Avis aux spécialistes des questions européennes : pourquoi l'Angleterre
ne deviendrait-elle pas un "pays et territoire d'outre-mer" (PTOM) ?
Londres se trouve manifestement dans l'embarras : une majorité de
Britanniques ont voté pour le Brexit sans vraiment s'interroger sur la
suite. Sortir de l'UE, pour quoi faire ? Nul ne le sait ! C'est
affligeant, mais il appartient désormais à David Cameron et à ses
successeurs d'assumer les conséquences de ce calcul électoral. Afin de
préserver les intérêts du Royaume-Uni vis-à-vis de l'Union, mais aussi son
intégrité vis-à-vis des velléités d'indépendance de l'Écosse, voire
davantage.
Dans cette perspective, peut-être une solution s'offrirait-elle à Londres
: plutôt que de notifier au Conseil européen la volonté du Royaume-Uni de
sortir de l'Union européenne, il pourrait solliciter l'accession de
l'Angleterre au statut de "pays et territoire d'outre-mer" (PTOM). Comme
expliqué sur Wikipédia, ces territoires « ne
font pas partie de l'Union européenne [...] bien qu'ils
dépendent de pays en faisant partie ». C'est le cas du
Groenland, mais aussi de Saint-Barthélémy, comme
nous l'avions déjà expliqué, et même de plusieurs territoires
rattachés au Royaume-Uni, comme
le rappelle encore l'encyclopédie participative : « Anguilla,
les Bermudes, les Îles Caïmans, la Géorgie du Sud-et-les Îles Sandwich
du Sud, les îles Malouines (Falkland), Montserrat, les îles Pitcairn,
Sainte-Hélène, Ascension et Tristan da Cunha, le Territoire antarctique
britannique, le Territoire britannique de l'océan Indien, les îles
Turques-et-Caïques et les îles Vierges britanniques ».
Bien sûr, le statut de PTOM s'en trouverait détourné de sa vocation, mais
rien n'interdirait d'amender les traités à la marge si nécessaire. Par ce
biais, Londres pourrait donner une traduction au vote "leave", majoritaire
en Angleterre, tout en coupant l'herbe sous le pied des indépendantistes
écossais. À vrai dire, cela nous semblerait presque trop facile, et nous
nous étonnons qu'aucune mention à cette "solution miracle" ne semble
apparaître dans les actualités recensées par Google. Mais il est vrai que
les questions européennes intéressent peu nos confrères journalistes.
Qu'en pensent leurs meilleurs spécialistes ?
15 juin 2016 Article publié dans L'Action Française 2000
La question posée aujourd'hui, à l'approche du référendum sur le Brexit,
l'a déjà été à maintes reprises, comme en témoignent les archives d'Aspects
de la France.
En 1950, alors que fut proposée la création de la CECA (Communauté
européenne du charbon et de l'acier), le gouvernement britannique « considérait
que l'appartenance à un groupement exclusivement européen affaiblirait
ses liens avec le Commonwealth et la défense atlantique »,
comme l'explique Helen Parr dans le Dictionnaire critique de
l'Union européenne (Armand Colin, 2008). Cependant, Londres ne
tarda pas à reconsidérer sa position, tandis que se développait le Marché
commun. En effet, « celui-ci était devenu le premier partenaire
commercial de la Grande-Bretagne ». De plus, « la
Communauté était en train de s'imposer sur la scène internationale, au
risque d'isoler la Grande-Bretagne ». Aussi sa demande
d'adhésion fut-elle présentée en juillet 1961.
L'Action française contre l'élargissement
Albion se heurta toutefois à l'hostilité de Paris. Dans les colonnes d'Aspects
de la France, on était loin de le déplorer : « pas
d'élargissement du Marché commun sans révision du traité de Rome »,
résumait le titre d'un article signé Finex, publié dans le numéro du
7 décembre 1967 ; sans quoi, expliquait-il, « le poids
[...] du vote de la France [...] serait diminué en valeur
relative ». « Ceux qui prônent l'entrée de la
Grande-Bretagne dans le Marché commun n'avancent aucun argument relevant
de l'intérêt français », tranchait Pierre Pujo ; « on
ne nous a pas encore dit comment l'économie française supporterait la
concurrence anglaise », déplorait-il notamment.
