La France des cols bleu Marine

20 avril 2012

Chronique enregistrée pour RFR le dimanche 1er avril 2012.

Nos auditeurs savent-ils dans quelles conditions sont fabriqués les Iphone qu'ils trimballent dans leur poche ? Ils sont assemblés en Chine, dans une usine où l'on travaille souvent plus de quarante-neuf heures par semaine. C'est davantage que le plafond légal fixé dans l'empire du Milieu. Cela ressort des conclusions d'un audit réalisé par la Fair labor association, dont les conclusions ont été publiées jeudi dernier (le 29 mars 2012).

Que les fanatiques d'Apple se rassurent : ils ne sont pas coupables de contribuer à faire travailler des enfants. De toute façon, mon intention n'est pas de les accuser de quoi que ce soit. Je cherche plutôt à les mettre en garde contre l'avenir qui nous est réservé.

En effet, un candidat à l'élection présidentielle a proclamé son ambition de fabriquer des smartphones non pas en Chine, mais en France. Et je ne vous parle pas d'un candidat de seconde division. Bien au contraire : selon des analyses manifestement très sérieuses, ce candidat-là serait le mieux placé pour vaincre François Hollande au second tour. C'est un serviteur illustre de la France, l'incarnation même de la nation, la nouvelle Jeanne d'Arc ! Demain, les royalistes marcheront sur Reims aux côtés de Marine Le Pen.

En attendant, quand un Iphone est importé aux États-Unis, étant donné l'origine des différents composants, ce sont seulement 4 % de son prix qui reviennent à la Chine. 4 % : s'agit-il de la part que l'égérie populiste voudrait réserver à la France ? 4 %, contre 14 % à la Corée du Sud, 18 % à l'Allemagne, 36 % au Japon ?

Aux yeux d'un certain nombre d'économistes, tel Olivier Bouba-Olga, « on peut donc opposer deux stratégies en matière de politique industrielle » : d'une part, la stratégie popularisée par la campagne électorale, « qui vise à soutenir la production de biens "made in France" vendus en France » ; d'autre part, « la stratégie japonaise ou allemande, qui vise à être bien placé dans les processus de production de produits "made in monde" vendus... partout dans le monde ».

Prétendre que l'on serait plus ou moins patriote selon que l'on promeuve l'une ou l'autre de ces stratégies, c'est une belle ânerie, permettez-moi de le dire. Hélas, les royalistes se rendent volontiers complices d'une instrumentalisation démagogique du sentiment national. Je suis désolé de le proclamer à ce micro, mais le "patriotisme économique", à bien des égards, c'est à l'économie ce que le "bio" est à l'agriculture. C'est un gadget marketing, dont la mise en œuvre suppose une normalisation hasardeuse, pour des bénéfices vraisemblablement marginaux.

Érigé en politique, d'aucuns prétendent qu'il serait même « suicidaire ». Parce que si vous vous interdisez de délocaliser certaines activités, vous renoncez également à allouer de façon optimale les ressources dont vous disposez. Le problème se pose en termes similaires à propos des progrès techniques. Cela n'a pas échappé aux parlementaires de l'UMP, dont on connaît l'ultra-méga-super-libéralisme. J'en tiens pour preuve deux propositions de loi déposées il y a quelques mois : d'abord, celle du député Alain Moyne-Bressand, « visant à interdire la généralisation des caisses automatiques aux barrières des péages » ; ensuite, celle du sénateur Alain Houpert, visant à « assujettir aux prélèvements sociaux le chiffre d'affaires réalisé par les caisses automatiques ».  En Allemagne, on compte, paraît-il, trois fois plus de robots industriels que chez nous. Demandez-vous pourquoi l'économie d'outre-Rhin est réputée plus compétitive que la nôtre...

On prétend sauvegarder l'emploi en s'opposant à la technique ou à la mondialisation. Mais conserver, c'est dépérir ! Entasser du blé dans un grenier, stocker des aliments sous vide, cela permet de subsister quelques mois, voire quelques années. S'il convient de se préparer à affronter les disettes, cela ne saurait nous détourner du travail quotidien de la terre, ni des semis réguliers : sans cesse nous devons remettre l'ouvrage sur le métier ! C'est la vie, et nulle incantation volontariste n'y changera jamais quoi que ce soit.

Les cas de relocalisation en témoignent : ils ne concernent pas des emplois recrées à l'identique, mais ils résultent généralement d'un repositionnement de l'activité vers une offre de meilleure qualité. Par conséquent, si nos responsables politiques témoignaient d'un peu  de "patriotisme économique", ils commenceraient par sortir de la farandole courant de Florange à Petit-Couronne, où les candidats à l'élection présidentielle défilent pour visiter les usines du passé. Catoneo l'a martelé sur Royal Artillerie : « Plutôt que de lever le poing au ciel, nous devons développer de l'industrie à travers des métiers neufs et sans tarder, car les courbes ne s'inverseront pas. Innovons ! Découvrons ! Inventons ! »

Vincent Benard a lancé cet avertissement relayé par l'Institut Turgot : « Si nous ne corrigeons pas le tir, le déclin de notre système éducatif et notre fiscalité punitive de la prise de risque pourraient, dès le second tiers du présent siècle, cantonner un pays comme la France au rôle de pourvoyeur de cols bleus mal payés pour le compte de décideurs des pays émergents. » Je vous l'ai dit : on fabriquera des smartphones en France... Bien que ses concurrents ne s'en distinguent pas fondamentalement, au moins Marine Le Pen annonce-t-elle fièrement la couleur.

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Les déboires de l'euro, symbole d'une République en faillite

26 janvier 2012

Chronique enregistrée pour RFR le lundi 23 janvier 2012.

