Retraites : En attendant 2013

5 novembre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Le projet de loi portant réforme des retraites a été adopté définitivement le 27 octobre. Reste à passer l'examen du Conseil constitutionnel et les soubresauts de sa mise en œuvre, en attendant la remise à plat du système.

Tandis que les raffineries reprenaient le travail, le débat s'ouvrait sur le coût des conflits sociaux. Dénonçant « la chienlit », la CGPME l'a estimé à 4 milliards d'euros dans un communiqué du 25 octobre. Sans doute Nicolas Sarkozy espère-t-il tirer quelque bénéfice de cet investissement lors d'un prochain rendez-vous avec les urnes. « C'est une réforme difficile, j'en suis le premier conscient », a-t-il déclaré le 20 octobre. « Et il est normal que dans une démocratie chacun puisse exprimer son inquiétude ou son opposition. Mais certaines limites ne doivent pas être franchies et mon devoir est de garantir le respect de l'ordre républicain au service de tous les Français. »

Des marchés rassurés

Un discours de relative fermeté apprécié par les marchés financiers. Pour preuve, après s'être accru en septembre, l'écart de taux à dix ans entre la France et l'Allemagne s'est resserré le mois dernier. Cela devrait offrir un répit temporaire à Bercy, d'autant que Paris aurait déjà accompli 90 % de son programme de financement pour 2010, selon les chiffres publiés par Isabelle Couet (Les Échos, 28/10/2010).

Autrement dit, les contribuables échappent au renchérissement de la dette, dont les plus jeunes ne seraient pas les moindres victimes. De ce point de vue, ils se sont montrés peu inspirés en séchant les cours pour aller manifester. Quoique à brève échéance, la question du partage du travail se posera effectivement selon Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS. Pour les nouveaux venus sur le marché du travail, « la difficulté ne viendra pas du secteur privé mais du public », a-t-il expliqué aux Échos (26/10/2010) : « Dans les trois fonctions publiques, qui représentent un cinquième de l'emploi salarié en France, les recrutements se font principalement pour remplacer des départs à la retraite. [...] Le fait qu'un senior reste deux ans de plus devrait ainsi faire baisser de 20 % les recrutements d'agents au cours des dix ans à venir. Cela fait de l'ordre de 30 000 postes de moins par an pendant une dizaine d'années. Cela peut paraître peu [...] mais cela va être très concentré sur une seule classe d'âge. »

Quoi qu'il en soit, la réforme en cours ne préjuge guère de la retraite dont bénéficieront nos jeunes actifs. Le texte définitif du projet de loi prévoit d'ores et déjà le lancement, au premier semestre 2013, d'une « réflexion nationale » censée préparer, enfin, « une réforme systémique de la prise en charge collective du risque vieillesse ». La République tiendra-t-elle ses promesses ?

En route vers l'exaflops !

29 juillet 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

La technologie participe pleinement des rivalités internationales. En témoigne l'importance des supercalculateurs exposée ci-dessous – un instrument parmi d'autres au service de la "puissance", sans laquelle la "souveraineté" n'est qu'une coquille vide.

Lundi dernier, 26 juillet 2010, le président de la République a participé à la 35e conférence internationale sur la physique des hautes énergies. Fier d'accueillir l'événement, qui ne s'était plus tenu en France depuis vingt-huit ans, l'Élysée avait souligné la « signification  particulière » que lui conférait la présentation des premiers résultats du LHC – un accélérateur de particules installé à Genève « ayant battu tous les records de puissance ».

Un impératif industriel

Ces travaux requièrent des calculs intensifs. Outre la recherche scientifique, l'industrie et la finance partagent ce besoin, mis en exergue par Pierre-Heny Suet, Joël Hamelin et Jean-Loup Loyer dans une "note de veille" du Centre d'analyse stratégique publiée courant juillet. Un besoin auquel répondent des supercalculateurs, qui réalisent en un jour la tâche qu'un ordinateur personnel mettrait cent cinquante ans à accomplir. Leur puissance, traduite en opérations par seconde, ou flops, double presque chaque année, et les simulations numériques s'affinent à mesure que croissent leurs performances. Alors qu'il construisait quelque soixante-dix ailes pour valider la fiabilité d'un avion dans les années quatre-vingt, Boeing n'en fabrique plus qu'une dizaine aujourd'hui ; quant au CEA, il développe désormais des têtes nucléaires sans pratiquer aucun essai. C'est dire combien la compétitivité, voire l'autonomie stratégique de la France, dépendent de l'accès aux supercalculateurs.

Les plus performants sont implantés aux États-Unis, qui disposent de 56 % de la puissance cumulée des cinq cents premiers ordinateurs mondiaux, devançant l'Union européenne (30 %), la Chine et le Japon. La France, qui s'était laissé distancer, aurait consacré d'importants efforts depuis 2007 pour revenir dans la course. En trois ans, sous l'impulsion d'une structure créée à cet effet (GENCI), elle a multiplié par trente ses capacités. Le Centre d'analyse stratégique a salué l'« une des meilleures dynamiques de croissance mondiales en 2009 ». Cela dit, la machine la plus performante de l'Hexagone stagne au dix-huitième rang mondial. De nouveaux progrès sont attendus cette année, avec l'extension des capacités de la machine Jade du CINES, et la mise en service d'un supercalculateur pétaflopique (1) par la direction des applications militaires du CEA. Enfin, d'ici un ou deux ans, Bruyères-le-Châtel (Essonne) accueillera un Très Grand Centre de calcul (TGCC). Cette initiative s'inscrit dans le projet PRACE (Partnership for Advanced Computing in Europe), grâce auquel les scientifiques français ont accès, depuis le 1er juin, au supercalculateur de Jülich (Allemagne), le seul approchant aujourd'hui le pétaflops en Europe.

