Belgique : une autre collaboration

6 juillet 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Un livre signé Luc Beyer de Ryke.

Tandis qu'on commémore le centenaire du premier conflit mondial, se souvient-on que la Belgique fut « un des rares – sinon le seul – pays à avoir connu une collaboration dès la Grande Guerre », comme le rappelle Luc Beyer de Ryke ?

À cet égard, le nationalisme flamand constitua un « vivier » que ne manqua pas d'exploiter à chaque fois l'occupant allemand. Lequel fut accueilli comme un « libérateur » par certains militants indépendantistes, emprisonnés à titre préventif... Leur défiance était entretenue au sein même de l'armée belge, où « des intellectuels [...] s'indignèrent de l'état de sujétion auquel était réduite la piétaille des tranchées » – « la plupart du temps rurale, flamande et patoisante ». La hantise du communisme aidant, la Flamenpolitik « exerça des ravages », rapporte Luc Beyer de Ryke.

Observant « la braise toujours incandescente [...] de la collaboration », il en a rencontré les acteurs ou leurs descendants, livrant leurs témoignages dans un style vivant, brossant des portraits souvent pittoresques. Francophone de Flandre, l'auteur s'est attaché à « mieux comprendre l'histoire [des] fractures et [des] déchirements » de son pays. Dans l'espoir, sans doute, de mieux en protéger la fragile unité.

Luc Beyer de Ryke, Ils avaient leurs raisons, éditions Mols, mars 2016, 205 pages, 21,50 euros.

La défense à l'épreuve du Brexit

6 juillet 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Coopération franco-britannique, défense européenne, Alliance atlantique : aperçu des perspectives ouvertes par le vote du 23 juin 2016 en faveur du Brexit.

Le 24 juin 2016, alors que venait d'être annoncée l'issue du référendum en faveur du Brexit, le président de la République a promis que Paris serait « à l'initiative pour que l'Europe se concentre sur l'essentiel » – à savoir, tout d'abord, « la sécurité et la défense de notre continent ». Or, si le Royaume-Uni quitte effectivement l'Union européenne (UE), « la France [...] continuera à travailler avec ce grand pays », y compris en cette matière, où « nos relations étroites [...] seront préservées », a assuré François Hollande.

Gare aux punitions

« Qu'ils soient dans ou en dehors de l'UE, les Britanniques restent à échéance visible nos partenaires les plus crédibles et les plus sérieux en matière de défense sur le continent européen », confirme Pierre Razoux, dans une note de l'Irsem (Institut de recherche stratégique de l'École militaire). « Nous partageons des intérêts similaires (vision mondiale, siège permanent au Conseil de sécurité, détention de l'arme nucléaire, nombreux territoires d'outre-mer à protéger, intérêts géostratégiques largement convergents) que le Brexit ne modifiera pas », explique-t-il. « Sur le plan industriel », précise-t-il, « nous sommes engagés dans des projets structurants en cours de développement (missile antinavire léger, système de combat aérien futur) qui restent strictement bilatéraux ». Par conséquent, prévient-il, « il est crucial que la France continue de traiter le Royaume-Uni avec respect, de manière sereine et dépassionnée, sans l'esprit de "punition" que certains pourraient être tentés d'instrumentaliser ».

Ce partenariat s'appuie sur les accords de Lancaster House signés en 2010. Lesquels sont « une façon de "faire l'Europe sans l'Union européenne", pour reprendre les propos de l'ambassadrice de France en Grande-Bretagne », citée par Florent de Saint-Victor dans un entretien au Marin. En fait, c'est une façon parmi beaucoup d'autres... Londres participe également à l'Occar (Organisation conjointe de coopération en matière d'armement), par exemple, sous l'égide de laquelle a été développé l'Airbus A400M. En revanche, à la différence de Paris, il est resté en marge du Commandement européen du transport aérien (EATC). Force est de le constater : "l'Europe des États" chère aux souverainistes existe d'ores et déjà. En effet, ces structures-là sont indépendantes de l'UE et de sa Politique de sécurité et de défense commune (PSDC), à laquelle la contribution du Royaume-Uni s'avère d'ailleurs modeste, au regard de ses capacités.

