21 juillet 2011 Article publié dans L'Action Française 2000
Rompant avec la sinistrose, un rapport officiel vante
l'attractivité économique de la France... et les réformes du
gouvernement. Un atout agité au vent de la mondialisation, à laquelle
nous ne saurions échapper selon le Premier ministre.
Le déficit commercial de la France a atteint un nouveau record
en mai dernier, s'élevant à 7,42 milliards d'euros. Cela rend
d'autant plus criantes les faiblesses de la compétitivité nationale,
pointées par moult observateurs. À l'occasion du lancement de la
nouvelle Yaris, toujours fabriquée à Valenciennes, Toyota n'en a pas
moins confirmé la viabilité de son implantation hexagonale.
« On peut produire une petite voiture en France »,
assure Didier Leroy, P-DG de Toyota Motor Europe, dans un entretien
accordé à La Tribune (08/07/2011).
« Les coûts salariaux sont importants. Mais, si vous produisez
dans un pays à bas coûts, ce que vous économisez en main d'œuvre peut
être entièrement contrebalancé par les coûts logistiques. Or, dans un
rayon de 350 kilomètres autour de Valenciennes, on a un marché
potentiel de 130 millions de personnes ! Le fait de
fabriquer en France n'est pas en soi un handicap. Nous avons d'ailleurs
quarante-trois fournisseurs pour la Yaris III dans l'Hexagone
et 80 % de nos achats sont effectués en Europe
occidentale. »
Aux yeux des plus optimistes, la démarche du constructeur
japonais apparaîtra comme une illustration flagrante de l'attractivité
de la France, dont le Centre d'analyse stratégique (CAS) vient de
publier un "tableau de bord" élogieux. « 2010 aura été l'année
du rebond », s'enthousiasme l'héritier du commissariat général
du Plan : « La France a été choisie, chaque semaine
en moyenne, par quinze entreprises étrangères pour des investissements
nouveaux, à l'origine de 32 000 emplois. » Le rapport
s'intéresse aux investissements d'origine étrangère (IDE), réputés tels
s'ils sont réalisés par une société détenue à plus de 50 % par
des capitaux étrangers : « Avec
57,4 milliards d'IDE entrants [...] la France est en 2010 la
troisième destination mondiale derrière les États-Unis et la
Chine-Hong-Kong. [...] Par rapport à la richesse nationale (stocks
d'IDE/PIB), la France accueille deux fois plus d'investissements
étrangers que l'Allemagne, l'Italie ou les États-Unis. » En
outre, « comme en 2009, la France est en 2010, au premier rang
européen en matière d'accueil d'implantations industrielles, qui
comptent pour 57 % des emplois créés ».
Selon les rapporteurs, « la capacité à former des
talents venus de l'étranger traduit, autant qu'elle conditionne le
rayonnement, la compétitivité et l'attractivité ». Or, la
France serait le quatrième pays mondial d'accueil des étudiants
« en mobilité internationale », derrière les
États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne. 11 % des étudiants
inscrits dans l'enseignement supérieur en France étaient étrangers en
2008 – une proportion comparable à celle de l'Allemagne, mais nettement
inférieure à celle du Royaume-Uni.
Parmi les facteurs de l'attractivité nationale figurent le
traitement fiscal de la "recherche et développement" (R&D) et
le prix de l'électricité. L'évaluation des compétences scientifiques
des élèves de quinze ans, ainsi que la capacité d'innovation des
entreprises, placent la France dans la moyenne des pays comparables.
Les barrières à l'entrepreneuriat ne la distingueraient pas davantage,
quoique la création d'une entreprise y soit jugée plus facile
qu'outre-Rhin : à cet effet, sept jours auraient été
nécessaires en 2010, contre quinze en Allemagne. Parmi les États de la
zone euro, la France afficherait même « une des meilleures
maîtrises de ses coûts salariaux unitaires relatifs »,
l'Allemagne faisant toutefois « figure d'exception »,
avec une amélioration de sa "compétitivité-coût" à partir de 2003. À
l'avenir, la simplification administrative et fiscale devrait
constituer une priorité. Les auteurs rappellent que « la
charge fiscale effective pesant sur les entreprises en France apparaît
beaucoup plus faible que le taux nominal de l'impôt sur les sociétés ne
le laisse supposer ». En la matière, la France se trouve dans
une situation inverse à celle de l'Irlande.
« Les chiffres rassemblés dans le présent tableau de
bord positionnent la France aux premiers rangs européens sur un grand
nombre de facteurs objectifs », martèle le Centre d'analyse
stratégique. Le jugement pourra fluctuer selon que l'on compare Paris à
Berlin ou Athènes... De fait, on ne relève pas vraiment de surprise
dans ce rapport, dont la diffusion relève, à certains égards, d'une
opération de communication réussie. D'ailleurs, ses auteurs versent
ouvertement dans l'apologie du gouvernement, vantant la suppression de
la taxe professionnelle « sur les investissements
productifs », la consolidation du crédit d'impôt recherche,
« l'utilisation offensive de la fiscalité pour servir la
compétitivité des entreprises », le succès du statut
d'auto-entrepreneur, le recours à la rupture conventionnelle du contrat
de travail et le lancement du programme d'"investissements d'avenir".
Cela étant, la méthode Coué présente parfois quelque vertu.
C'est pourquoi nous accueillons avec avec bienveillance la volonté de
rompre avec la sinistrose. Mais la quête d'attractivité participe de
l'inscription dans la mondialisation, dont les critiques ou adversaires
sont légion, notamment parmi les royalistes. Le CAS semble d'ailleurs
le revendiquer : « La croissance de 22 % du
nombre de projets étrangers en 2010 vaut reconnaissance de l'ouverture
de notre pays », affirme-t-il. Cela ne manquera pas
d'alimenter les débats politiques au cours des prochains mois.
