Déclaration de Cadix

4 février 2010

Le second sommet européen des femmes au pouvoir s'est tenu à Cadix le mercredi 3 février.

Convoqué à l'initiative des gouvernements espagnol et britannique, il s'inscrivait dans la continuité d'une réunion organisée à Athènes dix-huit ans auparavant. À cette occasion fut adoptée une "déclaration politique" censée donner « une impulsion définitive » à l'égalité hommes-femmes dans l'Union européenne, selon le vœu formulé le 27 janvier par le ministre espagnol de l'Égalité, Mme Bibiana Aido (photo).

Les signataires – parmi lesquels figure la Française Nora Berra, secrétaire d'État en charge des Aînés – observent que « l'amélioration des résultats scolaires des femmes n'a pas été accompagné d'une présence proportionnelle dans les sphères de décision » ; ce qui serait un véritable « gâchis ». Et de stigmatiser « les stéréotypes sexistes » qui « continuent de promouvoir des comportements différents pour les femmes et les hommes, constituant le terreau des discriminations ».

Révoltés contre des aspirations dont la variété nous semble profondément structurée par l'identité sexuelle, les signataires s'imaginent que « la participation équilibrée des femmes et des hommes est indispensable à l'épanouissement personnel et collectif ». L'égalité serait, en outre, « une condition préalable pour obtenir une croissance durable ». « La valeur économique des politique d'égalité des sexes est évidente », affirment-ils. Elle assurerait notamment une natalité pérenne – hypothèse sur laquelle il y aurait matière à discuter, bien qu'elle soit apparemment vérifiée par certaines statistiques.

Sans surprise, le texte appelle à « des changements structurels et culturels dans tous les domaines de la vie ». Ce qui suppose, entre autres, des incitations à partager les tâches ménagères, des mesures de discrimination positive, voire l'organisation régulière de sommets européens réunissant exclusivement des femmes. Les participantes se sont également engagées « à promouvoir l'égalité des sexes dans l'action extérieure et la coopération au développement de l'Union européenne ».

Aujourd'hui, 4 février, s'ouvre par ailleurs à Cadix le "forum européen des femmes Pékin + 15" « au cours duquel sera analysé le degré de respect des objectifs stratégiques et des mesures fixées lors de la Ive Conférence mondiale sur les femmes de l'ONU, qui s'est tenue à Pékin en 1995 », selon les informations fournies par la présidence du Conseil.

Feu sur Catherine Ashton

4 février 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

L'UE s'est montrée bien timide dans la coordination des États membres venus au secours d'Haïti. Cela nourrit de nouvelles critiques formulées à l'encontre de Catherine Ashton, Haut Représentant pour les Affaires étrangères.

Deux semaines après le terrible séisme survenu en Haïti, les ministres européens sont enfin convenus, le 25 janvier, de créer une cellule de coordination « pour échanger les informations sur les moyens civils et militaires » apportés par les États membres.

Aucun bilan chiffré

« Encore une fois, déplore Jean Quatremer, les Européens ont agi en ordre dispersé alors qu'ils sont les principaux contributeurs : 400 millions d'euros, environ, contre 100 millions de dollars dévalués pour les Américains. » (Coulisses de Bruxelles, 19/01/2010) Le 22 janvier, Nicolas Gros-Verheyde estimait à 2 000 le nombre d'Européens engagés au titre de la protection civile, dont 1 300 Français. Des chiffres que l'UE s'est montrée incapable de lui fournir : « Pour trouver de l'information, il fallait la chercher ailleurs dans les capitales, voire auprès de l'US Army. » (Bruxelles 2, 28/01/2010) Un comble !

Peut-être les flottements consécutifs à l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne expliquent-ils en partie ces déboires. À moins que cette inertie soit inhérente au fonctionnement de la machine administrative européenne. Gouverné par le consensus, cet empire normatif n'apprécie pas d'être bousculé. « Le mode de décision européen est trop lent pour s'adapter à une crise soudaine », observait Jean-Pierre Jouyet au lendemain de la présidence française de l'UE, tandis qu'il accusait la Commission d'avoir « mal analysé » la nature de la crise financière (Une présidence de crises, Albin Michel).