Londres préfère l'Otan

« Durant l'opération Eunavfor Atalanta contre la piraterie, Londres n'a mis à disposition qu'un navire depuis 2008 », souligne ainsi Nicolas Gros-Verheyde, animateur du blog Bruxelles 2. « Et ce pendant quelques mois à peine », précise-t-il, « soit à peine plus que les... Ukrainiens » ; « pendant ce temps », poursuit-il, « les Luxembourgeois mettaient à disposition deux avions de patrouille maritime durant plusieurs années ». De fait, observe-t-il, « le Royaume-Uni préférait mettre ses navires à disposition de l'Otan ou des Américains ». Étonnement, Pierre Razoux n'en estime pas moins que la perspective d'un Brexit « laisse présager la démonétisation » de la PSDC. Pourtant, Londres était régulièrement accusé d'en freiner le développement, s'opposant  à la création d'un QG militaire de l'Union, ainsi qu'à l'accroissement du budget de l'Agence européenne de défense (AED). Selon le collaborateur de l'Irsem, « si les Britanniques ne peuvent plus jouer au sein de l'UE, certains d'entre eux pourraient être tentés de torpiller la PSDC et de convaincre leurs anciens partenaires de l'inutilité de cet outil dont ils ne font plus partie ». Cependant, souligne Nicolas Gros-Verheyde, « un départ du Royaume-Uni n'empêcherait pas qu'il puisse continuer à contribuer, de manière extérieure, aux opérations militaires européennes, comme le font aujourd'hui nombre de pays tiers, de la Géorgie à la Colombie, en passant par la Suisse, la Norvège, la Serbie ou les États-Unis ».

Quoi qu'il en soit, « la France aurait tout à gagner à se présenter comme l'intermédiaire naturel entre le Royaume-Uni et l'UE », selon Pierre Razoux. Ce dernier entrevoit également « une opportunité de coopération supplémentaire entre l'Allemagne et la France » au sein de l'Alliance atlantique. Dans quelle mesure celle-ci serait-elle affectée par un Brexit ? Les avis sont partagés. Un analyste russe, cité par le Courrier international, anticipe « le renforcement du rôle de l'Otan, comme "dernière structure unifiant l'Europe" » ; si bien que le Brexit contribuerait « non pas à un infléchissement du rôle des États-Unis en Europe, mais au contraire à son renforcement ». À l'inverse, sur Royal Artillerie, Catoneo annonce que « nous gagnerons en autonomie par rapport aux États-Unis ».

Nouveaux équilibres

La donne serait davantage bouleversée si le Brexit s'accompagnait d'un éclatement du Royaume-Uni. Celui-ci apparaît « menacé de déclassement à la fois économique et stratégique avec l'indépendance plausible de l'Écosse », selon Pierre Razoux. Dans l'immédiat, les spéculations vont bon train quant aux nouveaux équilibres géopolitiques qui pourraient se dessiner à l'occasion du Brexit. Le vote "leave" a été « accueilli très favorablement par la Russie, la Turquie et la Chine, et de manière dubitative par les États-Unis », croit savoir Pierre Razoux. « Le retrait britannique change les termes du processus décisionnel (modifiant la minorité de blocage), modifie les équilibres au détriment de la sensibilité libérale, et laisse Paris et Berlin dans un inconfortable face à face », analyse Frédéric Charillon dans The Conversation. « Ceux qui se réjouissent aujourd'hui de la sortie annoncée du Royaume-Uni pourraient être demain les premiers à dénoncer les ambitions géopolitiques et militaires d'une Allemagne décomplexée », s'inquiète même Pierre Razoux. « Si les Britanniques n'étaient pas favorables à une politique étrangère commune digne de ce nom, la contribution du Foreign and Commonwealth Office à la diplomatie européenne renforçait considérablement l'analyse et la crédibilité de celle-ci », affirme encore celui-là. À ce propos, les chefs d'État ou de gouvernement de l'UE viennent d'adopter le 28 juin une nouvelle stratégie pour la politique extérieure et de sécurité. Y compris David Cameron donc. Brexit ou pas, l'Europe continue. Sous de multiples formes.

Alain Minc dans les pas de Charles Maurras

1 juillet 2016

Un billet teinté d'ironie soufflé par le camarade Philippe.

Le vote "leave" l'a donc emporté le 23 juin 2016. « Ce référendum n'est pas la victoire des peuples sur les élites, mais des gens peu formés sur les gens éduqués », a commenté l'inénarrable Alain Minc, suscitant l'indignation de notre confrère Louis Hausalter. Dans la foulée, bien des "réinformateurs" auront dénoncé la condescendance prêtée au Pays légal. Celui-ci serait-il peuplé de nouveaux réactionnaires ?