« À l'approche des échéances électorales, propices aux
contestations systématiques et aux utopies de tous ordres, nous
maintiendrons notre ligne de vérité et de réalisme », a
prévenu François Fillon, visant vraisemblablement Marine
Le Pen. « Ceux qui font croire que l'on pourrait
"démondialiser" l'histoire, et se ménager le confort d'une politique
solitaire, sans contraintes extérieures, ceux-là entretiennent une
illusion dangereuse », a-t-il poursuivi. Aux yeux du Premier
ministre, en effet, « la mondialisation, c'est un
fait ; ça n'est pas une hypothèse, que l'on pourrait accepter
ou refuser selon son bon plaisir ». Alors qu'il affublait
chacun de ses modèles d'un style « universel »,
Toyota annonce qu'à l'avenir « chaque région du monde aura la
possibilité de le personnaliser ». Preuve que l'édification du
"village global" ne va pas sans flux et reflux.
Quoi qu'il en soit, selon le rapport du CAS, la part de la
capitalisation boursière des sociétés françaises du CAC 40 détenue par
des non-résidents se serait élevée à 42 % fin 2010 ; en dix
ans, le flux d'IDE serait passé de 17 à 42 % du PIB ;
enfin, près d'un salarié sur sept du secteur marchand travaillerait
dans la filiale d'un groupe étranger, et même un sur quatre dans
l'industrie manufacturière. C'est dire le défi que constituerait,
aujourd'hui, la mise en œuvre d'une véritable politique de "patriotisme
économique".
7 juillet 2011 Article publié dans L'Action Française 2000
Le vote du Parlement hellénique préserve une timide accalmie
sur le front des marchés. Cela étant, bien que les banques semblent
disposées à participer à l'opération, le "sauvetage" de la Grèce n'est
toujours pas assuré.
Un soupir de soulagement a traversé l'Europe le mercredi
29 juin. En dépit des manifestations qui agitaient la Grèce,
le Parlement hellénique a validé le programme de réformes et de
privatisations négocié avec la Commission européenne, la BCE et le FMI.
Ceux-ci en avaient fait un préalable au versement d'une nouvelle
tranche de prêts de 12 milliards d'euros, sans lesquels
Athènes n'aurait plus été en mesure d'honorer ses dettes dès cet été.
Le vote a été emporté à la faveur de 155 voix contre 138. Le Premier
ministre George Papandréou est donc parvenu à rassembler ses troupes,
un seul élu socialiste s'étant refusé à rentrer dans le rang.
L'opposition veut plus de rigueur
Quant à l'opposition, elle est loin de faire écho à toutes les
protestations de la rue. « Nous aurions voté en
faveur de plusieurs mesures du plan du gouvernement si celui-ci n'avait
pas imposé un vote unique », souligne le député Christos
Staikouras. Son parti « estime que la situation réclame plus
d'agressivité dans les coupes des dépenses courantes et dans la
restructuration des entreprises nationalisées », résume notre
confrère Massimo Prandi (Les Échos,
28/06/2011). Tandis qu'on peine à distinguer les voix proposant une
véritable alternative, Herman Van Rompuy, le président du
Conseil européen, verse dans un relatif cynisme :
« Quand on exécute le programme d'assainissement budgétaire
année après année, on doit passer un mauvais moment mais la confiance
finit par revenir », a-t-il déclaré.
Les Européens vont-ils se résoudre à restructurer la dette
contractée par la Grèce ? On semble s'y préparer, bien que
cette perspective demeure exclue par les gardiens de l'orthodoxie
monétaire, tel Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France.
« C'est une illusion dangereuse », a-t-il prévenu
dans la lettre introductive de son rapport annuel. Selon lui, une
réduction ou un rééchelonnement « entraînent toujours, au
moins dans un premier temps, une réduction supplémentaire de la
confiance et de moindres apports de capitaux, ce qui augmente l'effort
nécessaire ». En filigrane, des rivalités institutionnelles
confortent peut-être la prudence des banquiers centraux. La BCE ayant
racheté des obligations grecques sur le marché secondaire,
« une décote de ces actifs la rendrait extrêmement vulnérable,
et très dépendante des États de la zone euro, qui devraient la
recapitaliser », explique notre confrère Robert Jules (La Tribune,
13/06/2011).
Équilibristes
Cela étant, le spectre d'une "contagion" nourrit des
inquiétudes légitimes. Pour l'heure, les responsables politiques
s'essaient à un numéro d'équilibriste, afin d'impliquer les
institutions privées dans le "sauvetage" de la Grèce sans déclencher un
"événement de crédit". Des discussions fructueuses auraient été
entamées à cet effet entre Bercy et les principaux créanciers français.
Ceux-ci seraient disposés à réinvestir 70 % de la valeur des
titres arrivant à échéance... à des conditions toutefois suffisamment
avantageuses pour être jugées incitatives. Aux yeux de
Standard & Poor's, le plan esquissé n'en
constituerait pas moins un "défaut sélectif" (Athènes restructurant
effectivement une partie, mais non la totalité, de sa dette
obligataire). Dans le cas présent, il conviendrait toutefois de
relativiser l'influence des agences de notation. « Ce n'est
pas parce qu'une agence décrète un défaut que les détenteurs de titres
enregistrent une perte », tempère notre consœur Isabelle Couet
(Les Échos, 04/07/2011).
« S&P laisse entendre que le classement en "défaut" ne
serait que temporaire et reconnaît en filigrane que le plan de la
[Fédération bancaire française] pourrait même améliorer la note de la
Grèce a posteriori ». Dès lors, conclut-elle, « même
la Banque centrale européenne (BCE) ne serait pas véritablement
menacée ».