Fallait-il se rendre sur place ?

Tandis qu'on ressort des tiroirs un rapport de 2006, où Michel Barnier proposait la création d'une force européenne de protection civile, les critiques redoublent à l'encontre de Catherine Ashton, le Haut Représentant de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité. Moult commentateurs ont regretté qu'elle ne se soit pas rendue sur place, alors qu'Hillary Clinton se trouvait à Port-au-Prince le 16 janvier. « On aurait pu imaginer que le drapeau européen soit visible plus rapidement », affirme Pierre Lellouche, le secrétaire d'État en charge des Affaires européennes (Euractiv, 27/01/2010). Les européistes se bercent d'illusions : aux côtés du secrétaire d'État américain, en effet, le Haut Représentant n'aurait pas accaparé l'attention des médias. Pour avoir assisté, la semaine dernière, à une allocution du président du Conseil européen Herman Van Rompuy prononcée à Paris, nous pouvons témoigner de la relative indifférence suscitée par le déplacement d'une telle personnalité.

Mme Ashton a tenté de se justifier : « Je n'avais rien à fournir sur le terrain sinon prendre un espace précieux alors que les avions étaient incapables d'atterrir à cause de l'état de l'aéroport. Je ne suis pas un médecin, ni un pompier. Ma place était de réunir une coordination au niveau de l'UE et des Nations Unies. » (Bruxelles 2, 20/01/2010)

Diplomatie européenne sans finesse

Nicolas Gros-Verheyde lui reconnaît le mérite de ne pas avoir versé dans la "politique spectacle" : « Sa place était davantage à Bruxelles », estime-t-il, « pour organiser, coordonner l'action au niveau politique. Ce qu'elle a fait en convoquant (un peu tard) un conseil des ministres extraordinaire » (Bruxelles 2, 25/01/2010). À l'opposé, Jean Quatremer a publié un article assassin : « Elle a manifestement décidé d'interpréter a minima ses nouvelles fonctions, à la fois par flemme et par désintérêt pour un poste qu'elle n'a jamais demandé. [...] Annonçant, lundi, les chiffres de l'aide européenne, Ashton a été tellement confuse que Miguel Angel Moratinos, le chef de la diplomatie espagnole dont le pays assure la présidence tournante de l'Union, s'est fait un plaisir de la reprendre pour expliquer clairement la situation. Et en trois langues, alors qu'Ashton est incapable de parler autre chose que l'anglais. » (Coulisses de Bruxelles, 26/01/2010)

Sa désaffection pour la langue de Molière inquiète Jean-Pierre Raffarin. Dans ces conditions, admet l'ancien Premier ministre, on peut « douter du degré de sensibilité et de finesse de la prochaine diplomatie européenne ». Quant aux souverainistes, ils se réjouiront peut-être de ces déboires, qui sont autant de freins au développement du Service européen pour l'Action extérieure menaçant, à leurs yeux, la diplomatie française.

Féminiser l'Otan

4 février 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Madrid nous avait prévenus : l'égalité hommes-femmes figure parmi les priorités de son semestre européen.

Intervenant devant une commission du Parlement européen, le ministre espagnol de l'Égalité, Mme Bibiana Aído, a exprimé, selon le communiqué de l'assemblée, la volonté « d'encourager le partage des tâches entre les femmes et les hommes ». Par ailleurs, au cours d'une conférence organisée à Bruxelles par la Commission européenne et l'Otan sur « les femmes, la paix et la sécurité », le premier vice-président du gouvernement espagnol, Mme María Teresa Fernández de la Vega « a défendu l'idée de recourir à des quotas afin de parvenir à ce que les femmes participent à tous les niveaux, civil et militaire, aux processus de paix et au règlement des conflits ». Et de demander « instamment aux organisations internationales de prendre des "engagements contraignants" » à cet effet.

