Jacques Bainville et l'Action française

4 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Journaliste, historien, Jacques Bainville (1879-1936) est toujours resté très lié à l'Action française, tout en rayonnant au-delà. Nous remercions son biographe, Christophe Dickès, de nous avoir éclairé sur ce point. La place ayant manqué dans les colonnes du journal, nous publions ci-dessous l'intégralité des réponses qu'il nous a apportées

Présenter Jacques Bainville « comme un historien d'Action française » reviendrait-il à entretenir « une fausse vérité », comme cela a été dit dernièrement au micro de Radio Courtoisie ?

Il me semble difficile de séparer Jacques Bainville de l'école d'Action française. Dès les premières années de l'AF, Bainville tient à populariser l'idée de monarchie. Ceci est très net dans sa réponse à l'Enquête sur la Monarchie de Maurras : il explique qu'il est nécessaire d'adopter un comportement pédagogique à l'égard de la population afin de faire comprendre les bienfaits des idées monarchiques. Plusieurs années après, en 1924, il publie son Histoire de France qui a précisément cette vocation : réhabiliter l'histoire et le travail des rois de France alors qu'ils étaient dénigrés par l'histoire républicaine et progressiste. Bainville est un vulgarisateur, dans le bon sens du terme. On le sait, il fait partie des historiens dits engagés. Il est considéré comme tel dans les études historiographiques. Or cet engagement en faveur des idées monarchiques défendues par l'AF ne souffre aucune contestation. Il faut aussi lire son carnet intime de 1929 que j'ai publié aux éditions Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il parle de l'AF de la façon suivante en 1929 : « La faiblesse de l'AF n'est pas, comme le croyait Barrès, de ne s'adresser qu'à la raison et de ne pas tenir compte des puissances des sentiments. C'est de ne s'adresser qu'aux sentiments nobles, désintéressés, à l'amour du bien public, à la vertu. » Mais au-delà de ces sentiments, Bainville a complètement intégré dans son analyse politique le modèle maurrassien de l'empirisme organisateur.

Jacques Bainville accordait-il une importance particulière à son travail pour L'Action Française, ou bien collaborait-il avec elle au même titre qu'avec d'autres journaux ?

Selon les archives des Renseignements généraux, la fameuse sous-série F7, Bainville fait partie des structures de l'AF dans les années d'avant-guerre. Avec le temps, son engagement militant sera moindre. Mais Jacques Bainville a été toute sa vie rédacteur de L'Action Française. Il avait à l'AF son bureau et ses amitiés, qu'il n'a jamais trahies. Il disait de Maurras qu'il lui devait tout, sauf la vie. L'idée que Bainville aurait pris ses distances avec l'AF vient du fait qu'après-guerre, ses succès d'écrivain lui ont permis de s'émanciper et de s'engager pour plusieurs journaux en dehors du cercle monarchiste : La Liberté, Le Petit Parisien, etc. Mais cette émancipation et cet engagement professionnel ne doivent pas occulter la persistance de son antiparlementarisme et de son antilibéralisme. Ceux qui veulent sortir Bainville de l'AF raisonnent par anachronisme en estimant que le modèle de la Ve République aurait convenu à Bainville. En effet, l'intégration de la politique étrangère comme un domaine réservé du président de la République, sous la Ve République, aurait pu remporter son adhésion. D'ailleurs, du point de vue des idées, il me semble évident que ce domaine régalien a été intégré à la constitution de la Ve République sous l'effet de la pensée politique de Charles Maurras. Le colloque organisé par le professeur Georges-Henri Soutou et Martin Motte sur l'influence de Maurras sur la politique étrangère de la France l'a très bien montré (Georges-Henri Soutou et Martin Motte, Entre la vieille France et la seule France, Economica-ISC, collection Bibliothèque stratégique, 2010). Il ne faut donc pas faire de contresens : c'est bien Maurras et Bainville qui ont inspiré la politique étrangère de le la France et le fameux domaine réservé. Non l'inverse.

Sa distance vis-à-vis des antidreyfusards et sa défiance à l'égard de l'antisémitisme ne plaçaient-elles pas Jacques Bainville en marge des nationalistes qu'il côtoyait ?

Votre question montre toute la complexité de l'époque de l'affaire Dreyfus mais aussi de l'Action française en général. Lionel Jospin s'était pris une volée de bois vert de la part des historiens en plaçant la gauche du côté des dreyfusards, la droite du côté des antidreyfusards... La grille de lecture est bien plus nuancée. Bainville est dreyfusard sur le plan judiciaire, antidreyfusard sur le plan politique car il est estime que les conséquences de l'affaire seront catastrophiques pour la France. Quand l'affaire atteint son paroxysme, il observe tout cela d'Allemagne. Et il s'inquiète de la division française face à l'empire wilhelmien en devenir... Cette idée va jouer sur son engagement monarchiste. Ceci dit, il faut rappeler qu'il n'avait aucun engagement politique ni littéraire à cette époque. Rappelons aussi que quand Dreyfus est condamné en 1894, il a à peine quinze ans !

Jacques Bainville se définissait-il lui-même comme nationaliste ?

Oui, c'est évident. Toute son œuvre sur l'Allemagne et la France en est la preuve évidente. Les intellectuels du IIIe Reich justifient le nationalisme allemand contre la France en partant de l'œuvre de Bainville. Pour eux, il s'agit de répondre à la conception westphalienne de l'Allemagne prônée par Bainville dans la tradition politique de Richelieu.

Alors qu'il était réputé pour sa modération, comment s'entendait-il avec Léon Daudet, qui disait vomir les tièdes ?