De fait, les propos d'Alain Minc ne sont pas sans rappeler (dans une certaine mesure, n'est-ce pas ?) ceux tenus jadis par Charles Maurras. Le 28 juin 1941, dans les colonnes de L'Action Française, ce dernier se défendait du « reproche imprévu de mépriser le peuple », tandis qu'il lui refusait « le hochet d'une fausse souveraineté, qu'il ne peut même pas exercer et que l'on ne peut même pas concevoir ». Et d'expliquer : « Nous respectons trop le peuple pour aller lui dire : "Il suffit de compter les voix des incompétents, pour résoudre les questions d'intérêt très général qui exigent de longues années d'étude, de pratique ou de méditation. Il suffit de recueillir et d'additionner les suffrages des premiers venus pour réussir dans les choix les plus délicats." »

« Dire au peuple ce qui n'est pas serait lui manquer de respect », poursuivait-il ; « lui débiter des fables pernicieuses, c'est tantôt le haïr, tantôt le mal aimer » ; « profiter, pour lui faire ce mensonge, de la confiance naïve qu'il a voulu placer en vous, c'est abuser de lui, le trahir et vous dégrader vous-même ». Qu'on se le dise : au moins Alain Minc a-t-il préservé sa dignité !

NB – Les citations sont tirées du Dictionnaire politique et critique.

Brexit : une solution miracle pour sortir de l'imbroglio britannique

29 juin 2016

Avis aux spécialistes des questions européennes : pourquoi l'Angleterre ne deviendrait-elle pas un "pays et territoire d'outre-mer" (PTOM) ?

Londres se trouve manifestement dans l'embarras : une majorité de Britanniques ont voté pour le Brexit sans vraiment s'interroger sur la suite. Sortir de l'UE, pour quoi faire ? Nul ne le sait ! C'est affligeant, mais il appartient désormais à David Cameron et à ses successeurs d'assumer les conséquences de ce calcul électoral. Afin de préserver les intérêts du Royaume-Uni vis-à-vis de l'Union, mais aussi son intégrité vis-à-vis des velléités d'indépendance de l'Écosse, voire davantage.

Dans cette perspective, peut-être une solution s'offrirait-elle à Londres : plutôt que de notifier au Conseil européen la volonté du Royaume-Uni de sortir de l'Union européenne, il pourrait solliciter l'accession de l'Angleterre au statut de "pays et territoire d'outre-mer" (PTOM). Comme expliqué sur Wikipédia, ces territoires « ne font pas partie de l'Union européenne [...] bien qu'ils dépendent de pays en faisant partie ». C'est le cas du Groenland, mais aussi de Saint-Barthélémy, comme nous l'avions déjà expliqué, et même de plusieurs territoires rattachés au Royaume-Uni, comme le rappelle encore l'encyclopédie participative : « Anguilla, les Bermudes, les Îles Caïmans, la Géorgie du Sud-et-les Îles Sandwich du Sud, les îles Malouines (Falkland), Montserrat, les îles Pitcairn, Sainte-Hélène, Ascension et Tristan da Cunha, le Territoire antarctique britannique, le Territoire britannique de l'océan Indien, les îles Turques-et-Caïques et les îles Vierges britanniques ».

Bien sûr, le statut de PTOM s'en trouverait détourné de sa vocation, mais rien n'interdirait d'amender les traités à la marge si nécessaire. Par ce biais, Londres pourrait donner une traduction au vote "leave", majoritaire en Angleterre, tout en coupant l'herbe sous le pied des indépendantistes écossais. À vrai dire, cela nous semblerait presque trop facile, et nous nous étonnons qu'aucune mention à cette "solution miracle" ne semble apparaître dans les actualités recensées par Google. Mais il est vrai que les questions européennes intéressent peu nos confrères journalistes. Qu'en pensent leurs meilleurs spécialistes ?

Éric Ciotti veut mettre les écoles au pas

22 juin 2016

Que les écoles libres servent la République, ou bien qu'elles disparaissent, clame, en substance, le député des Alpes-Maritimes.

La République semble s'incarner sous son pire visage en la personne d'Éric Ciotti, député (LR) des Alpes-Maritimes. Appelant manifestement à une croisade contre l'islam, ce dernier se fait le chantre d'une laïcité sectaire, comme nous l'avions déjà signalé, mais aussi l'ennemi des libertés scolaires, comme en témoigne sa proposition de loi « visant à renforcer l'encadrement des établissements privés hors contrat et à limiter les possibilités de dérogation à l'obligation scolaire ». Déposé le 27 avril, ce texte n'est apparu qu'aujourd'hui, mardi 21 juin 2016, dans le flux RSS de l'Assemblée nationale – il était temps ! Il a été présenté avec le soutien de plusieurs parlementaires, dont  Bernard Accoyer, Éric Woerth, mais aussi Bernard Debré, généralement mieux inspiré.