Le secrétaire général de l'Otan, le Danois Anders Fogh Rasmussen, aurait certes « appuyé la suggestion de fixer des "objectifs" pour la participation de la femme [sic] à tous les niveaux », rapporte la présidence espagnole du Conseil de l'Union européenne. Il aurait « cependant considéré que le fait d'imposer un quota à l'Otan "ne serait pas réaliste" étant donné "les différentes traditions nationales qui s'y trouvent" ». Remarque de bon sens, au demeurant bien timorée. Faut-il rappeler que l'Organisation du traité de l'Atlantique nord est une structure à vocation militaire ? Avec cela, la stabilisation de l'Afghanistan semble en bonne voie...

Le rendez-vous "féministe" suivant était fixé au mercredi 3 février, date à laquelle devait se tenir à Cadix une « réunion informelle des femmes ministres en exercice » de l'UE. Madrid nous a annoncé qu'une "déclaration politique" serait adoptée lors de ce sommet. Faut-il s'attendre à de nouvelles surprises ?

Herman Van Rompuy à Paris

25 janvier 2010

Le président du Conseil européen vient d'ouvrir une grand'messe de la francophonie. Aperçu de son intervention.

Le président du Conseil européen était à Paris aujourd'hui. Nous avons assisté à son discours prononcé en ouverture du 23e colloque international de l'Alliance française. Herman Van Rompuy fut introduit par le président de la fondation, Jean-Pierre de Launoit, qui brossa, non sans complicité, le portrait d'un homme au « regard pétillant et malicieux ». Lequel nous confia qu'il avait appris le français dans la rue ; pour ce Belge issu d'une famille néerlandophone, la langue de Molière fut d'abord celle « du quartier et des terrains de football ».

Évoquant « une époque de mutations profondes », l'ancien Premier ministre belge s'est interrogé sur le rapport à la culture qui en émergerait. Tout en observant la « McDonaldisation » de l'Europe et du monde, il s'est prémuni des « oppositions stériles » – « Google contre Proust », « la Silicon Valley contre Venise », etc. « Avec le mot "Amérique", je risque de toucher un point sensible » avait-il prévenu. La culture du Nouveau Monde lui apparaît « riche à bien des égards ». Il n'en demeure pas moins un promoteur des Humanités.

Revenant sur « la longue histoire de notre continent », le président du Conseil européen a retenu quelques périodes d'unification, auxquelles succédèrent des éclatements : la chrétienté du Moyen Âge, où la même liturgie était célébrée partout en Europe dans la même langue – un symbole parmi d'autres d'« une vraie "standardisation culturelle" » ; la République des Lettres, née d'une Renaissance préparée par la redécouverte d'Aristote par saint Thomas d'Aquin ; l'Empire napoléonien. La présent serait « le résultat de ce double mouvement ».  Herman Van Rompuy s'est attaché à décrire « une tension permanente entre l'universel et le particulier » qu'il juge caractéristique de l'héritage européen.

Fustigeant – gentiment – l'utopie de Julien Benda, promoteur d'une langue commune à tout le continent, il a déclaré lui préférer la « sagesse » d'un Denis de Rougemont, qu'il découvrit chez les Jésuites dans les années soixante. « L'Europe ne peut pas fonctionner sur le modèle de l'État-nation », a-t-il observé. D'autant que « les États membres veulent être ensemble ; ils ne veulent pas être un ». Une distinction que les souverainistes jugeront sans doute trop subtile. 😉

Réservé aux femmes

22 janvier 2010

Vers une nouvelle formation du Conseil de l'UE ?

Le 3 février prochain se tiendra à Cadix, en Espagne, une « réunion informelle des femmes ministres en exercice » de l'Union européenne. L'événement est annoncé très sérieusement par le secrétariat général du Conseil, sans autre détail au demeurant.

Mise à jour le 26 janvier - La présidence espagnole apporte quelques précisions : « La [sic] ministre de l'Égalité présidera aux côtés de la première vice-présidente [sic] du gouvernement, à Cadix (11 heures), le sommet européen des femmes au pouvoir, une initiative à laquelle participeront les ministres et représentantes politiques des plus hautes sphères des divers États membres. Une déclaration politique sera adoptée lors de ce sommet. » Nous ne manquerons pas d'en rendre compte.

Une âme québécoise à Bruxelles

21 janvier 2010

Jean-Pierre Raffarin défend l'usage du français dans les institutions européennes.