C'était tout simplement son meilleur ami. Jacques Bainville est celui qui va reconnaître le corps de Philippe Daudet à la morgue en 1923... C'est vous dire les liens qui unissaient les deux familles. Une autre anecdote : Hervé, le fils de Jacques, n'a entendu son père se mettre en colère qu'à une seule reprise : alors que Léon Daudet était en exil en Belgique, les Bainville déjeunaient chez eux ; or un journaliste a eu le malheur de sonner à la porte et de les déranger ; Bainville est entré dans une colère noire, chassant manu militari l'impétrant. Bainville était un faux calme et il ne supportait pas une telle intrusion dans l'intimité familiale et amicale. Dernière anecdote : après son élection à l'Académie française, Bainville rend hommage aux Daudet, Pampille (Marthe Daudet) et Léon : « Je crois que si nous avons montré quelque chose, c'est que l'amitié n'est pas une chimère. [...] Il y a vingt-huit ans, depuis la fondation du journal, que nous sommes assis, Léon Daudet et moi, à la même table de travail. [...] Je crois que si on voulait la scier, elle résisterait comme du granit, bien qu'elle ne soit que de bois blanc. »

Soucieux de la place de la France au sein du concert des nations, se distinguait-il en cela d'un Maurras prônant la politique de « la seule France » ?

C'est une excellente question à laquelle j'ai répondu à l'occasion du colloque que j'évoquais précédemment. Sur les principes, Bainville était maurassien. Plus maurassien d'ailleurs que Charles Maurras lui-même. Encore une fois, l'empirisme organisateur constitue la base de l'analyse politique bainvillienne empruntée à Maurras. C'est une des conclusions de ma thèse de doctorat. Néanmoins, dans les faits politiques, Bainville fait évoluer Maurras, notamment sur l'entente cordiale. Je me permets de renvoyer vos lecteurs à ma contribution à ce colloque.

Constatant qu'à la différence de Maurras, Bainville ne s'était pas enthousiasmé devant Athènes, vous avez parlé d'une « nuance importante » dans un précédent entretien ; que vouliez-vous dire ?

Bainville voyage en Grèce comme tout intellectuel de la IIIe République se devait de le faire. Il tire de ce voyage le livre Les Sept Portes de Thèbes. Mais le biographe de Bainville, Dominique Decherf, montre bien que ce voyage ne lui a tout simplement pas plu. Il a beaucoup de mal à s'extasier devant des ruines et des pierres qui, tout simplement, ne l'inspirent gère... C'est ici que l'on voit que Bainville est plus "romain" que "grec".

Les opinions libérales de Jacques Bainville étaient-elles contestées au sein de l'AF ? Il n'y a « rien de plus terrible que la liberté donnée à l'État d'imprimer du papier-monnaie », écrivait-il, par exemple, dans L'Action Française du 2 novembre 1925 ; aujourd'hui, de tels propos ne feraient-ils pas bondir les souverainistes ?

Bainville pensait au système de l'Écossais John Law sous la régence de Philippe d'Orléans ou encore aux assignats de la Révolution française : il critiquait l'artificialité du papier-monnaie. Je ne sais pas s'il a rencontré des objections au sein de l'AF sur son libéralisme économique. Cela devait être sûrement le cas. Néanmoins, sa réputation en matière d'investissements n'était plus à faire. Il donnait des conseils boursiers dans la Revue universelle et rendait accessibles les difficultés de l'économie dans le journal populaire Le Petit Parisien. Cela pouvait le distinguer au sein de l'Action française, dont les composantes sont bien plus complexes que l'historiographie le laisse souvent entendre.

Des essayistes présentant l'histoire comme le fruit d'une volonté, d'une planification, voire d'une conspiration, sont parfois considérés comme les héritiers de Jacques Bainville ; n'est-ce pas se méprendre quant à la nature de sa pensée ?

À la différence de Maurras, Bainville n'a jamais parlé de la franc-maçonnerie et encore moins de complot juif. Il ne se reconnaissait pas dans la théorie maurrassienne des États confédérés. En revanche, il a critiqué le projet idéologique wilsonien après la Grande Guerre, projet d'inspiration protestante d'ailleurs rejeté par la représentation du peuple américain... Bainville n'a jamais fait du conspirationisme un fonds de commerce et je n'ai jamais trouvé trace chez lui de l'existence d'une telle planification. D'un point de vue plus général, il estimait que la nature était plastique. Que l'histoire était faite de renaissances et de décadences, et que l'homme pouvait agir sur son milieu. D'où le fameux mot de Maurras : « Tout désespoir en politique est une sottise absolue. » Bainville écrivait lui, toujours en 1929 : « Le nationalisme interdit d'aller jusqu'au bout de la théorie de la catastrophe. » Néanmoins, il confesse par ailleurs son pessimisme, voire une forme de nihilisme mais dont il n'a jamais fait profession publiquement. Une attitude qui est la conséquence d'une lucidité sur cette Europe qui, pour la deuxième fois en moins de vingt-cinq ans, allait sombrer dans le chaos.

Quelle trace l'œuvre de Jacques Blainville a-t-elle laissé dans l'histoire ?

Je dirai un quadruple héritage : une conception géopolitique de la France et de son rôle dans le concert des nations ; l'image aussi d'un Cassandre alors que le conflit franco-allemand avait atteint son paroxysme dans l'histoire européenne ; un style absolument remarquable mais aussi des articles aux accents profondément contemporains : il faut, par exemple, relire L'Avenir de la civilisation écrit au lendemain de la Grande Guerre. Ce texte garde toute son actualité et n'a pas pris une ride.

À lireLa Monarchie des Lettres,  anthologie des grands textes de Jacques Bainville (Histoire de trois générations, Histoire de deux peuples, Les Conséquences politiques de la paix, des récits de voyages, un choix de correspondances, mais aussi une centaine d'articles de presse tirés de la Revue universelle, La Liberté, L'Action Française, Candide, Le Capital), introductions et notes de Christophe Dickès, éditions Robert Laffont, collection Bouquins, 2011, 1 152 pages, 30,50 euros.