Défiance populaire
Reste le second front : celui de l'opinion. D'abord
en Grèce : « Pour que le plan de sauvetage [...] ait
la moindre chance de réussite, le gouvernement Papandréou devra par
tous les moyens convaincre les électeurs que l'austérité est le prix à
payer pour un avenir meilleur - et pas seulement pour satisfaire les
exigences des créanciers étrangers », martèle Dani Rodrik,
professeur à l'université de Harvard (La Tribune,
17/06/200). Mais aussi outre-Rhin, où l'on connaît la défiance de
l'opinion publique à l'égard de la Grèce. Cela doit éclairer les propos
de Jean-Claude Juncker, le Premier ministre luxembourgeois et président
de l'Eurogroupe, tenus au magazine allemand Focus,
où il annonce sans détour que « la souveraineté de la Grèce
sera extrêmement restreinte ». Berlin doit compter également
avec le tribunal constitutionnel de Karlsruhe, devant lequel un
"échange de vues" s'est tenu mardi dernier à propos des mesures de
solidarité budgétaire européenne... La crise des dettes souveraines n'a
pas fini de faire la une de l'actualité.
Chronique enregistrée pour RFR le
vendredi 17 juin 2011.
À l'approche de l'élection présidentielle, c'était hélas
prévisible, le quinquennat part en quenouille. Je sais que tous les
royalistes ne sont pas sensibles aux nuances de la politique
républicaine. Cela dit, il y encore quelques mois, avec un peu
d'efforts, certes, on pouvait deviner un cap. En matière de politique
extérieure et de défense, par exemple, le président de la République
semblait décidé à rompre avec l'anti-américanisme de façade. Pourtant,
en novembre dernier, il a nommé un néo-gaulliste à l'Hôtel de Brienne,
avant de l'envoyer au Quai dOrsay.
C'est dans le domaine de la fiscalité que l'inconséquence
apparaît tout particulièrement patente. Philippe Mabille l'a souligné
dans La Tribune le mois dernier : « Le
quinquennat a commencé sur la valeur travail, le bouclier fiscal et
l'affirmation d'une fiscalité récompensant le mérite, l'effort et la
réussite. » Dorénavant, la majorité envisage une taxation
supplémentaire des hauts revenus, tandis que Xavier Bertrand propose
d'encadrer des rémunérations jugées
« extravagantes ». « Jamais la fiscalité
française n'a connu, sous un même gouvernement qui plus est, une telle
instabilité et un tel manque de cohérence stratégique »,
poursuit notre confrère.
Selon lui, « le projet de contribution sur les très
hauts revenus [...] est perçu comme un très mauvais signal par tous les
créateurs d'entreprise et tous les cadres supérieurs internationaux.
Nous sommes là, on l'a déjà vu avec les artistes (Johnny n'est jamais
revenu) et les joueurs de football, dans le cœur du réacteur de la
mondialisation : que cela plaise ou non, il y a une "élite"
française, très mobile, très réactive sur la question des impôts, qui
est prête à préférer l'exil plutôt que d'accepter de se voir tondre par
un pays que beaucoup considèrent comme foutu. Et voir même Nicolas
Sarkozy, celui en qui ils avaient placé en 2007 tous leurs espoirs de
rupture, céder, pour des raisons purement électoralistes, aux
tentations démagogiques, pour ne pas dire "gauchistes" de l'opinion
médiatique, les rend encore plus furieux... et inquiets, alors que la
perspective d'un nouveau tour de vis fiscal se précise pour
l'après-2012. » Fin de citation.
Le rétropédalage s'avère pire que l'immobilisme, en cela qu'il
sape la crédibilité du politique et participe d'un climat d'instabilité
peu propice à la croissance. La CGPME a identifié quarante priorités à
présenter au gouvernement. Quelle est la première d'entre elles, aux
yeux de son président Jean-François Roubaud ? « Ne pas changer
en permanence les règles du jeu. » C'est la réponse qu'il a
donnée aux Échos dans un entretien publié jeudi
dernier. À tort ou ou à raison, la fiscalité française est jugée peu
attractive par les chefs d'entreprise européens. La France arrive même
en queue du classement réalisé par Ipsos pour la Chambre de commerce et
d'industrie de Paris. La confusion entretenue par le gouvernement ne
contribuera pas à redorer cette image.
En revanche, peut-être cela fera-t-il évoluer celle du chef de
l'État, passant du président "bling-bling" à celui du pouvoir d'achat.
Cela nous ramène à cette mesure aberrante censée indexer une prime
salariale sur l'évolution des dividendes versés aux actionnaires. En
s'attaquant aux dividendes – à ne pas confondre avec les bénéfices ! –
l'exécutif prend le risque de dissuader les entreprises d'actionner un
levier propice à la fidélisation des actionnaires. Le capital étant
rendu plus volatil, il se trouvera d'autant plus facilement livré aux
spéculateurs. Des spéculateurs tout récemment érigés par Nicolas
Sarkozy en ennemis jurés ! Bonjour la cohérence.