Un traité n'en fut pas moins signé quatre ans plus tard. « Il
faut écarter d'emblée la théorie selon laquelle tout élargissement d'une
aire économique serait un bien », commentait Georges Mollard,
dans le numéro du 27 janvier 1972. De son point de vue, l'économie
était manifestement un jeu à somme nulle ; qu'importent Ricardo et
ses "avantages comparatifs" : « toute l'expérience acquise
tend au contraire à montrer que ce qui serait bon pour l'un serait
mauvais pour un autre ». En tout cas, « les nouveaux
arrivants ne sont pas disposés à oublier leurs intérêts nationaux »,
prévenait Pierre Pujo ; la « cohésion » de la Communauté
européenne s'en trouvera même fragilisée, annonçait-il. La hantise d'une
Europe fédérale n'en continuait pas moins d'animer les collaborateurs du
journal. Le 15 mai 1975, par exemple, Aspects de la France
dénonçait la « chimère européenne » du président Valéry
Giscard d'Estaing.
Déjà un référendum en 1975
Le mois suivant, les Britanniques étaient appelés, déjà, à s'exprimer sur
le maintien de leur pays dans la Communauté européenne. Comme l'expliquait
Pierre Pujo dans son éditorial du 12 juin 1975, le chef du
gouvernement britannique avait « cru trouver dans le recours à la
procédure du référendum [...] le moyen d'esquiver ses
responsabilités de Premier ministre et de surmonter la division de son
parti sur la question européenne ». L'histoire se répète !
« Malgré le référendum britannique, "l'Europe" recule »,
titrait alors Aspects de la France. Échec venait d'être fait
au Brexit. « Les partenaires de la Grande-Bretagne [...] auraient
tort de croire qu'ils trouveront désormais en elle un associé animé d'un
grand enthousiasme communautaire », prévenait Pierre Pujo.
« La prétention de nos gouvernants de se présenter comme les
meilleurs "européens" peut être de bonne tactique dans les négociations »,
concédait-il de façon plus étonnante « Travaillons à réaliser le
concert des nations européennes tant sur les problèmes politiques et de
défense que sur les questions économiques et monétaires »,
poursuivait-il ; « mais n'oublions pas que la France ne
tiendra son rang, tant vis-à-vis des superpuissances que de ses
partenaires européens, que dans la mesure où elle représentera
elle-même, sur tous les plans, une force ». En effet, qu'est-ce
que la souveraineté sans la puissance ?
20 avril 2016 Article publié dans L'Action Française 2000
Référendum aux Pays-Bas sur l'accord d'association avec l'Ukraine : quand les diplomates doivent compter avec les aléas de la démocratie, c'est le rêve d'une Europe politique qui se dissipe.
Régulièrement, l'Union européenne se heurte à l'écueil de la démocratie.
Outre la réforme des ses institutions, c'est désormais sa politique
étrangère qui doit compter avec elle. Ainsi l'accord d'association avec
l'Ukraine vient-il d'être désavoué aux Pays-Bas, à l'occasion d'un
référendum consultatif. Le moment venu, à la faveur d'une nouvelle
"initiative populaire", peut-être le même sort sera-t-il réservé au
Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) ;
la
collecte des signatures nécessaires a déjà commencé à cet effet.
La voix du Parlement
En France, nul référendum n'est à l'ordre du jour. Cependant, les
parlementaires prétendent faire entendre leur voix. Plusieurs dizaines
d'entre eux l'ont martelé dans
une tribune publiée le 7 avril 2016 dans les colonnes du Monde :
« nous demandons solennellement au gouvernement français de
refuser de signer tout accord avec les États-Unis si le Parlement est
réduit au silence », proclament notamment les socialistes
Patricia Adam, Lalande Bernard et Marie Récalde. Dans
un rapport publié le mois dernier, leur collègue Jean Bizet tentait
d'évaluer « comment le Sénat influe sur l'élaboration des textes
européens ». Ainsi les positions de la chambre haute
auraient-elles été « largement reprises par le gouvernement dans
le dossier sensible et complexe des projets d'accords commerciaux entre
l'Union européenne, le Canada et les États-Unis », par exemple.
D'une façon générale, les informations transmises par le Secrétariat
général des affaires européennes seraient « très complètes et de
grande qualité, mais [...] communiquées trop tardivement ».
Quant aux réponses apportées par la Commission européenne, « si
elles restent encore d'inégale qualité », elles « gagnent
en intérêt et ont tendance [...] à être transmises plus
rapidement que par le passé, ce qui permet de nourrir un dialogue
extrêmement utile ». Cela étant, Bruxelles ferait la sourde oreille
dès lors qu'il est question de subsidiarité : interpellée sur ce
point, la Commission « campe sur ses positions [...] et ne
répond pas vraiment aux objections du Sénat ».