NB – Le 19 mars 2016, au micro de Radio Courtoisie, Michel Rouche, professeur émérite à la Sorbonne, a fait l'éloge de Jacques Bainville et de son Histoire de France. Il participait au Libre Journal des lycéens animé par Antoine Assaf. Cependant, il a évoqué ce « point fondamental » à ses yeux : « beaucoup de gens sont persuadés de cette fausse vérité, à savoir qu'ils considèrent Jacques Bainville comme un historien d'Action française », a-t-il déclaré ; or, a-t-il poursuivi, « lui-même a toujours protesté en disant qu'il n'était pas membre de l'Action française » ; et  d'affirmer que « les manifestations qui ont éclaté à la mort de Jacques Bainville organisées par l'Action française étaient une tentative d'annexion de la pensée de Jacques Bainville » ! Il est vrai que celui-ci a rayonné bien au-delà de l'AF, mais de là à l'en détacher ainsi, il y un pas que nous nous serons bien évidemment les derniers à franchir ! L'intervention d'Alain Lanavère s'est avérée plus consensuelle : « Bainville avait l'immense mérite de n'être pas universitaire », a-t-il expliqué  « donc il n'écrit pas l'histoire avec le jargon des universitaires » ; « il était un homme tout à fait de son temps, et sa langue est admirable de clarté ».

Un Front en mutation

4 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Le Front national deviendrait-il féministe ? En tout cas, s'il demeure eurosceptique, c'est à sa façon, et non à celle des Britanniques.

L'histoire a-t-elle un « sens » ? Assurément, selon Marine Le Pen. À ses yeux, le succès que vient de rencontrer l'homologue autrichien du Front national en témoigne : « une très forte poussée » des mouvements populistes serait à l'œuvre « dans énormément de pays d'Europe », s'est elle félicitée sur France 2. « L'hostilité à l'immigration explique en grande partie le score du candidat FPÖ à l'élection présidentielle », analyse Daniel Vernet sur Telos. Mais qu'en est-il de la France ? Celle-ci « est en train de prendre vraiment conscience qu'elle est une nation multiculturelle », soutient Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, dans un entretien au Monde. « C'est une véritable chance pour le pays », affirme-t-elle. L'islam n'en inspire pas moins la défiance populaire, à tel point que sa hantise contribue à refaçonner le paysage politique.

Cet islam qui change tout

« En Europe occidentale », en effet, « les populismes d'extrême droite ont réussi à détourner le logiciel idéologique de la gauche sur les questions sociétales », comme l'expliquait Jean-Yves Camus, dans L'Humanité, en janvier 2012. Ainsi soulignait-il qu'aux Pays-Bas, « le génie de Pim Fortuyn fut de construire une formation postmoderne qui déconstruisait le multiculturalisme au nom des atteintes que l'islam porterait [...] aux libertés individuelles : liberté de conscience, laïcité, égalité des sexes, droits des homosexuels, droit à l'irréligion, enfin droit à la sécurité face au terrorisme et à la violence dirigée contre certaines minorités, en particulier les juifs ». Sans doute faut-il analyser à cette aune la passion de Florian Philippot pour la culture des bonsaï. Tout comme ces propos prêtés à Louis Aliot, rapportés par Marie-Pierre Bourgeois dans un entretien à Têtu : « Les homos se sont rendus compte qu'il y avait moins de péril à vivre avec Marine Le Pen qu'avec les musulmans. » Le 1er mai, à l'occasion du "banquet populaire et patriote" organisé par son parti, Sophie Montel, conseiller régional de Bourgogne-Franche-Comté, est montée à la tribune : « c'est le Front national qui défend la femme et ses droits en France », a-t-elle martelé. Y compris la contraception et l'avortement, a-t-elle précisé, après s'être placée sous le patronage de Jeanne d'Arc – une femme « libre et patriote » qui « chevauchait et se coupait les cheveux à la garçonne ». « Elle aussi est libre de disposer de son corps », avaient déclaré des militantes des Femen, il y a deux ans, à l'occasion d'un hommage qu'elles lui avaient rendu à Poitiers. Alors qu'elle vient de déserter le pavé parisien sous leurs applaudissements, peut-être Marine Le Pen participera-t-elle à leur prochain "happening" ?

Le FN mal vu outre-Manche

En attendant, et plus sérieusement, c'est dans les pas des eurosceptiques britanniques que la présidente du Front national entend s'inscrire. Non sans rencontrer quelque difficulté. Selon le souhait de Gisela Stuart, chef de file des partisans du Brexit, l'accès au territoire britannique devrait même lui être refusé. Cela en raison de « ses opinions extrémistes », comme expliqué dans un courrier adressé au ministre de l'Intérieur, Theresa May, cité par l'AFP. Perfide Albion ! Marine Le Pen prévoyait effectivement de se rendre outre-Manche ce mois-ci. Sa visite « permettrait aux Britanniques qui souhaitent sortir de l'Union européenne de savoir qu'il y a des responsables européens de premier plan qui les soutiennent », a souligné Florian Philippot, cité par Euractiv.

Deux visions opposées

Bien des Britanniques apprécieraient sans doute de l'entendre vilipender la bureaucratie européenne. Mais pour le reste, quoique volontiers eurosceptiques, se reconnaîtraient-ils dans son discours ? « Après le Brexit, le Royaume-Uni ne serait plus lié par le tarif extérieur commun de l'UE sur les importations », expliquent des contributeurs de Telos. Or, précisent-ils, « les partisans d'une sortie de l'UE soutiennent que le Royaume-Uni pourrait bénéficier de ce changement en retirant unilatéralement tous les droits de douane sur les importations ». Autrement dit, si Londres quittait le navire européen, ce serait pour voguer vers des horizons aux antipodes du « protectionnisme intelligent » cher au Front national...

Rama Yade entre souverainisme et libéralisme

24 avril 2016

Avec aussi une petite touche de royalisme...

« Le créneau "ni droite, ni gauche", un temps occupé par le FN [...] paraît faire des émules », et cela « tous azimuts », écrivait Aristide Leucate, dans le dernier numéro de L'Action Française 2000 (21 avril 2016). Voilà que Rama Yade semble confirmer son observation : alors qu'elle vient de se déclarer candidate à l'élection présidentielle, elle se dit « libre d'être de droite, libre d'être de gauche », revendiquant le soutien d'une « coopérative politique » constituée d'une mosaïque de petits partis aux inspirations idéologiques diverses (Alliance écologiste et indépendante, Parti libéral démocrate, Démocratie 21, Rassemblement écocitoyen, Cercle de la Diversité).