Dans l'exposé des motifs, Éric Ciotti dénonce « l'émergence de deux phénomènes particulièrement préoccupants : la déscolarisation d'un nombre croissant d'enfants, surtout des filles, pour des motifs d'ordre essentiellement religieux d'une part, et la multiplication d'écoles privées hors contrat prônant un islam radical, d'autre part ». Loin d'examiner la diversité des situations incriminées, il se garde bien d'analyser les motivations des parents, se bornant à déplorer que les enfants soient « alors victimes de propagande idéologique sous couvert de programmes éducatifs alternatifs ». C'est dire la considération qu'il porte aux écoles Montessori, par exemple.

Selon son rédacteur, cette proposition de loi aurait pour « premier objet » de « durcir les conditions d'ouverture d'un établissement hors contrat ». Ce faisant, il s'agirait de « prévenir l'ouverture d'établissements où s'expriment des formes d'intégrisme religieux ». Les catholiques en marge de l'Église sont-ils visés eux aussi ? Vraisemblablement : « l'objectif est d'éviter que les enseignants ne fassent passer le prosélytisme avant l'éducation des enfants », explique Éric Ciotti. Par conséquent, poursuit-il, ce texte « prévoit de renforcer les contrôles de ces écoles en les étendant à l'existence d'atteinte aux valeurs de la République », au premier rang desquelles figureraient « le respect des institutions » et « l'égalité homme-femme ».

« Les écoles doivent demeurer des lieux où se transmettent les savoirs et non les idéologies », écrit le député des Alpes-Maritimes. C'est effectivement ce qui devrait être exigé des écoles publiques – mais pas des autres. Or, c'est exactement l'inverse que réclame Éric Ciotti. « Les lieux d'enseignements doivent rester des sanctuaires préservés de toute influence idéologique ou politique contraire aux valeurs républicaines », précise-t-il. Autrement dit, si elle s'avérait conforme à ses propres valeurs, cette « influence idéologique ou politique » apparaîtrait tout à fait légitime aux yeux d'Éric Ciotti. Au moins les choses sont-elles claires.

Mais les établissements scolaires ne sont pas seuls en cause. Un article de cette proposition de loi « soumet l'instruction à domicile à l'autorisation préalable de l'inspecteur d'académie qui ne pourra y donner droit que dans l'une des hypothèses suivantes : l'exigence de soins médicaux, situation de handicap en attente de scolarisation dans un établissement médico-social, activités sportives ou artistiques, parents itinérants,  éloignement géographique d'un établissement scolaire ». De plus, l'inspecteur d'académie devrait alors vérifier « que l'enfant ne fait l'objet d'aucune influence idéologique ou politique contraire aux valeurs de la République ».

Les sympathisants du Front national étant réputés ne pas les partager, seraient-ils privés de l'exercice de ces quelques libertés résiduelles ? Peut-être pourrait-on carrément leur retirer leurs enfants ! Éric Ciotti n'est pas loin de le suggérer. Que de telles velléités, proprement totalitaires, puissent émaner d'un parti de gouvernement, voilà qui devrait nous inquiéter bien davantage que le péril frontiste – quoique ceci ne soit pas sans incidence sur cela. En tout cas, alors que le pouvoir socialiste planche lui-même sur le sujet, on se demande s'il se trouvera quelque député pour se soucier des libertés quand la question sera débattue sur les bancs de l'Assemblée. Affaire à suivre.

Être ou ne pas être dans l'Europe : un éternel débat

15 juin 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

La question posée aujourd'hui, à l'approche du référendum sur le Brexit, l'a déjà été à maintes reprises, comme en témoignent les archives d'Aspects de la France.

En 1950, alors que fut proposée la création de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier), le gouvernement britannique « considérait que l'appartenance à un groupement exclusivement européen affaiblirait ses liens avec le Commonwealth et la défense atlantique », comme l'explique Helen Parr dans le Dictionnaire critique de l'Union européenne (Armand Colin, 2008). Cependant, Londres ne tarda pas à reconsidérer sa position, tandis que se développait le Marché commun. En effet, « celui-ci était devenu le premier partenaire commercial de la Grande-Bretagne ». De plus, « la Communauté était en train de s'imposer sur la scène internationale, au risque d'isoler la Grande-Bretagne ». Aussi sa demande d'adhésion fut-elle présentée en juillet 1961.

