L'Europe retient son souffle...

1 octobre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Le référendum organisé en Irlande le 2 octobre va-t-il enterrer le traité de Lisbonne ? Peu de sondages l'ont annoncé, mais rien n'est joué : à une semaine du scrutin, on comptait encore 20  % d'indécis. Si la Crise explique l'impopularité du gouvernement, elle pourrait néanmoins profiter au "oui"...

Appelés à s'exprimer une seconde fois sur le traité de Lisbonne, les Irlandais en scelleront vraisemblablement le sort le vendredi 2 octobre. Ce texte apparaît comme « un simple aménagement du règlement intérieur de l'Union » aux yeux de Jean-Luc Sauron, maître des requêtes au Conseil d'État. Sur place, loin de relativiser l'enjeu de cette consultation, le Premier ministre Brian Cowen évoque « l'une des plus grandes questions nationales depuis l'indépendance de l'Irlande en 1922 ».

Un vote protestataire ?

À une semaine du scrutin, les sondages confirmaient l'avance du "oui" : selon une enquête TNS publiée par le quotidien Irish Times, 48 % des personnes interrogées envisageaient d'approuver le traité, 33 % s'y déclarant opposées ; restaient 19 % d'indécis. Ces derniers seront-ils tentés par un vote protestataire ? Le contexte s'y prêterait, alors que le gouvernement se révèle particulièrement impopulaire : composé du Fianna Fail (centriste), du Parti démocrate progressiste et des Verts, il a essuyé un revers lors des élections du 5 juin dernier ; le Fianna Fail n'est plus la première force politique du pays, fait inédit depuis 1932.

« La crise économique, qui a fortement affecté l'île, explique en grande partie cet échec électoral des partis au pouvoir », nous apprend Corinne Deloy (1). « En effet, Brian Cowen a fait voter durant les derniers mois deux plans de rigueur qui allient hausses d'impôt et baisses des aides sociales et des retraites. Les traitements des fonctionnaires ont diminué de 7 % en moyenne en 2008 et l'ensemble des salaires devraient reculer de 3 % en 2009 (et de 1,6 % en 2010). L'Irlande a redécouvert le chômage de masse. De 4 % en août 2007, son taux s'établit à 12,2 % (juillet 2009), soit le plus élevé depuis plus de quatorze ans, et devrait atteindre 17 % fin 2010. »

La situation pourrait néanmoins profiter au "oui" : « Beaucoup d'hommes politiques et de partisans du traité de Lisbonne espèrent que cette crise aura permis aux Irlandais de prendre conscience des bénéfices que leur rapportent leur appartenance à l'Union européenne, l'adoption de l'euro ayant certainement préservé l'île celtique d'une dévaluation et d'un scénario à l'islandaise. » Quoi qu'on pense de ce discours, force est de constater que l'opinion s'y montre apparemment réceptive.

Ce référendum sera le huitième organisé en Irlande sur des questions européennes. Les consultations populaires sont devenues coutumières en la matière. Pourtant, leur tenue n'est exigée « que dans l'hypothèse où une [...] disposition [...] modifie fondamentalement le champ d'intervention ou les objectifs de la Communauté ». Or, poursuit Laurent Pech (2), « le traité de Lisbonne ne paraît pas entrer dans ce cadre ». Une analyse évidemment récusée par les souverainistes. Quoi qu'il en soit, « la constitution irlandaise de 1937 n'autorise pas la saisine de la Cour suprême à titre préventif » ; aussi chaque gouvernement préfère-t-il « procéder ainsi systématiquement, plutôt [...]  que d'être accusé de faire fi de la souveraineté populaire ».

Précédents

Liée au Royaume-Uni par une union économique et monétaire, l'Eire adhéra à la Communauté économique européenne (CEE) en même temps que lui en 1973. Cela avec le soutien des deux principales formations politiques nationales, après une consultation plébiscitant ce processus à la faveur de 83 % des voix. Dans les décennies suivantes, le pays profita d'une croissance spectaculaire, mais l'enthousiasme des votants s'éroda au fur et à mesure qu'ils étaient appelés à approuver de nouveaux traités : le "oui" recueillit 70 % des suffrages pour l'Acte unique en 1987, 69 %  pour le traité de Maastricht en 1992, 62  % pour le traité d'Amsterdam en 1998, et seulement 44 % pour le traité de Nice en 2001.

Fallait-il interpréter ce rejet comme l'expression d'une défiance à l'égard de l'Union européenne ? L'histoire irlandaise se prête naturellement à de telles analyses. Mais la mobilisation de ce "peuple d'insoumis" apparut bien modeste, la participation stagnant à 35 %. L'année suivante, à l'occasion – déjà – d'un second référendum, le traité de Nice fut adopté par 63 % des voix. Auparavant, le gouvernement irlandais et le Conseil européen avaient veillé à formuler quelque garantie quant à la neutralité du pays.

Les motivations des nonistes

L'histoire s'est répétée : le 12 juin 2008, le traité de Lisbonne fut rejeté par 53 % des votants. Le taux de participation atteignit cette fois 53 % ; « un chiffre raisonnable pour ce type de consultation en Irlande » selon Laurent Pech. On relativisera toutefois l'enthousiasme des souverainistes : si l'on en croit l'Eurobaromètre, en dépit de leur vote, 80 % des "nonistes" soutenaient l'appartenance de l'Irlande à l'UE. « 22 % de ceux qui ont voté non l'ont fait parce qu'ils manquaient d'informations sur le contenu du traité », rapporte Jean Quatremer (3) ; « 12 % pour protéger l'identité irlandaise ; 6 % pour défendre la neutralité irlandaise ; 6 % parce qu'ils n'ont pas con-fiance dans les politiciens ; 6 % pour garder "leur" commissaire à Bruxelles ; 6 % pour refuser l'harmonisation fiscale ; 5 % pour s'opposer à l'idée d'une Europe unie ; 4 % pour protester contre la politique du gouvernement ; 4 % pour éviter que l'Union parle d'une seule voix sur les problèmes mondiaux ; 4 % pour protester contre la domination des grands États membres ; 3 % pour maintenir l'influence des petits États ; 2 % pour éviter l'introduction du droit à l'avortement, du mariage gay et de l'euthanasie ».

