Vivre dans la mondialisation

21 juillet 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Rompant avec la sinistrose, un rapport officiel vante l'attractivité économique de la France... et les réformes du gouvernement. Un atout agité au vent de la mondialisation, à laquelle nous ne saurions échapper selon le Premier ministre.

Le déficit commercial de la France a atteint un nouveau record en mai dernier, s'élevant à 7,42 milliards d'euros. Cela rend d'autant plus criantes les faiblesses de la compétitivité nationale, pointées par moult observateurs. À l'occasion du lancement de la nouvelle Yaris, toujours fabriquée à Valenciennes, Toyota n'en a pas moins confirmé la viabilité de son implantation hexagonale. « On peut produire une petite voiture en France », assure Didier Leroy, P-DG de Toyota Motor Europe, dans un entretien accordé à La Tribune (08/07/2011). « Les coûts salariaux sont importants. Mais, si vous produisez dans un pays à bas coûts, ce que vous économisez en main d'œuvre peut être entièrement contrebalancé par les coûts logistiques. Or, dans un rayon de 350 kilomètres autour de Valenciennes, on a un marché potentiel de 130 millions de personnes ! Le fait de fabriquer en France n'est pas en soi un handicap. Nous avons d'ailleurs quarante-trois fournisseurs pour la Yaris III dans l'Hexagone et 80 % de nos achats sont effectués en Europe occidentale. »

Aux yeux des plus optimistes, la démarche du constructeur japonais apparaîtra comme une illustration flagrante de l'attractivité de la France, dont le Centre d'analyse stratégique (CAS) vient de publier un "tableau de bord" élogieux. « 2010 aura été l'année du rebond », s'enthousiasme l'héritier du commissariat général du Plan : « La France a été choisie, chaque semaine en moyenne, par quinze entreprises étrangères pour des investissements nouveaux, à l'origine de 32 000 emplois. » Le rapport s'intéresse aux investissements d'origine étrangère (IDE), réputés tels s'ils sont réalisés par une société détenue à plus de 50 % par des capitaux étrangers : « Avec 57,4 milliards d'IDE entrants [...] la France est en 2010 la troisième destination mondiale derrière les États-Unis et la Chine-Hong-Kong. [...] Par rapport à la richesse nationale (stocks d'IDE/PIB), la France accueille deux fois plus d'investissements étrangers que l'Allemagne, l'Italie ou les États-Unis. » En outre, « comme en 2009, la France est en 2010, au premier rang européen en matière d'accueil d'implantations industrielles, qui comptent pour 57 % des emplois créés ».

Selon les rapporteurs, « la capacité à former des talents venus de l'étranger traduit, autant qu'elle conditionne le rayonnement, la compétitivité et l'attractivité ». Or, la France serait le quatrième pays mondial d'accueil des étudiants « en mobilité internationale », derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne. 11 % des étudiants inscrits dans l'enseignement supérieur en France étaient étrangers en 2008 – une proportion comparable à celle de l'Allemagne, mais nettement inférieure à celle du Royaume-Uni.

Parmi les facteurs de l'attractivité nationale figurent le traitement fiscal de la "recherche et développement" (R&D) et le prix de l'électricité. L'évaluation des compétences scientifiques des élèves de quinze ans, ainsi que la capacité d'innovation des entreprises, placent la France dans la moyenne des pays comparables. Les barrières à l'entrepreneuriat ne la distingueraient pas davantage, quoique la création d'une  entreprise y soit jugée plus facile qu'outre-Rhin : à cet effet, sept jours auraient été nécessaires en 2010, contre quinze en Allemagne. Parmi les États de la zone euro, la France afficherait même « une des meilleures maîtrises de ses coûts salariaux unitaires relatifs », l'Allemagne faisant toutefois « figure d'exception », avec une amélioration de sa "compétitivité-coût" à partir de 2003. À l'avenir, la simplification administrative et fiscale devrait constituer une priorité. Les auteurs rappellent que « la charge fiscale effective pesant sur les entreprises en France apparaît beaucoup plus faible que le taux nominal de l'impôt sur les sociétés ne le laisse supposer ». En la matière, la France se trouve dans une situation inverse à celle de l'Irlande.

« Les chiffres rassemblés dans le présent tableau de bord positionnent la France aux premiers rangs européens sur un grand nombre de facteurs objectifs », martèle le Centre d'analyse stratégique. Le jugement pourra fluctuer selon que l'on compare Paris à Berlin ou Athènes... De fait, on ne relève pas vraiment de surprise dans ce rapport, dont la diffusion relève, à certains égards, d'une opération de communication réussie. D'ailleurs, ses auteurs versent ouvertement dans l'apologie du gouvernement, vantant la suppression de la taxe professionnelle « sur les investissements productifs », la consolidation du crédit d'impôt recherche, « l'utilisation offensive de la fiscalité pour servir la compétitivité des entreprises », le succès du statut d'auto-entrepreneur, le recours à la rupture conventionnelle du contrat de travail et le lancement du programme d'"investissements d'avenir".

Cela étant, la méthode Coué présente parfois quelque vertu. C'est pourquoi nous accueillons avec avec bienveillance la volonté de rompre avec la sinistrose. Mais la quête d'attractivité participe de l'inscription dans la mondialisation, dont les critiques ou adversaires sont légion, notamment parmi les royalistes. Le CAS semble d'ailleurs le revendiquer : « La croissance de 22 % du nombre de projets étrangers en 2010 vaut reconnaissance de l'ouverture de notre pays », affirme-t-il. Cela ne manquera pas d'alimenter les débats politiques au cours des prochains mois. « À l'approche des échéances électorales, propices aux contestations systématiques et aux utopies de tous ordres, nous maintiendrons notre ligne de vérité et de réalisme », a prévenu François Fillon, visant vraisemblablement Marine Le Pen. « Ceux qui font croire que l'on pourrait "démondialiser" l'histoire, et se ménager le confort d'une politique solitaire, sans contraintes extérieures, ceux-là entretiennent une illusion dangereuse », a-t-il poursuivi. Aux yeux du Premier ministre, en effet, « la mondialisation, c'est un fait ; ça n'est pas une hypothèse, que l'on pourrait accepter ou refuser selon son bon plaisir ». Alors qu'il affublait chacun de ses modèles d'un style « universel », Toyota annonce qu'à l'avenir « chaque région du monde aura la possibilité de le personnaliser ». Preuve que l'édification du "village global" ne va pas sans flux et reflux.