L'Action française contre l'élargissement

Albion se heurta toutefois à l'hostilité de Paris. Dans les colonnes d'Aspects de la France, on était loin de le déplorer : « pas d'élargissement du Marché commun sans révision du traité de Rome », résumait le titre d'un article signé Finex, publié dans le numéro du 7 décembre 1967 ; sans quoi, expliquait-il, « le poids [...] du vote de la France [...] serait diminué en valeur relative ». « Ceux qui prônent l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun n'avancent aucun argument relevant de l'intérêt français », tranchait Pierre Pujo ; « on ne nous a pas encore dit comment l'économie française supporterait la concurrence anglaise », déplorait-il notamment.

Un traité n'en fut pas moins signé quatre ans plus tard. « Il faut écarter d'emblée la théorie selon laquelle tout élargissement d'une aire économique serait un bien », commentait Georges Mollard, dans le numéro du 27 janvier 1972. De son point de vue, l'économie était manifestement un jeu à somme nulle ; qu'importent Ricardo et ses "avantages comparatifs" : « toute l'expérience acquise tend au contraire à montrer que ce qui serait bon pour l'un serait mauvais pour un autre ». En tout cas, « les nouveaux arrivants ne sont pas disposés à oublier leurs intérêts nationaux », prévenait Pierre Pujo ; la « cohésion » de la Communauté européenne s'en trouvera même fragilisée, annonçait-il. La hantise d'une Europe fédérale n'en continuait pas moins d'animer les collaborateurs du journal. Le 15 mai 1975, par exemple, Aspects de la France dénonçait la « chimère européenne » du président Valéry Giscard d'Estaing.

Déjà un référendum en 1975

Le mois suivant, les Britanniques étaient appelés, déjà, à s'exprimer sur le maintien de leur pays dans la Communauté européenne. Comme l'expliquait Pierre Pujo dans son éditorial du 12 juin 1975, le chef du gouvernement britannique avait « cru trouver dans le recours à la procédure du référendum [...] le moyen d'esquiver ses responsabilités de Premier ministre et de surmonter la division de son parti sur la question européenne ». L'histoire se répète ! « Malgré le référendum britannique, "l'Europe" recule », titrait alors Aspects de la France. Échec venait d'être fait au Brexit. « Les partenaires de la Grande-Bretagne [...] auraient tort de croire qu'ils trouveront désormais en elle un associé animé d'un grand enthousiasme communautaire », prévenait Pierre Pujo.

« La prétention de nos gouvernants de se présenter comme les meilleurs "européens" peut être de bonne tactique dans les négociations », concédait-il de façon plus étonnante « Travaillons à réaliser le concert des nations européennes tant sur les problèmes politiques et de défense que sur les questions économiques et monétaires », poursuivait-il ; « mais n'oublions pas que la France ne tiendra son rang, tant vis-à-vis des superpuissances que de ses partenaires européens, que dans la mesure où elle représentera elle-même, sur tous les plans, une force ». En effet, qu'est-ce que la souveraineté sans la puissance ?

Verdun souillé par les nationalistes

25 mai 2016

Billet d'humeur au titre délibérément racoleur.

Le Sénat vient de rejeter hier (mardi 24 mai 2016) l'aménagement des quotas de chansons francophones à la radio qu'avait proposé le Gouvernement. Quel rapport avec Verdun, nous direz-vous ? Il s'agit de revisser un dispositif mis en place dans les années quatre-vingt-dix, dont l'incidence fut déterminante dans l'émergence du rap en France, à la faveur d'un pari gagné par Skyrock et son directeur des programmes, Laurent Bounneau. Autrement dit, sans ces quotas institués par Jacques Toubon, peut-être Black M n'aurait-il jamais percé. Sans doute le protectionnisme ne produit-il pas toujours les effets escomptés...

Cela étant, si d'autres voies avaient été empruntées par l'industrie musicale, d'autres candidats se seraient vraisemblablement présentés pour animer cet événement festif que constitue, assurément, la commémoration d'une bataille si sanglante. Force est de le constater : l'indécence est une vertu communément partagée, comme en témoigne l'indignation qu'elle a elle-même suscitée. Beaucoup se sont déchaînés contre ce malheureux rappeur ; mais rares sont ceux qui auront porté un quelconque intérêt à la multiplicité des manifestations organisées à l'occasion de ce centenaire (votre serviteur ne fait pas exception, sinon par nécessité professionnelle). Ce satané concert étant annulé, nulle protestation n'étant donc à l'ordre du jour, il n'y a plus guère de raison d'aller à Verdun, nous souffle-t-on à l'oreille. CQFD.