Les dirigeants européens ont voulu dissiper la plupart des inquiétudes mises en lumière par ce sondage. Ils entendent exploiter une "faille juridique" du traité de Lisbonne pour maintenir un commissaire par État. En outre, des garanties sur le "droit à la vie", la famille et l'éducation, la fiscalité, la sécurité et la défense ont été formalisées à l'issue du Conseil européen des 18 et 19 juin derniers. Abusivement, on parle parfois de dérogations. Mais si ces "explications de texte" intègrent comme promis le droit communautaire, elles en éclaireront la teneur pour l'ensemble des États membres.

Le spectre du "non"

Pour l'heure, le spectre du "non" envahit les sphères officielles. Le 18 septembre, Silvio Berlusconi a prévenu qu'en cas d'échec du référendum, « nous devrons complètement revisiter le fonctionnement actuel de l'Europe pour créer un noyau d'États qui agissent au-delà de l'unanimité ». Le président du Conseil italien nous a habitués aux déclarations à l'emporte-pièce, hasardeuses et sans lendemain... Le secrétaire d'État suédois aux Affaires européennes – dont le pays préside actuellement le Conseil de l'Union – s'est montré plus réaliste : « Les dirigeants de l'UE s'éloignent de la thèse selon laquelle le traité de Lisbonne est nécessaire pour un fonctionnement efficace de l'UE élargie. Le nouveau message est que sans le traité de Lisbonne, l'UE peut être tout aussi capable d'agir que jusqu'ici. » Et Mme Maria Asenius d'ajouter : « Nous ne pouvons pas attendre éternellement une décision à ce sujet. Nous avons besoin d'une nouvelle Commission pour que les affaires européennes continuent. Avec ou sans le traité de Lisbonne. Nous  n'avons pas le choix. » (4) Le bon sens reprendrait-il ses droits ?

Refaire de la politique en Europe

Reléguant la Commission au second plan, la Crise a révélé, nous semble-t-il, le caractère relativement malléable des institutions européennes. Pierre Lellouche, le secrétaire d'État en charge des Affaires européennes, prétend d'ailleurs saisir cette « opportunité », qui « oblige l'Europe à regarder autre chose que ses institutions ». « Nous allons pouvoir, dans ce contexte, refaire de la politique en Europe », a-t-il déclaré jeudi dernier, en conclusion d'un colloque consacré à l'Europe de la défense. Et de reprendre une citation du général De Gaulle chère aux souverainistes : « Il ne suffit pas de dire "Europe, Europe" en sautant comme un cabri ! » Cela tranchait avec la proclamation assénée dans la matinée par son collègue Hervé Morin, ministre de la Défense, qui « espère qu'un jour l'Europe sera une construction fédérale ».... Pour Pierre Lellouche, « la question fondamentale [...] est celle de la volonté politique ». Laquelle émane de Paris ou Berlin, et non de Bruxelles.

(1) « Référendum sur la ratification du traité de Lisbonne, 2 octobre 2009 » ; Observatoire des élections en Europe, fondation Robert Schuman ; www.robert-schuman.org

(2) Dictionnaire critique de l'Union européenne ; Armand Collin, 39,50 euros.

(3) « Irlande : les raisons du non et du oui » ; bruxelles.blogs.liberation.fr

(4) Entretien accordé à Euractiv Allemagne, 15/09/2009 ; www.euractiv.de

Impairs souverainistes

17 septembre 2009

Trop soucieux de prouver que la France est lésée par le traité de Lisbonne, Paul-Marie Couteaux a commis quelques impairs hier soir au micro de Radio Courtoisie.

En ouverture de son Libre Journal de la nuit du 16 septembre, Paul-Marie Coûteaux s'est offusqué de l'inégalité introduite entre les États signataires du traité de Lisbonne par le tribunal de Karlsruhe. Rappelons que celui-ci a suspendu la ratification à l'accroissement des pouvoirs du parlement allemand. La substance du traité s'en trouve-t-elle modifiée ? Bien sûr que non. Il n'appartient pas à l'Union de définir les institutions dont doivent se doter les États membres afin de respecter leurs engagements européens. C'est pourtant ce que regrettent plus ou moins les souverainistes. Une aberration dont nous avions déjà rendu compte.

L'ancien député au Parlement européen a par ailleurs évoqué les « dérogations » que l'Irlande aurait obtenues avant d'organiser un second référendum sur le traité de Lisbonne. Or, les Vingt-Sept se sont davantage accordés sur des "explications de texte". Si celles-ci intègrent comme prévu le droit communautaire (sous forme de protocoles annexés au prochain traité d'élargissement), elles en éclaireront la teneur pour l'ensemble des États membres.

Crise laitière : l'Europe désinvolte

17 septembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Entamée jeudi dernier, la "grève du lait" suscite des controverses parmi les producteurs. Sans ébranler la technocratie européenne, au moins aura-t-elle révélé à l'opinion publique la situation dramatique des éleveurs.