Apologie de la tradition

Malicieusement, notre confrère se demandait si les adeptes d'un tel positionnement n'étaient pas des « royalistes latents ». Rama Yade a beau se prétendre« aux antipodes » d'Emmanuel Macron (« je ne représente ni la bourgeoisie d'État, ni les puissances d'argent », clame-t-elle de façon aussi cinglante que mesquine), la question mérite d'être posée à son propos également, comme en témoigne le ton sur lequel elle avait commenté le mariage du prince William et de Kate Middleton : « la tradition, c'est quand même bien, quand elle unit deux jeunes gens et un peuple tout entier », expliquait-elle en avril 2011 ; à ses yeux, « le moment le plus intense (furtif) fut la révérence de Kate, devant la reine Elizabeth qui semblait en avoir vu tellement » ; en effet, remarquait-elle, « il y avait là une transmission, un respect, une soumission devant la tradition, un genre »

Romantisme néo-gaullien

Cela étant, c'est au "peuple", et non au roi, que Rama Yade entend rendre le pouvoir. Son discours ravira les souverainistes, à certains égards du moins. Regrettant naïvement que l'Union européenne ne dispose pas d'un véritable président, elle rappelle, cependant, qu'elle avait voté "non" au référendum de 2005 ; or, dénonce-t-elle, « on n'a pas respecté mon vote », puisque le traité établissant une constitution pour l'Europe est « revenu en 2008 par la fenêtre ». Reprochant à Paris de « se soumettre en permanence à la bureaucratie » de Bruxelles, elle prône « la politique de la chaise vide », donnant en exemple la perfide Albion de David Cameron, mais aussi la Grèce d'Aléxis Tsípras – lequel aurait « su insuffler de la démocratie en Europe ». À l'avenir, réclame-t-elle, chaque élargissement devrait faire l'objet d'un référendum. De son point de vue, « plutôt que de nous soumettre à la mondialisation [...] consumériste », il faudrait que « la France redevienne une puissance médiatrice ». « Extirpée de la famille américaine », celle-ci « parviendrait, avec les symboles, à compenser ce qu'elle a perdu en termes économiques », promet Rama Yade, pour qui « la France n'est pas la France sans la grandeur ».

« Aux Français de dire et faire ! »

Ce romantisme néo-gaullien, mâtine d'accents populistes, se trouve mêlé, chez Rama Yade, à des revendications typiquement libérales. « Aux Français de dire et faire ! », clame-t-elle dans son manifeste. Or, précise-t-elle, « rendre le pouvoir aux Français », c'est, certes, en appeler au référendum, mais aussi « les laisser faire et créer du lien entre eux ». Autrement dit, il s'agirait de « passer de l'État-providence, omnipotent et impuissant, à une société-providence, plus innovante ». Dans cette perspective, « plutôt qu'une économie où les grands groupes, en connivence avec la haute administration, finissent par se couper du tissu économique et social de notre pays », Rama Yade entend promouvoir « une économie du partage qui introduise une concurrence plus juste, libère nos entreprises de l'emprise notamment fiscale de l'État et permette l'innovation ». Aux échecs de Pôle Emploi et de l'Éducation nationale, elle oppose la réussite de quelques initiatives privées citées en exemple.

Candidature sans promesse

« Notre pays compte dans ses rangs des Français extrêmement capables et désireux d'agir », se félicite Rama Yade. Des paroles en l'air ? Peut-être bien. « Parce que la valeur promesse a été disqualifiée, je n'en ferai pas », annonce-t-elle avec une certaine légèreté.  Son inclination à dramatiser les enjeux ne sert pas sa crédibilité : « parce que les Français ont perdu toute confiance, l'élection française de 2017 ne ressemblera à aucune autre », croit elle-deviner. « À situation hors normes, il faut un projet de radicalité », poursuit-elle. Reste à en dessiner les lignes...

En attendant, c'est avec bienveillance, quoique sans illusion, que nous accueillerons tous les discours appelant les Français à reprendre leur destin en main : do it yourself – tel serait notre programme pour 2017 !

L'Europe politique au défi de la démocratie

20 avril 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Référendum aux Pays-Bas sur l'accord d'association avec l'Ukraine : quand les diplomates doivent compter avec les aléas de la démocratie, c'est le rêve d'une Europe politique qui se dissipe.

Régulièrement, l'Union européenne se heurte à l'écueil de la démocratie. Outre la réforme des ses institutions, c'est désormais sa politique étrangère qui doit compter avec elle. Ainsi l'accord d'association avec l'Ukraine vient-il d'être désavoué aux Pays-Bas, à l'occasion d'un référendum consultatif. Le moment venu, à la faveur d'une nouvelle "initiative populaire", peut-être le même sort sera-t-il réservé au Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) ; la collecte des signatures nécessaires a déjà commencé à cet effet.

La voix du Parlement

En France, nul référendum n'est à l'ordre du jour. Cependant, les parlementaires prétendent faire entendre leur voix. Plusieurs dizaines d'entre eux l'ont martelé dans une tribune publiée le 7 avril 2016 dans les colonnes du Monde : « nous demandons solennellement au gouvernement français de refuser de signer tout accord avec les États-Unis si le Parlement est réduit au silence », proclament notamment les socialistes Patricia Adam, Lalande Bernard et Marie Récalde. Dans un rapport publié le mois dernier, leur collègue Jean Bizet tentait d'évaluer « comment le Sénat influe sur l'élaboration des textes européens ». Ainsi les positions de la chambre haute auraient-elles été « largement reprises par le gouvernement dans le dossier sensible et complexe des projets d'accords commerciaux entre l'Union européenne, le Canada et les États-Unis », par exemple. D'une façon générale, les informations transmises par le Secrétariat général des affaires européennes seraient « très complètes et de grande qualité, mais [...] communiquées trop tardivement ». Quant aux réponses apportées par la Commission européenne, « si elles restent encore d'inégale qualité », elles « gagnent en intérêt et ont tendance [...] à être transmises plus rapidement que par le passé, ce qui permet de nourrir un dialogue extrêmement utile ». Cela étant, Bruxelles ferait la sourde oreille dès lors qu'il est question de subsidiarité : interpellée sur ce point, la Commission « campe sur ses positions [...] et ne répond pas vraiment aux objections du Sénat ».