Bien qu'ils ne représentent que 30 % du marché mondial, les États-Unis fournissent 95 % des grands ordinateurs. Outre-Atlantique, le développement des nouvelles générations de supercalculateurs serait largement financé sur fonds gouvernementaux. « Vouloir préserver une certaine autonomie européenne [...] demande que soit compensé le handicap existant », ont averti les héritiers du Plan. Le cas échéant, il faut espérer que l'État saura épargner à Bull les déboires qu'il a traversés jadis... Sinistres conséquences d'un colbertisme décadent !

Bull, seul en Europe

Le "champion national" de l'informatique n'en est pas moins devenu, depuis les retraits de Siemens et de Philips, le seul constructeur européen de supercalculateurs. Mais les microprocesseurs utilisés dans ces machines demeurent à 99 % nord-américains. Autrement dit, la France reste totalement dépendante d'approvisionnements extérieurs pour le composant de base. « La Chine, en revanche, vient de s'affranchir de cette dépendance en construisant un supercalculateur de classe téraflops basé sur des processeurs Loongson 3A chinois. » Pékin entend bien maîtriser chacun des maillons de la chaîne technologique.

L'exploitation des supercalculateurs requiert une programmation plus complexe que celle d'une machine ordinaire. Une tâche pour laquelle seules quelques dizaines de spécialistes bénéficieraient en France des compétences nécessaires. Or, « pour Hewlett Packard, par exemple, le logiciel représente désormais plus des deux tiers des coûts de production »... D'où la proposition du Centre d'analyse stratégique de créer des formations qualifiantes en calcul intensif de la licence au doctorat.

« À l'heure où le nombre d'étudiants inscrits en science connaît une baisse très préoccupante, c'est à vous de faire vivre l'amour de la science », a lancé  le chef de l'État a l'adresse des chercheurs. Selon Nicolas Sarkozy, « c'est la destinée de l'homme que de créer sans cesse ». Une fois n'est pas coutume, Maurras ne disait pas autre chose : « Animal industrieux, voilà, je pense, la définition première de l'homme », a-t-il écrit dans un texte révélé par Maurras.net. « Il ne peut rien laisser en place. Il lui faut défaire et refaire, décomposer pour le recomposer sur un autre plan tout ce qu'il trouve autour de lui, et son système de remaniement perpétuel l'aura conduit, de proche en proche, à interposer sa main, son travail, sa peine et son art entre toutes les matières premières que la nature lui fournit et que jadis il utilisait telles quelles. [...] L'admirable, l'humain et le divin de cette triomphale aventure, c'est que jamais la joie d'aucune réussite n'y fit retarder l'âpre effort industriel. »

Assez de romantisme !

Aussi la tentation de fuir un univers gangrené par la technologie relève-t-elle du romantisme. À la différence du président de la République, cependant, nous nous garderons de nous en remettre à la science dans l'espoir « que l'humanité progresse réellement ». « Le progrès ou, pour mieux parler, les progrès, loin de nous délivrer de notre condition, la précisent en la compliquant », écrivait encore Maurras. « À l'homme volant s'ajoutera la ville volante, vertigineuse colonie d'une métropole adorée et dans laquelle la discipline sociale, la stabilité sociale sera, comme aujourd'hui sur le pont d'un navire, la condition première de cet heureux triomphe de l'art humain servi par la richesse et la diversité de lois de l'univers. Bien assurés de l'immuable, émerveillons-nous des belles métamorphoses cachées dans l'abîme du Temps. La vérité politique et sociale qui nous conduit n'a pas la forme du regret. Elle est plutôt désir, curiosité, solide espérance apportant les moyens de réaliser l'avenir avec une imperturbable sécurité. » En route vers l'exaflops !

(1) Selon les préfixes du système international d'unités, 1 téraflops = 10 puissance 12 flops ; 1 pétaflops = 10 puissance 15 flops ; 1 exaflops = 10 puissance 18 flops ; etc.

La République à l'épreuve du déficit

1 juillet 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Confronté à la pression des syndicats, handicapé par les échéances électorales, le gouvernement doit compter également avec les scandales éclaboussant moult ministres. Les réformes indispensables à l'assainissement des finances publiques s'en trouvent d'autant plus difficiles à mener.

Les perspectives économiques de la France sont « très incertaines », a annoncé, sans prendre de risque, le Fonds monétaire international. Le diagnostic est désormais bien connu dans la zone euro : « La crise actuelle résulte des politiques budgétaires insoutenables menées par certains pays, du retard pris dans l'assainissement du système financier, de la lenteur à mettre en place la discipline et la souplesse nécessaires. » « Les pays confrontés aux pressions du marché n'ont pas d'autre choix que de prendre des mesures drastique  », a averti l'institution dirigée par Dominique Strauss-Kahn.

