La démocratie en péril ?

4 octobre 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

À la faveur, d'une part, des débats de société et, d'autre part, des défis lancés par la crise économique, hommes d'église, politologues et journalistes se risquent à critiquer un régime politique que l'on croyait inattaquable.

La démocratie a-t-elle encore la cote ? Du moins la critique-t-on plus volontiers que par le passé. D'abord dans l'Église. Ainsi Benoît XVI a-t-il jugé « évident », le 22 septembre 2012, devant le Bundestag, « que dans les questions fondamentales du droit, où est en jeu la dignité de l'homme et de l'humanité, le principe majoritaire ne suffit pas ». Deux jours plus tard, alors que Jean-Michel Apathie l'interrogeait sur RTL à propos du mariage des homosexuels, Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Paris et président de la Conférence des évêques de France, a tenu un discours similaire : « il n'est pas sain de mettre aux voix » la distinction du bien et du mal, a-t-il déclaré.

Érosion progressive

Outre-Rhin, le politologue Herfried Münkler analyse, quant à lui, l'« érosion progressive » qui affecterait la démocratie parlementaire. Le Courrier international s'est fait l'écho de ses interrogations publiées par le Spiegel. « Pourquoi la crise actuelle devrait-elle signifier le début de la fin de ce modèle politique ? », se demande-t-il. « N'est-ce pas qu'un moment difficile à passer, auquel succédera à nouveau une période florissante du système, rôdé et éprouvé, de la démocratie parlementaire ? Un élément ne plaide pas en ce sens : l'impossible synchronisation des rythmes économique et politique. La Bourse et les banques dictent le rythme des décisions et les parlements courent derrière elles. Ce phénomène n'est pas seulement une conséquence de la mondialisation, mais aussi un effet de l'accélération des communications et des nouvelles technologies de l'information. Les autorités politiques sont tellement sous pression que le gouvernement place en permanence le Parlement devant le fait accompli. Non seulement celui-ci se contente d'approuver ce que l'exécutif a annoncé sous la pression de la Bourse et des agences de notation, mais l'Union européenne et l'euro, qui en tant que remparts supranationaux auraient dû faire barrage à l'autonomisation des marchés, contribuent au contraire à la marginalisation des parlements nationaux, dans la mesure où les chefs de gouvernement prennent les décisions à Bruxelles et exhortent les élus à ne pas les contester sous peine de faire accourir les spéculateurs financiers. »

Apologie des pleins pouvoirs

La situation n'a pas échappé à Henri Pigeat. Intervenant lundi dernier, 1er octobre, au micro de BFM Business, l'ancien président de l'AFP n'a pas mâché ses mots. De son point de vue, l'Italie doit être montrée en exemple pour avoir réalisé, depuis un peu moins d'un an, plus de réformes que la France durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Or, ce succès tiendrait au fait que le gouvernement de Mario Monti disposerait, en quelque sorte des « pleins pouvoirs sous contrôle ». En France, soutient Henri Pigeat, « toutes les réformes récentes [...] ont été réalisées avec des gouvernements de pleins pouvoirs ». Dans les démocraties, déplore-t-il, « il y a toujours des intérêts particuliers qui vont s'opposer à l'intérêt général ». Selon lui, il faut « faire en sorte que les choses qui doivent être réglées d'urgence le soient effectivement ». Sinon, prévient-il, « nous allons butter sur une crise beaucoup plus grave que la situation actuelle et il faudra faire les réformes sous l'autorité de la Banque centrale européenne, du FMI et d'autres autorités extérieures ». Alors, "politique d'abord" ?

D'un mariage à l'autre

20 septembre 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

L'institution du "mariage homo" figure parmi les priorités du gouvernement. Les débats qui s'annoncent au Parlement permettront-ils de discerner les multiples questions que ce projet soulève ? En voici un aperçu.

D'ici la fin octobre, un projet de loi sera présenté afin d'établir, selon les termes du gouvernement, « le mariage pour tous ». Plus couramment, on parle d'autoriser le « mariage homo » - et non celui des homosexuels. Aussi laisse-t-on entendre, au moins par facilité de langage, que ce mariage-là ne sera jamais qu'un avatar parodique de son homologue traditionnel. De toute façon, soutient Luc Ferry, « les unions homosexuelles seront toujours, qu'on le veuille ou non, différentes du mariage ». Pourquoi vouloir les désigner comme tel, en dépit de l'acception attachée à la désignation d'une institution ancestrale ? À certains égards, la réforme annoncée vise moins à conférer de nouveaux droits aux homosexuels qu'à ébranler les structures sociales. Citant un appel à « supprimer l'obligation de fidélité, l'obligation de communauté de vie [...] ainsi que la présomption de paternité (ou de parentalité) » inhérentes au mariage, Éric Deschavanne, un professeur de philosophie, le juge « emblématique de la contradiction qui consiste à revendiquer l'accès à un statut que l'on entend à cette fin vider de sa substance ».