Une "grève du lait" a été lancée par l'Organisation des producteurs de lait (OPL) et l'Association des producteurs de lait indépendants (APLI), qui revendiquent le maintien des quotas européens – dont l'augmentation progressive doit aboutir à leur surpression en 2015 –, ainsi qu'un lait à 400 euros la tonne ; depuis le 10 septembre, mus par la colère ou le désespoir, certains éleveurs ont cessé les livraisons. Une initiative récusée par la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL, émanation de la FNSEA) : « Qui peut croire à la chimère des 400 euros pour les 1 000 litres ? Cette action qui consiste à jeter le fruit de son travail peut diviser et choquer, y compris nos concitoyens qui sont eux-mêmes éprouvés durement par la crise. »

Des prix instables

« Quand le lait est tiré, il faut le vendre », observe Nicolas-Jean Brehon. « Alors qu'un fabricant peut toujours être incité à se fournir ailleurs. Certains n'attendent même que cela. » (Questions d'Europe, Fondation Robert Schuman, 27/07/2009) D'autant qu'en France, la moitié des achats sont réalisés par des industriels. « Jusqu'au début des années 2000 », poursuit-il, « le secteur laitier fut le secteur agricole le plus régulé ». Mais « les producteurs ayant une quasi-garantie d'écouler les productions à des prix rémunérateurs et les États n'ayant jamais eu le courage politique de fixer les quotas à des niveaux suffisamment rigoureux, le système s'est emballé ». Cela justifia une évolution radicale, entraînant une dépendance vis-à-vis des prix pratiqués en dehors de l'UE, ainsi que des variations de grande ampleur : à la hausse moyenne de 43 % en 2007-2008 succéda une chute de 32 % l'année suivante. « Il est certain qu'aux niveaux actuels, les prix payés aux producteurs ne permettent pas d'assurer l'équilibre des exploitations laitières. »

Quotas en débat

En juillet dernier, la France avait réclamé le gel des quotas laitiers en 2010. Malgré le soutien de l'Allemagne, elle s'était heurtée à l'intransigeance de la Commission européenne – paravent d'une majorité d'États membres : « Quelques pays sont hostiles aux régulations par principe (Royaume-Uni, Suède). D'autres pays sont partisans d'une levée des quotas ou d'une augmentation sensible, afin de faire jouer les avantages comparatifs dont ils estiment pouvoir bénéficier (Pays-Bas, Danemark Pologne). Enfin, certains pays ont été pénalisés par des quotas trop faibles, inférieurs aux consommations nationales (Italie, Espagne). Chaque année, plusieurs pays payent des pénalités pour dépassement de quotas (912 millions d'euros en trois ans). Il n'est pas raisonnable de penser que ces pays accepteront de payer encore... »

En 2007-2008, cependant, seuls huit États avaient dépassé leurs quotas ; les autres se trouvaient en "sous-réalisation", parfois importante. Le danger représenté par une augmentation des quotas s'en trouve contesté. Quoi qu'il en soit, une réponse à la crise apparaît indispensable, pour des motifs sociaux mais aussi politiques : la sécurité alimentaire ne sera pas garantie sans que soit assuré aux agriculteurs un revenu décent.

Entre autres mesures, la Commission a soutenu le stockage privé, pratiqué des "achats d'intervention", réactivé les restitutions (subventions) à l'exportation, promu la consommation des produits laitiers... « Nous sommes au fond de la piscine » reconnaît le commissaire en charge de l'Agriculture, Mme Mariann Fischer Boel. Son action n'en est pas moins jugée bien trop timide. Le 7 septembre, seize États membres, dont la France et l'Allemagne, ont formulé ces propositions résumées par Euractiv : « Le texte suggère d'augmenter temporairement les prix d'intervention européens, que l'UE définit pour acheter aux agriculteurs leurs surplus. Il propose aussi que les gouvernements nationaux puissent aider davantage les producteurs sans demander à Bruxelles son feu vert. Allant plus loin, les seize États suggèrent de mettre sur pied un prix minimum du lait, défini dans chaque pays entre les producteurs et les industriels. »

Contractualisation

La "contractualisation" serait ainsi la « voie à suivre » selon le ministre de l'Agriculture, Bruno Le Maire. « Cette solution [...] doit être analysée avec lucidité », avertit Nicolas-Jean Brehon, qui souligne « les différences de poids entre les parties – 100 000 éleveurs et quelques dizaines de fabricants ». Pour l'OPL, « cette solution risque surtout de rendre les producteurs de lait encore plus vulnérables face aux marchés ». Et de stigmatiser un projet « d'inspiration "nationaliste" », la contractualisation étant « du ressort de notre droit national et [non] commune aux vingt-six autres pays ».

Cette posture "européiste" s'expliquerait-elle par la crainte du dumping ? À bien des égards, celui-ci est déjà à l'œuvre... Ne négligeons pas, en outre, la variété des contextes nationaux : par exemple, en quoi nos partenaires sont-ils concernés par l'usage de nos quotas laitiers à des fins d'aménagement du territoire ? Cela dit, le cadre européen, voire international, ne saurait nous indifférer. La France compte des transformateurs industriels de taille mondiale, comme Danone et Lactalis ; le lait représente 16 % des exportations agricoles nationales, à l'origine d'un solde commercial positif de 3,5 milliards euros.

Le scandale européen de l'été

3 septembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

L'annonce de Bruno Le Maire a provoqué un tollé : 500 millions d'euros versés entre 1992 et 2002 devraient être remboursés par les producteurs qui en furent les bénéficiaires indirects. Décryptage d'un nouveau scandale.