Quoi qu'il en soit, selon le rapport du CAS, la part de la capitalisation boursière des sociétés françaises du CAC 40 détenue par des non-résidents se serait élevée à 42 % fin 2010 ; en dix ans, le flux d'IDE serait passé de 17 à 42 % du PIB ; enfin, près d'un salarié sur sept du secteur marchand travaillerait dans la filiale d'un groupe étranger, et même un sur quatre dans l'industrie manufacturière. C'est dire le défi que constituerait, aujourd'hui, la mise en œuvre d'une véritable politique de "patriotisme économique". 

Une crise chronique

7 juillet 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Le vote du Parlement hellénique préserve une timide accalmie sur le front des marchés. Cela étant, bien que les banques semblent disposées à participer à l'opération, le "sauvetage" de la Grèce n'est toujours pas assuré.

Un soupir de soulagement a traversé l'Europe le mercredi 29 juin. En dépit des manifestations qui agitaient la Grèce, le Parlement hellénique a validé le programme de réformes et de privatisations négocié avec la Commission européenne, la BCE et le FMI. Ceux-ci en avaient fait un préalable au versement d'une nouvelle tranche de prêts de 12 milliards d'euros, sans lesquels Athènes n'aurait plus été en mesure d'honorer ses dettes dès cet été. Le vote a été emporté à la faveur de 155 voix contre 138. Le Premier ministre George Papandréou est donc parvenu à rassembler ses troupes, un seul élu socialiste s'étant refusé à rentrer dans le rang.

L'opposition veut plus de rigueur

Quant à l'opposition, elle est loin de faire écho à toutes les protestations de la rue. « Nous aurions voté en faveur de plusieurs mesures du plan du gouvernement si celui-ci n'avait pas imposé un vote unique », souligne le député Christos Staikouras. Son parti « estime que la situation réclame plus d'agressivité dans les coupes des dépenses courantes et dans la restructuration des entreprises nationalisées », résume notre confrère Massimo Prandi (Les Échos, 28/06/2011). Tandis qu'on peine à distinguer les voix proposant une véritable alternative, Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, verse dans un relatif cynisme : « Quand on exécute le programme d'assainissement budgétaire année après année, on doit passer un mauvais moment mais la confiance finit par revenir », a-t-il déclaré.

Les Européens vont-ils se résoudre à restructurer la dette contractée par la Grèce ? On semble s'y préparer, bien que cette perspective demeure exclue par les gardiens de l'orthodoxie monétaire, tel Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France. « C'est une illusion dangereuse », a-t-il prévenu dans la lettre introductive de son rapport annuel. Selon lui, une réduction ou un rééchelonnement « entraînent toujours, au moins dans un premier temps, une réduction supplémentaire de la confiance et de moindres apports de capitaux, ce qui augmente l'effort nécessaire ». En filigrane, des rivalités institutionnelles confortent peut-être la prudence des banquiers centraux. La BCE ayant racheté des obligations grecques sur le marché secondaire, « une décote de ces actifs la rendrait extrêmement vulnérable, et très dépendante des États de la zone euro, qui devraient la recapitaliser », explique notre confrère Robert Jules (La Tribune, 13/06/2011).

Équilibristes

Cela étant, le spectre d'une "contagion" nourrit des inquiétudes légitimes. Pour l'heure, les responsables politiques s'essaient à un numéro d'équilibriste, afin d'impliquer les institutions privées dans le "sauvetage" de la Grèce sans déclencher un "événement de crédit". Des discussions fructueuses auraient été entamées à cet effet entre Bercy et les principaux créanciers français. Ceux-ci seraient disposés à réinvestir 70 % de la valeur des titres arrivant à échéance... à des conditions toutefois suffisamment avantageuses pour être jugées incitatives. Aux yeux de Standard & Poor's, le plan esquissé n'en constituerait pas moins un "défaut sélectif" (Athènes restructurant effectivement une partie, mais non la totalité, de sa dette obligataire). Dans le cas présent, il conviendrait toutefois de relativiser l'influence des agences de notation. « Ce n'est pas parce qu'une agence décrète un défaut que les détenteurs de titres enregistrent une perte », tempère notre consœur Isabelle Couet (Les Échos, 04/07/2011). « S&P laisse entendre que le classement en "défaut" ne serait que temporaire et reconnaît en filigrane que le plan de la [Fédération bancaire française] pourrait même améliorer la note de la Grèce a posteriori ». Dès lors, conclut-elle, « même la Banque centrale européenne (BCE) ne serait pas véritablement menacée ».

Défiance populaire

Reste le second front : celui de l'opinion. D'abord en Grèce : « Pour que le plan de sauvetage [...] ait la moindre chance de réussite, le gouvernement Papandréou devra par tous les moyens convaincre les électeurs que l'austérité est le prix à payer pour un avenir meilleur - et pas seulement pour satisfaire les exigences des créanciers étrangers », martèle Dani Rodrik, professeur à l'université de Harvard (La Tribune, 17/06/200). Mais aussi outre-Rhin, où l'on connaît la défiance de l'opinion publique à l'égard de la Grèce. Cela doit éclairer les propos de Jean-Claude Juncker, le Premier ministre luxembourgeois et président de l'Eurogroupe, tenus au magazine allemand Focus, où il annonce sans détour que « la souveraineté de la Grèce sera extrêmement restreinte ». Berlin doit compter également avec le tribunal constitutionnel de Karlsruhe, devant lequel un "échange de vues" s'est tenu mardi dernier à propos des mesures de solidarité budgétaire européenne... La crise des dettes souveraines n'a pas fini de faire la une de l'actualité.

Le quinquennat part en quenouille

26 juin 2011

Chronique enregistrée pour RFR le vendredi 17 juin 2011.