Un ordre symbolique

Quoique favorable à l'institution d'une "union civile" équivalente au mariage, Luc Ferry  considère « essentiel, ne serait-ce que pour ne pas mentir aux enfants », que la différence entre l'un et l'autre de ces statuts « soit clairement nommée ». Ce faisant, l'ancien ministre s'érige en défenseur, certes timide, d'un "ordre symbolique" délibérément pris pour cible. Pour les uns, explique Éric Deschavanne, « accorder aux couples homosexuels le droit au mariage et le droit à l'enfant permettrait de mettre un terme définitif à "l'hétéronormativité" (ou "hétérocentrisme") » ; il s'agirait «  de remédier à l'humiliation multiséculaire subie par les homosexuels ». À l'opposé, leurs détracteurs entendent « poser des limites objectives à l'évolution des mœurs et du droit de la famille ». Telle est, nous semble-t-il, la démarche de Luc Ferry : « Si la logique [...] est à la fois celle de l'égalité et de l'amour, le mariage devrait [...] être accessible à tous les individus, quels qu'ils soient, qui veulent former un couple », observe-t-il. « Pourquoi pas des frères et sœurs, par exemple, s'ils s'aiment et s'ils y trouvent leur compte ? Qui pourrait, si rien ne vient limiter la dynamique ainsi enclenchée, leur refuser ce droit et au nom de quoi ? » Dans une optique réactionnaire, résume Éric Deschavanne, « le droit est "un langage" qui prétend rendre compte de la réalité et on ne peut lui demander de subvertir les représentations communes qui s'inscrivent dans le langage courant. Ce qui se produirait si l'on introduisait dans le droit le mariage homosexuel et l'affiliation d'un enfant à deux pères ou à deux mères. »

Qu'en sera-t-il à l'issue des débats parlementaires ? Si l'adoption plénière était ouverte aux couples homosexuels, des enfants pourraient effectivement se voir réputés nés de deux pères ou deux mères, au risque de bouleverser les repères de la filiation, déjà brouillés par les mutations de la famille dont cette affaire n'est, somme toute, qu'un symptôme. À moins que le volontarisme juridique soit sans grand effet sur les mœurs, comme le suggère la psychologue Caroline Thompson. Dans une famille homoparentale, affirme-t-elle, « l'enfant n'a aucune illusion sur le fait que ses parents soient deux femmes ou deux hommes ». D'ailleurs, poursuit-elle « il n'appellera pas les deux parents "papa" ou "maman" ». Généralement, les "parents" s'accorderaient pour savoir lequel des deux sera ainsi désigné. Considérant, en outre, qu'« il existe quantité d'exemples où l'éducation [...] ne s'est pas faite dans un milieu familial dit traditionnel », Mme Thompson soutient que l'enfant « trouvera ailleurs ce qui n'est pas donné d'emblée » : chez les grands-parents, mais aussi dans « les histoires racontées par la mère sur les pères ». Cela dit, comme le relève Éric Deschavanne, « les objections sont multiples, que l'on pourrait opposer aux prétendues démonstrations de l'innocuité de l'homoparentalité : contradiction des résultats des études [...] ; partialité des enquêtes conduites par des auteurs militants, caractère excessivement restreint des populations de référence ; absence de recul historique. »

Le mariage, une affaire privée ?

De part et d'autre, on ne manquera pas d'invoquer l'intérêt de l'enfant. À ce petit jeu-là, les réactionnaires devront se montrer prudents. Faut-il agiter « le droit d'avoir un père et une mère » ? On se demande comment un nourrisson pourrait en réclamer l'application. Quant à sa mise en œuvre, supposerait-elle d'imposer aux veuves le choix d'un mari ? Ce slogan sera facile à récuser, étant donné les carences juridiques dont souffriraient, paraît-il, les familles homoparentales, où vivraient entre dix mille et trois cent mille enfants. Aux yeux de Jeannette Bougrab, par exemple, « il ne s'agit pas tant de donner un droit à l'enfant mais de reconnaître le droit des enfants. Il faut adopter des mesures permettant au coparent de poursuivre l'éducation de l'enfant en cas de décès du parent biologique plutôt que placer l'enfant dans un foyer. De même, il convient de modifier les règles [...] afin de permettre au coparent de pouvoir léguer des biens à l'enfant qu'il a contribué à éduquer. »