Le calme plat règne à Bruxelles pendant l'été, où seules quelques permanences sont assurées. L'Union européenne n'en a pas moins défrayé la chronique des jours ensoleillés, par la faute du ministre de l'Agriculture Bruno Le Maire. Le 3 août, celui-ci annonça dans les colonnes du Parisien son intention de répondre à l'injonction de la Commission européenne, exigeant le remboursement par des producteurs de fruits et légumes de subventions versées entre 1992 et 2002.

Indignation

Alimentés par l'Office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l'horticulture (Oniflhor), les "plans de campagne" avaient pour but, selon Bruxelles, « de faciliter l'écoulement des produits français en manipulant le prix de vente ou les quantités offertes sur les marchés ». Or, « de telles interventions sont fermement interdites par la réglementation communautaire en matière d'aides d'État ». Les sommes litigieuses s'élèveraient à un demi-milliard d'euros, intérêts compris. Un chiffre que Paris espère minimiser.

C'est un mauvais coup pour les producteurs de fruits et légumes, dont les syndicats dénoncent l'effondrement des revenus (- 37 % entre 2007 et 2008 selon la Fédération nationale des producteurs de fruits). Dans un torrent d'indignations, on releva, comme toujours, moult approximations. "L'Europe" a-t-elle « besoin d'oseille » ? Ses ressources budgétaires ne seront pas affectées par un remboursement dont l'État français sera, en définitive, le bénéficiaire. A-t-elle patienté sournoisement jusqu'aux vacances pour prononcer sa sanction ? Nullement : sa décision concluant à l'illégalité des aides remonte au 28 janvier dernier.

Découvrant l'affaire à la faveur du "buzz" médiatique, l'opinion, galvanisée par le chauvinisme, fut d'autant plus choquée que l'exigence formulée par Bruxelles porte sur des subventions indirectes, dont certaines furent versées il y a dix-sept ans. Quid de la prescription ? Fixée par un règlement, elle intervient après dix ans, mais ce délai est interrompu dès lors que la Commission entame des investigations.

Sept ans de procédure

Or, à la suite d'une plainte anonyme, elle avait interpelé la France dès le 31 juillet 2002. La procédure s'est donc étalée sur sept années. Un délai qui n'aurait rien d'exceptionnel selon les indications que nous a fournies la représentation de la Commission européenne en France, étant donné la complexité du traitement d'un tel dossier. D'autant que Paris multiplia les demandes de reports.

D'autres griefs écorchent nos responsables politiques : « Certains documents en possession de la Commission indiquent que les autorités françaises étaient informées de la nature douteuse de ces actions au regard du droit communautaire. Elles-mêmes qualifiaient ces actions de "largement anticommunautaires" et signalaient la "menace d'une obligation de faire rembourser par les producteurs les sommes indûment versées". Un compte rendu du BRM [Comité économique fruits et légumes du bassin Rhône-Méditerranée] rappelle aussi "le caractère confidentiel des plans stratégiques et le besoin de discrétion nécessaire compte tenu du principe anticommunautaire de ceux-ci". »

C'est dire l'inconséquence des gouvernements successifs, feignant d'ignorer à Paris les engagements souscrits à Bruxelles. D'ailleurs, la France n'aurait « pas contesté [...] l'analyse préliminaire de la Commission concernant l'incompatibilité de ces aides avec le marché commun ». Vilipendé pour sa servilité à l'égard de Bruxelles, Bruno Le Maire s'inscrit en partie dans la continuité de ses prédécesseurs ; il assume surtout les responsabilités que ceux-ci avaient fuies jusqu'alors.

Humiliation

Cette affaire n'est pas la première du genre : la récupération des aides au vignoble charentais et celle du plan Rivesaltes furent exigées en 1999 et 2003. Humiliation formelle, ces rappels à l'ordre de la Commission participent d'un mécanisme temporisateur : dans la partie qu'ils jouent en commun, les Vingt-Sept s'accommodent par ce biais des petits accrocs au respect réciproque de leurs engagements. Minimisant la tentation de retirer ses cartes au premier faux pas d'un partenaire, ce sont les "coups francs" sifflés sur un terrain de football : « Nous sommes les arbitres des règles que les Européens se sont données », explique le porte-parole de la Commission, Altafaj Tardio (Le Monde, 04/08/2009). Des règles évidemment discutables : le moindre coût de la main d'œuvre étrangère n'est-il pas, lui aussi, à l'origine d'une distorsion de concurrence ? Qu'importe : « La question [...] n'est pas couverte par la Politique agricole commune. Il n'existe pas de règles européennes sur le sujet. » Imparable logique de la technocratie !

Signalons toutefois que si un État membre en fait la demande avant sa "condamnation" par la Commission, le Conseil des ministres, statuant à l'unanimité, demeure libre de décréter une aide compatible avec le marché commun ; dans le carcan institutionnel européen, des portes restent ouvertes au politique.

Cherchez l'erreur !

30 juillet 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Le souverainisme piégé par la démocratie.

Selon la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, le traité de Lisbonne est compatible avec la loi fondamentale allemande, mais sa ratification nécessite un renforcement préalable des pouvoirs du parlement national. Dans un communiqué, Jacques Myard regrette « que la France n'ait pas exigé les mêmes conditions d'application du traité ». Selon lui, il résulterait de cet arrêt « une inégalité entre les signataires » justifiant « une renégociation totale du traité ».

Nous ne saurions souscrire aux motifs appuyant cette exigence, en dépit de la sympathie que nous inspire le député des Yvelines.