À l'approche de l'élection présidentielle, c'était hélas prévisible, le quinquennat part en quenouille. Je sais que tous les royalistes ne sont pas sensibles aux nuances de la politique républicaine. Cela dit, il y encore quelques mois, avec un peu d'efforts, certes, on pouvait deviner un cap. En matière de politique extérieure et de défense, par exemple, le président de la République semblait décidé à rompre avec l'anti-américanisme de façade. Pourtant, en novembre dernier, il a nommé un néo-gaulliste à l'Hôtel de Brienne, avant de l'envoyer au Quai dOrsay.

C'est dans le domaine de la fiscalité que l'inconséquence apparaît tout particulièrement patente. Philippe Mabille l'a souligné dans La Tribune le mois dernier : « Le quinquennat a commencé sur la valeur travail, le bouclier fiscal et l'affirmation d'une fiscalité récompensant le mérite, l'effort et la réussite. » Dorénavant, la majorité envisage une taxation supplémentaire des hauts revenus, tandis que Xavier Bertrand propose d'encadrer des rémunérations jugées « extravagantes ». « Jamais la fiscalité française n'a connu, sous un même gouvernement qui plus est, une telle instabilité et un tel manque de cohérence stratégique », poursuit notre confrère.

Selon lui, « le projet de contribution sur les très hauts revenus [...] est perçu comme un très mauvais signal par tous les créateurs d'entreprise et tous les cadres supérieurs internationaux. Nous sommes là, on l'a déjà vu avec les artistes (Johnny n'est jamais revenu) et les joueurs de football, dans le cœur du réacteur de la mondialisation : que cela plaise ou non, il y a une "élite" française, très mobile, très réactive sur la question des impôts, qui est prête à préférer l'exil plutôt que d'accepter de se voir tondre par un pays que beaucoup considèrent comme foutu. Et voir même Nicolas Sarkozy, celui en qui ils avaient placé en 2007 tous leurs espoirs de rupture, céder, pour des raisons purement électoralistes, aux tentations démagogiques, pour ne pas dire "gauchistes" de l'opinion médiatique, les rend encore plus furieux... et inquiets, alors que la perspective d'un nouveau tour de vis fiscal se précise pour l'après-2012. » Fin de citation.

Le rétropédalage s'avère pire que l'immobilisme, en cela qu'il sape la crédibilité du politique et participe d'un climat d'instabilité peu propice à la croissance. La CGPME a identifié quarante priorités à présenter au gouvernement. Quelle est la première d'entre elles, aux yeux de son président Jean-François Roubaud ? « Ne pas changer en permanence les règles du jeu. » C'est la réponse qu'il a donnée aux Échos dans un entretien publié jeudi dernier. À tort ou ou à raison, la fiscalité française est jugée peu attractive par les chefs d'entreprise européens. La France arrive même en queue du classement réalisé par Ipsos pour la Chambre de commerce et d'industrie de Paris. La confusion entretenue par le gouvernement ne contribuera pas à redorer cette image.

En revanche, peut-être cela fera-t-il évoluer celle du chef de l'État, passant du président "bling-bling" à celui du pouvoir d'achat. Cela nous ramène à cette mesure aberrante censée indexer une prime salariale sur l'évolution des dividendes versés aux actionnaires. En s'attaquant aux dividendes – à ne pas confondre avec les bénéfices ! – l'exécutif prend le risque de dissuader les entreprises d'actionner un levier propice à la fidélisation des actionnaires. Le capital étant rendu plus volatil, il se trouvera d'autant plus facilement livré aux spéculateurs. Des spéculateurs tout récemment érigés par Nicolas Sarkozy en ennemis jurés ! Bonjour la cohérence.

Mardi dernier, lors d'une conférence sur les matières premières, le président de la République a tacle un José Manuel Barroso jugé trop timoré. Le président de la Commission européenne a pourtant posé de bonnes questions. « Une meilleure régulation est sans aucun doute nécessaire », a-t-il déclaré. « Mais dans quelle mesure faut-il plus ou moins de régulation ? », s'est-il demandé. « Comment s'assurer que la régulation permette effectivement le bon fonctionnement des marchés, avec suffisamment de liquidités, la transparence nécessaire pour un mécanisme de formation des prix efficace, une allocation optimale des risques et, en bon français, un "level playing field" afin que les participants ne soient pas tentés d'aller vers des zones moins régulées du marché ? »

Peut-être faudrait-il songer à tirer quelque enseignements de la crise. Le président de la République flatte l'opinion en agitant la régulation à tout va. Encore faut-il l'appliquer à bon escient. On en mesure la perversité potentielle, par exemple, avec les mécanismes pro-cycliques à l'œuvre dans la crise des dettes souveraines. En effet, l'influence excessive des agences de notation résulte directement des règles édictées par les gouvernements. Reste qu'un consensus transpartisan semble le taire. Alors que le "politique d'abord" demeure d'actualité, son ignorance s'annonce comme un biais majeur des débats de la campagne présidentielle.

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Savoir raison garder

16 juin 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Le nucléaire pourrait s'inviter au cœur de la campagne présidentielle. Or, la politique énergétique suppose des arbitrages difficiles. D'autant qu'il faut compter avec l'émotion et le "principe de précaution".

La Suisse et l'Allemagne avaient ouvert la voie ; l'Italie les a suivies : à l'occasion d'un référendum organisé les 12 et 13 juin, elle a exclu de revenir au nucléaire civil, à la faveur de 94 % des voix. Ce résultat, typique d'une république soviétique, souligne combien les démocraties occidentales sont sensibles à l'émotion – sinon soumises à sa dictature.

Pas de moratoire

En France, la catastrophe de Fukushima a ravivé la défiance à l'égard de l'atome, quoique celle-ci demeure bien moindre que chez nos voisins. Pour Nicolas Sarkozy, c'est l'occasion de revêtir ses nouveaux habits d'homme d'État : « Nous sommes les héritiers d'une histoire qui ne nous appartient pas », a-t-il déclaré le mardi 7 juin. « Je n'ai pas été élu pour détruire une filière industrielle qui crée de l'emploi, de la compétitivité et de l'indépendance énergétique. Il est extrêmement important d'avoir du sang-froid en toute chose. » (Les Échos, 08/06/2011)

De fait, aucun moratoire ne devrait interrompre la construction de deux EPR dans l'Hexagone. Anne Lauvergeon, le P-DG d'Areva, affiche un optimisme mesuré : « les projets de réacteurs nucléaires en cours d'examen seront retardés de six à neuf mois environ », a-t-elle prévenu (BFM Business, 30/05/2011). À moyen terme, peut-être son groupe profitera-t-il d'exigences de sécurité renforcées de part le monde. Paris milite de longue date en ce sens. Il l'a confirmé le 7 juin, en accueillant, dans la foulée du G8 de Deauville, un séminaire ministériel sur la sûreté nucléaire, où trente-trois pays étaient représentés. On parle, notamment, de développer les revues périodiques par les pairs. Étant donné les difficultés rencontrées par les Européens pour s'accorder sur des "tests de résistance", peut-être ce projet réclamera-t-il quelque habileté diplomatique pour être mis en œuvre.