L'année dernière, quelques prophètes avaient annoncé que l'euro ne survivrait pas à 2011 – c'était le cas, on s'en souvient, d'Emmanuel Todd. L'entrée dans la nouvelle année les a couverts de ridicule ! Bien sûr, le spectre d'un éclatement de l'Union économique et monétaire hante les esprits. Mais si l'on s'en tient au cours des devises, en dépit d'une inflexion récente à la baisse, force est de constater que l'euro inspire toujours confiance. Quant à nos auditeurs, je doute qu'aucun commerçant les ait jamais priés de régler leurs achats en or ou en dollars. Chacun peut donc le constater au quotidien : l'euro n'est pas en crise. Du moins, pas au sens strict.

D'ailleurs, la crise de la dette est loin d'affecter les seuls États partageant la monnaie unique, quoique celle-ci leur complique effectivement la tâche pour en sortir. Le redressement des comptes publics est devenu une préoccupation majeure au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Japon aussi. C'est dire la légèreté avec laquelle on attribue parfois à l'euro la responsabilité de tous nos malheurs.

En fait, les souverainistes me rappellent ces gens qui, au lieu de condamner les violeurs, incriminent leurs victimes, coupables de les avoir tentés en affichant leur féminité. Tu portais une mini-jupe ? C'est bien fait pour ta gueule ! Cool... On sait que les Grecs ont maquillé leurs comptes publics ; mais ils en sont tout excusés, puisque c'était pour coller aux critères de convergence du traité de Maastricht. Ils se sont trop endettés : c'est encore la faute de l'euro, puisque celui-ci leur a permis de le faire à moindre coût. Parallèlement, on nous explique que la France pâtirait non pas de l'ampleur de ses emprunts, mais de leur coût depuis qu'ils sont souscrits sur les marchés financiers. Bonjour la cohérence.

Tout cela me semble symptomatique d'une démarche idéologique. Évoquant l'"empirisme organisateur" cher à l'AF,  Maurras.net explique qu'il s'agit « de "voir les faits", de se laisser guider par eux, sans faire intervenir un vocabulaire sentimental. Rien ici n'est de l'ordre de la détestation, de l'indisposition, ou d'un mouvement de l'âme si cher aux politiques romantiques et, plus tard, aux démagogues électoraux qui y trouvent le moyen de remuer les foules d'électeurs ou d'émeutiers. » Présentant l'attitude de Maurras à l'égard des colonies, le site précise que celles-ci n'étaient jugées « ni bonnes ni mauvaises métaphysiquement ». En effet, « ce sont les conditions objectives de leur développement, de leur maintien, de leur profit pour la nation qu'il s'agit d'examiner ». Sans préjuger des conclusions, je pense qu'il faudrait faire de même avec l'euro. D'autant que s'en débarrasser, c'est autre chose que de ne pas l'avoir adopté...

J'en vois déjà certains sauter sur leur chaise comme des cabris en disant "souveraineté", "souveraineté". Mais cela ne recouvre rien de concret. Leur discours n'est que le paravent d'un idéalisme républicain, dont participe la dénonciation récurrente du "déficit démocratique". Par cette expression, on ne pointe pas la capacité des responsables politiques à décider ou non en toute indépendance, mais leur inclination à court-circuiter le Sénat et l'Assemblée par l'entremise des institutions européennes. Marine Le Pen n'a pas manqué de verser dans cette rhétorique : dans son projet présidentiel, elle se félicite de l'élection des eurodéputés au suffrage universel direct, et déplore que leurs pouvoirs n'aient pas été davantage accrus. C'est un comble ! En effet, des trois sommets constituant le "triangle institutionnel" de l'Union européenne, le Parlement est clairement le plus fédéral.

Parlons plutôt de puissance et d'indépendance, mais sans faire de celle-ci un absolu. Laisser sa voiture au garage, pour lui préférer le train, voire l'avion, c'est sacrifier un peu de son indépendance, mais cela n'en reste pas moins un choix souverain, motivé, vraisemblablement, par la volonté de s'ouvrir de nouveaux horizons. Quant à l'achat d'une voiture, cela va sans dire, il présenterait peu d'intérêt pour un individu qui ne serait pas en mesure de conduire. C'est pourquoi la perspective d'un retour au franc ne devrait susciter qu'un enthousiasme modéré. En effet, si l'État disposait à nouveau du levier monétaire, saurait-il l'actionner à bon escient ? Déplorant les dévaluations à répétition, Jacques Bainville en a jadis douté.

Quoi qu'il en soit, la question mérite d'être posée. D'autant qu'il ne faudrait pas prendre nos politiciens pour plus bêtes qu'ils ne sont. Ils savaient bien à quels impératifs devait nous soumettre l'adoption d'une monnaie unique. En l'occurrence, une stricte discipline budgétaire, ainsi qu'une grande flexibilité économique censée compenser les écarts de compétitivité. Or, depuis l'entrée en vigueur du traité de Maastricht, la France a fait voler en éclats le Pacte de stabilité, tout en rechignant à libéraliser davantage son économie.

Peut-être avons-nous échappé au pire, me direz-vous. La République n'en apparaît pas moins incapable d'assumer les conséquences de ses propres décisions, bonnes ou mauvaises. En cela, les déboires de l'euro sont le symbole d'une République en faillite. À l'approche de l'élection présidentielle, les royalistes seraient bien inspirés de le marteler.

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Sur le front de l'euro

3 novembre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Si les désillusions étaient inéluctables après elles sommet du 26 octobre, elles sont survenues plus vite que prévu...