Ce dialogue mené tantôt avec Matignon, tantôt avec Bruxelles, illustre
les deux aspects du "déficit démocratique" qu'aurait creusé la
construction européenne. Dans une optique souverainiste, il traduit
l'accroissement des pouvoirs de l'Union européenne aux dépens des
institutions nationales. Mais suivant une autre acception, il rend compte
de l'éviction du Parlement au profit du gouvernement. Or, comme le
rappelle Jean Bizet, « dans notre système [...], le pouvoir
exécutif n'est pas juridiquement tenu de se conformer aux résolutions
votées par les assemblées parlementaires » ; « il
n'existe pas, comme dans certains États membres, la Finlande et le
Danemark par exemple, de mandat de négociation auquel le gouvernement
doit obligatoirement se tenir ».
Cependant, peut-être les gouvernements européens sont-ils en passe de
perdre l'autonomie qu'ils semblaient avoir ainsi acquise. Le référendum
néerlandais en témoigne : si l'accord d'association avec l'Ukraine
n'avait pas été négocié au nom de l'UE, peut-être aurait-il été ratifié
dans l'indifférence générale. Dans cette perspective, la médiation
européenne ne constituerait plus un blanc-seing mais, au contraire, une
étiquette infamante susceptible d'inspirer la défiance populaire.
Retour au seul commerce
Quoi qu'il en soit, alors qu'elles étaient déjà en vigueur à titre
provisoire, la plupart des dispositions de l'accord signé avec l'Ukraine
le resteront vraisemblablement définitivement. Les traités européens le
permettent, dès lors qu'elles relèvent des compétences exclusives de
l'Union. Qu'en est-il, d'ailleurs, du traité négocié avec Singapour ?
La Cour de justice de l'Union européenne tranchera prochainement...
Si la démocratie directe devait durablement s'immiscer dans les relations
internationales, l'Union européenne devrait sans doute se cantonner à
négocier des accords strictement commerciaux, relevant donc de
sa compétence exclusive, afin d'en garantir une ratification sans
encombre. Jean Quatremer ne s'y est pas trompé : « le "non"
néerlandais est un coup dur pour la politique étrangère des Vingt-Huit »,
déplore-t-il
sur son blog. « L'idée était d'inclure le commerce dans une
démarche politique afin d'en faire un instrument diplomatique »,
explique un diplomate européen, cité par notre confrère ; de son
point de vue, « ne plus faire que du commercial pour éviter un
référendum serait une sacrée régression ». C'est le rêve d'une
Europe politique qui se dissipe encore une fois.
18 février 2016 Article publié dans L'Action Française 2000
La perspective d'un Brexit impose la reprogrammation du logiciel
souverainiste.
La singularité du Royaume-Uni figure à l'ordre du jour de la réunion du
Conseil européen des 18 et 19 février prochains (2016). Dans la
perspective du référendum qui se tiendra vraisemblablement fin juin, le
Premier ministre David Cameron doit négocier un arrangement censé
justifier, auprès de l'opinion publique britannique, le maintien de son
pays dans l'Union européenne. Ce faisant, Londres cherche-t-il à
réaffirmer son indépendance vis-à-vis de Bruxelles ? En partie
seulement, si l'on en juge par ses demandes formulées officiellement en
novembre dernier.
Protéger les intérêts de la City
Symboliquement, le gouvernement britannique voudrait en finir avec cette
« union toujours plus étroite » promise par les traités
européens. Parallèlement, il souhaiterait conférer de nouvelles
responsabilités aux parlements nationaux, et surtout revoir les conditions
suivant lesquelles les ressortissants d'un État membre peuvent librement
circuler d'un pays à l'autre ; il s'agirait, en quelque sorte, de
répondre à la hantise du "tourisme social". Londres réclame, par ailleurs,
un approfondissement du marché unique, la conclusion de nouveaux accords
commerciaux avec les États-Unis, la Chine ou le Japon, mais aussi la
garantie que la zone euro ne poursuivra pas son intégration à ses dépens.
C'est l'influence de la City qui est en jeu. Dernièrement, la Banque
centrale européenne s'y était attaquée de front, tentant d'imposer un
ancrage territorial dans la zone euro aux chambres de compensation les
plus importantes. Dans cette affaire, la Cour de Justice de l'Union
européenne avait finalement arbitré en faveur des intérêts britanniques,
mais peut-être n'en sera-t-il pas toujours ainsi.
La zone euro, là où le bât blesse
Or, c'est précisément l'un des points sur lesquels la négociation
pourrait achopper. « Nous sommes attachés [...] à ce que
les pays qui ne sont pas membres de la zone euro [...] soient
respectés » et « informés de tout ce qui se décide »,
a
déclaré le président de la République, Français Hollande ;
« mais il ne peut pas y avoir de veto des pays hors zone euro sur
ce que nous avons à faire dans la zone euro », a-t-il prévenu.
