Incompétence ?

6 octobre 2009

Nos lecteurs s'imagineront peut-être que nous sommes partis en croisade contre Paul-Marie Couteaux. Telle n'était pas notre intention. Mais sa dernière intervention sur les ondes de Radio Courtoisie nous force à réagir.

Interrogé par téléphone le lundi 5 octobre 2009 dans le Libre Journal d'Henry de Lesquen, l'ancien député au Parlement européen évoqua à nouveau de supposées « dérogations » au traité de Lisbonne. Au moins peut-on lui reconnaître le mérite, cette fois-ci, d'y assimiler ouvertement tout et n'importe quoi, y compris le rééquilibrage des instituions allemandes exigé par le tribunal constitutionnel de Karlsruhe.

Prétendant que l'Irlande bénéficiera d'une régime dérogatoire en matière de fiscalité, Paul-Marie Coûteaux s'est gardé de citer les conclusions de la présidence communiquées à l'issue du Conseil européen des 18 et 19 juin 2009, selon lesquelles « aucune des dispositions du traité de Lisbonne ne modifie de quelque manière que ce soit, pour aucun État membre, l'étendue ou la mise en œuvre de la compétence de l'Union européenne dans le domaine fiscal ». Il affirma également que l'Eire serait la seule à conserver son commissaire, hypothèse jamais formulée par aucun texte officiel à notre connaissance. Bien au contraire : « Ayant pris bonne note des préoccupations du peuple irlandais telles qu'exposées par le Premier ministre irlandais, le Conseil européen, réuni les 11 et 12 décembre 2008, est convenu que, à condition que le traité de Lisbonne entre en vigueur, une décision serait prise, conformément aux procédures juridiques nécessaires, pour que la Commission puisse continuer de comprendre un national de chaque État membre. »

Tandis que certains souverainistes parient sur la résistance du président tchèque Vaclav Klaus, PMC nous assure que le traité de Lisbonne s'appliquera de fait, quelle que soit l'issue du processus de ratification. Ces élucubrations font écho à des fantasmes typiquement européistes... Qu'on nous explique comment un tel projet pourrait aboutir sans formalisation juridique ! À la limite, quelques aménagement informels sont envisageables : par exemple, un groupe d'États membres pourrait s'accorder sur la désignation d'un représentant commun, qui jouerait partiellement le rôle de président du Conseil européen. Mais quid des nouvelles modalités de vote en Conseil des ministres ? En l'absence d'une base juridique unanimement admise, le recours à des procédures "illégales" serait inévitablement contesté chaque fois qu'un acteur se trouverait lésé. On nage en plein délire.

Vénus au lycée

4 octobre 2009

L'inscription de L'Art d'aimer d'Ovide au programme de latin de terminale suscite une levée de boucliers dans certains milieux réactionnaires. Des protestations déplacées.

Une polémique nous oppose à l'un de nos collaborateurs depuis qu'il a voulu faire écho à un communiqué de l'abbé Régis de Cacqueray dénonçant l'inscription de L'Art d'aimer au programme de latin de terminale. C'est « une œuvre érotique du poète Ovide », fulmine le supérieur du District de France de la Fraternité Saint-Pie X. Lui emboîtant le pas, notre camarade s'est attaqué à « l'école de la débauche », où les élèves seraient « formés à la mentalité hédoniste et abortive » en étudiant « obligatoirement et exclusivement L'Art d'aimer ».

Désinformation

Or, Ovide sera loin d'accaparer toute l'attention des latinistes de terminale. Illustration d'un totalitarisme sans borne, l'Éducaton nationale « laisse au professeur la liberté d'organiser précisément son projet pédagogique » : outre l'œuvre au programme, seules des thématiques lui sont imposées ; l'enseignant choisit ses textes, y compris, pour cette année et la suivante, les extraits de L'Art d'aimer faisant l'objet « de traductions et analyses précises ».