Sa réaction illustre, à nos yeux, les ambiguités du souverainisme, conduisant ici à réclamer un rééquilibrage des institutions françaises par l'entremise... d'une uniformisation européenne ! C'est la conséquence, somme toute logique, de la confusion entretenue dans le combat pour la "souveraineté nationale". Au sens où l'entendait Maurras, rappelons que celle-ci était indéfendable. L'expression suggère que la France est souveraine par elle-même : cela conduit naturellement au mythe de la souveraineté populaire et, plus concrètement, à la dénonciation du "déficit démocratique" européen, stigmatisant l'influence croissante des gouvernements qui contournent les parlementaires.

Mais un État libéré de leur pression ne serait-il pas davantage "souverain" ? Cherchez l'erreur !

Une défense européiste

30 juillet 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

L'idéologie prend parfois la défense en otage. Les déboires de l'Airbus A400M, développé sous la bannière de la coopération européenne, illustrent un phénomène dénoncé par le journaliste Jean-Dominique Merchet.

Réunis au Castellet le vendredi 24 juillet, les sept pays partenaires du programme A400M (1) se sont donné six mois pour renégocier le contrat les liant au groupe EADS. Celui-ci avait annoncé le 9 janvier que les premiers avions ne seraient pas livrés avant fin 2012, avec un retard de trois ans au moins. L'industriel reconnaît sa difficulté, voire son incapacité, à satisfaire à toutes les exigences du cahier des charges.

Polyvalence

Ces déboires inquiètent l'armée, confrontée au vieillissement de ses appareils de transport, anticipé de longue date : la formalisation du besoin à l'origine du projet A400M remontre à 1984. Cinquante avions ont été commandés par la France. Sans eux, selon les sénateurs Jacques Gautier et Jean-Pierre Masseret (2), « la capacité de projection tactique à 1 000 km en cinq jours, actuellement de l'ordre de 5 000 tonnes (soit 1 500 militaires avec leur équipement et leur autonomie) passerait, en 2012, à moins de 3 000 tonnes, voire 2 500 tonnes ». Il faudra supporter le coût des solutions palliatives (remise à niveau d'avions en fin de vie, achats ou locations), et les conséquences d'un moindre entraînement des équipages.

Enfin aux commandes de l'A400M, ceux-ci bénéficieront d'un appareil à la polyvalence inédite : son rayon d'action, sa capacité d'emport et sa vitesse conviendront aux missions stratégiques ; susceptible d'opérer sur terrain meuble, à basse altitude et faible vitesse, il répondra également aux exigences tactiques ; il pourra aussi participer à des ravitaillements en vol. Embarquant une technologie de pointe, il exploitera le « plus puissant turbopropulseur développé en Occident », selon l'expression de Noël Forgeard. L'avion cumule les ruptures technologiques. Pourtant, Airbus Military s'était engagé à le développer « à un prix très bas, dans des délais très courts, et sans programme d'évaluation des risques ». L'industriel a sous-estimé l'ampleur du défi ; aux yeux des parlementaires, sa première erreur fut « de penser qu'un avion de transport militaire tactique équivalait à un avion de transport civil "peint en vert", bref qu'il s'agissait de construire un Airbus comme les autres et que les compétences acquises en matière de certification civile seraient un atout substantiel », voire suffisant.

Une gouvernance inefficace

EADS a pâtit, en outre, d'une mauvaise organisation de ses filiales, conduisant à « une mobilisation insuffisante des forces vives d'Airbus ». En effet, « AMSL était placée dans une situation intenable vis-à-vis d'Airbus : en tant que filiale, elle devait exécuter ses ordres ; en tant que responsable industriel du programme, elle devait pouvoir mobiliser les unités de production de la société mère. » Cela dit, Louis Gallois nuance l'échec de son groupe, d'autant que les retards sont monnaie courante dans l'industrie d'armement : « On ne connaît pas de programme de ce type livré en moins de douze ans. [...] Si nous livrions l'avion dans une amplitude de dix ans, nous serions encore la référence dans ce domaine. » (3)

Divergences

Réunis dans l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (Occar), les États impliqués ont entrepris une collaboration délicate, sinon hasardeuse. Ils avaient opté pour une approche commerciale, consistant, selon l'explication des sénateurs, « à délivrer, au terme d'une phase unique pour le développement et la production, un nombre fixe d'avions – 180 – à un prix indexé, mais ferme : 20 milliards d'euros aux conditions économiques initiales ». Mais les priorités divergeaient : le Royaume-Uni voulait acquérir des appareils au plus vite ; l'Allemagne surveillait le budget avec un calendrier élastique ; l'Espagne espérait surtout développer son industrie aéronautique ; quant à la France, elle souhaitait répondre à un besoin opérationnel, mais aussi « faire avancer l'Europe de la défense ». Au total, estiment les parlementaires, ces stratégies différentes « ont conduit à prolonger les négociations plus que de mesure », ainsi qu'à imposer des conditions contractuelles difficiles... En l'absence d'un État pilote, « le dialogue indispensable entre l'industriel et le donneur d'ordres a fait défaut », poursuivent-ils. « En outre, le principe du juste retour a été appliqué strictement, aussi bien pour le moteur que pour l'avion. » « Enfin, la faible capacité de l'Occar à prendre des décisions [...], le manque de dialogue entre EADS et les sous-traitants, ainsi que les problèmes d'organisation du consortium des motoristes ont conduit à retarder l'identification des problèmes et donc leur résolution. »

Une exception, l'A400M ? « Bien au contraire », proclame Jean-Dominique Merchet dans son dernier livre (4). L'animateur du blog Secret Défense, collaborateur de Libération et conférencier occasionnel de la NAR, rapporte que « l'autre programme phare de la coopération européenne, l'hélicoptère NH90, souffre des mêmes maux ». L'industrie d'armement serait « victime de l'idée que plus on embarque de partenaires [...], mieux c'est » ; idée dont le seul mérite serait d'être européenne.