Jean-Pierre Raffarin s'est rendu à Bruxelles le 14 janvier, où il a rencontré les présidents du Conseil européen, de la Commission et du Parlement. « En qualité de "représentant personnel du président de la République" », il entendait défendre auprès d'eux l'usage du français dans les institutions européennes.

« Le français ne recule que lorsque l'offre de français est insuffisante », proclame l'ancien Premier ministre. « Quand, dans une ville du monde, on ouvre une école française, les capacités d'accueil sont immédiatement saturées. Quand dans une institution on fragilise le français, ce sont les valeurs du pluralisme et de l'humanisme qui sont étouffées. » Et de lancer : « Pour le combat du français et de la francophonie, j'ai l'âme résistante, l'âme québécoise ! »

Les discussions ont porté sur l'amélioration de la signalétique du Parlement européen, la valorisation des travaux du forum des députés francophones, la célébration par l'Union de la journée internationale de la Francophonie le 20 mars, la formation au français des responsables européens...

Au cours de son déplacement, Jean-Pierre Raffarin s'est entretenu avec des journalistes « extrêmement las de constater le déclin du français dans les salles de presse de l'Europe ». Tel Jean Quatremer, qui fustigea encore tout récemment la présidence espagnole du Conseil, coupable de proposer des traductions uniquement vers l'anglais : « Rien pour le français, rien pour l'allemand pourtant les deux autres langues de travail de l'Union. » Son confrère Nicolas Gros-Verheyde élève lui aussi des protestations : « On savait déjà que toutes les missions de l'Europe de la défense communiquaient essentiellement en anglais. Maintenant, c'est un fait avéré : elles communiquent uniquement en anglais, que ce soit sur leurs sites Internet ou [dans] leurs communiqués à la presse. Il en est de même pour les agences. [...] Catherine Ashton a, elle, adopté le monolinguisme universel et se fait un devoir de ne pas parler d'autre langue [que l'anglais]. Mieux. Pour l'action européenne sur le séisme en Haïti, la majorité de la communication s'est faite, jusqu'ici, en anglais (un comble pour un pays francophone). » « C'est vrai que cela permet de douter du degré de sensibilité et de finesse de la prochaine diplomatie européenne », commente l'ancien Premier ministre...

Selon lui, « la francophonie doit, sans doute, entrer dans une nouvelle phase de son action ». « Il faut se montrer plus intransigeant », affirme-t-il encore sur son blog. À la demande du chef de l'État, il a entamé une tournée des organisations internationales pour y défendre l'usage du français. Prochaine étape : New York, où il rencontrera les représentants des Nations Unies début février. Souhaitons-lui bon voyage !

La France et l'UE 2020

21 janvier 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Quand le gouvernement français réaffirme sa foi dans les vertus du marché unique européen.

L'UE travaille activement à l'élaboration de sa "stratégie" pour les dix ans à venir. Le Conseil européen devrait l'adopter définitivement en juin prochain. D'ici-là, les discussions iront bon train. La France a défini sa position dans un document rendu public par Euractiv le 18 janvier. Le gouvernement y réaffirme sa foi dans les vertus du marché unique. Aussi prône-t-il une mobilité accrue des étudiants, des enseignants, des travailleurs... Il réclame également « une action vigilante pour assurer une application uniforme effective des règles existantes », voire « un recours accru au règlement [...] pour assurer une application vraiment uniforme » (à la différence des directives, les règlements s'appliquent sans transposition).

Parallèlement, la France propose que soit renforcée « la dimension sociale du marché intérieur, y compris par la voie de l'harmonisation législative » : « Il est en particulier fondamental de garantir les conditions d'une concurrence équitable [...], notamment par une plus grande coordination dans le domaine fiscal et social. »

Paris entend reposer « la question de l'accès des PME aux marchés publics ». De son point de vue, « seule la politique commerciale commune peut agir en faveur de nos entreprises pour ouvrir les marchés des pays tiers », mais aussi « assurer [...] un plein respect du principe de réciprocité ». Trop souvent, en effet, « les Européens tolèrent des situations de fermeture de droit ou de fait comme nous le voyons par exemple en ce qui concerne les marchés publics dans certains États tiers ». En conséquence, le gouvernement invite l'Union à « prendre les mesures appropriées pour faire face au risque de dumping écologique, notamment en mettant en place un mécanisme aux frontières visant les pays qui ne joueraient pas le jeu de la lutte contre le changement climatique » ; cela « dans des conditions compatibles avec les règles de l'OMC », évidemment...