À cet effet, une libéralisation des successions ne serait-elle pas suffisante ? Faudrait-il, plus généralement, laisser les individus contracter à leur guise ? L'institution du mariage civil remonte à 1792. « En un peu plus de deux siècles, quel succès ! », ironise Georges Kaplan. « Les jeunes gens d'aujourd'hui se marient de moins en moins [...] et un mariage civil sur trois finit en divorce ! Comme à chaque fois que l'État a prétendu réglementer et diriger nos vies privées, il n'est parvenu qu'à détruire ce qui fonctionnait si bien depuis des lustres. » Quoi qu'il en soit, l'ouverture du mariage aux couples de même sexe serait-elle, comme il l'espère, « un premier pas sur la longue route qui nous reste à parcourir pour reprivatiser nos vies » ? À l'inverse, elle conférerait une reconnaissance institutionnelle à des mœurs auxquelles l'État devrait, selon nous, rester indifférent.

Les citations de Luc Ferry, Éric Deschavanne, Caroline Thompson et Jeannette Bougrab sont tirées d'un rapport du Conseil d'analyse de la société publié en mai 2007 ; celles de Georges Kaplan sont extraites de son blog Ordre spontané.

Du patriotisme à compte d'autrui

12 septembre 2012

Rebond sur l'"affaire" Bernard Arnault.

Le bannissement prôné par Libération suffira-t-il à punir pareille traîtrise ? On s'étonne que Marine Le Pen n'ait pas réclamé la guillotine. Bernard Arnault l'aurait pourtant méritée : ce type est plein aux as ! Aussi se trouve-t-il dans l'impossibilité de prêcher la générosité à compte d'autrui – l'apanage des patriotes.

Ceux-ci s'en donnent à cœur joie ces temps-ci. On se souvient du tollé qu'a provoqué le Syndicat des transports d'Île de France, après la conclusion d'un appel d'offres lancé pour la gestion d'un centre d'appel. Écarté au profit d'un concurrent opérant depuis l'étranger, la société Webhelp est aussitôt montée au créneau, « au nom de l'intérêt général », avec la bénédiction quasi unanime de la classe politique. Cela par la voix de son coprésident Frédéric Jousset, qui s'était jadis vanté de contribuer au développement de la francophonie... à la faveur des délocalisations. De fait, son entreprise est implantée en France, mais aussi en Roumanie, en Algérie et au Maroc. C'est donc un chantre typique du patriotisme économique.

De quoi s'agit-il, en effet, sinon d'instrumentaliser quelque hantise populaire aux dépens du bien commun ? Dans les méandres du tissu économique, distinguer l'intérêt national s'avère éminemment complexe. Prétendre y parvenir, voilà qui devrait nous sembler suspect. D'ailleurs, les charlatans qui s'y risquent se gardent bien d'évaluer le "coût d'opportunité" des mesures qu'ils préconisent. Or, protéger la sidérurgie nationale, par exemple, cela revient à pénaliser l'industrie automobile consommatrice d'acier. Dans ces conditions, comment l'État pourrait-il rendre un arbitrage légitime ?

À moins qu'une industrie menacée relève d'une capacité critique, aux applications militaires, mieux vaut promouvoir l'allocation optimale des ressources nationales, au bénéfice de la productivité du pays. Tel est le gage de sa prospérité à long terme, n'en déplaise aux inquisiteurs s'arrogeant le droit de sonder les cœurs, quitte à saper les fondements du patriotisme authentique qui, peut-être, y réside en secret.

NB – Quelques images valant mieux qu'un long discours, nous renvoyons nos lecteurs à l'illustration accompagnant ce billet, extraite d'un ouvrage de Daniel Tourre, Pulp libéralisme, éditions Tulys, avril 2012, 236 p., 34 euros (22 euros pour la version noir et blanc).

L'Outre-mer au cœur des convoitises

5 septembre 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que les richesses de la mer acquièrent une nouvelle valeur, la France peine à protéger l'immense zone économique exclusive que lui confèrent ses territoires d'outre-mer.

À l'avenir, « les enjeux maritimes ne vont cesser de croître », a prévenu l'amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la Marine (CEMM), le 18 juillet 2012, lors d'une audition devant la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale. « 70 % de ce que l'on construit, achète ou exporte passe par la mer », a-t-il souligné. « C'est la raison pour laquelle l'embargo maritime est l'un des premiers moyens de pression utilisés : on l'a encore vu récemment lors de la crise libyenne. » Tandis que le trafic maritime poursuit son développement, « la mer devient un espace de richesse et de prospérité industrielles de plus en plus important ». Quant à l'installation de champs éoliens ou hydroliens, elle pourrait « poser des problèmes de sauvegarde et de sécurité ».