Modèle français

Dominique Louis, président du directoire d'Assystem France, soutient que l'industrie « doit s'appuyer sur une autorité de sûreté nucléaire très forte, sur le modèle français ou américain, ainsi que sur un nombre limité d'opérateurs nucléaires pérennes et transparents » (Les Échos, 24/05/2011). Il établit une comparaison saisissante : «  En France, les cinquante-huit réacteurs sont opérés par un seul exploitant – EDF – autour de procédures de sécurité communes et partagées par l'ensemble des centrales. Un incident sur un réacteur fera l'objet d'une procédure de sécurité sur l'ensemble des autres réacteurs du même type. Le Japon, pour cinquante-quatre réacteurs, dénombre pas moins de onze exploitants, disposant chacun de ses propres procédures. [...] Par ailleurs, les récentes annonces de Tepco nous permettent de sérieusement douter de la solidité capitalistique, de la gouvernance et de la pérennité industrielle des opérateurs nucléaires japonais. Ces difficultés structurelles se reflètent dans la disponibilité du parc nucléaire japonais. Depuis 1998, elle a constamment chuté jusqu'à atteindre en 2009 moins de 60 % du potentiel de production, à comparer à une disponibilité supérieure à 75 % en France et 80 % aux États-Unis ou en Allemagne. »

Avant d'être submergée par un raz-de-marée, la centrale de Fukushima-Daiichi a résisté à un séisme d'une magnitude exceptionnelle. Cela ne manquera pas de nourrir la confiance des plus optimistes. Mais nul ne peut assurer avec une absolue certitude qu'aucune catastrophe nucléaire ne surviendra jamais en France. Reste à en évaluer le risque et les conséquences potentielles, puis à les mettre en perspective. Berlin aurait abandonné l'atome en marge de toute concertation européenne. Quoique sa décision soit vraisemblablement dictée par un calcul électoral, cette désinvolture peut sembler significative d'une matière où les arbitrages apparaissent authentiquement politiques.

Le social s'en mêle

L'expertise et la technocratie ne sauraient suffire quand sont en jeu, tout à la fois, l'indépendance du pays, la santé de ses habitants, la compétitivité de son économie. Aux méfaits potentiels des radiations, il convient de confronter les conséquences avérées de la pollution atmosphérique ; au risque de mettre en friche un territoire sinistré, on opposera la crainte de fragiliser l'emploi... « Depuis le début du débat sur la sortie rapide du nucléaire, le prix du kilowatt-heure à la bourse de l'électricité a augmenté de 10 % et celui des certificats d'émissions de CO2 de 2 euros la tonne », souligne Utz Tillmann, directeur de la fédération allemande de la chimie (Les Échos, 31/05/2011). « Notre industrie ne peut répercuter ces hausses sur ses produits », a-t-il prévenu. « À terme, si notre politique d'innovation ne peut déboucher sur la mise sur le marché de produits à des prix concurrentiels, l'industrie devra se poser la question de rester ou non sur le sol allemand. »

Reste que le nucléaire suscite un effroi tout particulier.  Parce qu'il touche à l'intimité de la matière, que ses méfaits s'enracinent durablement dans l'environnement, qu'il suscite un danger invisible... Agitant à tout va le principe de précaution, la société feint de croire qu'elle va bannir le risque. Tout au plus le rendra-t-elle plus diffus. Quitte à restreindre les marges de manœuvre du politique.

Royalisme ou populisme, il faut choisir !

26 mai 2011

Quatrième chronique pour RFR. Parmi les sujets abordés cette fois-ci : la prime sur les dividendes, le rôle de l'État et le populisme.

Selon les conclusions d'un sondage Viavoice-BPCE réalisé pour Les Échos et France info, 62 % des Français seraient favorables à la prime Sarkozy sur les dividendes. C'est désespérant, quoique très compréhensible.

On pourrait disserter des heures durant sur ce dispositif inepte, présenté hier en conseil des ministres. Selon le projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2011, donc, les entreprises comptant plus de cinquante salariés seraient priées de verser une prime à leurs employés, dès lors que les dividendes attribués aux actionnaires augmenteraient par rapport à la moyenne des deux années précédentes. Vous suivez ? Dans le cas contraire, cela n'aurait rien d'étonnant : « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement »... et inversement !

Cette prime est censée contribuer au « partage de la valeur ajoutée » cher au chef de l'État. Comme si les dividendes et leur évolution étaient toujours à l'image des bénéfices. Or, c'est loin, très loin d'être le cas. Prenez la situation de Total, vilipendé pour se profits considérables : ses dividendes étant restés stables, il ne sera pas soumis à la prime Sarkozy. En revanche, le patron d'une PME qui ne se verserait aucun salaire devra négocier avec ses employés l'augmentation de sa rémunération, c'est un comble ! Tout cela n'a aucun sens : pourquoi les salariés seraient-ils plus ou moins avantagés selon que leur entreprise se finance sur les marchés, en mobilisant des actionnaires, ou bien auprès des banques, en souscrivant des prêts rémunérés par des intérêts ?

Les partenaires sociaux ne s'y sont pas trompés. De façon quasi unanime, patrons et syndicats ont dénoncé cette immixtion de l'État dans leurs négociations. Mais l'opinion publique demeure sensible aux slogans simplistes – du genre "pas de prime pour les actionnaires sans prime pour les salariés". Pour le président de la République, il s'agit, naturellement, d'exploiter quelques clichés néo-marxistes ancrés dans les esprits. À commencer par l'opposition systématique entre capital et travail.