Des engagements de principe seront sans aucun doute souscrits pour
rassurer les Britanniques. Il faudra bien les accompagner de quelques
déclinaisons pratiques. Un exemple est donné par notre confrère Jorge
Valero : comme
il l'explique sur Euractiv, une possibilité serait
« de programmer la réunion des ministres des Finances de la zone
euro (Eurogroupe) après que tous les ministres européens des Finances se
[seront] rencontrés (Ecofin), plutôt que le contraire, comme c'est le
cas actuellement ».
En tout cas, les exigences de la perfide Albion ne manqueront pas de
légitimer l'espoir, exprimé entre autres par l'ancien Premier ministre
Michel Rocard, d'une relance de la construction européenne à la faveur
d'un "Brexit". Incidemment, les souverainistes semblent condamnés à
reprogrammer leur logiciel : l'Europe « à géométrie variable »,
dont ils étaient traditionnellement les chantres, ne se retrouve-t-elle
pas instrumentalisée par leurs meilleurs ennemis ? « Une
Europe plus intégrée sera une Europe des différences », a ainsi
expliqué à l'AFP Sandro Gozi, secrétaire d'État italien aux Affaires
européennes, cité
par Euractiv. Un détricotage prochain de l'Union
européenne n'en reste pas moins envisagé. Peut-être David Cameron a-t-il
effectivement ouvert la boîte de Pandore. Sans surprise, Marine
Le Pen prétend inscrire ses pas dans ceux du Premier ministre
britannique. Sans doute s'accorderait-elle avec
Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur du Sénat, selon laquelle l'Europe
serait « à un tournant de son histoire ».
Résilience de l'UE
Laurent Warlouzet, maître de conférences en histoire à l'université
d'Artois, juge déplacée cette dramatisation des enjeux. « En fait,
cette perspective cataclysmique sous-estime la résilience
institutionnelle de l'Union européenne », explique-t-il
dans un entretien à La Tribune. « Avant
l'UE », rappelle-t-il, « la CEE a déjà survécu à de
nombreuses crises qui remettaient en cause son existence, de la crise de
la Chaise vide en 1965 à la crise budgétaire britannique [...],
sans parler des événements plus récents, du "non" français de 2005 à la
crise de l'euro ». Quant au « risque de désagrégation
du camp occidental » (à moins qu'il s'agisse d'une
opportunité, selon les points de vue), il ne serait « pas
plus présent ». « L'Otan a toujours eu un périmètre
différent de l'ensemble CEE-UE », poursuit-il. De toute façon,
« les divisions majeures au moment de la guerre en Irak en 2003
ont montré que les divergences stratégiques n'ont jamais empêché la
poursuite de la coopération en matière de gouvernance économique et
sociale, qui reste encore aujourd'hui le domaine de compétence majeure
de l'Union européenne ». Autrement dit, l'Europe n'a pas dit
son dernier mot.
17 décembre 2015 Article publié dans L'Action Française 2000
L'issue du référendum qui vient de se tenir au Danemark fait
échec à la tentative de normaliser ses relations avec l'Union
européenne.
La construction européenne s'accommode mal de la démocratie
directe. La France l'a constaté en 2005, alors qu'était soumise à
référendum la ratification du traité établissant une constitution pour
l'Europe. Au Danemark, on est coutumier de telles expériences. Sa
constitution n'y est pas étrangère : les compétences les plus
fondamentales de l'État ne peuvent être confiées à des organisations
internationales qu'avec l'approbation des cinq sixièmes des
parlementaires siégeant au Folketing... à moins d'organiser une
consultation populaire à cet effet.
En route vers la défiance
L'aventure a commencé en 1972, où l'adhésion à la Communauté
européenne fut approuvée par 63 % des voix. À l'époque, comme
le rappelle Christine Manigand, dans une contribution au
Dictionnaire critique de l'Union européenne
(Armand Colin, 2008), « les partisans firent porter leurs
arguments sur les bénéfices économiques que l'agriculture danoise
pouvait escompter de son entrée dans la CEE ainsi que sur les liens
renforcés avec ses deux principaux partenaires commerciaux (Allemagne
de l'Ouest et Grande-Bretagne) ». En 1986, l'Acte unique fut
approuvé lui aussi, mais à une moindre majorité. En revanche, en juin
1992, le traité de Maastricht fut rejeté par 51 % des voix,
avec 83 % de participation.
La singularité danoise trouve son origine dans l'échec de ce
référendum. Quelques mois plus tard, en effet, Copenhague renégocia les
conditions de sa participation à l'Union européenne
naissante : il resterait en marge de l'Union économique et
monétaire, des initiatives sur la justice et les affaires intérieures
et d'une politique de défense au demeurant embryonnaire. En mai 1993,
l'affaire était entendue : 57 % de "oui". Laissant
passer quelques années, le gouvernement tenta de faire machine arrière.