Ce dialogue mené tantôt avec Matignon, tantôt avec Bruxelles, illustre les deux aspects du "déficit démocratique" qu'aurait creusé la construction européenne. Dans une optique souverainiste, il traduit l'accroissement des pouvoirs de l'Union européenne aux dépens des institutions nationales. Mais suivant une autre acception, il rend compte de l'éviction du Parlement au profit du gouvernement. Or, comme le rappelle Jean Bizet, « dans notre système [...], le pouvoir exécutif n'est pas juridiquement tenu de se conformer aux résolutions votées par les assemblées parlementaires » ; « il n'existe pas, comme dans certains États membres, la Finlande et le Danemark par exemple, de mandat de négociation auquel le gouvernement doit obligatoirement se tenir ».

Cependant, peut-être les gouvernements européens sont-ils en passe de perdre l'autonomie qu'ils semblaient avoir ainsi acquise. Le référendum néerlandais en témoigne : si l'accord d'association avec l'Ukraine n'avait pas été négocié au nom de l'UE, peut-être aurait-il été ratifié dans l'indifférence générale. Dans cette perspective, la médiation européenne ne constituerait plus un blanc-seing mais, au contraire, une étiquette infamante susceptible d'inspirer la défiance populaire.

Retour au seul commerce

Quoi qu'il en soit, alors qu'elles étaient déjà en vigueur à titre provisoire, la plupart des dispositions de l'accord signé avec l'Ukraine le resteront vraisemblablement définitivement. Les traités européens le permettent, dès lors qu'elles relèvent des compétences exclusives de l'Union. Qu'en est-il, d'ailleurs, du traité négocié avec Singapour ? La Cour de justice de l'Union européenne tranchera prochainement...

Si la démocratie directe devait durablement s'immiscer dans les relations internationales, l'Union européenne devrait sans doute se cantonner à négocier des accords strictement commerciaux, relevant donc de sa compétence exclusive, afin d'en garantir une ratification sans encombre. Jean Quatremer ne s'y est pas trompé : « le "non" néerlandais est un coup dur pour la politique étrangère des Vingt-Huit », déplore-t-il sur son blog. « L'idée était d'inclure le commerce dans une démarche politique afin d'en faire un instrument diplomatique », explique un diplomate européen, cité par notre confrère ; de son point de vue, « ne plus faire que du commercial pour éviter un référendum serait une sacrée régression ». C'est le rêve d'une Europe politique qui se dissipe encore une fois.

2017 : le FN n'y croit pas

8 mars 2016

La preuve par l'euro.

On croyait que le FN mettrait de l'eau dans son vin. Mais non. « Tout le monde au Front national est pour la fin de l'euro et la souveraineté monétaire », continue de marteler Florian Philippot, son vice-président. « Si nous arrivons au pouvoir », a-t-il prévenu dimanche dernier, 6 mars 2016, « il est certain qu'au bout de six mois maximum la France aura une monnaie nationale ».

Que les antifascistes se rassurent : ce faisant, Florian Philippot exclut manifestement toute perspective d'accession au pouvoir à court terme. Dans le cas contraire, c'est bien évident, il se garderait de susciter aussi délibérément la fuite des capitaux qui s'accentuerait au fur et à mesure que Marine Le Pen serait donnée gagnante dans les sondages.

Par souci de l'intérêt national, puisque c'est un patriote, comme chacun sait. Mais aussi par nécessaire calcul. S'il était coupable d'appauvrir la France avant même de prendre les rennes de l'État, le FN en compromettrait précisément la conquête.

Pour ne rien arranger, Florian Philippot promet un référendum sur l'euro ! Les ménages seront-ils privés d'argent liquide le temps que se déroule le nécessaire débat censé éclairer la conscience des citoyens ? La Grèce, voilà le modèle à suivre !

Albator : sur l'Arcadia, c'est l'anarchie plus un !

2 mars 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, les petits garçons vibraient au rythme des aventures télévisées du capitaine Albator... Le moment est venu de leur rafraîchir la mémoire.

Le capitaine Harlock, alias Albator, vient de faire son retour dans les librairies. Dans l'ombre de Goldorak, ce personnage a bercé toute une génération de petits Français. Apparu dans un manga en 1969, puis à la télévision en 1978, il a présenté plusieurs visages au fil de ses aventures, jusqu'à la caricature : porté au cinéma en 2013, il y est apparu sous les traits d'un psychopathe, tentant de racheter ses fautes à la faveur d'un génocide galactique prétendument rédempteur...

Retour aux sources

C'est à un retour aux sources que nous sommes conviés aujourd'hui, alors que vient de paraître la traduction française du premier tome d'un nouveau manga, Capitaine Albator – Dimension Voyage. Il s'agit d'un remake fidèle de l'histoire originelle, faisant, en quelque sorte, la synthèse d'une œuvre éparse à la cohérence toute relative. Ainsi le personnage de Kirita (Vilak) est-il repris du dessin animé de 1978, mais sous les traits d'un autre, apparu dans les années 2000. Officiant toujours au scénario, Leiji Matsumoto, soixante-dix-huit ans, a cédé son crayon à Kouiti Shimaboshi. Le dessin s'avère modernisé, mais les nostalgiques ne devraient pas en être dépaysés.