Ceux-ci devant être retenus « pour leur importance ou leur représentativité », les passages distillant quelques conseils à suivre sous la couette risquent fort de passer à la trappe. En effet, nous n'en n'avons relevé que deux. Arrêtons-nous sur le premier, écrit à l'intention des hommes, qui mérite d'être cité in extenso tant il est sulfureux : « Crois-moi, il ne faut pas hâter le terme de la volupté, mais y arriver insensiblement après des retards qui la diffèrent. Quand tu auras trouvé l'endroit que la femme aime à sentir caressé, la pudeur ne doit pas t'empêcher de le caresser. Tu verras les yeux de ton amie brûler d'un éclat tremblant, comme il arrive souvent aux rayons du soleil répétés par une eau transparente. Puis viendront des plaintes, viendra un tendre murmure et de doux gémissements et les paroles qui conviennent à l'amour. Mais ne va pas, déployant plus de voiles (que ton amie), la laisser en arrière, ou lui permettre de te devancer dans ta marche. Le but, atteignez-le en même temps ; c'est le comble de la volupté lorsque, vaincus tous deux, femme et homme demeurent étendus sans force. Voilà la conduite à suivre lorsque le loisir te laisse toute liberté, et que la crainte ne te contraint pas à hâter le larcin de l'amour. Lorsqu'il y aurait danger à tarder, il est utile de te pencher de toute ta force sur les rames et de donner l'éperon à ton coursier lancé à toute allure. » (1)

Ces recommandations apparaitront-elles suffisamment explicites aux yeux d'un abbé fidèle à son vœu de chasteté ? En quête d'éclaircissements, peut-être dénichera-t-il un manuel d'anatomie féminine dans la bibliothèque d'Écône, sait-on jamais. À défaut, qu'il délaisse un instant ses méditations pour s'ouvrir au monde : une oreille tournée vers les cours de récréation lui livrera bien des secrets ; au passage, il mesurera combien la poésie d'Ovide tranche avec la vulgarité ambiante.

Romantisme

Son érotisme tout relatif baigne dans le romantisme, révélant, par comparaison, la fadeur des aventures d'un soir. « Mes leçons n'enseignent que les amours légères», prétend le poète. Certes, ses détracteurs n'y verront qu'un jeu : « Si tu n'as pas une route sûre et facile pour rejoindre ta bien-aimée, si tu trouves devant toi une porte verrouillée, eh bien ! Laisse-toi glisser, chemin périlleux, par la partie du toit ouverte (sur l'atrium) ; qu'une fenêtre élevée t'offre aussi une route furtive. Ta maîtresse sera transportée de joie, et saura qu'elle est la cause du péril que tu as couru pour elle, ce sera le gage assuré de ton amour. Tu aurais pu souvent, Léandre, te priver de voir celle que tu aimais ; tu passais l'Hellespont à la nage, pour bien lui montrer tes sentiments. » Mais l'âme s'en trouve parfois consumée, brûlée par la passion : « Le sillon ne rend pas toujours avec usure ce qu'on lui a confié, et le vent ne favorise pas toujours le vaisseau dans sa course hasardeuse. Peu de plaisirs et plus de peines, voilà le lot des amants : qu'ils préparent leur âme à de nombreuses épreuves. Les lièvres que nourrit le mont Athos, les abeilles que nourrit le mont Hybla, les baies que porte l'arbre de Pallas au feuillage sombre, les coquilles du rivage ne sont pas aussi nombreuses que les tourments de l'amour. Les traits que nous recevons sont abondamment trempés de fiel. »

Forte du soutien de l'académicienne Jacqueline de Romilly, l'association Défi culturel fustige une œuvre dans laquelle « nos enfants apprendront que l'inceste est désiré et même que les femmes aiment être violées ». Ovide multiplie les allusions à la mythologie, dont on connaît les mœurs douteuses, et confesse avec désinvolture son aversion toute personnelle pour la pédophilie. Mais n'est-ce pas de Rome qu'il s'agit ? L'évocation du viol est ambiguë, comme en témoigne le récit de l'enlèvement des Sabine. S'appuyant sur une citation tronquée, Défi culturel dissimule toutefois des nuances significatives : « Quel est l'homme expérimenté qui ne mêlerait pas les baisers aux paroles d'amour ? Même si elle ne les rend pas prends-les sans qu'elle les rende. D'abord elle résistera peut-être et t'appellera "insolent" ; tout en résistant, elle désirera d'être vaincue. Mais ne va pas lui faire mal par des baisers maladroits sur ses lèvres délicates, et garde bien qu'elle puisse se plaindre de ta rudesse. [...] La pudeur interdit à la femme de provoquer certaines caresses, mais il lui est agréable de les recevoir quand un autre en prend l'initiative. » Stigmatisant encore une œuvre « ouvertement misogyne », l'association relève ses attaques contre la « race perfide » que constitueraient les femmes, négligeant cette observation par laquelle le poète tempère son jugement : « La femme ne sait pas écarter les feux et les flèches cruelles (de l'Amour) ; je constate que ces traits sont moins redoutables aux hommes. Les hommes trompent souvent, les femmes, sexe délicat, peu souvent, et, en cherchant bien, il n'y a guère de perfidies à leur reprocher. »