Du pétrole en Guyane

La « "maritimisation" du monde » concerne directement la France, dont la zone économique exclusive (ZEE) – la deuxième du monde – s'étend sur près de 11 millions de kilomètres carrés, et pourrait même bénéficier d'une extension, sur laquelle planche le programme interministériel Extraplac, en application de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), plus connue sous le nom de convention de Montego Bay. La Polynésie française, ainsi que les environs de Wallis et Futuna, semblent abriter d'importants gisements de terres rares. Par ailleurs, rappelle l'amiral Rogel, « nous allons devenir une nation pétrolière en mer grâce à la Guyane d'ici un à deux ans ».

Or, prévient-il, « si nous ne surveillons pas notre ZEE et ne montrons pas notre pavillon, nous serons pillés ! » Les rivalités auxquelles se livrent, en mer de Chine, Pékin, Manille et Hanoï, seraient révélatrices : « Dès qu'on trouve un îlot rocheux comportant un certain potentiel en termes de ressources pétrolières, gazières ou minérales, il est susceptible de donner lieu à des tensions. » D'ores et déjà, les ressources halieutiques  suscitent la convoitise. En conséquence, un patrouilleur est déployé au large des îles Kerguelen, pour protéger la légine, un poisson des mers froides australes à forte valeur commerciale, apprécié pour sa chair blanche et fondante. En outre, rapporte l'amiral, « nous observons [...] une contestation de notre souveraineté sur certains de nos îlots outre-mer tels que Clipperton, les îles Éparses ou Matthew et Hunter ».

Missions compromises

Dans ces conditions, le format de la Marine lui apparaît « juste suffisant ». « Après plusieurs encoches budgétaires », a-t-il déploré, « nous nous trouvons dans une situation très compliquée, qui nous oblige parfois à réduire le taux d'activité de nos bâtiments. Ce problème est aggravé par le fait que [...] nous sommes entrés dans une phase de réduction temporaire de capacité (RTC), autrement dit de non-remplacement à temps des bâtiments vieillissants – les programmes étant décalés pour faire des économies budgétaires –, notamment des frégates et des patrouilleurs outre-mer. L'âge moyen de la flotte est de vingt-quatre ans. Son renouvellement [...] va devenir un enjeu important dans la situation budgétaire actuelle. Plus on décalera les programmes, plus on aura des RTC et plus nos missions comporteront des lacunes. »

Lors de l'opération Harmattan (l'intervention en Libye), rappelle l'amiral Rogel, « nous avons dû faire des arbitrages et abandonner provisoirement certaines missions, notamment contre le narcotrafic ou l'immigration illégale – dans le cadre de l'opération européenne Frontex –, ou des missions de sûreté au profit de la FOST » (la Force océanique stratégique, chargée de la dissuasion nucléaire). « Si l'on nous demandait des réductions d'effectifs supplémentaires, la situation pourrait devenir grave », a prévenu le chef d'état-major de la Marine. Selon lui, « le livre blanc précédent n'a pas assez pris en compte ce problème de mission de souveraineté, notamment dans les DOM-COM. J'espère que ce point pourra être corrigé », a-t-il conclu. Affaire à suivre.

Petit joueur !

5 septembre 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Du bonheur en république...

Bravant l'adage populaire, selon lequel « l'argent ne fait pas le bonheur », Éric Straumann, député UMP du Haut-Rhin, s'est illustré, pendant l'été 2012, dans un entretien accordé au Figaro. À cette occasion, il s'est insurgé contre le montant faramineux atteint par la cagnotte de l'Euro Millions : 190 millions d'euros ! Selon lui, il conviendrait de légiférer de façon à limiter les gains à 30 millions d'euros, quitte à partager la somme mise en jeu. Ce faisant, a-t-il expliqué, « on pourrait faire six fois plus d'heureux » !

Comme si l'argent suffisait à palier toutes les vicissitudes de la vie... M. Straumann ignore-t-il, par exemple, qu'aucun chèque n'a jamais rassasié un joueur invétéré ? S'est-il préoccupé des ravages de l'addiction ? Quitte à faire le bonheur des gens, peut-être pourrait il prendre exemple sur ses homologues danois. Lesquels, contrairement à lui, veillent sur la santé de leurs concitoyens, et singulièrement des fonctionnaires municipaux, jusqu'à leur interdire de fumer tandis qu'ils balaient les rues d'Aarhus.

Autre ambiance a Taiwan, où le ministre de l'Environnement a prié tous les hommes de s'asseoir sur le trône à chaque fois qu'ils voudraient soulager leur vessie. En Suède, paraît-il, les petits garçons y sont d'ores et déjà incités dans les jardins d'enfants – parité oblige. Par comparaison, les velléités du député Straumann apparaissent somme toute bien timides... Petit joueur, va !