Dans la nuit du 26 au 27 octobre 2011, le président de la République a salué « le caractère historique » des décisions négociées par les Dix-Sept. « Enfin, nous avons mis en place concrètement le gouvernement économique de la zone euro », s'est-il félicité. De fait, il s'agira seulement d'organiser des réunions plus régulières des chefs d'État ou de gouvernement. Pour le reste, commente Jacques Rosselin, directeur de la rédaction de La Tribune, cet accord « ressemble plus à l'exercice de créativité financière d'une banque d'affaires qu'à une décision de gouvernants animés par une vision ou, restons modestes, une simple volonté politique ». Quant au caractère « durable » de la solution envisagée pour résoudre la crise, elle a d'emblée été nuancée par Traian Basescu, le ministre roumain des Finances : « Que le montant de la recapitalisation des banques soit de 100 ou 200 milliards d'euros, il sera suffisant pour les six ou sept premiers mois », a-t-il déclaré. « Voilà un horizon que notre président de la République sait maîtriser », ironisait notre confrère. C'était compter sans l'annonce d'un référendum en Grèce censé valider cet énième plan de sauvetage. Cela remet encore tout à plat ! Étant donné l'incertitude qui plane désormais sur la ratification de l'accord, les créanciers d'Athènes consentiront moins volontiers à la décote de leurs titres, qui devait atteindre 50 %.

Appel à l'aide

Lors de sa conférence de presse, le chef de l'État a veillé à exprimer en dollars les futures capacités du Fonds européen de stabilité financière (FESF). « Je donne cette information pas tant pour les marchés européens, mais pour les marchés mondiaux », a-t-il expliqué. Or l'implication des "pays émergents" se heurte à différents écueils identifiés par notre consœur Marie-Christine Corbier. La Chine privilégierait une intervention auprès des entreprises, ou via le FMI afin d'y renforcer son influence, a-t-elle souligné dans Les Échos. Par ailleurs, les Européens souhaiteraient se prémunir d'un renchérissement de la monnaie unique. « D'où la proposition [...] que le FESF émette des obligations libellées en yuans ». Ce qui supposerait l'accord de Pékin, peu disposé à lâcher du lest quant au contrôle de sa monnaie ! Enfin, ces discussions risquent d'interférer avec les négociations commerciales, au moment où l'UE était tentée d'exiger, notamment, un plus large accès aux marchés publics chinois. On envisageait même des mesures de rétorsion, quoique l'Allemagne y soit réticente. Autant les oublier : qui paie commande.

Recherche & Développement en sursis

6 octobre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que plane le spectre d'une délocalisation des activités de recherche et développement (R&D), le crédit impôt recherche (CIR) confirme son succès.

La France décroche dans la course à l'innovation mondiale, rapportent Les Échos. Selon une étude publiée jeudi dernier, 27 septembre, par la Business Software Alliance, elle a perdu quatre places au classement mondial de la compétitivité dans les technologies de l'information. Les infrastructures ne seraient pas en cause. Quant à l'environnement légal, il s'améliorerait « avec des avancées dans le domaine de la signature électronique, de la confidentialité des données et de la législation sur la cybercriminalité ». En revanche, soulignent nos confrères, la France accuse un certain retard « au niveau des investissements en R&D, mais aussi du capital humain » : alors que dix mille créations d'emploi sont annoncées cette année dans l'informatique par le Syntec Numérique, les entreprises craignent de ne pouvoir subvenir à leurs besoins en main d'œuvre.

Des effectifs en hausse

C'est une inquiétude récurrente, dont Philippe Adnot, sénateur non inscrit de l'Aube, s'était fait l'écho dans un rapport présenté l'année dernière. Cela étant, au regard des effectifs alloués, les activités de recherche et développement auraient régulièrement augmenté entre 2000 et 2008. En la matière, « il n'existe pas de mouvement global de délocalisation », soutient le parlementaire. Sur la même période, les entreprises n'en auraient pas moins accru leur présence à l'étranger, où le nombre de centres français de R&D aurait augmenté de 20 %. Ce phénomène résulterait, pour partie, des héritages consécutifs à des fusions-acquisitions. Mais aussi de la volonté de s'adapter aux spécificités locales, voire d'optimiser les ressources à l'échelle mondiale : « Cette vision [...], relativement ancienne dans le secteur des télécoms, a été reprise par EADS en 2006. De même, plus récemment, Sanofi Aventis, après avoir annoncé la rationalisation de sa R&D en 2009, a conclu au cours de l'année 2010 plusieurs partenariats avec des organismes renommés dans le cadre d'une stratégie d'excellence mondiale centrée sur des sujets encore non traités par l'entreprise. » Quant à la réduction des coûts, sans nul doute escomptée, « elle n'a pas été à ce jour pleinement vérifiée » selon le rapporteur, dont les interlocuteurs ont souligné « les coûts liés au turn-over important des ingénieurs dans certains pays, les coûts de traduction, les coûts de reconstitution du savoir ».

Le poids de l'étranger

Quoi qu'il soit, dans une économie internationalisée, il s'avère délicat d'apprécier les flux de R&D. Témoin, cette coïncidence survenue à la rentrée 2010 : « Le 15 septembre 2010, Renault inaugurait en Roumanie un nouveau centre technique dédié à la mise au point des véhicules et des organes mécaniques de la plateforme Logan. Six jours auparavant, le P-DG de Google, Éric Schmidt, annonçait la création en France d'un centre de recherche et développement (R&D) pour l'Europe qui recruterait prioritairement dans les écoles et les universités françaises dont l'excellence en mathématiques est reconnue. » De fait, remarque  Philippe Adnot, « les entreprises étrangères financent une part non négligeable de la dépense intérieure en R&D » : 20,8 % en 2007 et 22,2 % en 2008, contre 13 % aux États-Unis, 17 % en Finlande et 5 % au Japon ; entre 2007 et 2008, la part des dépenses intérieures de R&D des filiales sous contrôle étranger a même augmenté de plus de 11 %.