Ovide ne craint pas de convoiter la femme de son prochain, ni d'user de mauvaise foi pour parvenir à ses fins. Son traité n'a rien d'une apologie de la licence au demeurant, n'en déplaise à des cathos frustrés (2) assimilant l'amour, de façon exclusive, à un mariage idéalisé. Loin d'encourager les garçons à siffler les filles, L'Art d'aimer les exhorte à sortir "le grand jeu" pour séduire leur dulcinée ; laquelle est invitée à soigner sa féminité, au mépris de la "parité"...  Proclamons-le sans ambages : ce message n'est pas pour nous déplaire !

(1) L'autre passage "à lire avant de passer au lit" se situe à la fin du livre III. « Je rougis des enseignements qu'il me reste à donner », avoue le poète. S'adressant aux femmes, il leur suggère de choisir la position les mettant le mieux en valeur, selon les qualités et défauts de leur anatomie. Les extraits cités sont tirés de la traduction établie par Henri Bomecque (éd. Librio).

(2) L'expression a choqué. C'est de la polémique (presque) gratuite, nous en convenons. Mais, généralement, ne nous reproche-t-on pas notre réticence à verser dans ce registre ? 😉 En outre, nous avons seulement saisi la perche qui nous était tendue... Ce communiqué semble entretenir délibérément la caricature des rapports de l'Église à la sexualité et l'amour !

L'Europe retient son souffle...

1 octobre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Le référendum organisé en Irlande le 2 octobre va-t-il enterrer le traité de Lisbonne ? Peu de sondages l'ont annoncé, mais rien n'est joué : à une semaine du scrutin, on comptait encore 20  % d'indécis. Si la Crise explique l'impopularité du gouvernement, elle pourrait néanmoins profiter au "oui"...

Appelés à s'exprimer une seconde fois sur le traité de Lisbonne, les Irlandais en scelleront vraisemblablement le sort le vendredi 2 octobre. Ce texte apparaît comme « un simple aménagement du règlement intérieur de l'Union » aux yeux de Jean-Luc Sauron, maître des requêtes au Conseil d'État. Sur place, loin de relativiser l'enjeu de cette consultation, le Premier ministre Brian Cowen évoque « l'une des plus grandes questions nationales depuis l'indépendance de l'Irlande en 1922 ».

Un vote protestataire ?

À une semaine du scrutin, les sondages confirmaient l'avance du "oui" : selon une enquête TNS publiée par le quotidien Irish Times, 48 % des personnes interrogées envisageaient d'approuver le traité, 33 % s'y déclarant opposées ; restaient 19 % d'indécis. Ces derniers seront-ils tentés par un vote protestataire ? Le contexte s'y prêterait, alors que le gouvernement se révèle particulièrement impopulaire : composé du Fianna Fail (centriste), du Parti démocrate progressiste et des Verts, il a essuyé un revers lors des élections du 5 juin dernier ; le Fianna Fail n'est plus la première force politique du pays, fait inédit depuis 1932.

« La crise économique, qui a fortement affecté l'île, explique en grande partie cet échec électoral des partis au pouvoir », nous apprend Corinne Deloy (1). « En effet, Brian Cowen a fait voter durant les derniers mois deux plans de rigueur qui allient hausses d'impôt et baisses des aides sociales et des retraites. Les traitements des fonctionnaires ont diminué de 7 % en moyenne en 2008 et l'ensemble des salaires devraient reculer de 3 % en 2009 (et de 1,6 % en 2010). L'Irlande a redécouvert le chômage de masse. De 4 % en août 2007, son taux s'établit à 12,2 % (juillet 2009), soit le plus élevé depuis plus de quatorze ans, et devrait atteindre 17 % fin 2010. »

La situation pourrait néanmoins profiter au "oui" : « Beaucoup d'hommes politiques et de partisans du traité de Lisbonne espèrent que cette crise aura permis aux Irlandais de prendre conscience des bénéfices que leur rapportent leur appartenance à l'Union européenne, l'adoption de l'euro ayant certainement préservé l'île celtique d'une dévaluation et d'un scénario à l'islandaise. » Quoi qu'on pense de ce discours, force est de constater que l'opinion s'y montre apparemment réceptive.