Mardi dernier, lors d'une conférence sur les matières
premières, le président de la République a tacle un José Manuel Barroso
jugé trop timoré. Le président de la Commission européenne a pourtant
posé de bonnes questions. « Une meilleure régulation est sans
aucun doute nécessaire », a-t-il déclaré. « Mais dans
quelle mesure faut-il plus ou moins de
régulation ? », s'est-il demandé. « Comment
s'assurer que la régulation permette effectivement le bon
fonctionnement des marchés, avec suffisamment de liquidités, la
transparence nécessaire pour un mécanisme de formation des prix
efficace, une allocation optimale des risques et, en bon français, un
"level playing field" afin que les participants ne soient pas tentés
d'aller vers des zones moins régulées du marché ? »
Peut-être faudrait-il songer à tirer quelque enseignements de
la crise. Le président de la République flatte l'opinion en agitant la
régulation à tout va. Encore faut-il l'appliquer à bon escient. On en
mesure la perversité potentielle, par exemple, avec les mécanismes
pro-cycliques à l'œuvre dans la crise des dettes souveraines. En effet,
l'influence excessive des agences de notation résulte directement des
règles édictées par les gouvernements. Reste qu'un consensus
transpartisan semble le taire. Alors que le "politique d'abord" demeure
d'actualité, son ignorance s'annonce comme un biais majeur des débats
de la campagne présidentielle.
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découvrir les autres interventions :
16 juin 2011 Article publié dans L'Action Française 2000
Le nucléaire pourrait s'inviter au cœur de la campagne
présidentielle. Or, la politique énergétique suppose des arbitrages
difficiles. D'autant qu'il faut compter avec l'émotion et le "principe
de précaution".
La Suisse et l'Allemagne avaient ouvert la voie ;
l'Italie les a suivies : à l'occasion d'un référendum organisé
les 12 et 13 juin, elle a exclu de revenir au nucléaire civil,
à la faveur de 94 % des voix. Ce résultat, typique d'une
république soviétique, souligne combien les démocraties occidentales
sont sensibles à l'émotion – sinon soumises à sa dictature.
Pas de moratoire
En France, la catastrophe de Fukushima a ravivé la défiance à
l'égard de l'atome, quoique celle-ci demeure bien moindre que chez nos
voisins. Pour Nicolas Sarkozy, c'est l'occasion de revêtir ses nouveaux
habits d'homme d'État : « Nous sommes les héritiers
d'une histoire qui ne nous appartient pas », a-t-il déclaré le
mardi 7 juin. « Je n'ai pas été élu pour détruire une
filière industrielle qui crée de l'emploi, de la compétitivité et de
l'indépendance énergétique. Il est extrêmement important d'avoir du
sang-froid en toute chose. » (Les Échos,
08/06/2011)
De fait, aucun moratoire ne devrait interrompre la
construction de deux EPR dans l'Hexagone. Anne Lauvergeon, le P-DG
d'Areva, affiche un optimisme mesuré : « les projets
de réacteurs nucléaires en cours d'examen seront retardés de six à neuf
mois environ », a-t-elle prévenu (BFM Business,
30/05/2011). À moyen terme, peut-être son groupe profitera-t-il
d'exigences de sécurité renforcées de part le monde. Paris milite de
longue date en ce sens. Il l'a confirmé le 7 juin, en
accueillant, dans la foulée du G8 de Deauville, un séminaire
ministériel sur la sûreté nucléaire, où trente-trois pays étaient
représentés. On parle, notamment, de développer les revues périodiques
par les pairs. Étant donné les difficultés rencontrées par les
Européens pour s'accorder sur des "tests de résistance", peut-être ce
projet réclamera-t-il quelque habileté diplomatique pour être mis en
œuvre.
Modèle français
Dominique Louis, président du directoire d'Assystem France,
soutient que l'industrie « doit s'appuyer sur une autorité de
sûreté nucléaire très forte, sur le modèle français ou américain, ainsi
que sur un nombre limité d'opérateurs nucléaires pérennes et
transparents » (Les Échos,
24/05/2011). Il établit une comparaison saisissante : «
En France, les cinquante-huit réacteurs sont opérés par un
seul exploitant – EDF – autour de procédures de sécurité communes et
partagées par l'ensemble des centrales. Un incident sur un réacteur
fera l'objet d'une procédure de sécurité sur l'ensemble des autres
réacteurs du même type. Le Japon, pour cinquante-quatre réacteurs,
dénombre pas moins de onze exploitants, disposant chacun de ses propres
procédures. [...] Par ailleurs, les récentes annonces de Tepco nous
permettent de sérieusement douter de la solidité capitalistique, de la
gouvernance et de la pérennité industrielle des opérateurs nucléaires
japonais. Ces difficultés structurelles se reflètent dans la
disponibilité du parc nucléaire japonais. Depuis 1998, elle a
constamment chuté jusqu'à atteindre en 2009 moins de 60 % du
potentiel de production, à comparer à une disponibilité supérieure à
75 % en France et 80 % aux États-Unis ou en
Allemagne. »
Avant d'être submergée par un raz-de-marée, la centrale de
Fukushima-Daiichi a résisté à un séisme d'une magnitude exceptionnelle.
Cela ne manquera pas de nourrir la confiance des plus optimistes. Mais
nul ne peut assurer avec une absolue certitude qu'aucune catastrophe
nucléaire ne surviendra jamais en France. Reste à en évaluer le risque
et les conséquences potentielles, puis à les mettre en perspective.
Berlin aurait abandonné l'atome en marge de toute concertation
européenne. Quoique sa décision soit vraisemblablement dictée par un
calcul électoral, cette désinvolture peut sembler significative d'une
matière où les arbitrages apparaissent authentiquement politiques.
Le social s'en mêle
L'expertise et la technocratie ne sauraient suffire quand sont
en jeu, tout à la fois, l'indépendance du pays, la santé de ses
habitants, la compétitivité de son économie. Aux méfaits potentiels des
radiations, il convient de confronter les conséquences avérées de la
pollution atmosphérique ; au risque de mettre en friche un
territoire sinistré, on opposera la crainte de fragiliser l'emploi...