On stigmatise volontiers ces actionnaires cupides, accusés de s'enrichir sur le dos des salariés. Qu'en est-il dans les faits ? « Il y a un an, la Bourse française était encore déprimée », rappelle Florin Aftalion, professeur émérite à l'Essec, dans un article publié par La Tribune. « En revanche », poursuit-il, « il y a dix ans, elle était en pleine forme. [...] Un portefeuille représentant l'indice constitué à ce moment-là et conservé depuis aurait aujourd'hui perdu 28 % de sa valeur initiale ; en incorporant les dividendes reçus, son rapport sur dix [ans] aurait été inférieur à 1 % par an ! En valeur réelle, compte tenu de l'inflation, il aurait perdu de l'argent. »

À certains égards, il apparaît donc injuste de jeter l'anathème sur les détenteurs des capitaux. Mais cela s'avère surtout stérile, et même contre-productif. Hélas, les politiciens ne s'en privent pas. Tels Nicolas Sarkozy, nous l'avons vu, mais aussi Marine Le Pen, avec, dans son cas, la bénédiction de certains royalistes. Incarné par une femme, l'homme providentiel leur apparaît soudain plus fréquentable... Mes camarades me pardonneront de les caricaturer – ils savent que je le fais en toute amitié. Cela dit, on s'étonne de les voir ainsi conquis par le virage jacobin du Front national. Sans doute cela s'inscrit-il dans la logique souverainiste : en s'accommodant de la « souverainété nationale » récusée par Maurras, on assimilait déjà, plus ou moins, l'État à la nation ; dorénavant, c'est également la nation qu'on assimile à l'État.

Dans le dernier numéro de L'Action Française 2000, Paul-Marie Coûteaux pointe l'influence des syndicats d'enseignants pour illustrer la perte de souveraineté de l'État. Ce faisant, il exclut implicitement de limiter celle-ci à quelques fonctions régaliennes, et se méprend sur les causes de l'impuissance publique. De toute façon, on n'œuvrera pas au retour du roi en entretenant la conception d'un État tentaculaire dont les monarchistes dénonçaient jadis les germes totalitaires.

Selon Maurras, « un État normal laisse agir, sous son sceptre et sous son épée [certes], la multitude des petites organisations spontanées, collectivités autonomes, qui étaient avant lui et qui ont chance de lui survivre, véritable substance immortelle de la nation ». En cela, je suis désolé de le dire, le maître de l'AF ne me semble pas opposé à certains libéraux. Je pense à Alain Madelin, auteur, par exemple, d'un plaidoyer pour la subsidiarité publié sur son blog lundi dernier. « Dans la grande société ouverte qui se dessine aujourd'hui », écrit-il, « les relations verticales d'hier sont largement remplacées par des liens horizontaux dans un grand chamboule-tout de la pyramide des pouvoirs ». La suite est plus intéressante : « On a longtemps cru que plus les choses devenaient complexes, plus elles devaient être dirigées d'en-haut. On sait maintenant qu'au contraire, il faut laisser la plus large autonomie aux éléments qui composent un système complexe pour permettre leur coordination. » Cela rend d'autant plus actuelle la conception "royaliste" de l'État... et d'autant plus regrettable son abandon pas ses promoteurs traditionnels.

Participant des déboires de l'État-providence, la crise de la dette souveraine fournirait un prétexte idéal à la dénonciation de l'incurie républicaine. L'Alliance royale le martèle à chacune de ses campagnes : « Un président est un chef de parti, qui pense à la prochaine élection  ; un roi est un chef d'État, qui pense à la prochaine génération. »  Dans ce contexte, cependant, la vulgate tend à dédouaner les politiques de leurs responsabilités, puisque ceux-ci sont soumis, paraît-il, à la toute-puissance des marchés.

Tandis que monte la grogne populaire, « il appartient à l'Action française non seulement d'accompagner ce mouvement mais aussi et surtout de l'éclairer » C'est, en tout cas, ce que clamait François Marcilhac le 8 mai dernier, dans son discours prononcé à l'occasion de la fête de Jeanne d'Arc. Nous sommes d'accord ! Reste qu'à cet effet, les royalistes devraient plutôt se méfier des sirènes populistes. Appeler au primat du politique sur l'économique, c'est exprimer des valeurs, mais non donner un cap à l'action publique – sauf à revendiquer également le primat de l'État sur les entreprises en lançant un vaste programme de nationalisations.

En son temps, le maître de l'Action française pouvait établir le constat selon lequel « l'économie industrielle ne joue point dans le vaste cadre de la planète ». Manifestement, les circonstances ont changé, et cela s'avère pour le moins déstabilisant. Peut-être cette évolution explique-t-elle la tentation d'enfoncer des portes ouvertes par d'autres, ou celle de se réfugier dans un dédain romantique de l'économie... Il nous appartient pourtant d'en tirer les conséquences. Le défi qui nous est lancé s'annonce passionnant à relever ! Mais peut-être préférera-t-on rester en marge de l'histoire ?

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Gaz de schiste : prudence contre précaution

19 mai 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Sensibles à l'inquiétude populaire, respectueux du "principe de précaution", les députés ont voté l'interdiction d'une technique permettant l'exploitation des gaz de schiste, une ressource énergétique pleine de promesses.

L'exploitation mais aussi l'exploration des mines d'hydrocarbures non conventionnels seront bannies du territoire national, du moins si elles se font par "fracturation hydraulique". Ainsi en a décidé, mercredi 11 mai, l'Assemblée nationale. Cela en vertu du "principe de précaution" inscrit dans la Constitution depuis 2005. Revenant sur ses propres décisions, le gouvernement avait déclaré l'urgence sur une proposition de loi déposée à cet effet par Christian Jacob, le chef de file des députés UMP.