Le 15 août, fête nationale

5 septembre 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

L'ouverture du mariage aux couples homosexuels préoccupe l'Église de France, qui a appelé ses fidèles à prier pour leur pays le 15 août 2012. Cette immixtion religieuse dans le débat public suscite la controverse.

A l'approche du 15 aout 2012, en diffusant le texte d'une prière pour la France, Mgr André Vingt-Trois, président de la conférence des évêques de France, a sonné la mobilisation des catholiques en faveur d'une conception traditionnelle du mariage. « L'Église n'a aucune légitimité démocratique pour s'immiscer dans le débat politique », a protesté le Parti radical de gauche. À l'opposé, Jean-Pierre Raffarin a salué « une heureuse initiative » : « on ne peut pas [...] demander aux Églises d'être indifférentes au devenir de nos sociétés », a affirmé l'ancien Premier ministre ; d'autant qu'à ses yeux, « nos racines chrétiennes légitiment cette prise de position ».

Selon l'analyse de Me Eolas, un juriste incontournable sur la Toile, on ne saurait s'abriter derrière la loi de 1905 pour cantonner la religion à une sphère strictement privée. La formule selon laquelle « la République ne reconnaît [...] aucun culte » serait mal interprétée par les partisans d'une laïcité « tenant plus de l'athéisme d'État », explique-t-il sur son blog. Le Conseil d'État ne s'y serait pas trompé : saisi, en 1989, sur le port du foulard islamique dans les établissements scolaires, il avait souligné que l'obligation de neutralité s'appliquait aux agents, et non aux usagers du service public. Les responsables politiques se sont néanmoins entêtés à proscrire les signes religieux, arsenal législatif à l'appui, allant jusqu'à réglementer les tenues portées dans la rue. Au risque de susciter, par réaction, la multiplication des voiles intégraux...

Laïcité contre laïcisme

C'est dire combien se fourvoient ceux qui croient pouvoir instrumentaliser la laïcité aux dépens de l'islam, a fortiori dans ses déclinaisons les plus radicales. Quitte à cultiver une certaine ambiguïté, c'est plutôt contre le laïcisme qu'il conviendrait d'invoquer la laïcité. Le droit pourrait s'y prêter : « ceux qui disent qu'ils n'ont rien contre les religions à condition qu'elles s'exercent dans un cadre strictement privé, généralement restreint au domicile et aux établissements du culte, portes dûment closes, mais désapprouvent tout signe indiquant la croyance religieuse de celui l'arbore dans la rue, ceux-là ne respectent pas la laïcité », soutient Me Eolas. Bien au con-traire, « une loi réalisant leur désir violerait la laïcité, en restreignant arbitrairement l'exercice d'un culte pour des raisons n'ayant aucun lien avec l'ordre public », poursuit l'avocat.

S'indigner des prières prononcées le jour de l'Assomption – sans parler des feux d'artifice tirés ce jour-là ! – apparaît d'autant plus déplacé que le 15 août n'est pas férié  en souvenir du seul vœu de Louis XIII consacrant la France à Marie. Napoléon n'avait-il pas décidé d'en faire explicitement la fête nationale ? C'était le jour de son anniversaire ! « Si certains y voient un paradoxe ou une incongruité », le géopolitologue Olivier Kempf y décèle davantage « une richesse et cette synthèse "bizarre" qui fait le génie français ». Il nous appartient d'en tirer parti !

Les armées déshéritées

10 août 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Le chef d'état-major des armées tire la sonnette d'alarme : d'ores et déjà, reconnaît-il, « la traduction intégrale de l'ambition politique qui nous a été fixée n'est plus tenable ».

Tandis qu'une commission prépare la rédaction d'un nouveau livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, l'amiral Guillaud, chef d'état-major des armées (CEMA), a mis en garde l'Assemblée nationale : « toute diminution du budget se traduira mécaniquement par un abandon de capacité », a-t-il déclaré le 11 juillet 2012, lors d'une audition en commission.

Notre outil de défense présenterait « un "rapport qualité-prix" exceptionnel » : « L'Allemagne consacre à sa défense un budget comparable alors qu'elle ne dispose pas de dissuasion nucléaire et qu'elle est moins impliquée que nous sur la scène internationale. L'armée britannique, notre armée presque jumelle, dispose d'un budget supérieur de 40 %. » Dans ces conditions, bien que le « plan de déflation des ressources humaines » soit respecté pour l'instant, « le plus dur reste à faire ». Au risque de fragiliser encore le moral des armées, aujourd'hui « au seuil d'alerte » selon le CEMA.

