saisissant d'un sujet connexe, la Commission européenne avait publié le 19 octobre les conclusions de consultations relatives "au droit d'auteur dans l'économie de la connaissance". « Partout dans le monde, d'importants programmes de numérisation ont d'ores et déjà été lancés », observe Viviane Reding, le commissaire luxembourgeois responsable de la Société de l'information et des Médias.

Un défi mondial

« Si nous agissons rapidement », poursuit-elle, « des solutions européennes créant un environnement concurrentiel pour la numérisation des livres pourraient fonctionner plus tôt que celles qui sont actuellement envisagées aux États-Unis avec l'accord sur Google Books. » Un accord dont l'application pourrait mettre à la disposition des Américains les copies numériques d'ouvrages européens inaccessibles sur le Vieux Continent. « S'assurer que les Européens disposent d'un accès à leur propre patrimoine culturel, tout en garantissant que les auteurs européens perçoivent une juste rémunération est donc un sujet d'une actualité brûlante », souligne la Commission. Au cœur de ses préoccupations : le statut des œuvres orphelines, dont les ayant-droit sont inconnus. Naturellement, « l'avènement de la culture en ligne du partage et de l'échange de fichiers [...] oppose ceux qui souhaitent aller vers un système de droits d'auteur plus permissif et ceux qui tiennent au maintien du statu quo ».

Nouveaux usages

Le "piratage" des livres est encore un phénomène marginal : moins de 1 % des ouvrages disponibles en France au format papier seraient susceptibles d'être téléchargés illégalement ; cela représenterait entre 4 000 et 6 000 titres, dont une grande partie de bandes dessinées, selon l'étude Ebookz réalisée pour l'Observatoire du livre et de l'écrit en Île-de-France. L'offre illégale se développera vraisemblablement avec le demande, suspendue aux ventes des terminaux de lecture électronique. Amazon vient de commercialiser en France son Kindle, tandis que Sony proposera courant novembre une version tactile de son Reader, facilitant notamment les annotations (le prix devrait avoisiner les 300 euros). Mais les technophiles sont loin d'être les seuls concernés par cette révolution numérique : d'ores et déjà, trente-trois années de publication de L'Action Française quotidienne sont disponibles en téléchargement gratuit sur Gallica.

La fin de l'eldorado numérique ?

5 mars 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Le gouvernement s'attaque au téléchargement illégal sur Internet. À cet effet, la loi "Création et Internet" arrive devant les députés. Une façon de préserver la vitalité de la création et la diversité culturelle ? Beaucoup n'y voient qu'une perfusion consentie à des industriels passés maîtres dans l'art du lobbying.

Maintes fois reporté, en dépit de l'urgence décrétée par le gouvernement, l'examen par l'Assemblée nationale du projet de loi "Création et Internet" devait débuter le 4 mars. Ce texte prévoit d'élargir les compétences de l'Autorité de régulation des mesures techniques (ARMT) : rebaptisée Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), elle orchestrera la riposte contre les abonnés à Internet complices d'une violation de la propriété intellectuelle.

En contrepartie, producteurs et distributeurs se sont engagés à rendre plus attractive leur offre dématérialisée : la suppression des verrous numériques (DRM) empêchant le transfert des fichiers d'un appareil à l'autre est une avancée significative ; un remaniement de la "chronologie des médias" est également envisagé, dans un premier temps pour rendre les films accessibles en ligne sans délai après leur sortie en DVD ou Blue-ray.

Adresses IP

Cela conformément aux recommandations de la mission Olivennes, qui avait préparé la signature des accords de l'Élysée le 23 novembre 2007. L'essentiel du dispositif est  connu depuis lors. Saisie par les ayant droits - qui arpentent d'ores et déjà la Toile à la recherche des fraudeurs -, l'Hadopi pourra adresser un ou deux avertissements aux abonnés mis en cause, éventuellement par courriel, au moins une fois par lettre recommandée selon le souhait du Sénat. Tant qu'une sanction n'aura pas été prononcée, ces mises en demeure ne seront susceptibles d'aucune contestation. En cas de récidive, la Haute Autorité pourra exiger des fournisseurs d'accès à Internet (FAI) la suspension des connexions, pour une durée de trois mois à un an. Les clients n'en resteront pas moins redevables à leur égard. S'ils ont souscrit une offre couplée avec le téléphone et la télévision, ils devront continuer à bénéficier de ces services : une casse-tête technique pour les FAI. Avant la signature de tout nouveau contrat, ceux-ci auront l'obligation de vérifier qu'aucune sanction ne pèse sur le souscripteur.