« Il s'agit de placer l'Europe à la pointe de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. » À cet effet, il faudra veiller à la cohérence des politiques communautaires, dont « l'évaluation et le suivi [...] par le Parlement et les États membres doivent être renforcés ». Enfin, selon la France, « le Conseil européen [des chefs d'État ou de gouvernement] doit être la pierre angulaire de la gouvernance de la nouvelle stratégie ». Sans doute les États plus petits préféreraient-ils s'en remettre à la Commission.

La fronde des parlementaires européens

21 janvier 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Le Parlement européen a entamé l'audition des personnalités choisies par les gouvernements pour former la nouvelle Commission. Sans doute va-t-il en profiter pour affirmer son pouvoir à leurs dépens.

Le Parlement européen a entamé lundi 11 janvier l'audition des personnalités désignées pour former la nouvelle Commission. Présidée, comme la précédente, par le Portugais José Manuel Durao Barroso, celle-ci sera soumise à un vote d'approbation qui interviendra probablement le 26 janvier. Ensuite, seulement, les chefs d'État ou de gouvernement pourront entériner officiellement sa nomination.

Annonce fracassante

Sans doute leurs projets seront-ils en partie contrecarrés. À l'automne 2004, la vindicte des parlementaires avait eu raison de la candidature de l'Italien Rocco Buttiglione, coupable de « penser que l'homosexualité est un péché ». Cette fois-ci, prendront-ils pour cible la Britannique Catherine Ashton ? Elle avait été choisie à la surprise générale pour devenir le Haut Représentant de l'Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, par ailleurs vice-président de la Commission.

Dans le résumé officiel de son intervention, on relève cette annonce fracassante au sujet du Proche-Orient : « La prochaine étape est d'aller là où nous pensons que nous pouvons apporter le plus et formuler ensemble les solutions appropriées. » À la décharge de Mme Ashton, on rappellera qu'elle se doit de tenir un discours suffisamment consensuel pour satisfaire vingt-sept États membres... En tout cas, son insistance sur le poids des initiatives nationales et le rôle de l'Otan en matière de défense n'aura pas froissé ses compatriotes. Marquant quelque réserve à l'égard du droit-de-l'hommisme, elle a observé que « parler aux gens sans médiatisation [était] parfois plus efficace ». Évoquant le Service européen pour l'Action extérieure (SEAE), elle a concédé aux députés qu'il ferait « l'objet d'un droit de regard complet de la part du Parlement », refusant toutefois de soumettre ses ambassadeurs à une audition. En définitive, son intervention a tempéré les critiques sans vraiment les dissiper. Mais sa candidature faisant l'objet d'un consensus entre les gouvernements européens, les institutions de l'Union et les groupes politique du Parlement, celui-ci ne se risquera pas à la mettre en échec.

Barnier fait du "social"

Il ne s'attaquera pas non plus à Michel Barnier, censé travailler « à mettre le marché intérieur au service du progrès humain, à lutter contre le dumping social et à protéger les services d'intérêt général ». "Européen" convaincu, l'ancien ministre de l'Agriculture s'est pourtant risqué à paraphraser les souverainistes : « Dans un monde instable, fragile, dangereux, nous devons nous doter d'une Europe de la défense. Mais nous n'avancerons pas contre les États membres en menaçant de fragiliser leur souveraineté, nous avancerons avec eux. »

Le "grand oral" de Rumiana Jeleva s'avéra plus mouvementé. Le ministre des Affaires étrangères de la Bulgarie était désigné pour devenir commissaire en charge de la Coopération internationale, de l'Aide humanitaire et de la Réponse à la crise. « L'audition avait bien commencé, avec une déclaration politique initiale [...] applaudie par les eurodéputés », raconte Nicolas Gros-Verheyde. « Mais arrive une question prise de haut, de trop haut », portant sur sa déclaration d'intérêts. Parmi les inquisiteurs figuraient des députés bulgares : l'assemblée européenne offre un terrain propice aux règlements de compte nationaux. Déstabilisée, la candidate aurait ensuite multiplié les erreurs. Répondant, par exemple, à une question sur l'aide humanitaire dans le golfe d'Aden, « elle se montre "prête à aller sur place..." sans mesurer qu'il s'agit de la Somalie dont on parle, un État déliquescent, où le moindre occidental est aussitôt considéré comme une proie à ravir ou... à tuer ». (Bruxelles 2, 12/01/2009)