Un lointain souvenir

Bien que la France bénéficie toujours du "triple A" accordé par les agences de notation, son dernier excédent budgétaire remonte à 1974 ! Or elle se doit d'alimenter la confiance des investisseurs. « La volatilité des marchés et la forte augmentation de la dette publique imposent [donc] un programme de consolidation inscrit dans une stratégie tournée vers l'avenir. » Hélas, la mise en œuvre d'une telle politique relève de la gageure dans une république obnubilée par la "présidentielle permanente". Reconnaissons toutefois que la démocratie n'est pas seule en cause. Un regard tourné vers le Rhin en impose le constat : tous les tempéraments nationaux ne se prêtent pas semblablement à la "rigueur".

Cela dit, les politiciens n'ignorent pas tout à fait la perversité de leurs joutes électorales. Faute de parvenir à se comporter en adultes responsables, ils se résignent à choisir un maître d'école. La Commission européenne excelle dans ce rôle-là, bien que le Pacte de stabilité ait volé en éclats. L'UE et le carcan du droit apparaissent comme les nouvelles conditions du salut public. Dans un rapport remis au Premier ministre, Michel Camdessus a dessiné les contours d'une règle constitutionnelle d'équilibre. On s'achemine vers l'inscription dans la Constitution du principe d'une "loi-cadre de programmation des finances publiques" pluriannuelle, s'imposant aux lois de finances et de financement de la Sécurité sociale, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. « Cette règle fixerait une trajectoire impérative de réduction des déficits, et la date de retour à l'équilibre structurel de nos finances publiques », selon les explications de Matignon.

Mais d'autres chantiers sont à mener. « D'importantes réformes de long terme (en particulier concernant les retraites et le système de santé), ne produiraient que des économies limitées dans l'immédiat, mais auront des effets positifs et significatifs en termes de crédibilité auprès des marchés financiers et sur la demande intérieure », a encore souligné le FMI. Autrement dit, la réforme des retraites représente un enjeu d'autant plus sensible qu'elle participe de la résolution de l'impossible équation : ou comment assainir les finances publiques sans menacer la reprise économique. « La réforme des retraites et du système de santé doivent constituer la pierre angulaire de la stratégie budgétaire de moyen terme », selon le Fonds monétaire international. Et DSK de cautionner, en tant que directeur général de l'institution, l'affirmation selon laquelle « il convient [...] de résister aux pressions qui conduiraient à ne pas corriger les déséquilibres fondamentaux et à s'appuyer démesurément sur des mesures d'accroissement des recettes ». Ce faisant, le ténor socialiste met en lumière la démagogie pratiquée par son parti – conséquence heureuse de la politique d'"ouverture" menée par Nicolas Sarkozy !

Placé à la tête de la cour des Comptes, un autre transfuge a souligné le courage requis pour affronter les déficits. Didier Migaud se serait bien gardé de tenir un pareil discours du temps où il sévissait à l'Assemblée nationale. Les royalistes distinguent mieux que quiconque l'influence déterminante des institutions... Reste que le courage ne saurait suffire. L'habileté s'avère tout aussi nécessaire, sinon davantage. Les maladresses d'Alain Juppé ne se sont-elles pas soldées par l'adoption des trente-cinq heures ?

Faute morale ou politique

Aussi les déboires du ministre du Travail, de la Solidarité et de la Fonction publique tombent-ils à pic. « Éric Woerth est un homme intègre », si l'on en croit notre collaborateur Catoneo. « Mais il fréquente les cercles d'influence [...] et les gens très friqués du grand monde étaient son quotidien. Il n'a pas vu la collusion d'intérêts entre son poste de chef du Fisc et celui de gestionnaire de grande fortune qu'occupait sa femme. Il lui est impossible de soutenir qu'ils avaient un sas de décompression professionnelle à la maison, ce que les chiens courants du Parti socialiste ont très bien détecté. Cette affaire tombe mal au moment où l'on découvre que la prévarication fait rage dans la grande république bananière d'Europe occidentale. Mais comme souvent, c'est le premier qui passe, coupable ou non, qui subit l'assaut de la meute. »

« Nous ne sommes pas des gens moraux », avons-nous l'habitude de proclamer à l'Action française. Il est vrai que nous ne nous faisons aucune illusion sur la prétendue vertu républicaine... Laissons à l'avenir le soin d'identifier les fautes morales. Espérons seulement que cette bourde politique ne compromettra pas une réforme que l'on pouvait déjà craindre trop timide.

Cartographie financière

17 juin 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que les déficits publics alimentent les difficultés de financement des entreprises, les velléités "régulatrices" se heurtent à l'opacité de nouveaux produits proposés aux investisseurs. Aperçu du tableau dressé par l'AMF.

L'Autorité des marchés financiers (AMF) a présenté le mois dernier « la cartographie 2010 des risques et tendances sur les marchés financiers et pour l'épargne ». Jean-Pierre Jouyet, son président, a pointé – sans surprise – le déséquilibre des finances publiques : ce serait « le premier des risques » pesant sur notre économie, sinon le seul, « car en un sens il englobe tous les autres ».

Mauvais présage

Dans l'immédiat, les marchés obligataires sont menacés par la hausse des taux d'intérêt. Mardi 8 juin, les CDS (credit default swaps) se sont envolés : le coût annuel des assurances protégeant les investisseurs contre un défaut de paiement français à cinq ans a dépassé les 100 points de base (1 % de la valeur notionnelle). Un prélude à la perte du "triple A" dont Paris bénéficie depuis qu'il est noté par Standard & Poor's, Moody's et Fitch ? Le spectre d'une dégradation hante vraisemblablement les couloirs de Bercy. D'autant que les déboires de l'État ont pour corollaire « un durcissement des conditions de financement de l'ensemble des agents économiques ». Les PME seraient tout particulièrement affectées par « la concurrence accrue pour l'accès aux financements ». Quant aux épargnants, « de plus en plus frileux », ils privilégient « une allocation de leur épargne faiblement rémunératrice » à l'origine d'un « sous-rendement structurel ».