Le rapatriement des troupes engagées en opérations extérieures (Opex) n'y est pas étranger. À la fin de l'année, moins de cinq mille hommes devraient être déployés en Opex – « un étiage historiquement bas » : sur les vingt dernières années, la moyenne dépassait les douze mille soldats. De quoi dégager quelques marges budgétaires ? Il faut se garder de la conclusion selon laquelle « la baisse – conjoncturelle – de nos engagements diminuerait nos besoins », prévient l'amiral Guillaud. « Ce serait oublier que le temps du développement capacitaire est long, très long ! » Pour un char, par exemple, « entre le début de conception et le démantèlement du dernier exemplaire, s'écoulent soixante ans ». En outre, « le recrutement et la formation de spécialistes nécessitent entre cinq et dix ans » – ce qui serait « encore peu au regard du temps nécessaire à une vraie acculturation ». « Notre expertise, notre culture de l'engagement sont les résultats de décennies d'opérations variées, de réflexion, d'expérimentation, de transmission du savoir. » Par conséquent, avertit le CEMA, tout renoncement s'avérerait « potentiellement irréversible ».

Dores et déjà, déplore-t-il, « certaines capacités nous font défaut, comme le SEAD – la suppression des défenses antiaériennes ennemies – en général indispensable pour entrer en premier. D'autres sont notoirement insuffisantes. [...] D'autres, enfin, sont d'une conception suffisamment ancienne pour que leur modernisation, leur entretien ou leur mise aux normes d'exploitation actuelles devienne très coûteuse. [...] La disponibilité de nos matériels devient fragile. Nos stocks de rechanges et de munitions doivent être surveillés avec attention. Nos meilleurs systèmes sont déployés sur les théâtres d'opérations – ce qui est normal – mais en contrepartie, la métropole s'entraîne avec des matériels plus anciens ou partiellement équipés. Il est par conséquent de plus en plus difficile de concilier l'engagement opérationnel et un entraînement de qualité. Or, l'entretien des compétences est un enjeu majeur. » « Au bilan », reconnaît le chef d'état-major des armées, « en termes de capacités, la traduction intégrale de l'ambition politique qui nous a été fixée n'est plus tenable ».

À gauche, toute !

10 août 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Un "billet d'humeur" rédigé en urgence pour L'Action Française 2000.

Le mercredi 18 juillet 2012, le Conseil des ministres a mis fin aux fonctions de commissaire à la Diversité et à l'Égalité des chances exercées par Yazid Sabeg. Désigné à ce poste sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, M. Sabeg avait regretté que le nouveau gouvernement s'occupe « d'autres sujets urgents que les questions d'égalité des chances et de lutte contre les discriminations ». Rien d'étonnant de la part d'un protégé de l'UMP : au cours de la législature précédente, par exemple, le couple Copé-Zimmermann nous avait habitués à verser dans la surenchère féministe ; les questions "sociétales" ne sont pas l'apanage du PS !

Puisant décidément son inspiration à gauche, l'opposition s'en est trouvée réduite à agiter l'épouvantail fasciste, tandis que le chef de l'État confiait à Lionel Jospin la présidence d'une commission sur la moralisation de la vie politique : indisposé par la « suspicion » que cela ferait peser sur les élus, Christian Jacob, le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, a carrément dénoncé un penchant socialiste à l'« antiparlementarisme ». Hélas, on ne saurait compter sur François Hollande pour botter hors du Palais-Bourbon les parasites qui l'occupent...

Au reste, si dictature il y a, force est de constater la servilité avec laquelle ses victimes s'y soumettent – quand elles ne contribuent pas directement à l'installer. S'il est un bastion qui relève intrinsèquement de la gauche, c'est bien la "culture", dont le nouveau ministre, Aurélie Filippetti, « considère vraiment » qu'elle « fait partie du domaine régalien ». Qu'on se le dise : brasser du vent, c'est une affaire d'État ! À qui la faute ? Ce n'était pas François Mitterrand, mais Charles De Gaulle, qui occupait la magistrature suprême quand fut créé ce maroquin. À bon entendeur...

L'Europe, planche de salut de l'industrie militaire ?

19 juillet 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que se prépare la rédaction d'un nouveau livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, semble ne jurer que par l'"Europe", à laquelle il conviendrait de confier, entre autres, les destinées de l'industrie militaire.