Signe des temps : la reine Sylvidra arbore désormais un décolleté. Albator s'en trouvera-t-il émoustillé, comme des quadragénaires le furent jadis à la vue des Sylvidres dénudées ? Rien n'est moins sûr. Alors qu'il voue une amitié indéfectible à Tochiro, on ne lui connaît qu'une seule et unique aventure, à l'issue tragique. En tout cas, les féministes ne l'apprécient guère. Relisant le manga fondateur, Charles-Édouard Mandefield s'était désolé d'un « machisme décalé ». Un passage a plus particulièrement retenu son attention, explique-t-il sur Otakia (en ligne) : celui où Kei Yuki (Nausicaa) « met sa vie en péril pour ménager la susceptibilité de Tadashi » (Ramis) « et lui faire croire qu'il l'a sauvée ». « Dans cette histoire », conclut notre confrère, « le message en filigrane est donc que les femmes [...] doivent masquer leur vraie valeur pour ne pas offusquer la gente masculine ». C'est oublier que ces récits sont destinés surtout à des garçons... Peut-être certains en auront-ils tiré quelque leçon d'humilité !

Reste à savoir ce qu'il adviendra de cet épisode dans la suite du remake. Dans ce premier tome, alors que les Sylvidres se préparent à envahir la Terre, « la civilisation matérialiste a conduit le peuple à la dépravation », comme le remarque l'une d'entre elles. Conscient de la menace, le professeur Daiba alerte le ministre censé présider aux destinées de l'humanité. Hélas, déplore-t-il, « cette tète de mule ne pense qu'a jouer au golf » ! Son fils, Tadashi, en est révolté : « ce n'est qu'un inconscient qui se complaît dans l'indolence », observe-t-il. « Depuis quand les hommes ne son-ils plus qu'une bande de dégonflés ? », se demande-t-il encore. À la mort de son père, il décide de rejoindre l'Arcadia commandé par Albator. Un vaisseau « avec à son bord de vrais hommes » !

Romantisme viril

Considérant ses semblables avec dédain, Albator n'en engage pas moins un combat désespéré pour sauver la Terre. Sans doute ce "romantisme viril" explique-t-il la sympathie que lui accordent les militants italiens de Casapound. Les identitaires français ne sont pas en reste : « ce personnage luttant pour une humanité dans laquelle il peine pourtant à se reconnaître, marqué par ses combats dans son cœur comme sur son visage, et hissant le pavillon noir à tête de mort sur son vaisseau, avait tout pour séduire les pirates identitaires », explique Philippe Vardon-Raybaud. Dans son livre, Éléments pour une contre-culture identitaire, tout comme dans celui d'Adriano Scianca, Casapound – Une terrible beauté est née !, Albator côtoie Ernst Jünger, dont il incarne précisément la figure du rebelle : « celui qui, isolé et privé de sa patrie par la marche de l'univers, se voit enfin livré au néant » ; « résolu à la résistance », il « forme le dessein d'engager la lutte, fût-elle sans espoir » ; « est rebelle, par conséquent », aux yeux de l'écrivain allemand, « quiconque est mis par la loi de sa nature en rapport avec la liberté, relation qui l'entraîne dans le temps à une révolte contre l'automatisme et à un refus d'en admettre la conséquence éthique, le fatalisme ».

Cependant, errant dans l'espace (et non dans les forêts), notre rebelle ne serait-il pas un apatride ? « Sous la bannière de la liberté, il parcourt les mers sans fin de l'univers en ne comptant que sur lui-même », s'enthousiasme un jeune homme déshérité, croisé dans les pages du manga. Alors qu'il s'apprête à s'envoler, Tadashi détruit un drapeau aux couleurs de la confédération terrestre. « Mon étendard à moi est orné d'une tête de mort », se justifie-t-il. Cela étant, toute notion d'héritage ne lui est pas étrangère, bien au contraire, car il poursuit, à sa façon, l'œuvre de son père. Albator, quant à lui, cultive la fidélité dans la tradition de sa lignée...

Nationalisme japonais

Au sein de l'équipage, il règne un sympathique désordre, dont s'émeut Tadashi : « ce vaisseau est un vrai cirque », se lamente-t-il, outré, alors qu'il en fait la visite. Mais quand vient l'heure du combat, sous les ordres du capitaine, chacun répond toujours à l'appel... Autrement dit, à bord de l'Arcadia, c'est l'anarchie plus un ! Ce vaisseau présente l'allure générale d'un cuirassé, sur lequel auraient été greffées les ailes d'un avion, mais aussi la poupe d'un vieux galion. La grande classe ! Dans une œuvre connexe, Leiji Matsumoto avait même exhumé le croiseur Yamato, puisant ainsi « dans les racines du nationalisme japonais », comme l'expliquait Didier Giorgini dans la revue Conflits (n° 3, automne 2014)... Preuve que la politique n'est jamais très loin !

Leiji Matsumoto (scénario) et Kouiti Shimaboshi (dessins), Capitaine Albator – Dimension Voyage, tome I, Kana, février 2016, 5,95 euros.

Londres attend la réponse de Bruxelles

18 février 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

La perspective d'un Brexit impose la reprogrammation du logiciel souverainiste.

La singularité du Royaume-Uni figure à l'ordre du jour de la réunion du Conseil européen des 18 et 19 février prochains (2016). Dans la perspective du référendum qui se tiendra vraisemblablement fin juin, le Premier ministre David Cameron doit négocier un arrangement censé justifier, auprès de l'opinion publique britannique, le maintien de son pays dans l'Union européenne. Ce faisant, Londres cherche-t-il à réaffirmer son indépendance vis-à-vis de Bruxelles ? En partie seulement, si l'on en juge par ses demandes formulées officiellement en novembre dernier.