« Depuis le début du débat sur la sortie rapide du nucléaire,
le prix du kilowatt-heure à la bourse de l'électricité a augmenté de
10 % et celui des certificats d'émissions de CO2 de
2 euros la tonne », souligne Utz Tillmann, directeur
de la fédération allemande de la chimie (Les Échos,
31/05/2011). « Notre industrie ne peut répercuter ces hausses
sur ses produits », a-t-il prévenu. « À terme, si
notre politique d'innovation ne peut déboucher sur la mise sur le
marché de produits à des prix concurrentiels, l'industrie devra se
poser la question de rester ou non sur le sol allemand. »
Reste que le nucléaire suscite un effroi tout
particulier. Parce qu'il touche à l'intimité de la matière,
que ses méfaits s'enracinent durablement dans l'environnement, qu'il
suscite un danger invisible... Agitant à tout va le principe de
précaution, la société feint de croire qu'elle va bannir le risque.
Tout au plus le rendra-t-elle plus diffus. Quitte à restreindre les
marges de manœuvre du politique.
Quatrième chronique pour RFR. Parmi les
sujets abordés cette fois-ci : la prime sur les dividendes, le rôle de
l'État et le populisme.
Selon les conclusions d'un sondage Viavoice-BPCE réalisé pour Les Échos
et France info, 62 % des Français
seraient favorables à la prime Sarkozy sur les dividendes. C'est
désespérant, quoique très compréhensible.
On pourrait disserter des heures durant sur ce dispositif
inepte, présenté hier en conseil des ministres. Selon le projet de loi
de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2011, donc,
les entreprises comptant plus de cinquante salariés seraient priées de
verser une prime à leurs employés, dès lors que les dividendes
attribués aux actionnaires augmenteraient par rapport à la moyenne des
deux années précédentes. Vous suivez ? Dans le cas contraire,
cela n'aurait rien d'étonnant : « ce qui se conçoit
bien s'énonce clairement »... et inversement !
Cette prime est censée contribuer au « partage de la
valeur ajoutée » cher au chef de l'État. Comme si les
dividendes et leur évolution étaient toujours à l'image des bénéfices.
Or, c'est loin, très loin d'être le cas. Prenez la situation de Total,
vilipendé pour se profits considérables : ses dividendes étant
restés stables, il ne sera pas soumis à la prime Sarkozy. En revanche,
le patron d'une PME qui ne se verserait aucun salaire devra négocier
avec ses employés l'augmentation de sa rémunération, c'est un
comble ! Tout cela n'a aucun sens : pourquoi les
salariés seraient-ils plus ou moins avantagés selon que leur entreprise
se finance sur les marchés, en mobilisant des actionnaires, ou bien
auprès des banques, en souscrivant des prêts rémunérés par des
intérêts ?
Les partenaires sociaux ne s'y sont pas trompés. De façon
quasi unanime, patrons et syndicats ont dénoncé cette immixtion de
l'État dans leurs négociations. Mais l'opinion publique demeure
sensible aux slogans simplistes – du genre "pas de prime pour les
actionnaires sans prime pour les salariés". Pour le président de la
République, il s'agit, naturellement, d'exploiter quelques clichés
néo-marxistes ancrés dans les esprits. À commencer par l'opposition
systématique entre capital et travail.
On stigmatise volontiers ces actionnaires cupides, accusés de
s'enrichir sur le dos des salariés. Qu'en est-il dans les
faits ? « Il y a un an, la Bourse française était
encore déprimée », rappelle Florin Aftalion, professeur
émérite à l'Essec, dans un article publié par La Tribune.
« En revanche », poursuit-il, « il y a dix
ans, elle était en pleine forme. [...] Un portefeuille représentant
l'indice constitué à ce moment-là et conservé depuis aurait aujourd'hui
perdu 28 % de sa valeur initiale ; en incorporant les
dividendes reçus, son rapport sur dix [ans] aurait été inférieur à
1 % par an ! En valeur réelle, compte tenu de
l'inflation, il aurait perdu de l'argent. »
À certains égards, il apparaît donc injuste de jeter
l'anathème sur les détenteurs des capitaux. Mais cela s'avère surtout
stérile, et même contre-productif. Hélas, les politiciens ne s'en
privent pas. Tels Nicolas Sarkozy, nous l'avons vu, mais aussi Marine
Le Pen, avec, dans son cas, la bénédiction de certains
royalistes. Incarné par une femme, l'homme providentiel leur apparaît
soudain plus fréquentable... Mes camarades me pardonneront de les
caricaturer – ils savent que je le fais en toute amitié. Cela dit, on
s'étonne de les voir ainsi conquis par le virage jacobin du Front
national. Sans doute cela s'inscrit-il dans la logique
souverainiste : en s'accommodant de la « souverainété
nationale » récusée par Maurras, on assimilait déjà, plus ou
moins, l'État à la nation ; dorénavant, c'est également la
nation qu'on assimile à l'État.
Dans le dernier numéro de L'Action Française 2000,
Paul-Marie Coûteaux pointe l'influence des syndicats d'enseignants pour
illustrer la perte de souveraineté de l'État. Ce faisant, il exclut
implicitement de limiter celle-ci à quelques fonctions régaliennes, et
se méprend sur les causes de l'impuissance publique. De toute façon, on
n'œuvrera pas au retour du roi en entretenant la conception d'un État
tentaculaire dont les monarchistes dénonçaient jadis les germes
totalitaires.