Anne Hidalgo veut la peau des Twingo

18 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Sous prétexte d'écologie, des véhicules en bon état risquent d'être précipités vers la casse.

Vingt ans, c'est trop vieux : dès l'été prochain, les voitures immatriculées avant 1997 seront bannies de Paris ; d'ici quatre ou cinq ans, le même sort sera réservé à celles mises en circulation avant 2011. « À force de négociations avec la municipalité, les propriétaires de véhicules de collection feront exception à ces interdictions », précise notre consœur Leila Marchand (Les  Échos, 11 mai 2016) – un privilège réservé aux automobiles âgées de trente ans ou plus ; déjà convoitées par les amateurs, les Clio Williams devront patienter quelque temps aux portes de la capitale ; tout comme les Ferrari F40, par exemple ! Les propriétaires de véhicules plus populaires peuvent s'inquiéter : « personne ne voudra de votre voiture si elle ne peut plus circuler dans Paris et elle ne vaudra donc plus rien », déplore l'avocat Jean-Baptiste Iosca (Le Parisien, 11 mai 2016).

Obsolescence planifiée

Cette politique s'inscrit dans la continuité des "primes à la casse" instituées dans les années quatre-vingt-dix. Elle fait écho au projet fantaisiste qu'avait présenté dans les années trente Bernard London : apôtre de « l'obsolescence planifiée », il regrettait « que les consommateurs aient pris l'habitude, à cause de la crise, d'utiliser un produit jusqu'à ce qu'il soit hors d'usage », comme le résume Wikipedia ; de son point de vue, c'était un frein à l'activité économique. Frédéric Bastiat, icône française du libéralisme, n'aurait pas manqué de réfuter un « sophisme » : « la société perd la valeur des objets inutilement détruits », expliquait-il au XIXe siècle ; autrement dit, « destruction n'est pas profit ».

Or, précipiter des automobiles vers la casse, cela n'a rien d'une fatalité. À l'intention des heureux collectionneurs roulant en 911, Porsche propose des tableaux de bord refaits à l'identique, quoique plus résistants que les originaux ; mais aussi un système multimédia (GPS, connexion USB, écran tactile...) s'intégrant dans le compartiment réservé jadis à l'autoradio. Visant un public beaucoup plus large, Aramisauto.com s'est lancé en 2013 dans le reconditionnement de véhicules d'occasion ; « le principe n'est pas nouveau », remarque Jean Savary (Caradisiac, 2 avril 2015) ; « mais là », souligne-t-il, « c'est à l'échelle industrielle, avec la productivité que cela suppose ». Anne Hidalgo, s'abrite derrière des considérations écologiques. Mais n'apporte-t-elle pas une caution politique à la frénésie consumériste ? « Rappelons juste que la fabrication d'une voiture occasionne l'émission de huit à douze tonnes de CO2 et qu'il faut, pour l'éponger avec une voiture consommant un litre de moins aux cent kilomètres que celle qu'elle remplace, parcourir dans les 300 000 kilomètres », lui rétorque encore Jean Savary.

Les Tesla adulées

Dédaignant les sympathiques Twingo (première version), dont la bouille rigolote et les couleurs pimpantes égaient toujours les rues de Paris, Mme Hidalgo leur préfère des voitures électriques, à l'image des luxueuses Tesla. De fait, sans le soutien des pouvoirs publics, peut-être le constructeur de Palo Alto n'aurait-il pas connu pareil succès. « Le modèle économique actuel d'Elon Musk est de collecter de l'argent de la poche de ses concurrents automobiles, sous forme de "permis d'émissions" », dénonce ainsi Charles Boyer (Contrepoints,  6  mai 2015) ; selon lui, « Tesla perd des sous sur chaque voiture qu'il vend, et fait des profits en agissant fondamentalement comme un fermier général, collecteur de taxes auprès de ses concurrents ». À Singapour, cependant, la Model S a été affublée d'un malus écologique ; « il faut mettre en perspective la propreté de l'électricité, produite aux trois quarts à Singapour par des centrales au gaz naturel », explique notre confrère Romain Heuillard (Clubic, 9 mars 2016).