Protéger les intérêts de la City

Symboliquement, le gouvernement britannique voudrait en finir avec cette « union toujours plus étroite » promise par les traités européens. Parallèlement, il souhaiterait conférer de nouvelles responsabilités aux parlements nationaux, et surtout revoir les conditions suivant lesquelles les ressortissants d'un État membre peuvent librement circuler d'un pays à l'autre ; il s'agirait, en quelque sorte, de répondre à la hantise du "tourisme social". Londres réclame, par ailleurs, un approfondissement du marché unique, la conclusion de nouveaux accords commerciaux avec les États-Unis, la Chine ou le Japon, mais aussi la garantie que la zone euro ne poursuivra pas son intégration à ses dépens. C'est l'influence de la City qui est en jeu. Dernièrement, la Banque centrale européenne s'y était attaquée de front, tentant d'imposer un ancrage territorial dans la zone euro aux chambres de compensation les plus importantes. Dans cette affaire, la Cour de Justice de l'Union européenne avait finalement arbitré en faveur des intérêts britanniques, mais peut-être n'en sera-t-il pas toujours ainsi.

La zone euro, là où le bât blesse

Or, c'est précisément l'un des points sur lesquels la négociation pourrait achopper. « Nous sommes attachés [...] à ce que les pays qui ne sont pas membres de la zone euro [...] soient respectés » et « informés de tout ce qui se décide », a déclaré le président de la République, Français Hollande ; « mais il ne peut pas y avoir de veto des pays hors zone euro sur ce que nous avons à faire dans la zone euro », a-t-il prévenu. Des engagements de principe seront sans aucun doute souscrits pour rassurer les Britanniques. Il faudra bien les accompagner de quelques déclinaisons pratiques. Un exemple est donné par notre confrère Jorge Valero : comme il l'explique sur Euractiv, une possibilité serait « de programmer la réunion des ministres des Finances de la zone euro (Eurogroupe) après que tous les ministres européens des Finances se [seront] rencontrés (Ecofin), plutôt que le contraire, comme c'est le cas actuellement ».

En tout cas, les exigences de la perfide Albion ne manqueront pas de légitimer l'espoir, exprimé entre autres par l'ancien Premier ministre Michel Rocard, d'une relance de la construction européenne à la faveur d'un "Brexit". Incidemment, les souverainistes semblent condamnés à reprogrammer leur logiciel : l'Europe « à géométrie variable », dont ils étaient traditionnellement les chantres, ne se retrouve-t-elle pas instrumentalisée par leurs meilleurs ennemis ? « Une Europe plus intégrée sera une Europe des différences », a ainsi expliqué à l'AFP Sandro Gozi, secrétaire d'État italien aux Affaires européennes, cité par Euractiv. Un détricotage prochain de l'Union européenne n'en reste pas moins envisagé. Peut-être David Cameron a-t-il effectivement ouvert la boîte de Pandore. Sans surprise, Marine Le Pen prétend inscrire ses pas dans ceux du Premier ministre britannique. Sans doute s'accorderait-elle avec Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur du Sénat, selon laquelle l'Europe serait « à un tournant de son histoire ». 

Résilience de l'UE

Laurent Warlouzet, maître de conférences en histoire à l'université d'Artois, juge déplacée cette dramatisation des enjeux. « En fait, cette perspective cataclysmique sous-estime la résilience institutionnelle de l'Union européenne », explique-t-il dans un entretien à La Tribune. « Avant l'UE », rappelle-t-il, « la CEE a déjà survécu à de nombreuses crises qui remettaient en cause son existence, de la crise de la Chaise vide en 1965 à la crise budgétaire britannique [...], sans parler des événements plus récents, du "non" français de 2005 à la crise de l'euro ». Quant au « risque de désagrégation du camp occidental » (à moins qu'il s'agisse d'une opportunité, selon les points de vue), il ne serait « pas plus présent ». « L'Otan a toujours eu un périmètre différent de l'ensemble CEE-UE », poursuit-il. De toute façon, « les divisions majeures au moment de la guerre en Irak en 2003 ont montré que les divergences stratégiques n'ont jamais empêché la poursuite de la coopération en matière de gouvernance économique et sociale, qui reste encore aujourd'hui le domaine de compétence majeure de l'Union européenne ». Autrement dit, l'Europe n'a pas dit son dernier mot.

Mayotte dans l'impasse

18 février 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

La Cour des comptes se penche sur l'île aux Parfums. Pointant les ratés de la départementalisation, elle souligne l'ampleur des défis à relever, à commencer par celui de l'immigration.

Mayotte est devenue officiellement le cent unième département français voilà bientôt cinq ans, le 31 mars 2011. Cela en application d'une réforme « mal préparée », selon l'analyse de la Cour des comptes présentée le mois dernier. En tout cas, au sein même de l'outre-mer français, l'île aux Parfums cultive une triste singularité. « Malgré d'incontestables améliorations dans le domaine socio-économique », soulignent les magistrats de la rue Cambon, « le chômage demeure le plus élevé des DOM (36,6 %) et le PIB par habitant, bien qu'ayant augmenté de 65 % entre 2005 et 2011, ne s'élève qu'à 7 900 euros, contre 31 500 euros au niveau national et 18 900 euros à La Réunion ».

Manque d'infrastructures

Or, les opportunités de développement économique seraient « encore hypothétiques ». Certes, l'inauguration d'un nouveau terminal aéroportuaire pourrait ouvrir des perspectives en matière touristique, mais « à la condition, non remplie à ce jour, que se développent des infrastructures hôtelières adaptées ». Malheureusement, « pour le département comme pour les communes, les dépenses d'investissement servent [...] de variable d'ajustement, alors même que les besoins en équipements demeurent très importants ». L'accès à l'eau, par exemple, s'avère insuffisant. Quant aux écoles, elles accueillent des élèves rencontrant davantage de difficultés que leurs camarades de métropole : « 67 % des élèves de CE1 et 75 % des élèves de CM2 possèdent des acquis "insuffisants ou fragiles" en français (contre 21 et 26 % respectivement en métropole) ».