Moratoire américain

Dans le collimateur des parlementaires figuraient, plus particulièrement, les gaz de schiste. Connus depuis longtemps, ceux-ci ont commencé à être exploités aux États-Unis, à la faveur des innovations technologiques stimulées par la hausse des prix de l'énergie. Afin de libérer le fluide prisonnier, un mélange d'eau, de sable et de substances chimiques est injecté dans la roche à très haute pression. Avec le risque de contaminer les nappes phréatiques traversées par les forages ? C'est, en tout cas, la crainte affichée par nos députés, mais aussi par l'État de New York, où un moratoire sur l'exploitation a été décrété, dans l'attente des conclusions de l'Environmental Protection Agency annoncées pour 2012. Son travail s'avère délicat, en raison du secret industriel qui lui est opposé. « L'EPA a dû par exemple assigner Halliburton devant la justice pour obtenir la liste des produits chimiques utilisés dans le procédé », rapporte Étienne Beeker, dans une note du Centre d'analyse stratégique. Une enquête similaire avait été entreprise en 2004. Elle avait conclu, précise-t-il, « à l'innocuité des processus d'extraction pour les eaux potables, ce qui amène de nombreux experts à être confiants dans les résultats de l'étude en cours ».

En avril dernier, Gérard Mestrallet avait déploré que la France décide « de tourner la page des gaz de schiste avant même de l'avoir ouverte » (Les Échos, 14/04/2011). De la part du P-DG de GDF-Suez, ce discours apparaît éminemment convenu. Cela dit, l'intérêt des industriels doit être relativisé : pour Total, l'impact de la loi serait « négligeable ». C'est, en tout cas, ce que soutient son président, Christophe de Margerie. Le groupe, déjà engagé au Danemark, vient d'ailleurs de s'allier à Exxon Mobil pour exploiter des gaz de schiste en Pologne.

De fait, les enjeux sont loin de se résumer aux convoitises des multinationales. Tandis que le "pouvoir d'achat" semble en passe de s'imposer comme un thème phare de la campagne présidentielle, « l'impact de ces nouvelles ressources sur les prix du gaz est déjà sensible », souligne Étienne Beeker – quoique cette baisse soit « difficilement perceptible par le consommateur français, pour lequel le prix du gaz, indexé dans des contrats de long terme à plus de 80 % sur le prix du pétrole, continue d'augmenter ». Faute d'avoir mené les travaux d'exploration nécessaires, on ignore l'ampleur des ressources du sous-sol français. Celles-ci pourraient être considérables : selon certaines estimations, elles représenteraient quatre-vingt-dix ans de la consommation actuelle de gaz (Les Échos, 21/04/2011). C'est dire l'intérêt qu'elles présentent au regard de l'"indépendance énergétique de la France".

Révolution mondiale

Rien d'étonnant, donc, à ce que le Centre d'analyse stratégique annonce « une révolution gazière qui pourrait bien bouleverser le paysage énergétique mondial ». Entre 2000 et 2008, la part du gaz dans le mix électrique américain serait passée de 18 à 24 %. « Importateurs nets de gaz il y a peu, les États-Unis sont aujourd'hui autosuffisants et ils sont également redevenus le premier producteur de gaz, devant la Russie. De plus, l'attitude de la Chine aura des conséquences considérables pour l'Europe, surtout si ce pays, comme il le souhaite, parvient à exploiter ses réserves très prometteuses de GNC [gaz non conventionnels]. La Russie, pour qui la Chine peut devenir un importateur alternatif important, perdrait une partie de ses débouchés potentiels. Une partie du GNL [gaz naturel liquéfié] en provenance du Moyen-Orient et à destination de l'Asie de l'Est pourrait également être réorientée vers notre continent, qui en profiterait. Les gaz non conventionnels fragiliseraient donc la position de la Russie, notamment dans ses échanges gaziers avec l'Europe. »

Dans ces conditions, si le "principe de précaution" impose de prendre en compte les risques pesant sur l'environnement, la prudence politique requiert, selon nous, leur mise en perspective. D'autant que les inquiétudes sont vraisemblablement décuplées par l'alarmisme écologiste, le sensationnalisme médiatique et le clientélisme électoral. La préoccupation des élus, soucieux d'épargner à leur circonscription la laideur des installations industrielles, apparaît à bien des égards légitimes. « Aujourd'hui, le bonheur public, du moins tel que se l'imagine la puissance du même nom, ne doit pas se faire au prix du malheur individuel », remarque notre confrère Philippe Escande. « Le problème », poursuit-il dans Les Échos (10/05/2011), « c'est que, à ce train-là, la vie promet de devenir de plus en plus difficile. Pour se cantonner au seul cas de l'énergie, aucune technique de production d'électricité, qu'il s'agisse d'hydraulique, de biomasse, d'éolien et à plus forte raison de charbon ou de nucléaire, n'est exempte de risque et toute nouvelle installation en France dans ces énergies pourrait soulever la même colère. » Pour tempérer la grogne des élus, d'aucuns proposent de revoir la fiscalité locale... L'arbitrage politique n'en demeurera pas moins un art difficile.

Décalage horaire

21 avril 2011

Du poids de la dette et du rapport aux marchés... Rebond sur le dernier éditorial de L'Action Française 2000.

« L'heure est au nationalisme », annonce François Marcilhac à la une de L'Action Française 2000 (n° 2815 du 21 avril 2011). Cela « plus que jamais », au moment où le gouvernement, « sous prétexte d'équilibre des finances publiques », tenterait de placer la France sous le tutelle des agences de notation – allusion au projet de loi constitutionnelle examiné ces jours-ci par l'Assemblée nationale.

C'est exagérer, nous semble-t-il, la portée de la réforme envisagée. Cela étant, quelle qu'en soit la nature, c'est manifestement son motif qui indispose notre éditorialiste : loin de prôner une rigueur exemplaire, le gouvernement prétend néanmoins assainir les finances publiques ; c'est là que le bât blesse.

À l'opposé des « mondialistes », François Marcilhac se range parmi « les partisans de l'indépendance des nations face aux marchés ». Discours éminemment convenu, dont les auteurs croient généralement se parer de vertus morales quand ils se fourvoient dans un snobisme dérisoire. Méprisant la finance, ils disent vouloir en émanciper l'État. Ce serait, sans nul doute, le priver d'un irremplaçable levier d'investissement. On reconnaît ici un travers typique du souverainisme, négligeant la puissance au nom d'une indépendance fantasmée.