Au moins les Tesla se distinguent-elles par leur capacité à recevoir des mises à jour, susceptibles de pallier leur obsolescence. À moins qu'il s'agisse de corriger les bugs résultant d'un développement trop hâtif ? Quelques propriétaires de Model X ont été confrontés à des portières bloquées... Tesla innove incontestablement dans le domaine du marketing. Ainsi propose-t-il à ses clients d'accroître l'autonomie de leur voiture, délibérément limitée par un bridage logiciel, en souscrivant une option d'un simple clic ; « bien entendu, ce n'est pas une opération magique : les Model S 70 et les Modell S 75 embarquent tous les deux une batterie de 75l kWh », précise Julien Cadot (Numerama, 6 mai 2016). Autrement dit, le prix de vente se trouve explicitement déconnecté du coût de fabrication – dans l'industrie automobile, c'est une révolution !

Révolution en marche

Une autre bouleversement s'annonce : profitant de la connectivité de ses véhicules, Tesla accumule les données nécessaires au développement de la conduite autonome. Si l'entreprise « prend une longueur d'avance aujourd'hui sur la concurrence, c'est parce qu'elle possède déjà des centaines de milliers de données sur de la conduite réelle, sur route, de ses modèles », analyse Julien Cadot (Numerama, 12 mai 2016). Dans ces conditions, aux yeux des constructeurs traditionnels, « les spécialistes des flux d'information [...] sont potentiellement inquiétants : ils pourraient devenir demain de nouveaux concurrents ou, pire, leur prendre la position centrale qu'ils occupent aujourd'hui dans la chaîne de valeur », comme expliqué sur Paris Tech Review (26 avril 2016). Klaus Froehlich, directeur de la recherche et du développement de BMW, en a pleinement conscience : si son entreprise négocie mal ce virage, prévient-il, « nous finirons comme un Foxconn pour une société comme Apple, à ne fournir que des cadres en métal » (Clubic, 7 mars 2016). La France saura-t-elle tirer son épingle du jeu ? La Cour des comptes craint qu'elle y soit mal préparée. Ainsi déplore-t-elle « une "absence de stratégie globale et de coordination entre les services de l'État", avec notamment une veille internationale inadéquate pour orienter les actions à mener », comme le rapporte André Lecondé (Caradisiac, 11 mai 2016). Les responsables politiques seraient bien inspirés de s'en préoccuper, plutôt que de jeter l'anathème sur les malheureux Parisiens possesseurs d'une vénérable Twingo.

Les politiques s'arrachent les racines

18 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Voilà qu'on reparle des "racines chrétiennes" de la France. Un député propose même de les inscrire dans la Constitution.

Karim Ouchikh, président du Siel (parti associé au FN), ferait-il des émules ? « Si tous les cultes sont formellement égaux devant la loi, les religions ne le sont pas devant la mémoire », expliquait-il dans le précédent numéro de L'Action Française 2000 (n° 2931 du 5 mai 2016) ; « sans jamais promouvoir un État confessionnel », poursuivait-il, « il nous faut donc fonder une laïcité qui admettrait la prééminence du fait chrétien dans le débat public ».

La laïcité contre l'islam

Éric Ciotti, député (LR) des Alpes-Maritimes, semble lui faire écho : « s'il faut défendre à tout prix la laïcité en tant que facteur d'unité, elle ne peut avoir pour corollaire l'effacement de notre culture commune  », affirme-t-il dans l'exposé des motifs d'une proposition de loi constitutionnelle, enregistrée à la présidence de l'Assemblée nationale le 6 mai dernier (2016). « La France a été culturellement façonnée et imprégnée par son histoire chrétienne qui a forgé les modes de vie, l'organisation sociale, ou encore le calendrier civil ou les fêtes religieuses », souligne-t-il. Soucieux de « graver cette empreinte durable dans le premier article de notre loi fondamentale », il propose  de réviser la Constitution en conséquence, afin qu'y soit mentionnée la « tradition chrétienne » dont la France est l'héritière.