Ingéniosité spéculative

Si les modalités de cotation des actions et le trading algorithmique inspirent toujours quelque réserve ou inquiétude, tel ne serait plus le cas des transactions de gré à gré, en raison de leur évolution « inévitable » vers un large recours à l'entremise des chambres de compensation, complété par un enregistrement dans des bases de données centrales pour les marchés de dérivés. « Ainsi les chambres de compensation et d'enregistrement vont-elles devenir des maillons essentiels de la chaine des risques » dont il conviendra de « surveiller étroitement » la gouvernance. L'AMF prône l'implantation en zone euro des chambres traitant des contrats libellés dans la monnaie unique.

Son président déplore la commercialisation de nouveaux produits qui seraient « surtout destinés à contourner les contraintes règlementaires en matière de fonds propres ou conçus pour satisfaire les exigences des investisseurs en matière de notation des titres en portefeuille ». Or, étant donné leur complexité croissante, il n'est « pas certain que ces instruments de dette soient correctement valorisés sur les marchés et que les investisseurs estiment correctement le risque de crédit associé ».

La prudence contre le principe de précaution

Cela dit, Jean-Pierre Jouyet met en garde contre « une surenchère dans la volonté de maitriser tous les risques » : « Si on cherche à créer une économie sans risque, il n'y aura plus d'économie du tout. C'est à la qualité de la maîtrise et du contrôle des risques que nous devons veiller et non à l'éradication totale du risque. Car le risque vraiment nocif, c'est celui que l'on n'a pas su ou voulu anticiper. » La prudence va-t-elle éclipser le "principe de précaution" ? Hélas, la République ne s'est pas montrée exemplaire dans l'exercice des vertus cardinales... Confrontés aux exigences contradictoires des marchés, qui appellent à maîtriser les déficits publics sans compromettre la relance de l'économie, les pouvoirs publics devront agir  avec doigté », selon l'expression de M. Jouyet. Ils seront forcés de reconnaître, un jour ou l'autre, la faillite de l'État-providence. Le plus tôt sera le mieux.

Le carbone dans un climat de crise

3 juin 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

La Commission européenne propose timidement d'accroitre les efforts visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Avec une croissance en berne, ce projet est-il déraisonnable ? En tout cas, Paris n'en veut pas.

Dans une communication publiée le mercredi 26 mai, la Commission européenne invite « à la tenue d'un débat éclairé » sur l'incidence qu'aurait le passage à un objectif de réduction des gaz à effet de serre (GES) dans l'UE de 30 %, et non plus 20 %, par rapport au niveau de 1990. Cela, « pour autant que les conditions le permettent ». Visiblement, Bruxelles évite de trop se mouiller ! En effet, il doit compter avec la réticence de plusieurs États membres. Telle l'Allemagne, qui entend préserver son industrie lourde, ou la France, dont le Conseil d'analyse stratégique (l'héritier du commissariat général du Plan) réprouve tout nouvel effort qui serait décidé de façon unilatérale par les Européens.

La France a trop d'avance

Dans une note publiée le mois dernier, il met en garde contre de lourdes répercussions en termes de compétitivité et d'emploi. La France a une longueur d'avance dans la réduction de ses émissions de GES. Mais « sa production électrique étant déjà décarbonée à près de 90 %, [elle] dispose désormais de beaucoup moins de marges de manœuvre pour réduire ses émissions liées à la production d'électricité. Sa situation démographique est en outre particulière au sein de l'Europe : si les tendances récentes se poursuivent, sa population pourrait augmenter de 8,6 % d'ici à 2030 par rapport à 2010, ajoutant une difficulté supplémentaire à la réduction des émissions de GES (alors que, dans le même temps, la population de l'UE-27 n'augmenterait que de 5 %). »

Outre-Atlantique...

Une comparaison avec le projet de loi américain Waxman-Markey sur la lutte contre le changement climatique, voté en juin 2009 par la Chambre des Représentants, s'avère éclairante : « Les études prospectives indiquent qu'entre 80 % et 88 % des efforts de réduction d'émissions seront réalisés par le secteur électrique. » Or, Il est « beaucoup plus facile de mobiliser quelques centaines d'acteurs industriels dans le secteur de l'électricité que des millions de particuliers dans le secteur de l'habitat existant. Les Américains ne devraient donc pas être amenés à modifier sensiblement leur way of life, tandis que les Européens, et les Français notamment, devront engager une modification durable de leurs comportements. »

En pleine crise, la proposition de la Commission européenne semble à première vue déplacé. Mais « depuis 2008, le coût absolu de la réalisation de l'objectif de 20 % est passé de 70 milliards d'euros à 48 milliards [...] par an d'ici 2020. Cette diminution est due à plusieurs facteurs : la croissance économique plus faible a entraîné une réduction des émissions, les prix élevés de l'énergie ont stimulé l'efficacité énergétique et fait baisser la demande d'énergie et le prix du carbone est tombé en-deçà du niveau prévu en 2008, étant donné que les quotas du SCEQE [système communautaire d'échange de quotas d'émission] non utilisés pendant la récession seront reportés. »