« De fait, son audition, mardi dernier, a été catastrophique », confirme Jean Quatremer. « Mais, à ce petit jeu, elle est loin d'avoir été la seule dans ce cas. [...] Il est clair que Jeleva est surtout victime d'une volonté du Parlement européen de rappeler à la Commission et aux États membres qu'il est un acteur majeur du jeu européen. » (Coulisses de Bruxelles, 19/01/2010)

Les Socialistes et Démocrates réclament sa tête. En réaction, le PPE s'est lui aussi cherché une proie. Son dévolu s'est jeté sur le Slovaque Maros Sefcovic, suspecté d'avoir tenu des propos désobligeants à l'encontre des Roms. L'attaque semble avoir échoué. Quoi qu'il en soit, ces querelles illustrent, à nos yeux, tout l'intérêt des auditions organisées par les commissions parlementaires.

Sur un pied d'égalité

Les gouvernements doivent pourtant compter avec le Parlement européen. Lequel entend bien le faire savoir. Depuis le 4 janvier, rapporte encore Jean Quatremer, il exige que leurs ambassadeurs à Bruxelles (les "représentants permanents"), ainsi que tous les fonctionnaires du Conseil, se fassent accréditer comme n'importe quel visiteur pour pénétrer dans ses bâtiments. L'assemblée réclamerait l'application d'un principe de réciprocité.

« De fait, les fonctionnaires du Parlement se rendant au Conseil des ministres doivent s'annoncer à l'entrée du Justus Lipsius, dire avec quelle personne ils ont rendez-vous, obtenir un badge provisoire, se plier aux contrôles de sécurité et enfin être accompagnés. » Cela serait donc en passe de changer. « Mais il ne s'agira que d'un armistice », poursuit notre confrère : « Le prochain clash, déjà programmé, est celui de l'accès aux réunions. » (Coulisses de Bruxelles, 17/01/2010) Les gouvernements pourraient regretter d'avoir accru les pouvoirs du Parlement européen en négociant le traité de Lisbonne.

« La servitude volontaire »

12 janvier 2010

Les gouvernements des Vingt-Sept rechignent à augmenter le traitement des fonctionnaires européens suivant des règles établies de longue date ; la Cour de Justice devra leur forcer la main. Pourquoi les États lui ont-il conféré un tel pouvoir ?

Les fonctionnaires européens exigent que leur traitement soit augmenté de 3,7 %. Une requête déplacée ? Jean-Philippe Chauvin stigmatise leur « indécence ». « Mais voilà », explique Jean Quatremer : « Il ne s'agit que de l'application d'une règle votée par les États membres, pour la période 2004-2012, qui prévoit que le salaire des eurofonctionnaires est indexé sur celui de la fonction publique de huit pays [...] et sur le coût de la vie à Bruxelles. »

La Commission européenne a porté l'affaire devant la Cour de Justice de l'Union européenne, dont on devine le verdict. Celui-ci s'imposera aux vingt-sept États membres, en dépit de leur accord apparemment unanime. C'est ici que devrait résider le vrai scandale, du moins aux yeux des souverainistes. Face aux juges, en effet, les politiques témoigneraient d'une « servitude volontaire », selon l'analyse de Paul Magnette (Le Régime politique de l'Union européenne, Presses de Science Po). « Pourquoi les gouvernements se sont-ils laissés faire ? » À ce « faux mystère », il y aurait plusieurs réponses.