Ce référendum sera le huitième organisé en Irlande sur des questions européennes. Les consultations populaires sont devenues coutumières en la matière. Pourtant, leur tenue n'est exigée « que dans l'hypothèse où une [...] disposition [...] modifie fondamentalement le champ d'intervention ou les objectifs de la Communauté ». Or, poursuit Laurent Pech (2), « le traité de Lisbonne ne paraît pas entrer dans ce cadre ». Une analyse évidemment récusée par les souverainistes. Quoi qu'il en soit, « la constitution irlandaise de 1937 n'autorise pas la saisine de la Cour suprême à titre préventif » ; aussi chaque gouvernement préfère-t-il « procéder ainsi systématiquement, plutôt [...]  que d'être accusé de faire fi de la souveraineté populaire ».

Précédents

Liée au Royaume-Uni par une union économique et monétaire, l'Eire adhéra à la Communauté économique européenne (CEE) en même temps que lui en 1973. Cela avec le soutien des deux principales formations politiques nationales, après une consultation plébiscitant ce processus à la faveur de 83 % des voix. Dans les décennies suivantes, le pays profita d'une croissance spectaculaire, mais l'enthousiasme des votants s'éroda au fur et à mesure qu'ils étaient appelés à approuver de nouveaux traités : le "oui" recueillit 70 % des suffrages pour l'Acte unique en 1987, 69 %  pour le traité de Maastricht en 1992, 62  % pour le traité d'Amsterdam en 1998, et seulement 44 % pour le traité de Nice en 2001.

Fallait-il interpréter ce rejet comme l'expression d'une défiance à l'égard de l'Union européenne ? L'histoire irlandaise se prête naturellement à de telles analyses. Mais la mobilisation de ce "peuple d'insoumis" apparut bien modeste, la participation stagnant à 35 %. L'année suivante, à l'occasion – déjà – d'un second référendum, le traité de Nice fut adopté par 63 % des voix. Auparavant, le gouvernement irlandais et le Conseil européen avaient veillé à formuler quelque garantie quant à la neutralité du pays.

Les motivations des nonistes

L'histoire s'est répétée : le 12 juin 2008, le traité de Lisbonne fut rejeté par 53 % des votants. Le taux de participation atteignit cette fois 53 % ; « un chiffre raisonnable pour ce type de consultation en Irlande » selon Laurent Pech. On relativisera toutefois l'enthousiasme des souverainistes : si l'on en croit l'Eurobaromètre, en dépit de leur vote, 80 % des "nonistes" soutenaient l'appartenance de l'Irlande à l'UE. « 22 % de ceux qui ont voté non l'ont fait parce qu'ils manquaient d'informations sur le contenu du traité », rapporte Jean Quatremer (3) ; « 12 % pour protéger l'identité irlandaise ; 6 % pour défendre la neutralité irlandaise ; 6 % parce qu'ils n'ont pas con-fiance dans les politiciens ; 6 % pour garder "leur" commissaire à Bruxelles ; 6 % pour refuser l'harmonisation fiscale ; 5 % pour s'opposer à l'idée d'une Europe unie ; 4 % pour protester contre la politique du gouvernement ; 4 % pour éviter que l'Union parle d'une seule voix sur les problèmes mondiaux ; 4 % pour protester contre la domination des grands États membres ; 3 % pour maintenir l'influence des petits États ; 2 % pour éviter l'introduction du droit à l'avortement, du mariage gay et de l'euthanasie ».

Les dirigeants européens ont voulu dissiper la plupart des inquiétudes mises en lumière par ce sondage. Ils entendent exploiter une "faille juridique" du traité de Lisbonne pour maintenir un commissaire par État. En outre, des garanties sur le "droit à la vie", la famille et l'éducation, la fiscalité, la sécurité et la défense ont été formalisées à l'issue du Conseil européen des 18 et 19 juin derniers. Abusivement, on parle parfois de dérogations. Mais si ces "explications de texte" intègrent comme promis le droit communautaire, elles en éclaireront la teneur pour l'ensemble des États membres.