Quotas déchus

De fait, les quotas ont perdu leur effet incitatif, ce qui inquiète les promoteurs d'une « croissance verte ». Bruxelles est de ceux-là : « L'objectif de 20 % de réduction a toujours été considéré comme un levier décisif pour la modernisation. Les investissements dans les solutions telles que la capture et le stockage du carbone sont fortement liés au signal donné par le prix du carbone sur le marché. Un carbone peu cher carbone incite beaucoup moins au changement et à l'innovation. [...] La réalisation de l'objectif de 20 % de réduction d'ici à 2020 ne constituant pas un vecteur de changement aussi important qu'il était escompté en 2008, le risque existe pour l'UE de devoir fournir davantage d'efforts, y compris financiers, après 2020. »

En conséquence, la Commission a élaboré quelques scénarios qui protégeraient l'Union européenne contre les "fuites de carbone" si elle se fixait unilatéralement un objectif de 30 %. Consciente des risques de délocalisations vers des pays appliquant des règles moins strictes, elle n'exclut pas l'instauration d'une "taxe carbone" aux frontières de l'Union. C'est une petite victoire pour Nicolas Sarkozy ! Cependant, le projet présidentiel devra compter avec les engagements commerciaux internationaux, et avec les difficultés techniques.

La taxe carbone, un vrai casse-tête

 « L'intégration des importations dans le système d'échange de quotas d'émission en soi devrait être soigneusement préparée afin de s'assurer que le système est compatible avec les règles de l'OMC. Il pourrait être difficile de mettre en œuvre un système qui cherche à définir en détail la teneur en carbone de chaque catégorie de marchandises, mais ce niveau de précision pourrait être nécessaire : cela signifie que le système pourrait au mieux être envisageable pour un nombre limité de marchandises standardisées, comme le ciment ou l'acier. De plus, il faudrait définir une teneur moyenne en carbone UE pour chaque catégorie de marchandises. Cela représenterait une charge administrative et nécessiterait de trouver un accord sur cette valeur moyenne, ce qui exigerait sans doute un processus difficile et très long. En outre, serait difficile de vérifier le niveau de performance de différentes installations dans les pays tiers sans un système de suivi et de notification très sophistiqué dans ces installations. » Les fonctionnaires en charge du dossier vont maudire le président de la République.

Maîtriser la pointe électrique

15 avril 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Les énergies renouvelables sont la coqueluche des médias. Mais nulle politique ne saurait se réduire à favoriser leur développement. La maîtrise des pics de consommation électrique figure parmi les enjeux majeurs.

Plusieurs écueils se sont heurtés, tout récemment, aux discours les plus convenus appelant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 31 mars, un rapport d'information présenté par le député Franck Reynier s'est montré critique à l'égard du développement de l'énergie éolienne, jugé « désordonné ».

Camouflet

Par ailleurs, alors que le président de la République avait jugé acquise l'institution d'une taxe carbone aux frontières de l'UE, la Commission européenne a pointé « un nombre d'inconvénients considérables qu'il faudra résoudre » (Euractiv, 07/04/2010). Enfin, un colloque parlementaire a mis en relief, jeudi dernier, l'incapacité de la France à prendre des mesures claires en faveur des énergies renouvelables, censées couvrir 23 % de la consommation nationale d'ici 2020 (Euractiv, 09/04/2010).

La maîtrise de la pointe électrique, sur laquelle ont planché Serge Poignant et Bruno Sido, respectivement député et sénateur, est un enjeu moins connu, mais néanmoins stratégique. Depuis une dizaine d'années, la puissance appelée en période de pointe augmente plus rapidement que la consommation générale. Plusieurs facteurs sont en cause, telles l'attractivité croissante du chauffage électrique, qui rend la consommation française d'autant plus sensible à la température en hiver, ou l'augmentation du nombre de ménages, qui tire la consommation résidentielle – preuve que l'évolution des mœurs a de multiples conséquences. Le dernier record fut enregistré le 7 janvier 2009, avec une demande de 92,4 GW. Selon un scénario "référence" échafaudé par RTE (Réseau de transport d'électricité), la puissance requise dans des conditions climatiques se présentant en moyenne tous les dix ans devrait atteindre 104 GW à l'hiver 2014-2015 et 108 GW en 2019-2020.

Ces chiffres sont d'autant plus préoccupants que la plupart des moyens de production de pointe sont vieillissants. Le nucléaire domine certes le parc de production français (63,3 GW sur un total de 117), mais celui-ci ne s'accommode que de modulations saisonnières. En période de pointe, outre des importations et l'hydraulique, seuls le charbon et le gaz, voire le fioul, autorisent les ajustements nécessaires. C'est pourquoi un lissage de la courbe de charge contribuerait à réduire les émissions de gaz carbonique – lesquelles affectent environ 10 % de la production électrique française.

Effacements contractuels

On cherchera donc à pratiquer des effacements de consommation. Le délestage est  la solution la plus radicale... L'information d'urgence aurait par ailleurs prouvé son efficacité en Bretagne. Notons que certains effacements n'auraient rien d'intolérable : « le fait d'éteindre le chauffage électrique pendant 15 à 30 minutes dans un logement bien isolé ne modifie pas la température ressentie par le consommateur », soulignent MM. Poignant et Sido. À l'avenir, les opérateurs pourraient être habilités à modifier la consommation de leurs clients, comme cela se fait déjà en Californie : « Les Programmable Communicating Thermostat (PCT) permettent de commander temporairement une hausse de la température de consigne des climatiseurs de 1 à 3° C en période de pointe estivale et le client – informé de ce changement – garde la possibilité de rétablir la température initiale. Ces dispositifs sont obligatoires dans les logements neufs. » De nouvelles offres tarifaires devront favoriser les effacements aux moments les plus critiques. « La clé est la mise en place rapide du compteur communicant Linky qui permettra un comptage à la carte », poursuivent les rapporteurs.