En vain : en septembre 2000, l'entrée dans la zone euro fut
refusée par 53 % des voix.
Un "non", encore un !
Au printemps dernier, Martin Lidegaard, ministre danois des
Affaires étrangères, se lamentait encore de ce statut
dérogatoire : « la seule chose que cela nous a
apporté, ce sont des problèmes », a-t-il
déclaré. Comme
l'explique Euractiv, « en
vertu du traité de Lisbonne, l'agence intergouvernementale chargée de
la lutte contre le crime organisé, les trafics et le terrorisme
deviendra en 2016 un organisme supranational subordonné au conseil des
ministres européens chargé des affaires de police et de
justice ». C'est la raison pour laquelle Copenhague espérait à
nouveau normaliser sa participation à l'Union européenne. Un référendum
– encore un – a donc été organisé à cet effet le 3 décembre
2015. Comme
le rapportent nos confrères, « le "non" [qui] était
défendu par l'extrême gauche et le Dansk Folkeparti (DF, Parti du
peuple danois), qui soutiennent pourtant le gouvernement minoritaire au
parlement, a obtenu 53,1 % des suffrages contre
46,9 % pour le "oui" » – la participation atteignant
72 %. « C'est un non catégorique », a
reconnu Lars Lokke Rasmussen, Premier ministre. Finalement, son
gouvernement devra négocier une accord spécifique pour pérenniser la
coopération du Danemark avec Europol. Il y parviendra très
vraisemblablement. Si on lui force la main, l'Europe peut
donc faire preuve de quelque souplesse.
Contrôle parlementaire
Quant au "déficit démocratique" dont on l'affuble, à supposer
qu'il constitue effectivement un travers, il peut lui-même être comblé,
au moins en partie, au sein des États membres, comme l'illustre, là
aussi, la singularité danoise. En effet, comme l'explique Christine
Manigand, « grâce à son Comité européen, le Folketing dispose
d'un pouvoir nettement plus important que les autres parlements
nationaux ». « Avant toute négociation sur des
projets d'actes communautaires "de grande portée", le gouvernement doit
présenter un avant-projet de négociations devant ce Comité qui en débat
et fixe un mandat qui, sans être impératif, ne peut subir de
modification sans revenir devant ladite commission. Après la réunion du
Conseil des ministres, le Comité vérifie que le mandat n'a pas été
outrepassé et, dans ce cas, a le loisir de saisir le Folketing et de
mettre en cause la responsabilité du ministre ou du
gouvernement. » Un exemple à suivre ?
Menacés par la percée du Front national, les eurodéputés
socialistes et Les Républicains cultivent sans vergogne le sectarisme
partisan. Cependant, leurs rivaux populistes ne trouvent pas davantage
grâce à nos yeux.
Voilà que le Front national appelle l'Union européenne à
s'aligner sur les États-Unis ! En cause :
l'autorisation donnée par la Commission européenne, en juillet dernier,
à la commercialisation du Sulfoxaflor, un pesticide accusé de nuire aux
abeilles, interdit outre-Atlantique.
Sylvie Goddyn, député français au Parlement européen, explique
avoir « engagé une procédure d'urgence pour faire obstacle à
ce produit ». À tort ou à raison, la plupart de ses
collègues partagent apparemment sa défiance à l'égard du Sulfoxaflor.
Mais il se trouve que Mme Goddyn a été élue sous les couleurs
du Front national... Or, « pour les socialistes
français », rapporte
notre consœur Aline Robert, « la ligne de conduite
est très claire : pas question de voter le moindre amendement
FN ou de négocier le moindre compromis ». D'ailleurs, loin de
s'arrêter en si bon chemin, « le groupe socialiste et
démocrate planche [...] sur l'établissement d'une position commune pour
éviter qu'un élu de sa formation ne soutienne des amendements du groupe » où siègent les eurodéputés du Front national.
« La même initiative a été prise à droite au PPE, où Alain
Lamassoure et Françoise Grossetête [...] veulent aussi mettre le sujet
sur la table. Il s'agit de convaincre leurs collègues [...] de ne pas
voter les amendements FN. »
Ce jour-là, on s'en souvient, alors que le président de la
République venait de s'exprimer devant le Parlement européen aux côtés
du chancelier allemand, la présidente du Front national l'avait affublé
du tire de « vice-chancelier administrateur de la province
France », l'accusant de « se soumettre aveuglement à
une politique décidée à Berlin, Bruxelles ou Washington ». Des
propos éminemment grotesques : si l'Élysée était effectivement
une antenne de la Maison-Blanche, sans doute Paris investirait-il
davantage dans sa défense, conformément aux recommandations de l'Otan,
par exemple ; et si Bercy rendait des comptes à Berlin, ce
n'est pas un tel laxisme qui gouvernerait le budget de l'État !