Ce sont donc les abonnés à Internet, et non les "pirates" eux-mêmes – passibles de trois ans de prison et 300 000 euros d'amende pour contrefaçon -, qui seront visés par l'Hadopi, parce qu'ils sont censés veiller, selon l'exposé des motifs, à ce que leur connexion « ne fasse pas l'objet d'une utilisation qui méconnaît les droits de propriété littéraire et artistique ». À moins que les députés retiennent un amendement déposé en ce sens, les accusés ne seront pas informés de la nature des "piratages" commis via leur abonnement. On imagine les disputes qui surviendront dans les familles sanctionnées, dont les membres se renverront mutuellement la faute, ignorant qu'un voisin se sera connecté à leur réseau sans fil, ou qu'un inconnu aura usurpé leur adresse IP...

Identifiant chaque point d'accès au réseau mondial, les adresses IP feront l'objet d'une collecte constituant des preuves à la fiabilité contestée : même des imprimantes pourraient être accusées de piratage ! Or, la loi rendra d'autant plus nombreux les internautes cherchant à brouiller les pistes... « Alors que certains parlementaires opposés au texte prédisent que cette loi multipliera les réseaux chiffrés et privés, il semble [...] que la réalité les ait déjà rattrapés », observe Richard Ying. « [Le] ministre en tient toutefois compte comme le montre le dossier de presse distribué à l'occasion du MIDEM 2009 : "Bien entendu, [...] certains internautes parviendront toujours [...] à dissimuler leurs adresses IP ou à recourir à d'autres moyens sophistiqués pour échapper à des sanctions éventuelles. [...] Ce que recherche en fait le projet de loi, c'est de faire changer les esprits grâce à une campagne pédagogique et préventive massive. Peu importe, de ce point de vue, qu'une minorité de gens particulièrement astucieux y échappent. »

Le ministre de la Culture, Christine Albanel, affichait son optimisme dans un communiqué diffusé le 11 février : « Il ressort en effet d'une récente étude d'opinion que 90 % des personnes averties cesseraient de pirater à réception du deuxième message. » Une proportion appelée à diminuer progressivement, étant donné la débrouillardise des internautes. D'autant que les "pirates" les plus actifs sont probablement les plus avertis. Si le téléchargement était enrayé, des logiciels se proposeraient sans doute d'automatiser l'enregistrement de reproductions légales. Vraisemblablement, le gouvernement ne parviendrait durablement à ses fins qu'en plaçant chaque ordinateur sous surveillance.

Aussi les polémistes dénoncent-ils volontiers une dérive totalitaire. La charge pesant sur les FAI pourrait les pousser tout doucement sur la voie du filtrage, qui s'imposera inévitablement sur les réseaux publics. Prenant la CNIL à témoin, La Quadrature du Net souligne que l'Hadopi pourra, « sans contrôle de l'autorité judiciaire », obtenir la copie des informations de connexion « collectées à l'origine à des fins de lutte contre le terrorisme ». Catoneo s'insurge sur Royal Artillerie : « Nous allons rejoindre, grâce à l'ancien patron d'un hypermarché culturel qui débite la médiocrité à torrents, le club des pays policiers du web avec la Chine, l'Iran, le Vietnam, Singapour et... la Syrie, car pour "protéger la création", la profession exige que l'on scanne en masse. [...] Du monde, beaucoup de monde aux pupitres de flicage en France ! [...] Réclameront-ils des képis pour faire peur dans la webcam ? »

« Avec l'estimation de "3 000 lettres recommandées d'avertissement par jour" de Christine Albanel, le coût des envois de courriels et de recommandés sera de 9,3 millions d'euros, qui ne sont plus dans le budget de fonctionnement de l'Hadopi », plafonné à 6,7 millions d'euros (Richard Ying). Autant d'argent alimentant la perfusion d'un modèle économique submergé par les nouvelles technologies. Le gouvernement s'appuie sur le postulat que « la consommation illégale est aujourd'hui une source de destruction de valeur » qui « compromet la diversité des œuvres et constitue une menace pour la vitalité de la création, donc pour l'identité de la France et de l'Europe » (rapport Olivennes). Or, il est « difficile d'établir "le coût du partage illégal de fichiers" », selon le Groupe de travail sur l'économie de l'information de l'OCDE, dont l'étude Contenus numériques haut débit - La musique est citée par La Quadrature du Net. « Cette difficulté est reflétée dans les résultats des études sur la question et dans les critiques méthodologiques dont [elles] ont pu faire l'objet. [...] La plupart des études confirment que ces deux phénomènes opèrent en même temps – selon les utilisateurs : le partage non autorisé de fichiers conduit certains à augmenter leur consommation et d'autres à la réduire. »