La rédaction d'un nouveau livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a été lancée vendredi dernier, 13 juillet 2012. Ce jour-là, le chef de l'État a confié à Jean-Marie Guéhenno, conseiller maître à la cour des Comptes, la présidence de la commission chargée de  mener à bien cet exercice de prospective. À moins qu'il s'agisse d'une « causerie de salon » ? Le cas échéant, celle-ci servirait à justifier des restrictions budgétaires supplémentaires décidées par avance, comme le suggèrent, dans un rapport parlementaire, les sénateurs Jacques Gautier, Alain Gournac, Gérard Larcher, Rachel Mazuir, Jean-Claude Peyronnet, Yves Pozzo di Borgo, Daniel Reiner et Gilbert Roger. Critiquant le livre blanc établi sous la présidence de Nicolas Sarkozy, ils déplorent que n'y soit mentionné « aucun élément permettant de comprendre le passage des résultats de l'analyse stratégique au format d'armée ». Toutefois, reconnaissent-ils, « en temps de paix, le budget et l'industrie entrent tout autant que la définition des menaces dans l'équation conduisant in fine à la définition du format des armées. Il est donc normal de les intégrer et de confronter l'outil de défense idéal avec l'outil de défense réaliste, celui qu'on peut se payer. »

La DGA dicte sa loi

N'en déplaise aux thuriféraires du néo-gaullisme, selon lesquels « l'intendance suivra », il n'y a pas lieu de s'en offusquer selon nous. D'autant que les arbitrages en matière de défense ne sont pas sans incidence sur l'économie. Pour un euro investi dans une "capacité militaire industrielle critique", l'État récupérerait 1,60 euro, rapportent les sénateurs. « Une étude sur la filière missile montre en particulier que la contribution économique globale générée par cette filière (605 millions d'euros) est largement supérieure au montant des dépenses de R&D exigé par l'existence de cette filière (350 millions d'euros), dont une partie seulement est financée par le budget de la défense (200 millions d'euros). La France devant de toutes les façons acquérir des missiles, le fait de les produire sur son territoire génère d'importantes retombées économiques en termes d'emplois, de fiscalité, de charges sociales. La seule contribution économique globale générée par l'activité export (331 millions d'euros) est largement supérieure au montant des dépenses de R&D exigés par l'existence de cette filière et financés par le budget de l'État. »

Cela légitime le poids accordé aux considérations industrielles. De fait, la DGA (Direction générale de l'armement) jouerait « un rôle prépondérant et quasi exclusif dans la détermination des orientations d'acquisitions des équipements ». Parfois au détriment des impératifs opérationnels, regrettent les rapporteurs. Ceux-ci « ont pu, par le passé, constater quelques ratés, heureusement rares, d'une politique qui peut dans certains cas con-duire à priver les forces armées des outils dont elles ont besoin, comme ce fut le cas, pour les véhicules haute mobilité, dont l'absence a fait cruellement défaut en Afghanistan ». Aussi conviendrait-il de « savoir comment régler ces conflits, par quelles procédures, avec quelle transparence, selon quels principes ». Dans cette perspective, l'exemple britannique de la "nouvelle stratégie d'acquisition" mériterait d'être étudié.

Dans les pires des cas, les atermoiements politiques peuvent aboutir « à ne disposer ni des capacités industrielles, ni des capacités opérationnelles ». À ce titre, les drones Male (moyenne altitude longue portée) apparaissent emblématiques : « Depuis plus de quinze ans les industriels français et européens se déchirent pour franciser des équipements étrangers [...] sans que, in fine, la France ne dispose d'aucune filière industrielle digne de ce nom pas davantage que d'une capacité opérationnelle à la hauteur de ses besoins. » L'affaire n'en finit pas de rebondir : alors qu'il venait d'entrer en fonction, Jean-Yves Le Drian, le nouveau ministre de la Défense, est revenu sur la décision du gouvernement précédent, qui avait tranché en faveur de Dassault...

Le sort du Rafale

Comme le rappellent les sénateurs, « l'existence de conflits possibles entre stratégie d'acquisition et stratégie industrielle de défense n'est ni nouvelle, ni propre à la France. C'est ainsi que, pour des raisons de stratégie industrielle, la décision fut prise au plus haut niveau d'interdire à l'aéronavale d'acquérir des avions militaires américains F18, alors que les vieux Crusader étaient hors d'âge et que le Rafale marine était loin d'être prêt. » Nul ne conteste, aujourd'hui, les qualités du Rafale, dont la polyvalence fait merveille, et dont l'acquisition s'est avérée moins coûteuse que celle de son rival européen développé par l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie et le Royaume-Uni. Pourtant, soutiennent les rapporteurs, « l'Europe ne peut se permettre le luxe de recommencer les erreurs du combat fratricide Eurofighter-Rafale ». « Le temps des arsenaux de Colbert est révolu ! », clame l'amiral Guillaud, chef d'état-major des armées. À l'échelle de la mondialisation, la France est trop petite, nous dit-on. Qu'en est-il alors de la Suède, un pays comptant seulement neuf millions d'habitants, qui continue néanmoins de produire des avions de combat, et parvient même à en exporter ?