Réussite en solo

À l'opposé, l'auteur souligne la réussite du Rafale : « Très critiqué, le choix de jouer en franco-français apparaît aujourd'hui comme le plus rationnel, tant sur le plan des finances publiques que sur celui des besoins militaires. » Et de citer la Suède en exemple, qui produit des avions militaires et réussit même à en exporter : « Ce que la petite Suède sait faire, et plutôt bien, il n'y avait aucune raison que la France – six fois plus grande – ne puisse le réussir, n'en déplaise aux idéologues qui estiment, une fois pour toutes, que la France est trop petite. »

Fustigeant la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), Jean-Dominique Merchet juge lamentables les multiples déclarations d'intention jamais suivies d'effet. On  attribue certes quelques réalisations concrètes à la PESD, mais dont la dimension "européenne" serait souvent usurpée, comme en Bosnie : « En décembre 2004, l'opération militaire Althéa prend la suite de l'Otan. Pour plus d'efficacité, l'UE le fait néanmoins avec les moyens et capacités de commandement de l'Otan, dans le cadre des accords dits de "Berlin Plus". » Première mission navale entreprise sous l'égide de l'Union, l'opération Atalanta lutte avec succès contre la piraterie au large de la Somalie. Mais « "on ne déploie pas de bateaux exprès pour cette mission", explique-t-on à l'état-major de la Marine rue Royale. "On a deux bateaux qui auraient été là-bas de toute façon dans le cadre de notre présence dans l'océan Indien." »

L'UE et les tâches ménagères

Autant d'exemples illustrant « la grande illusion de la défense européenne ». Avec un mépris teinté d'humour, Jean-Dominique Merchet observe que l'Europe « est conçue pour les temps ordinaires », ce qui s'avère à certains égards « bel et bon » : « Comme le disait l'inoubliable Paul Volfoni des Tontons flingueurs, "les tâches ménagères ne sont pas sans noblesse". » Mais là où il est question « de vie et de mort », on entre dans une cour où « l'Europe ne joue pas et n'est pas prête de le faire ».

Ce petit livre, clair et concis, est un vrai réquisitoire. Pour l'étayer, l'auteur convoque Carl Schmitt et Joseph de Maistre. Ses arguments suffiraient-ils à prononcer la condamnation de l'UE ? Pas forcément, car la PESD apparaît bien marginale au sein de l'Union, dont l'ossature demeure le marché unique. Et si la défense témoigne des méfaits de l'idéologie européiste, celle-ci n'est pas le seul moteur de la construction européenne, où interviennent également des calculs d'intérêts. Cela dit, Jean-Dominique Merchet confesse volontiers un euroscepticisme plus prononcé que celui d'un Védrine, par exemple. Quant au souverainisme, « c'est un mot qui ne me fait pas peur » nous a-t-il confié, tout en se définissant plutôt comme un « gaulliste du 18 juin ».

(1) Les États engagés dans le programme A400M sont les suivants : Allemagne (60 avions), France (50), Espagne (27), Grande-Bretagne (25), Turquie (10), Belgique (7) et Luxembourg (1). L'Afrique du Sud a commandé huit appareils et la Malaisie quatre.

(2) Jacques Gautier & Jean-Pierre Masseret : Rapport d'information sur les conditions financières et industrielles de mise en œuvre du programme A400M. Annexe au procès-verbal de la séance du 10 février 2009, 97 pages, disponible en téléchargement gratuit sur le site Internet du Sénat.

(3) Cité par Nicolas Gros-Verheyde : « Louis Gallois s'explique ». Europolitique, n° 3722, 26 mars 2009. Cf http://bruxelles2.over-blog.com/

(4) Jean-Dominique Merchet : Défense européenne, la grande illusion. Larousse, coll. "À dire vrai", 126 pages, 9,90 euros. Deux extraits sont en ligne sur le blog de l'auteur : http://secretdefense.blogs.liberation.fr/

Des concombres émancipés...

16 juillet 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Vingt-six fruits et légumes sont libérés des normes communautaires qui prohibaient les produits difformes. Une fois n'est pas coutume, Bruxelles semble inspiré par le bon sens. Les producteurs s'en réjouissent-ils ?

Les concombres mal formés reviennent sur les étals. Le 7 juillet, le Bulletin de réinformation de Radio Courtoisie, dirigé ce jour-là par Romain Lecap, a salué « la libération de vingt-six fruits et légumes des diktats de la Commission européenne » (1). Leur taille, leur forme et leur couleur étaient encadrées par un règlement dont l'abrogation est effective depuis le 1er juillet.