Selon Maurras, « un État normal laisse agir, sous son
sceptre et sous son épée [certes], la multitude des petites
organisations spontanées, collectivités autonomes, qui étaient avant
lui et qui ont chance de lui survivre, véritable substance immortelle
de la nation ». En cela, je suis désolé de le dire, le maître
de l'AF ne me semble pas opposé à certains libéraux. Je pense à Alain
Madelin, auteur, par exemple, d'un plaidoyer pour la subsidiarité
publié sur son blog lundi dernier. « Dans la grande société
ouverte qui se dessine aujourd'hui », écrit-il, « les
relations verticales d'hier sont largement remplacées par des liens
horizontaux dans un grand chamboule-tout de la pyramide des
pouvoirs ». La suite est plus intéressante :
« On a longtemps cru que plus les choses devenaient complexes,
plus elles devaient être dirigées d'en-haut. On sait maintenant qu'au
contraire, il faut laisser la plus large autonomie aux éléments qui
composent un système complexe pour permettre leur
coordination. » Cela rend d'autant plus actuelle la conception
"royaliste" de l'État... et d'autant plus regrettable son abandon pas
ses promoteurs traditionnels.
Participant des déboires de l'État-providence, la crise de la
dette souveraine fournirait un prétexte idéal à la dénonciation de
l'incurie républicaine. L'Alliance royale le martèle à chacune de ses
campagnes : « Un président est un chef de parti, qui
pense à la prochaine élection ; un roi est un chef
d'État, qui pense à la prochaine génération. » Dans
ce contexte, cependant, la vulgate tend à dédouaner les politiques de
leurs responsabilités, puisque ceux-ci sont soumis, paraît-il, à la
toute-puissance des marchés.
Tandis que monte la grogne populaire, « il appartient
à l'Action française non seulement d'accompagner ce mouvement mais
aussi et surtout de l'éclairer » C'est, en tout cas, ce que
clamait François Marcilhac le 8 mai dernier, dans son discours
prononcé à l'occasion de la fête de Jeanne d'Arc. Nous sommes
d'accord ! Reste qu'à cet effet, les royalistes devraient
plutôt se méfier des sirènes populistes. Appeler au primat du politique
sur l'économique, c'est exprimer des valeurs, mais non donner un cap à
l'action publique – sauf à revendiquer également le primat de l'État
sur les entreprises en lançant un vaste programme de nationalisations.
En son temps, le maître de l'Action française pouvait établir
le constat selon lequel « l'économie industrielle ne joue
point dans le vaste cadre de la planète ». Manifestement, les
circonstances ont changé, et cela s'avère pour le moins déstabilisant.
Peut-être cette évolution explique-t-elle la tentation d'enfoncer des
portes ouvertes par d'autres, ou celle de se réfugier dans un dédain
romantique de l'économie... Il nous appartient pourtant d'en tirer les
conséquences. Le défi qui nous est lancé s'annonce passionnant à
relever ! Mais peut-être préférera-t-on rester en marge de
l'histoire ?
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19 mai 2011 Article publié dans L'Action Française 2000
Sensibles à l'inquiétude populaire, respectueux du "principe
de précaution", les députés ont voté l'interdiction d'une technique
permettant l'exploitation des gaz de schiste, une ressource énergétique
pleine de promesses.
L'exploitation mais aussi l'exploration des mines
d'hydrocarbures non conventionnels seront bannies du territoire
national, du moins si elles se font par "fracturation hydraulique".
Ainsi en a décidé, mercredi 11 mai, l'Assemblée nationale.
Cela en vertu du "principe de précaution" inscrit dans la Constitution
depuis 2005. Revenant sur ses propres décisions, le gouvernement avait
déclaré l'urgence sur une proposition de loi déposée à cet effet par
Christian Jacob, le chef de file des députés UMP.
Moratoire américain
Dans le collimateur des parlementaires figuraient, plus
particulièrement, les gaz de schiste. Connus depuis longtemps, ceux-ci
ont commencé à être exploités aux États-Unis, à la faveur des
innovations technologiques stimulées par la hausse des prix de
l'énergie. Afin de libérer le fluide prisonnier, un mélange d'eau, de
sable et de substances chimiques est injecté dans la roche à très haute
pression. Avec le risque de contaminer les nappes phréatiques
traversées par les forages ? C'est, en tout cas, la crainte
affichée par nos députés, mais aussi par l'État de New York,
où un moratoire sur l'exploitation a été décrété, dans l'attente des
conclusions de l'Environmental Protection Agency annoncées pour 2012.
Son travail s'avère délicat, en raison du secret industriel qui lui est
opposé. « L'EPA a dû par exemple assigner Halliburton devant
la justice pour obtenir la liste des produits chimiques utilisés dans
le procédé », rapporte Étienne Beeker, dans une note du Centre
d'analyse stratégique. Une enquête similaire avait été entreprise en
2004. Elle avait conclu, précise-t-il, « à l'innocuité des
processus d'extraction pour les eaux potables, ce qui amène de nombreux
experts à être confiants dans les résultats de l'étude en
cours ».
En avril dernier, Gérard Mestrallet avait déploré que la
France décide « de tourner la page des gaz de schiste avant
même de l'avoir ouverte » (Les Échos,
14/04/2011). De la part du P-DG de GDF-Suez, ce discours apparaît
éminemment convenu. Cela dit, l'intérêt des industriels doit être
relativisé : pour Total, l'impact de la loi serait
« négligeable ». C'est, en tout cas, ce que soutient
son président, Christophe de Margerie. Le groupe, déjà engagé au
Danemark, vient d'ailleurs de s'allier à Exxon Mobil pour exploiter des
gaz de schiste en Pologne.
De fait, les enjeux sont loin de se résumer aux convoitises
des multinationales. Tandis que le "pouvoir d'achat" semble en passe de
s'imposer comme un thème phare de la campagne présidentielle,
« l'impact de ces nouvelles ressources sur les prix du gaz est
déjà sensible », souligne Étienne Beeker – quoique cette
baisse soit « difficilement perceptible par le consommateur
français, pour lequel le prix du gaz, indexé dans des contrats de long
terme à plus de 80 % sur le prix du pétrole, continue
d'augmenter ». Faute d'avoir mené les travaux d'exploration
nécessaires, on ignore l'ampleur des ressources du sous-sol français.