« Le marché des équipements de défense européen est trop fragmenté », poursuivent les parlementaires. « Il est donc temps que l'État mette de l'ordre dans ses participations », préviennent-ils. En freinant vraisemblablement  la montée en puissance de Dassault. Impulsée durant le quinquennat précédent, celle-ci serait critiquable, entre autres motifs, « parce qu'elle ne pourra jamais conduire à la constitution d'une "Europe de la défense" et handicapera les différents champions nationaux européens [...], omnipuissants sur leur marché intérieur, mais d'une taille insuffisante pour entrer en compétition avec leurs concurrents occidentaux ». Jean-Yves Le Drian a enfoncé le clou, le 5 juillet, lors d'une audition à l'Assemblée nationale : « Si nous ne parvenons pas à valoriser notre potentiel industriel de défense par des partenariats intelligents et structurants à moyen terme, si nous ne prenons pas les initiatives qui s'imposent, nous risquons de perdre notre ingénierie et notre savoir-faire », a-t-il déclaré. Manifestement, l'"Europe" constitue sa marotte. Il a d'ailleurs invité des représentants allemand et britannique « à participer aux travaux », du nouveau livre blanc, exception faite de ceux portant sur « quelques particularités comme dans le domaine nucléaire ».

Échecs patents

Gageons qu'il pourrait vite déchanter. En dépit de quelques succès, « les grands programmes d'armement menés en coopération européenne ont donné des résultats mitigés », concèdent les rapporteurs du Sénat. « La coopération européenne dans les industries de défense regorge d'exemples de programmes dont les délais ont été plus longs et les coûts plus chers que s'ils avaient été menés nationalement, qui ont connu des dérapages de prix et ont débouché sur des produits moins cohérents voire si différents que tout partage des coûts de maintenance en est impossible. Cela a été le cas de l'avion de chasse Eurofighter, dont l'assemblage est effectué sur quatre sites différents, des frégates Horizon franco-italiennes qui n'ont plus en commun que le nom, ou encore de l'hélicoptère de transport NH-90 qui a donné lieu à vingt-sept versions différentes. »

« Si l'on souhaite mettre en place une politique de défense européenne », expliquent les parlementaires, il convient, au préalable, « de mener une analyse stratégique partagée ». « Cette analyse existe-t-elle », s'interroge Jean-Pierre Chevènement ? « Non. Pouvons-nous le faire pour le compte des autres ? Non. » Quoique... S'exprimant dans La Tribune, André Yche, contrôleur général des armées, a laissé entendre que la force de dissuasion française pourrait bénéficier à l'Europe entière – ce dont nos voisins n'ont jamais voulu. Commentant le rapport présenté par ses collègues, le sénateur Jean-Louis Carrère a salué le caractère « parfois idéaliste » de leur propos, « car c'est un moteur qui conduit à ne pas renoncer ». Quitte à poursuivre une chimère ?

De la TVA au brevet européen...

19 juillet 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Des limites du "droit de veto" des États membres de l'Union européenne.

Les dispositions communautaires contrarient régulièrement les gouvernements désireux de jongler d'un taux de TVA à l'autre. Dernièrement, Paris s'est attiré les remontrances de Bruxelles pour avoir appliqué un taux réduit aux services à la personne (par exemple, les travaux de jardinage), ainsi qu'aux livres numériques.

La Commission européenne serait pourtant favorable à la convergence des taux appliqués aux livres, quel qu'en soit le support. Mais, pour l'heure, le droit européen ne le permet pas. Il laisse les États libres de fixer un taux standard et un taux réduit, mais non de choisir de façon unilatérale les domaines où s'appliquent l'un et l'autre, dont la définition requiert un accord unanime des gouvernements. Si bien que le "droit de veto", censé protéger les États, limite parfois leurs marges de manœuvre. Cela tient à l'étendue de la toile communautaire, dont les multiples fils constituent désormais un vrai carcan.

Le recours potentiel aux "coopérations renforcées" relativise, lui aussi, la garantie du veto. L'Espagne et l'Italie devraient en faire les frais : hostiles au "brevet européen", dont elles récusent le régime linguistique, elles demeureront en marge du processus tandis que leurs vingt-cinq partenaires le mettront en œuvre, dans l'espoir d'accroître la compétitivité de leurs entreprises. Sans doute ces États récalcitrants finiront-ils par s'y rallier sans avoir leur mot à dire. Preuve qu'une Europe "à la carte" ne serait pas forcément la panacée.