Rationalisation

Selon la Commission, cela constitue « un élément majeur dans ses efforts de rationalisation et de simplification des règles de l'UE ». Des normes sont maintenues pour dix produits représentant 75 % de la valeur des échanges de l'Union (2) ; mais les États membres sont libres de passer outre : « Concrètement, cela signifie qu'une pomme qui n'est pas conforme [...] pourra être vendue dans le commerce de détail, pour autant qu'elle soit pourvue d'une étiquette portant la mention "produit destiné à la transformation" ou une mention équivalente. »

Mme Mariann Fischer Boel, le commissaire danois en charge de l'Agriculture et du Développement rural, se félicite : « Les consommateurs auront [...] la possibilité de choisir parmi une gamme de produits la plus large possible. Il est absurde de jeter des produits parfaitement comestibles au simple motif qu'ils sont de taille et de forme irrégulières. » Elle esquisse même, par omission, une caricature des règles édictées par ses prédécesseurs. En effet, selon une synthèse officielle du règlement de 1996 portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes, « le respect des normes [n'était] pas imposé avant l'emballage et le conditionnement, ainsi que dans le cas des produits destinés à la transformation ». Des abricots boursoufflés pouvaient donc servir aux confitures. Cela dit, Bruxelles ferait-il un pas sur la voie du bon sens ?

Des producteurs mécontents

Interrogée sur le sujet, la FNSEA nous a dirigé vers la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF), signataire le 28 avril 2008 d'un communiqué demandant « le maintien global des trente-six normes européennes des fruits et légumes, seule garantie de la loyauté et de la sécurité des transactions commerciales, pour assurer un approvisionnement de qualité au consommateur ».

Mme Fischer Boel l'assure : « Nous n'avons pas besoin de légiférer sur ces questions au niveau de l'UE. Il est de loin préférable de laisser cela à l'appréciation des opérateurs économiques concernés. » Cette perspective inquiète justement le Copa-Cogeca (3) : « Les normes [...] assuraient une transparence du marché et permettaient aux opérateurs d'avoir un langage commun pour définir des paramètres homogènes pour la qualité des fruits et légumes. » De plus, elles « veillaient à ce que les fruits et légumes importés sur le marché communautaire respectent les mêmes règles de qualité que la production européenne. [...] Les initiatives privées visant à établir de nouvelles normes de commercialisation vont se développer dans les vingt-sept États-membres, ce qui va à l'encontre du marché unique. » En conséquence, rapporte Julie Majerczak, « les diktats seront imposés par la grande distribution au lieu de venir de Bruxelles » (Libération, 11/11/2008).

Tandis que la FNFP dénonce l'« effondrement » du revenu des producteurs de fruits (- 37 % entre 2007 et 2008), les prix pourraient être tirés vers le bas. Une chance pour les consommateurs ? Selon le Copa-Cogeca, poursuit notre consœur, « il deviendra plus difficile de comparer les prix et la qualité sera incertaine, puisque les lots ne seront plus nécessairement homogènes ».

La fin du diktat ?

L'affaire se révèle beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. Le Copa et la Cogeca « rappellent que dix-neuf États-membres se sont opposés à la modification de ce règlement des fruits et légumes ». Perdu dans les méandres du droit communautaire, nous n'avons pas réussi à le vérifier. Libération avait signalé le 11 novembre « l'opposition des pays producteurs, dont la France ». Réuni le lendemain, le Comité de gestion avait rejeté le projet, avant d'émettre, un mois plus tard, le 4 décembre 2008, un avis favorable. À l'unanimité. Nos représentants auraient-ils courbé l'échine, négociant éventuellement quelque contrepartie ? Le cas échéant, "l'Europe" renoncerait certes à imposer son "diktat", mais contre l'avis de la France !

(1) Les produits concernés sont les suivants : abricots, artichauts, asperges, aubergines, avocats, haricots, choux de Bruxelles, carottes, choux-fleurs, cerises, courgettes, concombres, champignons de couche, aulx, noisettes en coque, choux pommés, poireaux, melons, oignons, pois, prunes, céleris à côtes, épinards, noix en coque, pastèques et chicorées Witloof.

(2) Pommes, agrumes, kiwis, laitues, pêches et nectarines, poires, fraises, poivrons, raisins de table et tomates.

(3) Comité des organisations professionnelles agricoles de l'Union européenne et Comité général de la coopération agricole de l'UE.

Gare au retour de flamme !

2 juillet 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Saluée comme une victoire par les souverainistes, l'abstention aux élections européennes justifie également les appels en faveur d'une Europe plus fédérale.

Les résultats électoraux se prêtent toujours aux interprétations les plus diverses. À l'issue du scrutin des 6 et 7 juin, Jean Quatremer saluait « l'Europe, grand vainqueur des élections en France », tandis que Le Salon Beige pointait « un désaveu pour l'UE ».

L'abstention massive (59,37 % des inscrits) réjouit naturellement les souverainistes. Les enquêtes d'opinion pourraient toutefois les faire déchanter. Le tableau est nuancé : 80 % des Français seraient favorables à la construction européenne, mais 26 % la percevraient comme « une menace pour notre identité » ; 78 % considéreraient qu'elle « les rend plus forts face au reste du monde », mais 62 % estimeraient qu'elle « coûte cher à la France » ; enfin, 6 % réclameraient la dissolution de l'UE (1).

Quoi qu'il en soit, l'abstention doit être invoquée avec prudence. En effet, comment peut-on l'expliquer ? Sans doute par le peu d'implication de l'Union européenne dans les politiques de redistribution sociale cristallisant les clivages partisans ; ainsi que par la faible "personnification" des enjeux : le vote des électeurs peut influencer la composition de la Commission, mais sa désignation demeure l'apanage des États. Autant de "maux" que les fédéralistes aspirent à corriger : l'abstention serait vraisemblablement endiguée par un accroissement des compétence de l'UE et une émancipation – peu réaliste selon nous - de la Commission et du Parlement.