Celles-ci pourraient être considérables : selon certaines
estimations, elles représenteraient quatre-vingt-dix ans de la
consommation actuelle de gaz (Les Échos,
21/04/2011). C'est dire l'intérêt qu'elles présentent au regard de
l'"indépendance énergétique de la France".
Révolution mondiale
Rien d'étonnant, donc, à ce que le Centre d'analyse
stratégique annonce « une révolution gazière qui pourrait bien
bouleverser le paysage énergétique mondial ». Entre 2000 et
2008, la part du gaz dans le mix électrique
américain serait passée de 18 à 24 %. « Importateurs
nets de gaz il y a peu, les États-Unis sont aujourd'hui autosuffisants
et ils sont également redevenus le premier producteur de gaz, devant la
Russie. De plus, l'attitude de la Chine aura des conséquences
considérables pour l'Europe, surtout si ce pays, comme il le souhaite,
parvient à exploiter ses réserves très prometteuses de GNC [gaz non
conventionnels]. La Russie, pour qui la Chine peut devenir un
importateur alternatif important, perdrait une partie de ses débouchés
potentiels. Une partie du GNL [gaz naturel liquéfié] en provenance du
Moyen-Orient et à destination de l'Asie de l'Est pourrait également
être réorientée vers notre continent, qui en profiterait. Les gaz non
conventionnels fragiliseraient donc la position de la Russie, notamment
dans ses échanges gaziers avec l'Europe. »
Dans ces conditions, si le "principe de précaution" impose de
prendre en compte les risques pesant sur l'environnement, la prudence
politique requiert, selon nous, leur mise en perspective. D'autant que
les inquiétudes sont vraisemblablement décuplées par l'alarmisme
écologiste, le sensationnalisme médiatique et le clientélisme
électoral. La préoccupation des élus, soucieux d'épargner à leur
circonscription la laideur des installations industrielles, apparaît à
bien des égards légitimes. « Aujourd'hui, le bonheur public,
du moins tel que se l'imagine la puissance du même nom, ne doit pas se
faire au prix du malheur individuel », remarque notre confrère
Philippe Escande. « Le problème », poursuit-il dans Les Échos
(10/05/2011), « c'est que, à ce train-là, la vie promet de
devenir de plus en plus difficile. Pour se cantonner au seul cas de
l'énergie, aucune technique de production d'électricité, qu'il s'agisse
d'hydraulique, de biomasse, d'éolien et à plus forte raison de charbon
ou de nucléaire, n'est exempte de risque et toute nouvelle installation
en France dans ces énergies pourrait soulever la même
colère. » Pour tempérer la grogne des élus, d'aucuns proposent
de revoir la fiscalité locale... L'arbitrage politique n'en demeurera
pas moins un art difficile.
Du poids de la dette et du rapport aux marchés... Rebond sur
le dernier éditorial de L'Action Française 2000.
« L'heure est au nationalisme », annonce
François Marcilhac à la une de L'Action Française 2000
(n° 2815 du 21 avril 2011). Cela « plus que
jamais », au moment où le gouvernement, « sous
prétexte d'équilibre des finances publiques », tenterait de
placer la France sous le tutelle des agences de notation – allusion au
projet de loi constitutionnelle examiné ces jours-ci par l'Assemblée
nationale.
C'est exagérer, nous semble-t-il, la portée de la réforme
envisagée. Cela étant, quelle qu'en soit la nature, c'est manifestement
son motif qui indispose notre éditorialiste : loin de prôner
une rigueur exemplaire, le gouvernement prétend néanmoins assainir les
finances publiques ; c'est là que le bât blesse.
À l'opposé des « mondialistes », François
Marcilhac se range parmi « les partisans de l'indépendance des
nations face aux marchés ». Discours éminemment convenu, dont
les auteurs croient généralement se parer de vertus morales quand ils
se fourvoient dans un snobisme dérisoire. Méprisant la finance, ils
disent vouloir en émanciper l'État. Ce serait, sans nul doute, le
priver d'un irremplaçable levier d'investissement. On reconnaît ici un
travers typique du souverainisme, négligeant la puissance au nom d'une
indépendance fantasmée.
Hélas, faute de solliciter les marchés à bon escient, la
République a contracté une dette dont l'ampleur est devenue telle –
85 % de la richesse nationale produite en un an – que les
responsables politiques se trouvent désormais au pied du mur. Alors
qu'elle jouit d'un statut privilégié sur les marchés obligataires, la
France pourrait perdre la confiance de ses créanciers, au risque
d'alourdir le poids de sa dette, dont la charge – c'est-à-dire le
remboursement des seuls intérêts – représente d'ores et déjà le
deuxième poste budgétaire de l'État. Faudrait-il précipiter la nation
vers la banqueroute en vertu de quelque principe fumeux ?
Le gouvernement se livre, incontestablement, à une opération
de communication financière. Mais on aurait tort de traiter son action
avec dédain car, en pratique, elle contribuera peut-être à rendre
quelque souffle à un État menacé d'étranglement budgétaire. C'est
abuser le gogo que de blanchir les politiques en faisant porter le
chapeau à Moodys and co. Le système de notation financière présente
certes des faiblesses, dont la recension semble d'ailleurs faire
l'objet d'un large consensus. Les agences n'en remplissent pas moins
une fonction indispensable : en leur absence, faute de pouvoir
s'appuyer sur une évaluation des risques, les créanciers imposeraient
vraisemblablement des taux supérieurs aux États emprunteurs.