Le spectre du "non"

Pour l'heure, le spectre du "non" envahit les sphères officielles. Le 18 septembre, Silvio Berlusconi a prévenu qu'en cas d'échec du référendum, « nous devrons complètement revisiter le fonctionnement actuel de l'Europe pour créer un noyau d'États qui agissent au-delà de l'unanimité ». Le président du Conseil italien nous a habitués aux déclarations à l'emporte-pièce, hasardeuses et sans lendemain... Le secrétaire d'État suédois aux Affaires européennes – dont le pays préside actuellement le Conseil de l'Union – s'est montré plus réaliste : « Les dirigeants de l'UE s'éloignent de la thèse selon laquelle le traité de Lisbonne est nécessaire pour un fonctionnement efficace de l'UE élargie. Le nouveau message est que sans le traité de Lisbonne, l'UE peut être tout aussi capable d'agir que jusqu'ici. » Et Mme Maria Asenius d'ajouter : « Nous ne pouvons pas attendre éternellement une décision à ce sujet. Nous avons besoin d'une nouvelle Commission pour que les affaires européennes continuent. Avec ou sans le traité de Lisbonne. Nous  n'avons pas le choix. » (4) Le bon sens reprendrait-il ses droits ?

Refaire de la politique en Europe

Reléguant la Commission au second plan, la Crise a révélé, nous semble-t-il, le caractère relativement malléable des institutions européennes. Pierre Lellouche, le secrétaire d'État en charge des Affaires européennes, prétend d'ailleurs saisir cette « opportunité », qui « oblige l'Europe à regarder autre chose que ses institutions ». « Nous allons pouvoir, dans ce contexte, refaire de la politique en Europe », a-t-il déclaré jeudi dernier, en conclusion d'un colloque consacré à l'Europe de la défense. Et de reprendre une citation du général De Gaulle chère aux souverainistes : « Il ne suffit pas de dire "Europe, Europe" en sautant comme un cabri ! » Cela tranchait avec la proclamation assénée dans la matinée par son collègue Hervé Morin, ministre de la Défense, qui « espère qu'un jour l'Europe sera une construction fédérale ».... Pour Pierre Lellouche, « la question fondamentale [...] est celle de la volonté politique ». Laquelle émane de Paris ou Berlin, et non de Bruxelles.

(1) « Référendum sur la ratification du traité de Lisbonne, 2 octobre 2009 » ; Observatoire des élections en Europe, fondation Robert Schuman ; www.robert-schuman.org

(2) Dictionnaire critique de l'Union européenne ; Armand Collin, 39,50 euros.

(3) « Irlande : les raisons du non et du oui » ; bruxelles.blogs.liberation.fr

(4) Entretien accordé à Euractiv Allemagne, 15/09/2009 ; www.euractiv.de

Esbroufe gaulienne

30 septembre 2009

Dominique de Villepin revient à la une des médias. Nostalgie...

Le procès Clearstream va-t-il remettre en selle Dominique de Villepin ? Il est vrai que ce poète au verbe flamboyant en impose à côté du président de la République. Lequel porte un nouveau coup à la dignité de sa fonction en manifestant – y compris devant la justice, voire au mépris du droit – toute l'animosité que lui inspire son rival.

Ce duel prend volontiers une tournure politique. Nicolas Sarkozy vient d'installer le général Abrial à la tête de l'Allied Command Transformation. Une infamie ! Jusqu'alors, nos officiers arpentaient les couloirs de l'Otan sans responsabilités... À l'opposée ressurgit le souvenir d'un ministre français bravant l'impérialisme américain à la tribune des Nations Unies, tandis que l'oncle Sam se préparait à envahir l'Irak. Son courage fut d'autant plus méritoire qu'il caressa l'opinion dans le sens du poil et qu'un sniper américain le guettait dans Manhattan.

Soyons honnête : à l'époque, l'enthousiasme nous avait emporté, et même aujourd'hui, la nostalgie ne nous épargne pas tout à fait ; c'est pourquoi ce billet sonne comme une repentance. L'AF enseigne la méfiance à l'égard du romantisme ; mettons son catéchisme en pratique ! L'arrogance du discours flatte les sentiments, mais les gesticulations masquent mal l'impuissance qui fut la nôtre à influencer nôtre allié américain. Sans jamais envisager le divorce, la France a multiplié les scènes de ménage, prenant la planète entière à témoin, pour quel résultat ? N'en déplaise aux fanatiques de l'esbroufe gaullienne, la politique n'est pas (seulement) une affaire de posture.

Hélas, serions-nous tenté d'ajouter, car la raison peine à tempérer toutes les ardeurs du chauvinisme !