En tout cas, cela tranche avec l'attitude d'une Marie-France
Garaud, qui disait s'interdire de critiquer la politique de son pays
hors de ses frontières (1)... C'est à Strasbourg que Marine
Le Pen s'est illustrée, nous rétorquera-t-on. Strasbourg, qui
se trouve toujours en France donc. Certes, mais qu'est-ce que le
Parlement européen ? La représentation plus ou moins légitime
de vingt-huit États, ou bien celle d'un improbable peuple
européen ? Aux yeux de Paris, rappelons-le, la participation
de la France à l'UE relève encore, à bien des égards, de la politique
étrangère, comme en témoigne la tutelle du ministre des Affaires
étrangères sous laquelle est toujours placé le secrétaire d'État aux
Affaires européennes.
Paradoxalement, Marine Le Pen semble vouloir nous faire croire
le contraire, se faisant complice d'une propagande européiste. Pas la
peine de l'accabler, cependant : elle n'est que le rouage,
certes complaisant, d'un système institutionnel qui la
dépasse ; de toute façon, un nouvel acteur la remplacerait
vraisemblablement dans son rôle si elle avait la décence d'y
renoncer... Il n'empêche : si le souverainisme était
conséquent, ses tenants n'applaudiraient pas la prestation de l'égérie
populiste ; ils dénonceraient plutôt l'existence même du
Parlement européen, ou du moins son mode de fonctionnement, où un
pareil affrontement, opposant, devant l'Europe entière, la première
délégation nationale au chef de l'État, devrait leur paraître
insupportable. Mais avec des "si"...
(1) Nous nous souvenons l'avoir entendue revendiquer une telle
conduite lors d'un entretien à la radio. En toute rigueur, cependant,
sans doute conviendrait-il d'examiner ses interventions au Parlement
européen.... Avis aux historiens !
« A priori, Schengen,
c'est fini. » Cette annonce circule sur la Toile, avec la
photo d'Angela Merkel, s'inscrivant dans une série d'images plus ou
moins parodiques. Sur les réseaux sociaux apparaît également ce
commentaire : « À bas l'Union européenne. Vive
l'Europe des nations libres et indépendantes ! »
Voilà qui participe d'un double malentendu.
En effet, le rétablissement de contrôles aux frontières des
États membres de l'Union européenne participe du fonctionnement normal
de l'espace Schengen. Si Paris y trouve son compte d'une façon ou
d'une autre, il ne fait aucun doute qu'il emboîtera le pas à Berlin. Le
Premier ministre, Manuel Valls, vient de le rappeler devant les députés :
« Nous avons déjà rétabli ce printemps des contrôles
temporaires à cette frontière (franco-italienne). Et nous n'hésiterons
pas à le faire de nouveau comme les règles de Schengen le permettent à
chaque fois que les circonstances l'imposent, si c'est nécessaire dans
les prochains jours ou prochaines semaines. » Il y a d'autres
précédents... Comme l'expliquait Serge Weber, dans une contribution au Dictionnaire
critique de l'Union européenne (Armand Colin, 2008),
« la liberté de circulation est en réalité toute
relative ».
D'aucuns s'imaginent qu'elle résulterait de décisions
inspirées par la seule idéologie : des élites apatrides
œuvreraient sincèrement (quoique sournoisement) à la constitution d'un
État européen puis mondial, convaincues que celui-ci serait le gage
d'une paix perpétuelle... Du conspirationnisme soft,
en quelque sorte ! La réalité s'avère plus prosaïque, comme
l'illustre l'article de Wikipédia consacré à
l'accord de Schengen : « Souvent présenté
comme un "laboratoire de l'Europe", cet accord fait suite, notamment, à
une grève du zèle des douaniers italiens, puis des douaniers français,
en janvier 1984, confrontés à l'intensification de leur travail à la
suite de l'augmentation des passages de frontières, à laquelle fait
réponse une grève des camionneurs qui paralyse le territoire français
en février 1984. »
Autrement dit, des considérations économiques et sociales ont
vraisemblablement présidé aux négociations de cet accord, signé le
14 juin 1985 par la France, l'Allemagne, la Belgique, les
Pays-Bas et le Luxembourg. Cinq États, donc, alors enclins à souscrire
un engagement multilatéral en marge des institutions communautaires.
L'espace Schengen n'a été intégré à l'Union européenne qu'une
dizaine d'années plus tard, avec le traité d'Amsterdam. Aujourd'hui,
cependant, tous les États membres de l'UE n'en font pas
partie : l'Irlande et le Royaume-Uni se maintiennent à
distance ; la Bulgarie, la Croatie et la Roumanie frappent à
la porte (le cas de Chypre est un peu spécial). À l'inverse, l'Islande,
le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse y participent... sans être
membres de l'UE.