Hélas, faute de solliciter les marchés à bon escient, la République a contracté une dette dont l'ampleur est devenue telle – 85 % de la richesse nationale produite en un an – que les responsables politiques se trouvent désormais au pied du mur. Alors qu'elle jouit d'un statut privilégié sur les marchés obligataires, la France pourrait perdre la confiance de ses créanciers, au risque d'alourdir le poids de sa dette, dont la charge – c'est-à-dire le remboursement des seuls intérêts – représente d'ores et déjà le deuxième poste budgétaire de l'État. Faudrait-il précipiter la nation vers la banqueroute en vertu de quelque principe fumeux ?

Le gouvernement se livre, incontestablement, à une opération de communication financière. Mais on aurait tort de traiter son action avec dédain car, en pratique, elle contribuera peut-être à rendre quelque souffle à un État menacé d'étranglement budgétaire. C'est abuser le gogo que de blanchir les politiques en faisant porter le chapeau à Moodys and co. Le système de notation financière présente certes des faiblesses, dont la recension semble d'ailleurs faire l'objet d'un large consensus. Les agences n'en remplissent pas moins une fonction indispensable : en leur absence, faute de pouvoir s'appuyer sur une évaluation des risques, les créanciers imposeraient vraisemblablement des taux supérieurs aux États emprunteurs.

Dans l'immédiat, pour le meilleur ou pour le pire, il n'est pas possible de faire tourner la planche à billets. Et si d'aventure le franc était rétabli, la dette contractée jusqu'alors s'en trouverait renchérie. Va-t-on la dénoncer ? Libéré du joug communiste, d'aucuns s'y seraient essayés avec succès. Le jeu s'avère toutefois dangereux. Mieux vaudrait identifier l'ensemble des dominos avant de s'amuser à pousser le premier – vaste programme ! Quoi qu'en disent les démagogues, dont la propagande personnifie dans quelques figures cupides les multiples ramifications du système financier, c'est tout un chacun qui finirait par payer les frais de sa faillite. Peut-être la complexité des interdépendances est-elle préjudiciable au bien commun. Mais le cas échéant, plutôt que de mettre le feu à la toile, il appartiendrait au politique de la détricoter méticuleusement. Patiemment et sans fracas. Ne s'agirait-il pas d'un travail capétien ?

Face à la mondialisation, mobiliser les ambitions

20 avril 2011

Troisième chronique enregistrée pour RFR. SI nous versons délibérément dans la polémique, c'est en toute amitié pour nos camarades, dont la variété des opinions nous chagrine d'autant moins que les options électorales ont toujours été les plus diverses à l'AF.

L'UMPS n'en a plus pour longtemps ! En effet « l'union des patriotes » est en marche. Emporté par la "vague bleu Marine", Paul-Marie Coûteaux s'attèle à sa réalisation afin de constituer « un gouvernement de salut public incluant toutes les forces qui refusent le fatalisme mondialiste ».

C'est, à n'en pas douter, un renfort de poids pour Marine Le Pen. La notoriété du Front national est certes sans commune mesure avec celle du Rassemblement pour l'indépendance de la France. Sauf, peut-être, aux yeux de quelques royalistes (dont nous avons été) qui se sont flattés d'entre-apercevoir grâce à lui les arcanes du pouvoir. Le RIF s'est d'ailleurs enthousiasmé de voir l'AFP faire écho à son appel – preuve que cela n'était pas gagné d'avance. Reconnaissons toutefois qu'en pareille circonstance, nous n'aurions pas boudé notre plaisir.

Sont donc appelés à se rassembler les « patriotes », c'est-à-dire, dans le cas présent,  visiblement, les souverainistes, pourfendeurs de l'Union européenne et des multiples avatars du multilatéralisme (Otan, OMC, etc.). Le terme "patriote" apparaît employé dans une acception pour le moins restrictive, ou plutôt exclusive : quid, par exemple, de nos camarades de l'Alliance royale ? Tout patriotisme leur serait-il étranger ? L'attachement à son pays ne se mesure pas à l'aune des convictions politiques.

La mobilisation des "volontaires patriotes" ne va pas sans quelque connotation révolutionnaire. De fait, le souverainisme cultive une certaine nostalgie du jacobinisme... Cela étant, ayant été formé à l'école d'Action française, nous ne récusons pas le principe du "compromis nationaliste". Reste son objet.

Or, fédérer quelques grincheux contre une Europe méconnue ne suffit pas à tracer un cap. Considérons l'expérience britannique : les Tories ont beau vociférer contre l'Union européenne, ils n'ont pas songé un instant à en claquer la porte depuis leur retour au pouvoir. C'est tout naturel : l'exercice des responsabilités se heurte à des réalités volontiers négligées par l'opposition. A fortiori quand celle-ci est privée de toute culture de gouvernement, à l'image du Front national.

N'en déplaise aux esprits romantiques, l'action politique est loin de se réduire à quelques coups d'éclats annoncés avec fracas. Elle s'inscrit dans un système – par analogie à la mécanique newtonienne. Un système où de multiples forces interviennent. Inertie oblige, on n'en modifie pas l'équilibre d'un claquement de doigts.

Parmi les forces en jeu, il y a les représentations de l'opinion, avec lesquelles interagissent les discours politiques. En la matière, les ressorts exploités par le Front national et ses alliés potentiels sont-ils fondamentalement différents de ceux privilégies par l'UMP ou le Parti socialiste ? À bien y réfléchir, cela n'est pas évident.

Prenons quelques exemples : attribuer directement à l'immigration la responsabilité du chômage, c'est promouvoir la conception malthusienne de l'emploi à l'œuvre dans la réforme des 35 heures ; promettre aux contribuables de nationalité française qu'ils seront les bénéficiaires exclusifs des aides sociales, c'est souscrire aux sollicitations permanentes de l'État-providence ; fustiger le droit d'ingérence, qui sert de prétexte aux opérations militaires, c'est encourager la France à sortir de l'histoire ; enfin, dénoncer la loi du marché, par nature immuable, c'est entretenir les illusions volontaristes  condamnant le politique à sa déchéance.

À ce titre, appeler à lutter contre la mondialisation, voire le mondialisme, nous apparaît significatif. Passer d'un terme à l'autre, c'est laisser entendre qu'un architecte est à l'œuvre dans la construction du "village global". C'est faire beaucoup d'honneur à Jacques Attali ! C'est aussi légitimer la frilosité de la nation confrontée à la nouvelle donne internationale.