Bouleversement

« Aujourd'hui, plus d'un Français sur deux a accès à I'Internet haut débit. » Forts de ce constat, les rédacteurs du projet de loi observent que « bien plus qu'un phénomène de société, c'est un véritable tournant qui constitue, pour la diffusion de la culture, une chance extraordinaire, sans précédent depuis l'invention de l'imprimerie ». Ont-ils saisi toute la mesure de ce bouleversement ? Le 23 novembre 2007, le président de la République s'était vanté de « faire prévaloir le droit légitime des auteurs et de ceux qui contribuent à leur expression, sur l'illusion et même sur le mensonge de la gratuité ». Cela sonne faux, à l'heure où 20 Minutes annonce ses premiers bénéfices, tandis que la Toile regorge de services accessibles sans contrepartie directe : messagerie, stockage, suites logicielles, et même écoute en toute légalité de plusieurs millions de titres sur Deezer !

« Répondant à l'argument de la gratuité destructrice de partisans de la loi, des adversaires avancent des exemples de réussites économiques issues d'un téléchargement gratuit », rapporte Richard Ying. « Le plus célèbre est celui de Radiohead qui a diffusé son nouvel album sans contrainte, laissant aux internautes le choix d'une rémunération. Le comanager de Radiohead, Brian Message, évoque cette méthode de distribution à "coûts quasi nuls" : "La musique diffusée ou téléchargée gratuitement en ligne a une vraie valeur économique. [...] À partir de cette gratuité, il devient possible de fidéliser le public, de vendre des places de concert, des collectors, etc. [...] C'est peut-être paradoxal, mais la gratuité fait désormais partie du business de la musique." De façon similaire, il est fréquent de lire [...] que des talents musicaux se sont fait connaître et gagnent leurs revenus grâce à des téléchargements et écoutes gratuits. » Selon Nicolas Sarkozy, « si on laissait faire, il n'y aurait que quelques artistes qui s'en sortiraient - les plus connus - et [...] les jeunes artistes ne pourraient plus avoir accès à rien du tout ». Beaucoup pensent le contraire, alors que le bouche à oreille, aux effets décuplés par la Toile, relativise la toute-puissance du marketing uniformisateur.

Une alternative

Attachée à son eldorado, la blogosphère s'est enflammée contre la loi, dénonçant une violation des "droits de l'homme". Le Parlement européen s'en est fait l'écho, mais aucune voix ne s'est élevée au Sénat contre l'adoption du projet le 30 octobre 2008. Manifestement, les industriels de la culture ont mené un travail de lobbying efficace. Leurs opposants devront en prendre de la graine. D'autant que leurs propositions sont jugées crédibles par certaines "autorités", telle la Commission pour la libération de la croissance française. Selon le rapport Attali, cité par Richard Ying, une politique de « contrôle des usages individuels constituerait un frein majeur à la croissance. [...] Ces mécanismes introduiraient une surveillance de nature à porter atteinte au respect de la vie privée et aux libertés individuelles, tout à fait contraire aux exigences de la création et à la nature réelle de l'économie numérique. [...] La rémunération des artistes doit être assurée par des mécanismes d'abonnement et par les vrais bénéficiaires du téléchargement : les fournisseurs d'accès Internet. » Un plaidoyer en faveur de la "licence globale" ! Nous y reviendrons dans notre prochain numéro.

Principales sources :

  • Présentation du projet de loi Création et Internet. Dossier de presse du ministère de la Culture et de la Communication, 18 juin 2008.
  • Hadopi, "Riposte graduée" : Une réponse inefficace, inapplicable et dangereuse à un faux problème. Dossier mis en ligne par La Quadrature du Net, version 1.0, 9 fevrier 2009.
  • Le projet de loi "Création et Internet" : inadéquat dans la lutte contre le téléchargement illégal. Analyse de Richard Ying (http://richard.ying.fr/), version 1.3, 11 février 2009.