Les plus optimistes y verront, certes, le signe d'une attractivité renforcée par le succès du crédit impôt recherche. À l'issue d'une enquête menée auprès de sociétés réputées innovantes, Alma Consulting Group a confirmé, selon le résumé des Échos, que « pour la majorité des entreprises françaises, le CIR a bel et bien un effet de levier sur l'emploi en R&D : 39 % ont renforcé leurs équipes de chercheurs de 50 %, et même doublé leurs effectifs dans 22 % des cas. Autre effet positif : 38 % des sociétés déclarent avoir augmenté de 50 % le nombre d'innovations commercialisées, et 24 % ont lancé deux fois plus de produits innovants sur le marché. De nouvelles offres qui ont généré une augmentation de chiffre d'affaires de 50 % pour une entreprise sur trois, et même de 100 % pour une sur quatre. »

Toutefois, on ne saurait se contenter de ces chiffres. D'autant que, dans les années à venir, les entreprises conduiront probablement un audit sur la localisation de leurs centres de R&D, prévient le sénateur de l'Aube. « À cet égard », remarque-t-il, « plus ces centres seront intégrés à un écosystème d'innovation dynamique, et plus il sera onéreux pour l'entreprise de modifier la géographie de sa R&D ». Ou comment enraciner l'activité sous les vents de la mondialisation.

Mensonge volontariste, tentation populiste

27 septembre 2011

Chronique enregistrée pour RFR le vendredi 29 juillet 2011.

Une fois n'est pas coutume, l'assainissement budgétaire s'annonce comme un thème majeur de la campagne présidentielle. Cela suscite d'ailleurs un certain malaise à gauche. En revanche, les souverainistes s'en donnent à cœur joie. Tandis que les gouvernements semblent impuissants à résoudre la crise des dettes souveraines, ils agitent une solution miracle, le retour aux monnaies nationales, et proclament que l'histoire leur a donné raison – ce qui n'est pas impossible.

« Sans doute eût-il mieux valu que la Grèce ne rentre pas dans l'euro », reconnaît, par exemple, Alain Madelin. « En conservant son drachme », explique-t-il, « elle n'aurait pu s'endetter inconsidérément comme elle l'a fait sous le parapluie de l'euro et la sous-compétitivité de son économie aurait pu être corrigée par une dévaluation ». Oui mais voilà : abandonner la monnaie unique, c'est autre chose que de ne pas l'avoir adoptée. Aux yeux de l'ancien ministre de l'Économie, il apparaît « impossible d'organiser une conversion forcée de l'ancienne monnaie quand celle-ci continue d'avoir cours comme ce serait le cas avec l'euro ». Pour s'imposer, en effet, « le nouveau drachme [...] se devrait d'être plus attractif que l'euro ». Concrètement, comment voudriez-vous convaincre tout un chacun d'échanger ses euros contre des drachmes ou des francs dont la valeur serait appelée à fondre sur le marché des devises ? Toujours selon Alain Madelin, « le seul exemple connu de sortie d'une zone monétaire par la dévaluation » serait celui du Mali en 1962, « dont l'échec fut piteux ». Voilà un précédent qui mériterait d'être étudié avec la plus grande attention.

Outre la monnaie unique, Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan pointent une réforme intervenue en 1973, qu'ils dénoncent sous le nom de « loi Rotschild ». C'est une allusion à la banque éponyme, qui fut l'employeur éphémère de Georges Pompidou, dont celui-ci est accusé d'avoir servi les intérêts alors qu'il était devenu président de la République. Par cette loi, l'État avait renoncé à se financer directement auprès de la Banque de France ; depuis lors, il doit compter avec les taux fixés par les marchés. C'était une façon de lutter contre les dérives inflationnistes.

Mais selon ses détracteurs, tel Aristide Leucate s'exprimant dans L'Action Française 2000 du 17 mars dernier, « on ne mesure pas à quel point l'impuissance publique ayant résulté de cette funeste décision allait conduire à la privatisation progressive de la chose publique ». Jacques Bainville aurait-il partagé cette analyse ? Il n'y a « rien de plus terrible que la liberté donnée à l'État d'imprimer du papier-monnaie », écrivait-il dans L'Action Française du 2 novembre 1925. À ses yeux, l'indépendance de la Banque de France constituait un « garde-fou » grâce auquel avait été contenu «  le gaspillage financier, inhérent aux démocraties ».

Bien que les circonstances aient changé, cela donne à réfléchir et pose, à nouveau, la question du rapport du politique à l'économique. Schématiquement, deux conceptions s'opposent : l'une respecte l'indépendance de chacun des ordres, quand l'autre croit pouvoir placer le second sous la tutelle du premier. On l'observe à travers les réactions suscitées par la crise de la dette : tandis que les uns appellent l'État à réduire ses besoins de financement, les autres prônent la censure des agences de notation – autrement dit, ils s'attaquent au thermomètre plutôt que de soigner la fièvre... « Quand on n'a pas assez de bonne monnaie, et qu'on est bien résolu à ne pas recourir à la fausse, quand on veut se contenter de ce peu de bonne monnaie plutôt que d'aller à la ruine par une richesse fictive, que faut-il faire ? » se demandait Jacques Bainville, quelques mois plus tard, toujours dans les colonnes du quotidien royaliste. « Se restreindre », répondait-il. Selon lui, « il n'y a pas d'autre système que les économies ».

Certains s'y refusent néanmoins. Ce faisant, ils se fourvoient dans le volontarisme. Par ce terme, je ne désigne pas le dirigisme, mais un certain rationalisme : d'aucuns fantasment sur l'économie comme d'autres planifiaient jadis le découpage administratif de la France suivant des formes géométriques. Dans un article publié par Causeur en mai dernier, Georges Kaplan raconte comment s'est développé un véritable système monétaire dans la cour d'école qu'il fréquentait à l'âge de dix ans, où il échangeait des billes avec ses camarades. Preuve que l'organisation économique revêt un caractère en partie spontané. Et qu'à l'inverse, la volonté pure ne suffit pas à la transformer. La plupart des royalistes n'étant pas abusés par le mythe du contrat social, ils devraient pourtant l'admettre sans difficulté !