Bref, l'espace Schengen, c'est l'Europe à la carte.
Son histoire comme sa réalité présente en
témoignent : "l'Europe des États libres et indépendants"
existe ; elle est là, sous nos yeux, dans nos vies... Pour le
meilleur ou pour le pire.
16 juillet 2015 Article publié dans L'Action Française 2000
Rappel de quelques consultations populaires ayant ponctué la
construction européenne.
La démocratie directe s'immisça dans la "construction
européenne" dans les années soixante-dix, à l'heure du premier
élargissement des Communautés, auquel Paris ne donna lui-même son feu
vert qu'à l'issue d'un référendum (68,3 % des suffrages
exprimés en faveur du "oui"). L'adhésion du Danemark et celle de
l'Irlande furent ratifiées dans la foulée d'une consultation populaire
(respectivement 81,3 % et 63,3 % de "oui"), tandis
que celle de la Norvège fut rejetée selon les mêmes modalités
(53,5 % de "non"). L'adhésion du Royaume-Uni était déjà
effective quand un référendum y fut organisé (67,2 % de
"oui"). « There is no alternative », clamaient déjà
les partisans du maintien dans "l'Europe"... Dans les années
quatre-vingt, les traités d'adhésion de la Grèce, de l'Espagne et du
Portugal furent ratifiés par voie parlementaire. Dans les années
quatre-vingt-dix, en revanche, l'élargissement suivant donna lieu à des
consultations populaires. « Il avait été convenu de commencer
par le pays où l'opinion semblait la mieux disposée, l'Autriche, et
l'effet d'entraînement fut d'autant plus réel que les résultats furent
meilleurs qu'espérés » (66,6 % de "oui"), comme le
rapportent Anne Dulphy, Lukas Macek et Christine Manigand, dans une
contribution au Dictionnaire critique de l'Union européenne
(Armand Colin, 2008). La Finlande et la Suède lui emboîtèrent le pas.
« En revanche, à nouveau, la population norvégienne –
notamment celle du Nord, ainsi que les petits paysans, les artisans
pêcheurs... – opposa un "non" à 52,2 %, en dépit d'une
participation inégalée de 89 %. »
Un état d'esprit fataliste
Nouvelle vague d'élargissement dans les années 2000. Chypre
entérina son adhésion à la faveur d'un vote parlementaire, tout comme
la Bulgarie et la Roumanie un peu plus tard. Partout ailleurs (Estonie,
Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République tchèque,
Slovénie, Slovaquie), un référendum fut convoqué. Dans la plupart des
cas, le "oui" l'emporta largement, mais la participation fut assez
faible. Dans le décennie suivante, cela se vérifia en Croatie, où
l'adhésion fut également approuvée par référendum (66,27 % de
"oui", mais seulement 43,51 % de participation). L'Europe se
serait-elle imposée comme une fatalité ? « Cette
vision du processus d'intégration comme une nécessité historique est
très caractéristique de la trajectoire des pays
post-communistes », commentent Anne Dulphy, Lukas Macek et
Christine Manigand. « Il en a découlé assez logiquement un
sentiment [...] que "tout est joué", le vote des citoyens n'étant
qu'une simple formalité. » En cela, « les référendums
d'adhésion dans les Peco [pays d'Europe centrale et orientale] sont à
mettre en parallèle avec les consultation en France, aux Pays-Bas et en
Irlande en 2005 et 2008 : derrière un postulat pro-européen de
principe, il y a désormais une réelle difficulté à faire émerger une
majorité populaire dès lors qu'il s'agit de préciser les modalités
concrètes du projet européen ».
Plusieurs autres référendums ont ponctué la
construction européenne. Quelques États méritent une attention
particulière : la Norvège, qui semble durablement associée à l'UE sans
y adhérer formellement ; l'Irlande, où les citoyens ont été convoqués
aux urnes à deux reprises afin que soit ratifié le traité de Lisbonne –
tout comme ils l'avaient déjà été deux fois afin que soit adopté celui
de Nice ! – ; le Danemark, où l'échec d'un premier référendum
sur le traité de Maastricht avait suscité la négociation de plusieurs
dérogations – sur lesquelles il est d'ailleurs question de revenir, au
moins en partie, à l'occasion d'une prochaine consultation populaire.