Comment contraindre des acteurs privés ?

Rappelons enfin que la maîtrise de la pointe électrique s'inscrit dans un contexte de libéralisation. Or, le financement des moyens de pointe « exclusivement par un marché en énergie est voué à l'échec », affirment les parlementaires. « Car même si les marchés en énergie peuvent en théorie assurer la rentabilité des moyens de pointe – et symétriquement des effacements – la visibilité qu'ils offrent n'est pas suffisante. Les pics de prix sont trop aléatoires en fréquence et en niveau et le risque est trop important pour un investisseur. Dans un système avec de multiples responsables d'équilibre, aucun fournisseur n'a intérêt à assumer le risque d'un tel investissement, dans la mesure où une défaillance éventuelle ne sera pas nécessairement de son fait et n'entraînera pas nécessairement de pertes insupportables. » Il appartient aux pouvoirs publics d'encadrer strictement les évolutions en cours. Serge Poignant et Bruno Sido voudraient imposer aux fournisseurs une obligation de capacité. Reste à définir les modalités qui permettront d'en assurer le respect.

ITER et la transparence nucléaire

7 mars 2010

Nouveau pas vers la maîtrise de la fusion nucléaire, la mise en œuvre du projet  ITER s'inscrit dans un cadre juridique original : contrairement à de nombreux réacteurs de recherche internationaux, ITER sera considéré comme une "installation nucléaire de base", dénomination recouvrant l'ensemble des centrales nucléaires en activité en France.

La chambre basse est saisie d'un projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation d'un protocole « relatif au rôle de l'inspection du travail sur le site de l'Organisation internationale ITER et portant sur la santé et la sécurité au travail ». Ce projet serait « l'un des plus prometteurs pour l'avenir de l'énergie nucléaire » selon Michel Destot, auteur d'un rapport enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 24 février. La construction, dans les Bouches-du-Rhône, de l'International thermonuclear experimental reactor devrait permettre des avancées significatives vers la maîtrise de la fusion nucléaire.

Les avantages de la fusion

« Les deux principales réactions nucléaires permettant de produire de l'énergie sont la fission d'un noyau atomique, et la fusion de deux noyaux », rappelle le député-maire de Grenoble. « La réaction de fission est à l'origine des premiers réacteurs nucléaires, et reste le seul processus nucléaire actuellement utilisé pour produire industriellement de l'électricité. Bien que plus difficile à provoquer et entretenir artificiellement, la fusion nucléaire possède trois avantages considérables sur la fission. En premier lieu, elle ne produit pas de déchets radioactifs à haute radioactivité et à vie longue. [...] En second lieu, la fusion recourt à des matières premières bien plus abondantes que l'uranium ou le plutonium requis par les centrales à fission actuelles. Théoriquement, la fusion de deutérium et d'hélium est même un procédé permettant de créer de l'énergie sans limite, le deutérium étant très abondant dans la nature. En pratique, les moyens technologiques disponibles impliquent l'utilisation de tritium, extrait du lithium, dont les ressources sont finies, mais sans commune mesure avec celles actuellement disponibles pour l'uranium naturel. Enfin, la fusion nucléaire permet, avec peu de matières premières, de produire une quantité très importante d'énergie. On estime que la réaction de fusion génère au moins quatre fois plus d'énergie par atome que la réaction de fission. »

Ces perspectives justifient les investissements consentis : 10 milliards d'euros sur quarante-cinq ans. Lancé dès 1985 par Mikhaïl Gorbatchev, le projet ITER bénéficie de l'implication de sept parties – l'Europe, la Chine, la Corée du Sud, les États-Unis, l'Inde, le Japon et la Russie – dont la majorité des contributions à la construction du réacteur seront fournies en nature. « Afin de faire pencher la balance en faveur du site français de Cadarache, soutenu par l'ensemble de l'Union européenne, celle-ci accepta de prendre en charge une part importante des frais de construction d'ITER (45,46 % contre environ 9,09 % pour les autres) », poursuit le parlementaire. « La contribution européenne est fournie par l'intermédiaire d'une agence implantée à Barcelone, baptisée "F4E" (Fusion for energy), dotée d'un budget de 4 milliards d'euros pour les dix premières années du projet ITER. »

Forte implication française

« En plus de sa participation au financement de F4E, la France assume également un certain nombre de charges financières au titre d'État d'accueil. [...] L'ensemble des contributions françaises à ITER est estimé à 871,5 millions d'euros, auxquels s'ajoutent l'aménagement des voies d'accès au site de Cadarache et la construction d'un lycée international à Manosque pour accueillir les enfants des personnels de l'organisation ITER. » Des retombées économiques positives sont escomptées à court terme : « L'arrivée de 400 fonctionnaires internationaux, et les nombreux chantiers qui seront lancés dans le cadre du projet, [devraient] générer environ 3 000 emplois indirects pendant la construction du réacteur, et 3 200 une fois celui-ci en état de fonctionner. D'ores et déjà, les entreprises françaises se sont vues attribuer 230 millions d'euros de contrats. »