Selon la formule popularisée par Milton Friedman, « il n'y a pas de repas gratuit ». Autrement dit, il y a toujours un prix à payer. Peut-être la monétisation de la dette présente-t-elle quelque vertu. Je ne me risquerai pas à en débattre, mais je tiens à mettre en garde nos auditeurs contre l'illusion selon laquelle l'ardoise pourrait être effacée d'un coup de baguette magique.

Hélas, le mensonge volontariste se trouve nourri par la tentation populiste. De fait, on se targue de prendre le parti du « peuple » contre l'« oligarchie » ou quelque « super-classe mondiale ». Autant revendiquer l'espoir de provoquer un sursaut en précipitant la République vers l'abîme. Car galvaniser le mécontentement populaire, c'est bien choisir la politique du pire. Le constat établi en 1926 par Jacques Bainville demeure d'actualité : « Les neuf dixièmes de la France ne comprennent rien à ce qui se passe. D'où la difficulté de demander à la masse, représentée par ses élus, des sacrifices dont la portée et la destination lui échappent. »

Selon l'historien d'AF, « dans toute la mesure où elle était indépendante de l'élection, la Restauration a été économe. Dans toute la mesure où elle dépendait de l'opinion publique, elle a suscité un mécontentement et des rancunes que ne désarmait pas le retour de la prospérité. "Grande et importante leçon", eussent dit nos pères. Elle explique la lâche paresse avec laquelle nos gouvernements démocratiques se sont laissé aller, comme la Révolution elle-même, sur la pente facile des assignats et de l'inflation. »

Or, comme l'écrivait encore Jacques Bainville, en 1933 cette fois-ci, « la foule comprend à la lueur des éclairs dans le ciel, quand l'orage des changes commence à gronder. [...] Après quoi, de nouveau, elle oublie tout. » Sous la Ve République, la construction européenne et le carcan du droit ont tempéré l'incurie monétaire, mais non le laxisme budgétaire. L'opinion publique semble disposée à l'entendre plus qu'elle ne l'a jamais été.  C'est une opportunité à saisir.

Les citations de Jacques Bainville sont tirées de La Fortune de la France, un recueil d'articles paru en 1937 et disponible gratuitement dans la bibliothèque numérique des "Classiques des sciences sociales".

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Autour du "politique d'abord"

15 septembre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

À la faveur de la crise, une formule chère à l'AF se trouve remise à l'honneur. À tort ou a raison ? Le débat est ouvert.

Commentant sur son blog un éditorial de Libération, où Nicolas Demorand appelait à « réarmer le pouvoir politique » contre l'influence des marchés financiers, Jean-Philippe Chauvin l'a jugé « maurrassien ». Lecteur d'une presse moins consensuelle, Aristide Leucate n'en retient pas moins des considérations du même ordre. Dans L'Action Française 2000 du 1er septembre, il a relevé cette citation d'un confrère vaudois : « C'est à l'État [...] qu'il appartient de cadrer (et non de régenter dans le détail) l'activité économique, pour s'assurer qu'elle reste au service du bien commun. » Suivait la reprise d'une formule chère à l'AF : « Politique d'abord ! »

Monétiser la dette

Ces propos feraient l'unanimité s'ils n'étaient éclairés par ceux de Marine Le Pen, pointant « notre dépendance de plus en plus forte vis-à-vis des marchés ». « Parce que c'est à eux exclusivement qu'on peut emprunter, parce qu'ils ont un monopole et qu'ils peuvent nous imposer leurs conditions, nous imposer des taux d'intérêt élevés », l'État devrait « reprendre le contrôle de la politique monétaire, de la politique budgétaire et de son financement », soutient l'égérie populiste. Celle-ci vise une réforme remontant à 1973, dénoncée sous le nom de « loi Rotschild » : allusion à la banque éponyme, employeur éphémère de Georges Pompidou, dont celui-ci est accusé d'avoir servi les intérêts devenu président de la République. Par cette loi, l'État avait renoncé à se financer directement auprès de la Banque de France ; depuis lors, il doit compter avec les taux du marché. Ce faisant, il entendait se prémunir des dérives inflationnistes.

Tandis que l'Occident peine à s'extraire de la spirale des déficits, peut-être la perspective de monétiser la dette mérite-t-elle d'être débattue. Mais en gardant à l'esprit qu'« il n'y a pas de repas gratuit », selon l'expression popularisée par Milton Friedman. Autrement dit, tout se paie d'une façon ou d'une autre. Or, le coût s'avère d'autant plus élevé que l'on s'entête à faire abstraction des forces à l'œuvre dans le système économique. « Ce qui ne peut pas être refuse d'être », martelait Charles Maurras dans La Politique naturelle. « Ce qui doit être, ce que produit l'antécédent qu'on a posé, suit le cours de sa conséquence », poursuivait-il, déplorant les méfaits des « volontés mirifiques » : « On annonçait l'abondance : il faut rogner la monnaie. Les salaires ont monté, mais les prix aussi ; il faut que les salaires montent encore : comment monteront-ils si l'on n'a plus d'argent pour les payer ? » Les proclamations selon lesquelles « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille », l'affirmation désinvolte que « l'intendance suivra », les gargarismes en faveur d'un « parti des politiques » sont autant d'incantations procédant d'une conviction morale : la politique apparaît plus noble que les activités économiques et financières, puisqu'on lui prête, à tort ou à raison, la seule ambition de servir le bien commun. De cela devrait découler une organisation sociale retranscrivant formellement cette hiérarchie : « politique d'abord », nous dit-on. Or, si l'on s'en tient à Maurras, « quand nous disons "politique d'abord", nous disons la politique la première, la première dans l'ordre du temps, nullement dans l'ordre de la dignité ». Ni dans celui du droit.