Ministre fédéraliste

24 septembre 2009

Hervé Morin affiche sans complexe ses convictions fédéralistes.

Quelques passages nous ont interpellé dans l'intervention prononcée ce jeudi matin par le ministre de la Défense, Hervé Morin, dans l'amphithéâtre Foch de l'École militaire : « Je vais en choquer certains », a-t-il averti, mais « j'espère qu'un jour l'Europe sera une construction fédérale ». Dans cette perspective, "l'Europe de la défense" n'apparaît « pas seulement comme une construction technique », mais comme « un instrument d'une construction politique ».

Le ministre mesure-t-il les conséquences de son ambition ? Apparemment : « Nous acceptons l'idée d'avoir des dépendances mutuelles » en matière d'armement, a-t-il affirmé sans ambiguïté ; car « nous ne pourrons pas construire l'Europe de la défense en maintenant l'ensemble des savoir-faire en France. »

Serait-il possible, alors, de les conserver sans la construire ?

Ce discours s'inscrivait dans une série d'interventions consacrées aux « nécessaires progrès de l'Europe de la défense », prononcées à l'invitation de la a fondation Robert Schuman. Nous reviendrons sur cette journée, où nous avons salué le très sympathique Jean Dominique Merchet. 🙂

Menace ou opportunité

21 septembre 2009

Une accusation injuste formulée contre le président de la Commission européenne.

Continuons à remettre quelques pendules à l'heure. Le Salon Beige a dénoncé hier la « menace pitoyable de Barroso sur l'Irlande ». En effet, le président de la Commission européenne aurait prévenu « que si les Irlandais votaient "non" au second référendum sur le traité de Lisbonne du 2 octobre, leur pays perdrait son droit automatique à désigner un commissaire européen ». Ainsi Michel Janva laisse-t-il entendre qu'un risque de représailles plane sur le "mouton noir" de l'UE.

Or, si José Manuel Barroso affirme que « la seule façon pour l'Irlande d'assurer qu'elle aura toujours un commissaire est de voter "oui" », et que « dans le cas contraire, bien entendu, nous devons réduire le nombre de commissaires », c'est parce que « cela figure dans les traités actuels et [que] nous sommes légalement obligés de le faire ». C'est une réforme programmée de longue date par le traité de Nice, dont l'Irlande s'accommoderait au même titre que ses partenaires. Mais le traité de Lisbonne introduirait une "faille juridique" permettant d'y échapper. Une possibilité que les Vingt-Sept se sont engagés à exploiter.

Autrement dit, si l'on s'en tient aux propos rapportés par l'AFP, loin de formuler une menace, José Manuel Barroso a donc souligné une opportunité. Nouvel exemple de désinformation souverainiste...

Le Salon Beige n'en reste pas moins un blog riche en informations, que nous continuerons à visiter presque tous les jours. 😉

Un diktat imaginaire

19 septembre 2009

Convaincue de la perversité des institutions européennes, la presse "europhobe" leur attribue hâtivement certains méfaits.

La méconnaissance des institutions européennes est patente dans les milieux souverainistes et réactionnaires. Nouvel exemple rapporté le 18 septembre par Le Salon Beige, qui cite le numéro de Présent à paraître le lendemain : « Le Parlement européen s'est exprimé jeudi [...] sur une loi lituanienne de protection des mineurs jugée "homophobe". [...] L'Union européenne a ainsi imposé son diktat "anti-homophobe" contre une loi qu'elle exècre... »

Inspiré par une idéologie que nous réprouvons, le Parlement européen a certes réaffirmé « l'importance pour l'Union de lutter contre toutes les formes de discrimination, en particulier celles qui sont fondées sur l'orientation sexuelle ». Précisons toutefois qu'il l'a fait dans le cadre d'une résolution. Une majorité de députés "européens" désapprouvent cette loi et le font savoir. Cela avec la complicité de représentants lituaniens, soit dit en passant : l'assemblée européenne aura vraisemblablement servi de tribune à l'opposition nationale, comme pour la loi "Hadopi" en France. Mais l'histoire s'arrête là. Peut-être rebondira-t-elle à la faveur de tel ou tel aspect du droit communautaire, mais, le cas échéant, le vote intervenu à Strasbourg aura surtout contribué à médiatiser l'affaire. Dans ces conditions, prétendre que l'UE a « imposé son diktat » relève de la désinformation.