En attendant, la transposition du formalisme parlementaire au niveau communautaire apparaît aberrante à bien des égards. Les journalistes de Libération posent parfois de bonnes questions (2) : « On peut dès lors se demander s'il était bien nécessaire de faire élire au suffrage universel direct le Parlement européen : en déséquilibrant une construction qui a été pensée dès l'origine comme une union d'États et dont la légitimité démocratique s'exerçait uniquement au second degré, cette innovation a sans doute concouru à renforcer le sentiment que l'Union souffrait d'un grave déficit démocratique. » Selon Jean Quatremer, « le seul moyen d'y remédier ne serait évidemment pas de revenir en arrière, cela étant démocratiquement inacceptable, mais de créer un véritable État fédéral ». De notre point de vue, cependant, qu'importe la démocratie !

(1) Enquête réalisée du 28 avril au 5 mai par Efficience 3 pour la Représentation en France de la Commission européenne.

(2) Coulisses de Bruxelles, 11/05/09.

Cohésion

2 juillet 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Vers une coordination des parlementaires français et "européens" ?

Une quarantaine de députés au Parlement européen ont répondu à l'invitation du Quai d'Orsay le 22 juin. Euractiv signale le bon accueil réservé à la proposition du président de la commission des Affaires européennes du Sénat, Hubert Haenel, qui souhaite systématiser les rencontres entre parlementaires européens et nationaux. Il était temps ! Organisées tous les mois selon le vœu de Bruno Le Maire, ces rencontres auraient lieu en amont de la présentation des textes ; « pour éviter les cafouillages comme Hadopi » précise le député Hélène Flautre (Europe-Écologie).

Un semestre suédois

2 juillet 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Le 1er juillet, la Suède a succédé à la République tchèque à la tête de l'Union européenne, dont elle présidera le Conseil pendant six mois. Aperçu des priorités affichées dans son programme de travail.

Maintenue à l'écart du second conflit mondial, attachée à sa neutralité, accaparée par l'édification d'un État-providence, la Suède est demeurée en marge des Communautés européennes jusqu'en 1995. La perspective d'une adhésion s'est dessinée dans les années quatre-vingt : « Dans le débat public, on s'est mis à envisager les conséquences de l'intégration comme une perte de souveraineté formelle, mais un gain de souveraineté réelle. » (1) Le traité arrimant le royaume à l'UE fut adopté par référendum à la faveur de 52 % des voix. Depuis lors, l'Europe continua de diviser les partis et l'opinion, jusqu'à l'échec de la consultation censée autoriser en 2003 l'introduction de la monnaie unique  (56 % de "non").

Révolution dans la Défense

Façonné par la social-démocratie, le pays est dirigé aujourd'hui par un conservateur, le ministre d'État Fredrik Reinfeldt âgé de quarante-trois ans, dont la politique pourrait rompre avec le non-alignement. La doctrine de défense suédoise se trouve en effet « à la veille d'une révolution » (2). Le Riksdag vient de voter la "mise en sommeil" de la conscription par 153 voix contre 150. D'ici 2014, une armée de métier de 50 000 hommes devrait voir le jour. Or, « même si l'objectif n'est pas affirmé aussi nettement, cette transformation se fait dans un objectif d'adhésion à terme de la Suède à l'OTAN » selon  Nicolas Gros-Verheyde. Pour l'heure, « la Suède a une politique stratégique sur l'ensemble de la Baltique » observe le ministre de la Défense Sten Tolgfors. « La Suède est en train de négocier avec l'OTAN, la Norvège et la Finlande. [...] L'objectif est d'avoir une coopération nordique de surveillance de l'espace aérien, qui puisse aussi inclure les États baltes. »

Cela éclaire le programme de travail de la présidence suédoise de l'Union européenne, qui promeut le renforcement de l'engagement vis-à-vis de l'Afghanistan et du Pakistan, l'institution d'un partenariat privilégié autour de la mer Baltique, la poursuite de l'élargissement : en Croatie, dans les Balkans occidentaux, mais aussi en Turquie.

Suspicion

Le président de la République acceptera-t-il que de nouveaux chapitres de négociation soient ouverts avec Ankara, bien qu'il prétende réprouver son adhésion ? Les suspicions de duplicité sont alimentées par la nomination de Pierre Lellouche comme secrétaire d'État chargé des Affaires européennes. Ce dernier serait l'un des « très bons amis » de son homologue turc, Egemen Bagis, qui confie aux journalistes : « Je crois qu'il va influencer les autres membres du gouvernement, qu'il va les convaincre des avantages de l'adhésion de la Turquie et qu'ainsi le bon sens va prévaloir à la fin. Pierre peut être un bon catalyseur. » (3) Affaire à suivre.

Immigration

Investie également dans la justice et les affaires intérieures (JAI), la présidence suédoise voudrait inclure, entre autres volets du futur "programme de Stockholm", « des mesures permettant une immigration accrue de main d'œuvre dans les pays de l'UE ». Ses priorités demeurent toutefois l'économie, l'emploi et le climat. La Suède entend « rétablir l'ordre dans les finances publiques » et accroître la mobilité des travailleurs. Il lui incombera de préparer la Convention de Copenhague, où seront souscrits en décembre des engagements internationaux visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre après 2012, dans la continuité du protocole de Kyoto.

Autant d'objectifs à poursuivre dans un contexte institutionnel en mutation, marqué par le renouvellement de la Commission européenne et la perspective du second référendum irlandais sur le traité de Lisbonne...

(1) Gôran von Sydow ; Dictionnaire critique de l'Union européenne, Armand Colin.

(2) Nicolas Gros-Verheyde ; blog Bruxelles 2, 25 juin 2009.

(3) Propos rapportés par Jean Quatremer ; blog Coulisses de Bruxelles, 25 juin 2009.