Volontarisme

Aussi la formule nous paraît-elle galvaudée. Et même dévoyée, étant donné qu'elle participe d'un volontarisme aux antipodes de l'empirisme cher à l'AF : on nous promet de reconstruire la société sur la base d'une abstraction, à la façon des révolutionnaires envisageant le découpage administratif de la France suivant des formes géométriques tracées au sommet de l'État. Dans ces conditions, comment s'étonner que soit survenue la crise des subprimes ? « La lune ! On n'a qu'à demander la lune », clamait Maurras. « Des mains dociles iront la cueillir dans le ciel », comme d'autres, responsables politiques en tête, ont annoncé aux ménages américains qu'ils pourraient se porter acquéreurs de leur logement quel que soit leur niveau de revenus. « Mais, peu à peu, les évidences se font jour. »

Justifiant la baisse d'un cran de la note souveraine des États-Unis, Standard & Poor's a invoqué « la profonde division politique » observée outre-Atlantique. Cela « mène à une impasse et a empêché un règlement réel du problème de la dérive budgétaire fédérale », selon Jean-Michel Six, le chef économiste Europe de l'agence de notation, interrogé par Les Échos. Sur le Vieux-Continent, les calculs politiciens nourrissent la cacophonie diplomatique, rendant d'autant plus hasardeux le rétablissement de la confiance. Preuve que, dans son acception maurrassienne, le "politique d'abord" demeure d'actualité. Ne nous y trompons pas : fustiger les agences de rating, les traders et autres spéculateurs, c'est témoigner d'une sollicitude déplacée à l'égard du personnel politique, que l'on dédouane de ses responsabilités par la désignation d'un bouc émissaire.

La France compte suffisamment de démagogues s'attaquant aux magnats du capitalisme, ennemis à bien des égards imaginaires, tant doit être relativisé le poids des individus et de leur cupidité dans le système financier. Derrière les fonds de pension, n'y a-t-il pas de modestes retraités ? Les royalistes ont mieux à faire que de noyer leurs voix parmi celles des néo-marxistes au discours convenu. Dans ce contexte, il leur appartient plutôt de dénoncer l'accumulation des déficits aux dépens des générations futures, une fiscalité rendue illisible par les atermoiements politiciens, l'interférence des calendriers électoraux dans les négociations internationales... Autrement dit, l'incurie républicaine – celle des institutions. Politique d'abord !

Brèches à foison dans l'UE

15 septembre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Le navire européen prend l'eau de toutes parts. En dépit du zèle manifesté par le Parlement français, la mise en œuvre du "plan de sauvetage" de la Grèce, arrêté en juillet dernier, n'est pas assurée.

Un timide soulagement s'est emparé des capitales européennes dans la matinée du 7 septembre. Ce jour-là, le tribunal constitutionnel allemand a validé (entre autres) la création du Fonds européen de stabilité financière (FESF) – le principal instrument dont se sont dotés les États européens pour combattre la crise des dettes souveraines.  « Andreas Vobkuhle, le président de la cour de Karlsruhe [...] a toutefois insisté sur la nécessité pour le Bundestag d'exercer l'entièreté de ses compétences budgétaires, et de ne jamais y renoncer », rapportent Les Échos. « Il a précisé que le gouvernement doit solliciter l'approbation de la commission budgétaire du Bundestag pour toute nouvelle aide. »

Calendes grecques

Cette inclination à protéger les prérogatives d'un parlement national est volontiers montrée en exemple par les souverainistes républicains : ils y voient, naturellement, un garde-fou contre les velléités fédéralistes de l'Union européenne. Mais c'est aussi un frein à l'action du gouvernement, dont les marges de manœuvre se trouvent réduites dans les négociations internationales. De fait, les considérations de politique intérieure pourraient ruiner le travail des diplomates qui s'évertuant, bon an, mal an, à échafauder le "sauvetage" de la Grèce. Outre la volte-face d'Helsinki, on signalera la défiance de Bratislava, tout disposé à reporter aux calendes grecques, justement, le renforcement du FESF : la Slovaquie sera le dernier État de la zone euro à voter le nouveau plan d'aide à Athènes, a annoncé le Premier ministre Iveta Radicová.

Ce projet, dévoilé le 21 juillet, sera-t-il jamais ratifié par chacune des parties ? Le cas échéant, l'impact à court terme sera limité pour les finances publiques de la France. En effet, sa contribution ne se fera pas sous forme de liquidités, mais par un apport de garanties au FESF, en charge d'émettre les obligations qui lui permettront, ensuite, de prêter lui-même à la Grèce. Toutefois, expliquent Les Échos, « la dette publique brute de la France sera augmentée à mesure des émissions du FESF, ce qui représentera près de 15 milliards d'ici à 2014 (0,7 % de PIB), auxquels il faut ajouter le premier plan d'aide ainsi que les émissions au bénéfice de l'Irlande et du Portugal ». Au total, l'aide apportée aux pays en difficulté devrait représenter 40 milliards d'euros, soit 2 % du PIB, selon le député UMP Gilles Carrez, rapporteur du collectif budgétaire.

Un cap impossible

Outre la volonté idéologique de "sauver l'euro", celle d'éviter un "saut dans l'inconnu" peut motiver cette démarche. D'autant que les banques françaises sont parmi les plus exposées à la dette hellène. Mais encore faudrait-il s'accorder sur un cap à moyen terme, sans quoi la confiance sera bien difficile à rétablir, quelles que soient les sommes déversées dans le tonneau des Danaïdes. Étant donné la prégnance du fait national et l'interférence des échéances électorales, peut-être cela s'avère-t-il impossible ? Telle est la conviction qui pourrait bien gagner l'Europe. En tout cas, certains tabous sont en passe d'être brisés : le gouvernement allemand étudierait désormais l'hypothèse d'un retour au drachme, affirment nos confrères du Spiegel.