Si le PS et l'UMP s'accordent sur un relatif attentisme, alors leurs détracteurs se livrent, somme toute, à des menées défaitistes. Ils pourraient louer le génie de la France, parier sur l'inventivité de son peuple, galvaniser les énergies pour affronter la concurrence des pays émergents. Mais que nous proposent-ils, sinon de bâtir un bunker dont les fondations reposeraient vraisemblablement sur du sable ?

À cette « union des patriotes », la raison comme les sentiments nous font préférer la mobilisation des ambitions – fussent-elles mercantiles ! – afin qu'aux quatre coins du monde soient portées les couleurs de la France.

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Feu sur Moody's and Co !

17 mars 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Accusées de faire la pluie et le beau temps sur les marchés financiers, où elles influencent les taux d'emprunt, les agences de notation demeurent dans le collimateur des politiques. Mais les responsabilités sont partagées.

L'horizon semble loin de se dégager pour la Grèce. Le 7 mars, Moody's a dégradé de trois crans sa notation souveraine, suscitant la colère d'Athènes. Paris est lui aussi monté au créneau : les agences « ne devraient pas noter des pays qui sont sous contrat avec la Commission européenne, le FMI et la BCE », a déclaré Christine Lagarde à l'antenne de France Culture (Les Échos, 11/03/2011).

Fourvoiement

Le ministre de l'Économie va-t-il ouvrir des discussions en conséquence ? Le cas échéant, souhaitons-lui bon courage : cela supposerait, vraisemblablement, de réviser la constitution américaine – dont le premier amendement garantit la liberté d'expression –, à défaut d'empêcher la circulation des informations de part et d'autre de l'Atlantique. Vaste programme, à l'aune duquel on mesure la démagogie du propos. Les responsables politiques sont coutumiers de ces fourvoiements volontaristes, grâce auxquels ils flattent peut-être l'opinion, mais entretiennent aussi le fatalisme ambiant, en revendiquant paradoxalement leur impuissance.

Les agences de notation ont certes prêté le flanc à la critique. Comme le rappelle Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), elles se sont montrées « parfois dépassées par la complexité des produits qu'il leur était demandé de noter » – tels les CPDO (Constant Proportion Debt Obligation), élaborés à partir des couvertures de défaillance (CDS), dont la valeur s'est effondrée avec la crise en dépit du "triple A" qui leur avait été attribué (Cahiers de l'évaluation, n° 5, février 2011). Norbert Gaillard, consultant pour la Banque mondiale, pointe, quant à lui, l'erreur « d'avoir surnoté la Grèce et, dans une moindre mesure, le Portugal et l'Espagne au cours des années 2000, c'est-à-dire lors des premières années d'existence de la zone euro » – comme si la monnaie unique avait dissipé tout risque de défaut de paiement. « Entre 1999 et 2003, Fitch et S&P ont relevé la note de la Grèce de trois et quatre crans sans qu'il y ait de véritables justifications économiques ou financières. [...] Aujourd'hui, les agences tentent de rattraper leur erreur, mais elles dégradent trop tard et sont donc obligées de le faire massivement. » Ce faisant, elles nourrissent la défiance des investisseurs à l'égard des États emprunteurs, alimentant d'autant la crise des dettes souveraines – on parle d'une action « pro-cyclique ».

Cela dit, « même si des événements ponctuels – dont il ne s'agit pas de minorer l'importance – relancent les débats publics sur l'adéquation des niveaux de rating, la seule mesure "réaliste" de la performance des agences – la capacité à trier les risques avec un succès statistique – plaide pour [elles], en tous cas celles qui ont un recul historique », affirme Pierre Cailleteau, ancien responsables de la notation des États pour Moody's Investors Service. En outre, « comme le rappellent souvent les agences de notation, si elles étaient parfaitement prescientes, elles n'auraient que deux types de ratings : fera défaut – ne fera pas défaut ».

Médiation nécessaire

Or, la médiation qu'elles opèrent entre émetteurs et souscripteurs d'un titre obligataire apparaît indispensable, ceux-ci n'étant disposés à prêter à ceux-là que s'ils sont en mesure d'évaluer le risque encouru. Reste que le marché de la notation se trouve concentré autour de trois agences. Les deux principales, Moody's et Standard & Poor's, en détiendraient même 80 %. « Dans la mesure où de nombreux émetteurs exigent une double notation, ces agences se retrouvent parfois en situation de quasi-monopole », observe Jean Tirole, membre du Conseil d'analyse économique auprès du Premier ministre. Aussi l'AMF s'est-elle fixé pour objectif de « promouvoir les solutions alternatives à l'évaluation de crédit par les agences de notation, en responsabilisant les acteurs qui investissent dans ces produits ». « Les grandes banques peuvent très bien [...] recourir à des modèles de notation interne », remarque Jean-Pierre Jouyet. D'autres plaident en faveur d'une agence publique, dont l'indépendance serait néanmoins garantie sous la houlette de la Banque centrale européenne ou du Fonds monétaire international. On n'en est pas encore là.

Dans l'immédiat, il appartient au régulateur de réviser les règles prudentielles dont on mesure aujourd'hui la perversité. Si les politiques stigmatisent désormais le rôle des agences, ils ont auparavant contribué à les ériger en acteurs clefs du système financier. « Ces dernières sont devenues au cours du temps des "auxiliaires de régulation" et retirent de ce statut des revenus considérables », souligne Jean Tirole. « Les institutions régulées (banques, compagnies d'assurance, [courtiers], fonds de pension) voient leurs exigences en capital diminuer sérieusement lorsqu'elles détiennent des créances bien notées. » Cela en application des accords de Bâle II. « Pour lutter contre l'effet pro-cyclique que les notations peuvent avoir, il est effectivement très souhaitable de conduire une revue approfondie des différents dispositifs réglementaires afin de les purger, autant que faire se peut, de références aux notations externes », reconnaît Jean-Pierre Jouyet. Preuve qu'à l'heure de la mondialisation, le "politique d'abord" n'est pas inopérant.

Test audio

7 mars 2011

Radio Fréquence royaliste nous ouvre son micro. L'expérience devrait s'avérer formatrice !

Dans cette première chronique, nous invoquons, plus ou moins, la critique du libéralisme politique contre l'anti-libéralisme économique primaire :

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