Mais parallèlement, la "laïcité" serait ajoutée à la devise de la République – « liberté, égalité, fraternité ». Ce faisant, il s'agirait de « rappeler avec force la place fondamentale de ce principe ». Celui-ci « n'a eu de cesse de reculer », déplore Éric Ciotti. « L'espace public est progressivement devenu un lieu d'expression d'appartenances et de pratiques religieuses », dénonce-t-il. Bien qu'il ne soit pas cité, c'est évidemment l'islam qui est visé. Instrumentaliser la laïcité à ses dépens, voilà une démarche à nos yeux malvenue, quoique désormais convenue. « La laïcité ne doit [...] pas nous conduire à ignorer qui nous sommes, ni d'où nous venons », prétend certes M. Ciotti. Cependant, comment pourrait-il en être autrement, étant donné l'acception dévoyée qu'il en propage par ailleurs ? Selon lui, « le modèle français exige des individus de confiner à la sphère privée ce qui relève de leurs croyances religieuses ». Si tel était effectivement le cas, les prêtres en soutane se trouveraient bannis de nos rues, au même titre que les femmes couvertes d'un voile islamique !

Polémique calculée

Toutefois, en l'état actuel du droit, la laïcité ne vire pas nécessairement au laïcisme. C'est pourquoi il nous semblerait impossible d'engager des poursuites contre le socialiste Pierre Moscovici, commissaire européen, qui revendique pourtant, dans l'exercice de ses fonctions, des convictions de nature quasi religieuse : « je ne crois pas aux racines chrétiennes de l'Europe », a-t-il déclaré le 8 mai sur BFM TV. Comme si c'était une affaire de foi ! Sans doute s'agit-il, dans un cas comme dans l'autre, d'envoyer un signal politique, sans traduction concrète, mais délibérément polémique et "clivant". Rama Yade, quant à elle « rêve d'un second tour face à Marine Le Pen », comme le rapportait Le Point le 28 avril ; « je voudrais que symboliquement le choix des Français, ce soit elle ou moi », a-t-elle déclaré à notre consœur Émilie Trevert. Dans ces conditions, les détracteurs du « grand remplacement » ne manqueraient pas d'en faire l'enjeu du scrutin, au risque de déchaîner bien des passions... Les responsables politiques ont beau se gargariser du "vivre-ensemble", celui-ci fera vraisemblablement les frais des joutes électorales.

La guerre au quotidien

18 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Comment L'Action Française traitait l'actualité au printemps 1916, un siècle avant la commémoration officielle de la bataille de Verdun.

Il y a cent ans, le 29 mai 1916, à la une de L'Action Française, des communiqués officiels rendaient compte brièvement des opérations militaires. Sur la deuxième page du journal, quelques lignes étaient consacrées à la bataille de Verdun : « on pouvait prévoir, après l'acharnement des dernières luttes, que les Allemands s'abstiendraient de toute attaque avant d'avoir reconstitué leurs divisions décimées par le feu », soulignait le commandant Z. Mais il n'en fut rien : « l'ennemi a dirigé un violent bombardement », observait-il ; depuis deux jours, en revanche, il n'y avait eu « aucune attaque d'infanterie ».

Kant et Rousseau accablés

Dans un petit article non signé, L'AF s'interrogeait sur la Grèce, alors « en proie à l'invasion bulgare » : « les neutres n'échapperont pas à leur destin », prévenait l'auteur ; « quoi qu'elle fasse, sa cause devrait être désormais liée à la nôtre : nous nous heurtons aux mêmes ennemis, son "ennemi héréditaire" le Bulgare et le bloc germanique, destructeur des peuples ». Nulle complaisance n'était tolérée à l'égard de l'ennemi. Léon Daudet en débusquait les espions et autres complices présumés, à l'image des collaborateurs de Maggi (les petits cubes alimentaires) – « une boîte allemande à masque suisse », dénonçait-il. Charles Maurras, quant à lui, se disait « heureux d'applaudir aux paroles » d'un certain Paul Helmer : « c'est la nation allemande tout entière qui a voulu la guerre », affirmait ce dernier ; « c'est elle tout entière qui doit être châtiée », poursuivait-il. Le Martégal prêtait des origines philosophiques au conflit en cours : « l'État boche procède d'un type d'individualisme absolu trouvé chez Kant, maintenu et copieusement développé dans Fichte, comme l'État jacobin émane et évolue du libéralisme absolu admis également comme point de départ par Rousseau », expliquait-il.

Renvoyés à des considérations plus terre-à-terre, les lecteurs étaient invités à soutenir l'effort de guerre via la souscription d'obligations. Une liste de combattants tombés au champ d'honneur était publiée en une ; c'était déjà la cinq cent soixantième... Mais toute légèreté n'était pas bannie des colonnes du journal, où se poursuivait un « feuilleton » – en l'occurrence, L'Île au trésor de Robert Louis Stevenson.