Peut-être s'agit-il d'une rumeur délibérément diffusée afin d'exercer une pression sur Athènes. Quoique les circonstances y suffiraient vraisemblablement : la Grèce pourrait se trouver à court de liquidités dès le mois prochain. On devine la tension qui doit animer les discussions avec la BCE et la Commission européenne, suspendues quelques jours durant à l'occasion d'un différend... Des dissensions se font jour de toutes parts – jusque dans les couloirs feutrés de la Banque centrale européenne ! Alors que les ministres des Affaires européennes des Vingt-Sept se réunissaient à Bruxelles lundi dernier, 12 septembre, les représentants de sept États sont montés au créneau pour dénoncer leur mise à l'écart des négociations portant sur la réforme de l'Union économique et monétaire. « Nous sommes insatisfaits de la rencontre Merkel-Sarkozy et de ses effets », a même déclaré Donald Tusk, le chef du gouvernement polonais, qui attendait – « et attend toujours » – « des décisions beaucoup plus fermes ».

Serait-il déçu par la règle d'or promise par le président de la République ? D'autres ont déjà manifesté leur scepticisme à ce propos, tel Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen. Fidèle à la mission que lui assigne son mandat, il exhorte néanmoins les responsables européens à serrer les rangs. En vain. Reste la proposition de l'Allemand Günther Oettinger, commissaire européen en charge de l'Énergie : selon lui, il conviendrait de mettre en berne, à l'abord des édifices communautaires, les drapeaux des États sortant des clous du Pacte de stabilité. Voilà qui devrait nous tirer d'affaire.

Critique du volontarisme

11 septembre 2011

Causeur a publié jeudi dernier, 8 septembre 2011, une contribution de Georges Kaplan que nous serions prêt à signer pratiquement sans réserve. Extrait.

« La question n'est pas de savoir si l'État peut ou ne peut pas légiférer, contrôler, inciter et contraindre ; ça n'a jamais été le problème. Le vrai problème, tel qu'il a toujours été, consiste à comprendre et à anticiper les conséquences des législations, des contrôles, des incitations et des contraintes. [...] Le discours politique, à de très rares exceptions près, ne restera jamais rien d'autre qu'une suite de mots mis bout à bout par un politicien qui cherche à nous vendre du rêve contre notre suffrage. Chaque politique volontariste est une nouvelle rustine destinée à colmater les fuites provoquées par les politiques volontaristes précédentes et qui provoquerons bientôt elle-même de nouvelles fuites que nous devrons à leur tout colmater avec de nouvelles politiques volontaristes. C'est le cycle sans fin d'autojustification de l'intervention publique qui déclenche des crises, les attribue au marché et recommence. N'en déplaise aux apôtres de la toute puissance de l'État, la réalité c'est le marché. Même en Union soviétique, le marché existait toujours et ses lois continuaient à s'imposer au planificateur. La raison en est très simple : c'est que le marché, voyez vous, c'est nous ; le marché c'est le produit de nos réflexions, de nos raisonnements et de nos actions. Tant que les êtres humains disposeront d'une volonté propre et seront disposés à coopérer pacifiquement entre eux, aucune politique, aussi volontariste et coordonnée soit-elle, ne pourra jamais réussir à s'affranchir de cette réalité. »

Crise de la dette : la solidarité mise à mal

1 septembre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Soumis aux pressions des opinions publiques, les gouvernements européens se montrent incapables de parler d'une seule voix, révélant la fragilité d'une illusoire solidarité budgétaire.

L'euro a-t-il été créé dans la précipitation ? C'est, apparemment, l'opinion du président de la République. Le 16 aout , à l'issue d'une rencontre avec le chancelier allemand, il a déploré que la monnaie unique ait été établie « sans prévoir au préalable l'harmonisation des compétitivités » – tâche à laquelle il prétend désormais s'atteler. À moyen terme, un impôt sur les sociétés harmonisé de part et d'autre du Rhin pourrait symboliser la convergence accrue des économies européennes.

Une intégration ambiguë

Chantre de l'"intégration", Nicolas Sarkozy se défend néanmoins de toute velléité fédéraliste : « L'Europe des vingt-sept et bientôt des trente [...] ira de plus en plus vers la confédération », a-t-il annoncé. La nature du futur « gouvernement économique » de la zone euro pourrait le confirmer – du moins formellement : selon le vœu de Paris et Berlin, en effet, cette responsabilité ne serait pas confiée à la Commission européenne, mais à la réunion des chefs d'État ou de gouvernement. Quant à la mutualisation des dettes publiques, elle apparaît pour l'heure exclue. « Cela consisterait à garantir par [notre] triple A la dette de tous les pays de la zone euro », a expliqué le chef de l'État. « Cela voudrait donc dire que nous garantirions la totalité de la dette sans avoir la maîtrise de la dépense et de la création de la dette », a-t-il prévenu.

Or la priorité est donnée au respect de la discipline budgétaire, que serait censée garantir l'adoption, d'ici l'été 2012, d'une "règle d'or" par les dix-sept États membres de la zone euro. En vertu d'une telle disposition, les lois de finance annuelles seraient soumises à un objectif de retour à l'équilibre budgétaire. « Cela ne dépend pas que du droit européen », a souligné Angela Merkel. « Inscrire cela dans son droit national, c'est la meilleure façon de nous engager », a-t-elle déclaré. D'autant qu'en cas de manquement « la plus grande sanction ne viendrait pas [...] de la Commission mais de l'intérieur ».

Hochet présidentiel

Un consensus transpartisan vient d'être négocié en Espagne afin de modifier la constitution en ce sens. En France, « un certain nombre de personnalités qui n'appartiennent pas à la majorité ont déjà fait savoir qu'[elles] étaient favorables à l'adoption de cette règle », a assuré le président de la République. Peut-être se feront-elles davantage entendre après la primaire socialiste ? À l'approche de l'élection présidentielle, la tentation est d'autant plus grande d'instrumentaliser le débat. Y compris à droite, où l'on pourrait fort bien s'accommoder de l'opposition socialiste, censée souligner, par contraste, le sens des responsabilités propre à l'UMP.