Impairs souverainistes

17 septembre 2009

Trop soucieux de prouver que la France est lésée par le traité de Lisbonne, Paul-Marie Couteaux a commis quelques impairs hier soir au micro de Radio Courtoisie.

En ouverture de son Libre Journal de la nuit du 16 septembre, Paul-Marie Coûteaux s'est offusqué de l'inégalité introduite entre les États signataires du traité de Lisbonne par le tribunal de Karlsruhe. Rappelons que celui-ci a suspendu la ratification à l'accroissement des pouvoirs du parlement allemand. La substance du traité s'en trouve-t-elle modifiée ? Bien sûr que non. Il n'appartient pas à l'Union de définir les institutions dont doivent se doter les États membres afin de respecter leurs engagements européens. C'est pourtant ce que regrettent plus ou moins les souverainistes. Une aberration dont nous avions déjà rendu compte.

L'ancien député au Parlement européen a par ailleurs évoqué les « dérogations » que l'Irlande aurait obtenues avant d'organiser un second référendum sur le traité de Lisbonne. Or, les Vingt-Sept se sont davantage accordés sur des "explications de texte". Si celles-ci intègrent comme prévu le droit communautaire (sous forme de protocoles annexés au prochain traité d'élargissement), elles en éclaireront la teneur pour l'ensemble des États membres.

Mégalo ?

17 septembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Serge July déverse sa bile contre le Rafale et l'orgueil national. Un procès injuste.

« L'histoire du Rafale [...] est un scandale d'État », proclame Serge July, qui prétend déverser sa bile sur un gouffre financier. « Coût de ce programme pour le contribuable : à peu près 40 milliards d'euros. À titre de comparaison, l'impôt sur le revenu a rapporté, en 2007, 54 milliards. » (RTL, 08/09/2009) Un avion de combat, cela coûte cher, très cher. Sans doute un tel investissement apparaît-il inacceptable aux yeux d'un vieux soixante-huitard...

À titre de comparaison, nous rappellerons surtout qu'un Eurofighter a coûté 50 % de plus qu'un Rafale aux contribuables allemands, britanniques, espagnols, italiens. « Le choix de jouer en franco-français [...] apparaît aujourd'hui comme le plus rationnel, tant sur le plan des finances publiques que sur celui des besoins militaires », observe Jean-Dominique Merchet (Défense européenne, la grande illusion, éd. Larousse).

Les faits sont têtus. M. July s'obstine pourtant à les ignorer, obnubilé par son entreprise de dénigrement national : « Il faut espérer que Nicolas Sarkozy, en soldant le Rafale [aux Brésiliens], a aussi soldé, par la même occasion, la mégalomanie française en la matière. » Nous l'avons vu, l'exemple est mal choisi pour stigmatiser une surestimation de nos capacités. Cela dit, l'arrogance française n'est pas un mythe : « Entre l'excès de prétention et l'excès de sous-estimation de soi, nous sommes passés par des extrêmes qui nous handicapent », déplore Hubert Védrine (Rapport sur la France et la mondialisation). « Il est temps de trouver notre équilibre. » Le "partenariat stratégique" mis en œuvre avec le Brésil pourrait nous y aider.

Crise laitière : l'Europe désinvolte

17 septembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Entamée jeudi dernier, la "grève du lait" suscite des controverses parmi les producteurs. Sans ébranler la technocratie européenne, au moins aura-t-elle révélé à l'opinion publique la situation dramatique des éleveurs.

Une "grève du lait" a été lancée par l'Organisation des producteurs de lait (OPL) et l'Association des producteurs de lait indépendants (APLI), qui revendiquent le maintien des quotas européens – dont l'augmentation progressive doit aboutir à leur surpression en 2015 –, ainsi qu'un lait à 400 euros la tonne ; depuis le 10 septembre, mus par la colère ou le désespoir, certains éleveurs ont cessé les livraisons. Une initiative récusée par la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL, émanation de la FNSEA) : « Qui peut croire à la chimère des 400 euros pour les 1 000 litres ? Cette action qui consiste à jeter le fruit de son travail peut diviser et choquer, y compris nos concitoyens qui sont eux-mêmes éprouvés durement par la crise. »