Des milliers de clandestins

Relativement pauvre, la population mahoraise n'en demeure pas moins en forte croissance. Évaluée à quelque deux cent vingt mille habitants au 1er janvier 2014, elle a triplé depuis 1985. La moitié des habitants ont moins de dix-sept ans et demi. Mais « la population d'origine mahoraise » y serait « aujourd'hui minoritaire », comme le martèle l'ancien député Mansour Kamardine, dans un entretien au Figaro. Selon l'Insee, les étrangers régulièrement installés à Mayotte représenteraient 40 % de la population. Mais qu'en es-il des clandestins ? Ils pourraient être « plusieurs dizaines de milliers », rapporte la Cour des comptes. Près de vingt mille auraient été interpellés et éloignés en 2014. Mais sans doute ne représentent-ils « qu'une partie des flux réels », souligne la Rue Cambon. Dernièrement, davantage de bateaux de passeurs ont été interceptés. De plus, en septembre dernier, un nouveau centre de rétention administrative est entré en service. Toutefois, prévient la Cour des comptes, « le traitement de la question migratoire impose de renforcer la coopération avec l'environnement immédiat de Mayotte, et notamment avec l'Union des Comores ». Depuis 2013, un Haut Conseil paritaire réunit ainsi des représentants français et comoriens. Cela permettrait « un début de coopération sur le contrôle de la circulation maritime dans la zone ». Cependant, Moroni souhaite-t-il vraiment travailler en ce sens ? N'oublions pas que l'Union des Comores conteste toujours la souveraineté française sur Mayotte.

Déséquilibres régionaux

Confrontée à tous ces défis, l'île aux Parfums serait « au bord de la guerre civile », prévient Mansour Kamardine. George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer, ne veut pas y croire ; elle se montre rassurante. En tout cas, quels que soient les efforts consentis pour endiguer les flux migratoires, Mayotte restera confrontée à la pression inhérente aux déséquilibres régionaux. « En effet, l'écart de développement avec le reste de l'archipel rend Mayotte particulièrement attractive », comme le souligne la Rue Cambon. Attractive au sein de l'archipel des Comores, elle le sera plus encore à mesure qu'elle comblera son retard de développement économique au sein de la République française. S'agirait-il de résoudre la quadrature du cercle ?

La nationalité en éternel débat

6 janvier 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Déchoir des Français de naissance de leur nationalité : telle est la mesure la plus controversée du projet de révision de la Constitution présenté par le gouvernement.

Tandis que l'exécutif socialiste est accusé d'empiéter sur les plates-bandes du Front national, l'opposition peine à faire entendre sa voix. Ainsi Nathalie Kosciusko-Morizet s'essaie-t-elle à défendre « la cohésion nationale » : « la France se divise sur la déchéance de nationalité », regrette-t-elle sur son blog. 85 % de nos compatriotes seraient pourtant favorables à la révision de la Constitution proposée par le gouvernement, selon un sondage Opinionway pour Le Figaro... Aussi cette question agite-t-elle surtout le pays légal ! L'enjeu apparaît d'autant plus symbolique que bien des dispositions permettent d'ores et déjà de déchoir un Français de sa nationalité.

Nationalité mal acquise

Hervé Mariton, quant à lui, appelle à débattre non pas de la déchéance, mais des conditions d'attribution de la nationalité. Selon lui, « le principe directeur doit être le droit du sang, naturellement enrichi par la vie » – autrement dit, par « la naturalisation ». « Aussi horribles que soient les actes commis par les enfants de France, je souhaite une nationalité qui soit irréfragable, irréversible », a-t-il expliqué au micro de France Inter. « Je souhaite que cette nationalité ne soit pas supposée mal acquise, qu'elle ne soit pas fragile pour les uns, moins fragile pour d'autres », a-t-il poursuivi.

Implicitement, le député de la Drôme semble récuser toute conception contractualiste de la nation. Une conception que nourrit, à certains égards, le projet de loi présenté par le gouvernement. Cela n'a pas échappé à Manuel Valls : accusé de trahir la gauche, le Premier ministre prétend au contraire la servir en défendant une « conception historique ouverte de la nation française, fondée sur l'adhésion à l'idéal républicain et sur la volonté commune de vivre-ensemble ». À l'inverse, s'exprimant sur Facebook, il a rejeté l'idée de « fonder la nationalité [...] sur ce qui par nature ne peut jamais être révoqué ».

Double allégeance

Ce faisant, peut-être croit-il nous rassurer, entretenant, à son corps défendant,  l'illusion que la France pourrait se débarrasser de ses brebis galeuses ? Un anthropologue s'en inquiète dans les colonnes du Monde : « cette proposition de déchéance de nationalité pose le postulat que l'engagement dans le terrorisme ne concerne que les immigrés de confession musulmane », déplore ainsi Dounia Bouzar. Avec quelque maladresse, il semble vouloir exprimer sa préoccupation quant aux conversions soudaines à un islam d'emblée radical. Un symptôme parmi d'autres du mal qui gangrène la France ?

En tout cas, plus encore que le droit du sol (dont l'application s'avère d'ailleurs relative), c'est la double nationalité qui semble mise en accusation. Parmi ses bénéficiaires, beaucoup ont reçu leur seconde nationalité en héritage, par le sang donc ; de ce point de vue, le droit du sol serait effectivement égratigné. Mais d'autres ont pu l'acquérir... À l'image de Gérard Depardieu, par exemple ! Dans quelle mesure les faveurs que lui accorde Vladmiir Poutine affaiblissent-elles les liens qui l'unissent à la France ? Incidemment, les suspicions associées à la critique d'une "double allégeance" pourraient donc faire l'objet d'une timide traduction juridique.

La hantise des apatrides

Il est vrai que le gouvernement n'envisage de retirer leur nationalité qu'à des Français qui demeureraient alors les ressortissants d'un pays tiers. Il n'est pas question de créer des apatrides, martèle-t-on à l'envi. De toute façon, nous dit-on, les engagements internationaux souscrits par la France le lui interdiraient. C'est précisément ce que conteste François-Xavier Berger, dans un article publié par Mediapart. Quoi qu'il en soit, peut-être cette hantise-là reflète-t-elle une conscience plus ou moins confuse des limites d'un certain idéal individualiste. Sur Contrepoints, Nafy-Nathalie rappelle opportunément ces propos d'Hannah Arendt : « Être déchu de sa citoyenneté, c'est être privé de son appartenance au monde. »