C'est dire combien les calendriers électoraux et autres calculs politiciens interfèrent dans les négociations internationales. Au risque de faire capoter les tentatives de résolution de la crise des dettes souveraines. « Devoir mettre la main à la poche pour sauver la Grèce endettée ne semble faire ni chaud ni froid aux Français », constatait le Courrier international en juillet dernier. En fait, ils feraient « rarement le lien entre l'argent du gouvernement et leur impôt », selon The Economist. Quoi qu'il en soit, comme le rappelait le magazine britannique, « chez tous les autres pays créditeurs de la zone euro [...], le coût de ces sauvetages a fait l'objet de débats animés ». Confronté à la pression des Vrais Finlandais, Helsinki s'est distingué en exigeant d'Athènes des garanties bilatérales en échange de sa participation au plan de soutien présenté le 21 juillet. « Dès le lundi 22 août, Moody's a expliqué que "l'accord entre la Grèce et la Finlande, en lui-même de faible ampleur, n'en est pas moins très significatif" », rapporte Euractiv. « La solidarité européenne ne serait ainsi pas sans faille. » En dépit de l'interdépendance des économies, autant dire qu'elle repose sur du sable !

Controverse à Francfort

Alors que les emprunts d'État rachetés par la Banque centrale européenne dépassent désormais les 100 milliards d'euros, La Tribune signale que le président de la République fédérale d'Allemagne, Christian Wulff, a fustigé une pratique « contestable juridiquement ». Quant à la Bundesbank, si l'on en croit Les Échos, elle aurait critiqué « avec une ardeur peu commune » l'esquisse d'une solidarité budgétaire européenne. Celle-ci est accusée d'affaiblir « les fondements de la responsabilité budgétaire en zone euro et la discipline des marchés de capitaux, sans qu'en contrepartie les possibilités de contrôle et d'influence sur les politiques financières nationales aient été sensiblement renforcées ». La cacophonie aidant, les tensions semblent appelées à durer sur les marchés obligataires.

Présence de Bainville

1 septembre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Mis à l'honneur dans la presse, Bainville se trouve par ailleurs invoqué dans le débat économique.

Jacques Bainville a fait l'objet d'un éloge dans les colonnes de L'Express. « L'historien et journaliste monarchiste avait tout pour lui : lucidité, brio, maîtrise de tous les genres », lit-on en introduction d'un article publié le 12 août sur le site Internet de l'hebdomadaire. Outre « l'aptitude de Bainville à la prophétie », qu'il juge « époustouflante », Emmanuel Hecht souligne la distance qui le séparait de Charles Maurras et Léon Daudet. Une concession au "politiquement correct" au demeurant nuancée, d'autant que notre confrère invoque une « question de tempérament ». De fait, « les coups de poing [...], la crudité et la violence du langage [...], l'antisémitisme, répugnaient au distingué Jacques Bainville ».

Rigueur budgétaire

Par ailleurs, on relèvera quelque écho à l'actualité en relisant les articles économiques de l'illustre journaliste. « Rien de plus terrible que la liberté donnée à l'État d'imprimer du papier-monnaie », écrivait-il dans L'Action Française du 2 novembre 1925. À ses yeux, l'indépendance de la Banque de France constituait un « garde-fou » grâce auquel avait été contenu « le gaspillage financier, inhérent aux démocraties ». Cela nourrira la discussion, au moment où l'on envisage de monétiser la dette publique en autorisant de nouveau l'État à se financer directement auprès de la banque centrale, en marge de la pression des marchés. « Quand on n'a pas assez de bonne monnaie, et qu'on est bien résolu à ne pas recourir à la fausse, quand on veut se contenter de ce peu de bonne monnaie plutôt que d'aller à la ruine par une richesse fictive, que faut-il faire ? » se demandait Jacques Bainville, quelques mois plus tard, toujours dans les colonnes du quotidien royaliste. « Se restreindre », répondait-il. Selon lui, « il n'y a pas d'autre système que les économies ».

Peut-être les circonstances ont-elles changé – l'heure n'est plus à l'inflation galopante. Et peut-être nos lecteurs partageront-ils l'aversion de Maurras pour certaines théorisations... « Il n'y a pas de protectionnisme, il n'y a pas de libre échange qui tienne », affirmait-il. « Il y a la vigilance et l'incurie, il y a l'organisation intelligente des tarifs ou la résignation à leur jeu automatique et mécanique, lequel ne peut être que désastreux comme toute résignation humaine aux caprices de la nature. »

Quoi qu'il en soit, ce constat établi en 1926 par Jacques Bainville nous semble toujours d'actualité : « Les neuf dixièmes de la France ne comprennent rien à ce qui se passe. D'où la difficulté de demander à la masse, représentée par ses élus, des sacrifices dont la portée et la destination lui échappent. » Or, selon l'historien d'AF, « dans toute la mesure où elle était indépendante de l'élection, la Restauration a été économe. Dans toute la mesure où elle dépendait de l'opinion publique, elle a suscité un mécontentement et des rancunes que ne désarmait pas le retour de la prospérité. "Grande et importante leçon", eussent dit nos pères. Elle explique la lâche paresse avec laquelle nos gouvernements démocratiques se sont laissé aller, comme la Révolution elle-même, sur la pente facile des assignats et de l'inflation. » Ainsi que sur celle des déficits...

Les citations de Jacques Bainville sont tirées de La Fortune de la France, un recueil d'articles paru en 1937 et disponible gratuitement dans la bibliothèque numérique des "Classiques des sciences sociales" : http://classiques.uqac.ca/