Des prix instables

« Quand le lait est tiré, il faut le vendre », observe Nicolas-Jean Brehon. « Alors qu'un fabricant peut toujours être incité à se fournir ailleurs. Certains n'attendent même que cela. » (Questions d'Europe, Fondation Robert Schuman, 27/07/2009) D'autant qu'en France, la moitié des achats sont réalisés par des industriels. « Jusqu'au début des années 2000 », poursuit-il, « le secteur laitier fut le secteur agricole le plus régulé ». Mais « les producteurs ayant une quasi-garantie d'écouler les productions à des prix rémunérateurs et les États n'ayant jamais eu le courage politique de fixer les quotas à des niveaux suffisamment rigoureux, le système s'est emballé ». Cela justifia une évolution radicale, entraînant une dépendance vis-à-vis des prix pratiqués en dehors de l'UE, ainsi que des variations de grande ampleur : à la hausse moyenne de 43 % en 2007-2008 succéda une chute de 32 % l'année suivante. « Il est certain qu'aux niveaux actuels, les prix payés aux producteurs ne permettent pas d'assurer l'équilibre des exploitations laitières. »

Quotas en débat

En juillet dernier, la France avait réclamé le gel des quotas laitiers en 2010. Malgré le soutien de l'Allemagne, elle s'était heurtée à l'intransigeance de la Commission européenne – paravent d'une majorité d'États membres : « Quelques pays sont hostiles aux régulations par principe (Royaume-Uni, Suède). D'autres pays sont partisans d'une levée des quotas ou d'une augmentation sensible, afin de faire jouer les avantages comparatifs dont ils estiment pouvoir bénéficier (Pays-Bas, Danemark Pologne). Enfin, certains pays ont été pénalisés par des quotas trop faibles, inférieurs aux consommations nationales (Italie, Espagne). Chaque année, plusieurs pays payent des pénalités pour dépassement de quotas (912 millions d'euros en trois ans). Il n'est pas raisonnable de penser que ces pays accepteront de payer encore... »

En 2007-2008, cependant, seuls huit États avaient dépassé leurs quotas ; les autres se trouvaient en "sous-réalisation", parfois importante. Le danger représenté par une augmentation des quotas s'en trouve contesté. Quoi qu'il en soit, une réponse à la crise apparaît indispensable, pour des motifs sociaux mais aussi politiques : la sécurité alimentaire ne sera pas garantie sans que soit assuré aux agriculteurs un revenu décent.

Entre autres mesures, la Commission a soutenu le stockage privé, pratiqué des "achats d'intervention", réactivé les restitutions (subventions) à l'exportation, promu la consommation des produits laitiers... « Nous sommes au fond de la piscine » reconnaît le commissaire en charge de l'Agriculture, Mme Mariann Fischer Boel. Son action n'en est pas moins jugée bien trop timide. Le 7 septembre, seize États membres, dont la France et l'Allemagne, ont formulé ces propositions résumées par Euractiv : « Le texte suggère d'augmenter temporairement les prix d'intervention européens, que l'UE définit pour acheter aux agriculteurs leurs surplus. Il propose aussi que les gouvernements nationaux puissent aider davantage les producteurs sans demander à Bruxelles son feu vert. Allant plus loin, les seize États suggèrent de mettre sur pied un prix minimum du lait, défini dans chaque pays entre les producteurs et les industriels. »

Contractualisation

La "contractualisation" serait ainsi la « voie à suivre » selon le ministre de l'Agriculture, Bruno Le Maire. « Cette solution [...] doit être analysée avec lucidité », avertit Nicolas-Jean Brehon, qui souligne « les différences de poids entre les parties – 100 000 éleveurs et quelques dizaines de fabricants ». Pour l'OPL, « cette solution risque surtout de rendre les producteurs de lait encore plus vulnérables face aux marchés ». Et de stigmatiser un projet « d'inspiration "nationaliste" », la contractualisation étant « du ressort de notre droit national et [non] commune aux vingt-six autres pays ».

Cette posture "européiste" s'expliquerait-elle par la crainte du dumping ? À bien des égards, celui-ci est déjà à l'œuvre... Ne négligeons pas, en outre, la variété des contextes nationaux : par exemple, en quoi nos partenaires sont-ils concernés par l'usage de nos quotas laitiers à des fins d'aménagement du territoire ? Cela dit, le cadre européen, voire international, ne saurait nous indifférer. La France compte des transformateurs industriels de taille mondiale, comme Danone et Lactalis ; le lait représente 16 % des exportations agricoles nationales, à l'origine d'un solde commercial positif de 3,5 milliards euros.