L'exemple de la Suède
« La Suède, de son côté, n'a jamais demandé
d'exception formelle », rappellent les contributeurs du Dictionnaire
critique de l'Union européenne. « Lors des
négociations d'adhésion, elle avait spécifié qu'elle se réservait le
droit de soumettre à une décision séparée sa participation à la
troisième phase de l'Union économique et monétaire. Cette décision ne
figure pas dans le traité de juin 1994, mais les autorités suédoises
ont revendiqué ce droit à un libre choix » – preuve que
l'Europe peut se construire plus ou moins "à la carte" indépendamment
des traités. S'il était pressé d'adopter la monnaie unique contre
l'avis du "pays légal", Stockholm pourrait donc s'abriter derrière la
"volonté populaire". Ce faisant, peut-être se heurterait-il aux
velléités intégrationnistes des institutions communautaires, mais pas
directement aux intérêts des États membres de l'UE... Or, nulle
consultation populaire ne saurait bouleverser les rapports de force qui
gouvernent l'équilibre européen. Maurras raillait jadis « ces
divagations de démocratie libérale qui supposent que nous pouvons tout
ce qu'il nous vient à la fantaisie de vouloir ». Autrement dit
: la souveraineté est une chose, mais la puissance en est une autre...
Les Grecs ne viennent-ils pas d'en faire l'amère expérience ?
Mercredi dernier, 27 mai 2015, votre serviteur était
l'invité de Luc Le Garsmeur sur Radio Courtoisie.
L'essentiel des discussions ont porté sur le traité établissant une
constitution pour l'Europe, rejeté par référendum il y a tout juste
dix ans aujourd'hui.
C'était seulement notre seconde expérience en radio. C'est
pourquoi les auditeurs devront se monter indulgents.
L'expression manque de clarté... On fera mieux la prochaine
fois !
En pareille circonstance, hanté par la crainte de ne
plus rien avoir à dire, on garde quelques idées en réserve, si bien
qu'on arrive en fin d'émission sans les avoir formulées... C'est
malin !
Aussi rappellerons-nous ici que le "peuple" que Nicolas
Sarkozy aurait "trahi" en faisant adopter le traité de Lisbonne n'a
jamais représenté que 37 % des électeurs inscrits. C'est dire
la fragilité de l'onction populaire dont prétendent se draper les
détracteurs de ce texte... D'autant que le candidat Sarkozy n'avait pas
caché ses intentions : « débloquer l'Europe
institutionnellement, ce sera le sens de ma première initiative
européenne si je suis élu », avait-il déclaré à Strasbourg le
21 février 2007. « Dans ce but »,
avait-il annoncé, « je proposerai à nos partenaires de nous
mettre d'accord sur un traité simplifié qui reprendra les dispositions
du projet de traité constitutionnel. [...] Je proposerai notamment de
mettre fin à la règle de l'unanimité. [...] Ce traité simplifié, de
nature institutionnelle, sera soumis pour ratification au
Parlement. » Dans ces conditions, comment prétendre que la
"démocratie" a été bafouée ?
De son point de vue, « Il y a très clairement un
paradoxe dans le fait que l'acteur international qui influence le plus
la société et la vie quotidienne des Norvégiens, l'UE, est également la
seule grande organisation internationale dont nous ne sommes pas
membre ». D'autant que cela ne dispense nullement Oslo des
contributions financières propres aux États membres :
« nous versons plus ou moins ce que nous verserions si nous
étions un pays membre », souligne M. Helgesen.
« C'est une drôle de situation où vous avez toutes les taxes
et aucune représentation », observe-t-il, avant de nuancer son
propos : « nous avons une certaine
représentation » ; « nous n'avons juste pas
le droit de vote ».
En conséquence, explique-t-il, « il est plus
important pour nous que pour les États membres d'être actifs dès le
départ, avant que les décisions ou propositions soient
présentées ». En effet, « les spécialistes norvégiens
ont le droit de participer aux comités de la Commission ». Or,
« si vous avez des connaissances et de l'expertise à apporter
aux discussions, votre voix est entendue, tout comme celle des États
membres ». « Nombre de ces discussions sont
techniques », souligne le ministre norvégien, selon lequel,
« dans certains domaines », ses équipes seraient
« à la pointe du savoir-faire ». Cependant,
reconnaît-il, « quand il s'agit de questions politiques plus
larges, nos limites sont plus flagrantes, parce que nous ne pouvons pas
être à la table des discussions quand les décisions sont
prises ».
Curieusement, constate-t-il, « le paysage politique
norvégien est caractérisé par une certaine satisfaction vis-à-vis de
notre situation ». S'agit-il pourtant d'un exemple à suivre
pour le Royaume-Uni, et surtout pour la France ? Méfions-nous
des mirages souverainistes : en pratique, la vague promesse
d'une indépendance de façade se traduirait vraisemblablement par une
perte effective d'influence.