« Ce réacteur de recherche est soumis aux mêmes obligations de transparence et de sûreté que n'importe quelle centrale électronucléaire sur notre territoire », souligne le rapporteur. En effet, toutes les parties auraient convenu « qu'il n'était pas pensable d'entretenir un soupçon d'opacité pour un programme aussi important. C'est pourquoi l'applicabilité des règles nationales régissant les activités nucléaires a été prévue dès l'origine. » En conséquence, l'Autorité de sûreté nucléaire sera autorisée à effectuer des contrôles sur le site. C'est une première exception au regard du droit commun des organisations internationales tel que prévu par la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques de 1961. « Une deuxième série d'exceptions est prévue, qui fait l'objet du présent protocole additionnel. [...] L'accord du 7 novembre 2007 prévoit, à ses articles 3 et 17, que l'inspection du travail peut contrôler le respect par ITER des règles nationales en matière de santé et de sécurité au travail. La signature d'un accord entièrement consacré à ce thème était imposée par ce même article. »

Cela favorisera « l'acceptabilité par la population d'un programme de recherche qui suscite un important espoir » selon M. Destot, qui invite naturellement la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée à adopter ce projet de loi.

Le "colbertisme" en débat

4 mars 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Nicolas Baverez fustige « la renaissance du colbertisme » qu'il juge « meurtrière pour l'industrie ».

Nicolas Baverez s'attaque au colbertisme. Fidèle à sa réputation – on le range volontiers parmi les "déclinologues" –, il dresse le sombre tableau d'une industrie française « naufragée et menacée de mort » : « La production et l'investissement manufacturiers se sont effondrés de 13 % en 2009 », écrit-il dans Le Point du 25 février, « tandis que 196 000 postes de travail disparaissaient, soit 42 % des suppressions d'emplois, alors que le secteur n'occupe plus que 11 % de la main d'œuvre ».

Constatant « un retour en force de l'État dans l'industrie » à la faveur de la crise, il juge l'intervention des pouvoirs publics « parfaitement légitime pour contenir l'arrêt simultané de la demande privée et du crédit en 2008 comme pour secourir les secteurs sinistrés ». À ses yeux, cependant,  « la renaissance du colbertisme se révèle meurtrière pour l'industrie. Le protectionnisme vaut condamnation à mort de notre industrie, affirme-t-il, alors que les groupes qui résistent le mieux, tels Total, Air liquide, Schneider ou L'Oréal, sont les plus internationalisés. La centralisation de la politique industrielle entraîne les dirigeants à faire le siège des antichambres parisiennes au lieu de définir une stratégie. Les interventions publiques échappent à toute cohérence. [...] Enfin, l'État se montre le pire des actionnaires. [...] Loin d'inscrire la stratégie dans la durée, il ne cesse de la déstabiliser : l'assujettissement de l'intérêt social des entreprises publiques aux contingences gouvernementales se résume à un abus de bien social permanent. La politique industrielle est indispensable [...] mais mérite d'être repensée. L'objectif central doit être l'insertion dans la mondialisation et la réponse au défi de la concurrence des émergents. »

Un objectif évidemment débattu, dont la poursuite pourrait être assimilée à un renoncement par les pourfendeurs du mondialisme. Soulignons, quoi qu'il en soit, l'inconséquence du gouvernement qui plaide en faveur d'une libéralisation accrue des échanges dans les arcanes internationaux, mais flatte la CGT qui s'oppose à "l'ajustement" des capacités de raffinage de Total. Bel exemple de schizophrénie, peut-être inévitable à l'approche des élections régionales.

Enrayer le déclin industriel

4 février 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Les États généraux de l'Industrie confirment le déclin du secteur manufacturier : la France perd du terrain, tout particulièrement face à l'Allemagne. Aperçu des forces et faiblesses de l'industrie nationale.

Lancés le 2 novembre 2009, les États généraux de l'Industrie ont achevé la première phase de leurs travaux. Synthétisés dans un rapport remis le mois dernier au ministre Christian Estrosi, ceux-ci soulignent, sans surprise, le déclin du secteur manufacturier. S'il représente encore 16 % de la valeur ajoutée créée en France, son poids dans l'économie nationale apparaît moindre que dans la zone euro, où la moyenne s'établit à 22,4 %. Bien que 500 000 emplois industriels aient été perdus depuis 2000, des difficultés de recrutement persistent, notamment dans l'électricité et l'électronique, la mécanique et les travaux des métaux.

Déficit commercial

La France demeure le cinquième exportateur mondial, mais ses parts de marché sont en recul depuis une quinzaine d'années, passant de 5,8 % en 1995 à 3,8 % en 2008. « Ce phénomène s'explique en partie par la montée en puissance de nouveaux compétiteurs comme la Chine et une tendance de certains acteurs à délocaliser », commentent les rapporteurs. En partie seulement. Représentant un montant équivalent à 56 % des exportations allemandes en 2000, les exportations françaises de produits manufacturés étaient réduites à 37 % huit ans plus tard. La balance commerciale se dégrade : depuis 2007, les performances de l'agroalimentaire et des biens d'équipement ne compensent plus le déficit des autres secteurs.

L'industrie française s'appuie sur un tissu d'entreprises de taille intermédiaire (entre 250 et 5 000 salariés) insuffisamment développé. Elle dégage des marges plus faibles que celle des principaux pays de l'Union européenne, à l'exception du Royaume-Uni ; la rentabilité et l'accès aux financements s'en trouvent naturellement affectés.