« On peut rappeler, d'abord, que l'action de la Cour protège souvent les intérêts des gouvernements eux-mêmes. [...] En effet, en l'absence de contrôle juridictionnel, les gouvernements seraient fortement tentés de se soustraire à leurs obligations et de se livrer une concurrence déloyale. Chacun des gouvernements pourrait en pâtir à son tour et le régime dans son ensemble s'en trouverait affaibli. Dans leurs conflits avec la Commission, les gouvernements ont aussi, le plus souvent, trouvé dans la Cour un arbitre impartial. [...] Le formalisme qui irrigue nos cultures politiques est aussi fréquemment invoqué pour expliquer la docilité des gouvernants. Enfin, et peut-être surtout, la structure du régime de l'Union elle-même explique la résignation des dirigeants nationaux. Les rapports entre les gouvernements et la Cour sont définis de telle sorte que les juges peuvent se prévaloir de fortes marges d'indépendance, tandis que les gouvernements sont privés de tout pouvoir  de rétorsion. Cette asymétrie fondamentale – due aux gouvernements eux-mêmes, auteurs des traités – est la source essentielle des relations particulières qui se sont établies entre les juges et les politiques dans l'Union. »  

« Formellement », les gouvernements « restent libre de modifier les traités – et donc les pouvoirs de la Cour. En pratique, la nécessité de réunir l'unanimité pour ce faire rend la menace peu crédible : la jurisprudence de Luxembourg affectant différemment les intérêts des gouvernements, il se trouvera toujours au moins l'un d'entre eux pour opposer son veto à une révision du traité. »

Féminisme technocratique

7 janvier 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

La Commission européenne convoque le féminisme au service de la croissance.

« L'égalité entre les femmes et les hommes est une priorité pour notre pays et pour l'Union européenne », proclame le président du gouvernement espagnol. Sans doute José Luis Rodríguez Zapatero a-t-il accueilli avec bienveillance le rapport publié le 18 décembre par la Commission européenne. « L'égalité des sexes n'est pas seulement une question de diversité et d'équité sociale », affirme-t-on à Bruxelles. Elle constituerait aussi « une condition préalable à la réalisation des objectifs de croissance durable, d'emploi, de compétitivité et de cohésion sociale ». Pour preuve, la participation croissante des femmes au marché du travail serait « à l'origine d'un quart de la croissance économique annuelle depuis 1995 ».

Des États sceptiques ?

« Les investissements dans les politiques égalitaires sont payants », martèle le rapport. Mais tous les États n'en sont pas convaincus : examinant les mesures nationales de lutte contre la crise, la Commission pointe « le risque de détérioration du statut des politiques égalitaires ». La tentation serait d'autant plus grande d'y renoncer que les femmes sembleraient moins affectées par le conjoncture économique. Mais le taux d'emploi des hommes se redresserait plus rapidement.

Constatant l'« influence marquée de la parentalité [sic] sur la participation au marché du travail », la Commission stigmatise le « partage traditionnel des rôles », mais aussi le « manque de structure d'accueil pour les enfants ». En conséquence, elle réclame « des politiques et des incitations pour persuader les hommes et leur permettre d'assumer une plus grande part des tâches familiales » ; ce serait même « un défi majeur à relever ». Plus raisonnablement, elle souligne que « l'absence de mesures adéquates permettant de trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie familiale peut [...] inciter les femmes et les hommes à ne pas avoir d'enfants ou à en avoir moins, ce qui pose problème eu égard au vieillissement de la population ».

Fait remarquable : « Dans les pays où les conditions sont favorables s'agissant des services de garde d'enfants, des systèmes de congé parental et des régimes de travail flexibles, le taux d'emploi des femmes et le taux de natalité sont tous les deux plus élevés. » Ayant réconcilié en apparence féminisme et natalité, Bruxelles ne craint pas d'affirmer qu'« au besoin, il conviendrait de [...] supprimer les éléments financiers qui dissuadent les seconds titulaires de revenus [...] de travailler ».

Incohérence

Ce rapport, nourri d'idéologie, n'est pas sans présenter quelque incohérence. Saluant la réforme du congé parental, la Commission observe qu'elle encouragera les pères à profiter de cette possibilité. Une perspective manifestement contraire à l'objectif assigné par ailleurs à l'égalité des sexes, censée « permettre aux États membres d'exploiter pleinement l'offre potentielle de main d'œuvre ».