R&D à la traîne

L' effort consenti en recherche et développement (R&D) plafonnait en 2006 à 1,9 % du PIB national. « La France se situe bien en-deçà de l'Allemagne qui y consacre 2,4 % de son PIB. » Elle se distingue « par un niveau important de dépenses R&D publiques, l'un des plus importants de l'OCDE rapporté au PIB, et à l'inverse par un faible niveau de dépenses R&D privées ». Aucune société française ne figure parmi les cinquante entreprises mondiales les plus innovantes identifiées par BusinessWeek-BCG. En conséquence, « le niveau de prise de responsabilités de la France dans les travaux de normalisation internationale a régressé depuis dix ans, pour se situer aujourd'hui à la moitié de [celui] de l'Allemagne ».

Ce sombre tableau présente quelques nuances. Disposant d'infrastructures de qualité, le territoire national attire des investissements directs étrangers jugés, dans l'ensemble, importants et créateurs d'emplois. « Ce flux a mieux résisté en France que dans le reste de l'Europe en 2009 puisqu'il n'a baissé que de 27 % contre 45 % sur l'ensemble de l'Europe. » De grandes entreprises françaises bénéficient d'un rayonnement mondial et d'un savoir-faire reconnu. Tout particulièrement les industries de santé, « porteuses d'une très forte valeur ajoutée économique et sociale ». Enfin, « par ses positions fortes dans les industries de la chimie, de l'énergie, de l'électronique et de la mécanique », la France pourrait « prendre une position de leader européen, voire mondial, dans la réponse au défi du développement durable ».

Au crédit des pouvoirs publics, les rapporteurs mentionnent, entre autres, l'institution du  crédit impôt recherche, qui aurait « un effet positif sur l'accroissement de l'effort de recherche des entreprises ». Autre « mesure phare » : « la mise en place des pôles de compétitivité qui ont permis en quatre ans de mettre en œuvre pour plus de 4 milliards d'euros de projets collaboratifs financés à 30 % par l'État et les collectivités territoriales, le reste par les entreprises. L'existence des pôles constitue aussi et peut-être surtout un levier important d'amélioration de la qualité d'un dialogue entre la recherche publique et la recherche privée dont la faiblesse est largement identifiée comme un problème crucial de l'innovation en France. »

Biens et services ne sont plus séparables

D'aucuns pariaient sur la "sanctuarisation" de certains domaines d'activité, voire une "spécialisation internationale" reposant sur la dichotomie produits-services. Or, soulignent les rapporteurs, « l'imbrication des produits et équipements industriels et des services associés de mise en œuvre, d'installation, d'exploitation et de maintenance, font que désormais c'est souvent une fonction, voire un service, assurés dans le temps, qui sont vendus, plus qu'un objet manufacturé ». À leurs yeux, « l'idée d'une économie fondée sur l'amont et l'aval de la production apparaît désormais comme un non-sens : la R&D est aussi délocalisable, les services le sont aussi (voir l'essor des services informatiques en Inde, la délocalisation des call-centers) ».

Leurs considérations demeurent très générales. Ils réclament, par exemple, « une promotion soutenue du "made in France" », sans s'aventurer à en préciser les modalités – soumises aux règles du marché unique européen. Entrés dans leur seconde phase, les États généraux de l'Industrie travaillent maintenant à la « définition des propositions d'actions », dont la mise en œuvre nécessitera « la mobilisation et l'engagement de tous les acteurs autour de l'objectif de la reconquête industrielle ».

Mégalo ?

17 septembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Serge July déverse sa bile contre le Rafale et l'orgueil national. Un procès injuste.

« L'histoire du Rafale [...] est un scandale d'État », proclame Serge July, qui prétend déverser sa bile sur un gouffre financier. « Coût de ce programme pour le contribuable : à peu près 40 milliards d'euros. À titre de comparaison, l'impôt sur le revenu a rapporté, en 2007, 54 milliards. » (RTL, 08/09/2009) Un avion de combat, cela coûte cher, très cher. Sans doute un tel investissement apparaît-il inacceptable aux yeux d'un vieux soixante-huitard...

À titre de comparaison, nous rappellerons surtout qu'un Eurofighter a coûté 50 % de plus qu'un Rafale aux contribuables allemands, britanniques, espagnols, italiens. « Le choix de jouer en franco-français [...] apparaît aujourd'hui comme le plus rationnel, tant sur le plan des finances publiques que sur celui des besoins militaires », observe Jean-Dominique Merchet (Défense européenne, la grande illusion, éd. Larousse).

Les faits sont têtus. M. July s'obstine pourtant à les ignorer, obnubilé par son entreprise de dénigrement national : « Il faut espérer que Nicolas Sarkozy, en soldant le Rafale [aux Brésiliens], a aussi soldé, par la même occasion, la mégalomanie française en la matière. » Nous l'avons vu, l'exemple est mal choisi pour stigmatiser une surestimation de nos capacités. Cela dit, l'arrogance française n'est pas un mythe : « Entre l'excès de prétention et l'excès de sous-estimation de soi, nous sommes passés par des extrêmes qui nous handicapent », déplore Hubert Védrine (Rapport sur la France et la mondialisation). « Il est temps de trouver notre équilibre. » Le "partenariat stratégique" mis en œuvre avec le Brésil pourrait nous y aider.