Dans l'immédiat, pour le meilleur ou pour le pire, il n'est
pas possible de faire tourner la planche à billets. Et si d'aventure le
franc était rétabli, la dette contractée jusqu'alors s'en trouverait
renchérie. Va-t-on la dénoncer ? Libéré du joug communiste,
d'aucuns s'y seraient essayés avec succès. Le jeu s'avère toutefois
dangereux. Mieux vaudrait identifier l'ensemble des dominos avant de
s'amuser à pousser le premier – vaste programme ! Quoi qu'en
disent les démagogues, dont la propagande personnifie dans quelques
figures cupides les multiples ramifications du système financier, c'est
tout un chacun qui finirait par payer les frais de sa faillite.
Peut-être la complexité des interdépendances est-elle préjudiciable au
bien commun. Mais le cas échéant, plutôt que de mettre le feu à la
toile, il appartiendrait au politique de la détricoter méticuleusement.
Patiemment et sans fracas. Ne s'agirait-il pas d'un travail
capétien ?
Troisième chronique enregistrée pour RFR.
SI nous versons délibérément dans la polémique, c'est en toute amitié
pour nos camarades, dont la variété des opinions nous chagrine d'autant
moins que les options électorales ont toujours été les plus diverses à
l'AF.
L'UMPS n'en a plus pour longtemps ! En effet
« l'union des patriotes » est en marche. Emporté par
la "vague bleu Marine", Paul-Marie Coûteaux s'attèle à sa réalisation
afin de constituer « un gouvernement de salut public incluant
toutes les forces qui refusent le fatalisme mondialiste ».
C'est, à n'en pas douter, un renfort de poids pour Marine
Le Pen. La notoriété du Front national est certes sans commune
mesure avec celle du Rassemblement pour l'indépendance de la France.
Sauf, peut-être, aux yeux de quelques royalistes (dont nous avons été)
qui se sont flattés d'entre-apercevoir grâce à lui les arcanes du
pouvoir. Le RIF s'est d'ailleurs enthousiasmé de voir l'AFP faire écho
à son appel – preuve que cela n'était pas gagné d'avance. Reconnaissons
toutefois qu'en pareille circonstance, nous n'aurions pas boudé notre
plaisir.
Sont donc appelés à se rassembler les
« patriotes », c'est-à-dire, dans le cas
présent, visiblement, les souverainistes, pourfendeurs de
l'Union européenne et des multiples avatars du multilatéralisme (Otan,
OMC, etc.). Le terme "patriote" apparaît employé
dans une acception pour le moins restrictive, ou plutôt
exclusive : quid, par exemple, de nos
camarades de l'Alliance royale ? Tout patriotisme leur
serait-il étranger ? L'attachement à son pays ne se mesure pas
à l'aune des convictions politiques.
La mobilisation des "volontaires patriotes" ne va pas sans
quelque connotation révolutionnaire. De fait, le souverainisme cultive
une certaine nostalgie du jacobinisme... Cela étant, ayant été formé à
l'école d'Action française, nous ne récusons pas le principe du
"compromis nationaliste". Reste son objet.
Or, fédérer quelques grincheux contre une Europe méconnue ne
suffit pas à tracer un cap. Considérons l'expérience
britannique : les Tories ont beau vociférer contre l'Union
européenne, ils n'ont pas songé un instant à en claquer la porte depuis
leur retour au pouvoir. C'est tout naturel : l'exercice des
responsabilités se heurte à des réalités volontiers négligées par
l'opposition. A fortiori quand celle-ci
est privée de toute culture de gouvernement, à l'image du Front
national.
N'en déplaise aux esprits romantiques, l'action politique est
loin de se réduire à quelques coups d'éclats annoncés avec fracas. Elle
s'inscrit dans un système – par analogie à la mécanique newtonienne. Un
système où de multiples forces interviennent. Inertie oblige, on n'en
modifie pas l'équilibre d'un claquement de doigts.
Parmi les forces en jeu, il y a les représentations de
l'opinion, avec lesquelles interagissent les discours politiques. En la
matière, les ressorts exploités par le Front national et ses alliés
potentiels sont-ils fondamentalement différents de ceux privilégies par
l'UMP ou le Parti socialiste ? À bien y réfléchir, cela n'est
pas évident.
Prenons quelques exemples : attribuer directement à
l'immigration la responsabilité du chômage, c'est promouvoir la
conception malthusienne de l'emploi à l'œuvre dans la réforme des
35 heures ; promettre aux contribuables de
nationalité française qu'ils seront les bénéficiaires exclusifs des
aides sociales, c'est souscrire aux sollicitations permanentes de
l'État-providence ; fustiger le droit d'ingérence, qui sert de
prétexte aux opérations militaires, c'est encourager la France à sortir
de l'histoire ; enfin, dénoncer la loi du marché, par nature
immuable, c'est entretenir les illusions volontaristes
condamnant le politique à sa déchéance.
À ce titre, appeler à lutter contre la mondialisation, voire
le mondialisme, nous apparaît significatif.
Passer d'un terme à l'autre, c'est laisser entendre qu'un architecte
est à l'œuvre dans la construction du "village global". C'est faire
beaucoup d'honneur à Jacques Attali ! C'est aussi légitimer la
frilosité de la nation confrontée à la nouvelle donne internationale.
Si le PS et l'UMP s'accordent sur un relatif attentisme, alors
leurs détracteurs se livrent, somme toute, à des menées défaitistes.
Ils pourraient louer le génie de la France, parier sur l'inventivité de
son peuple, galvaniser les énergies pour affronter la concurrence des
pays émergents. Mais que nous proposent-ils, sinon de bâtir un bunker
dont les fondations reposeraient vraisemblablement sur du
sable ?
À cette « union des patriotes », la raison
comme les sentiments nous font préférer la mobilisation des ambitions –
fussent-elles mercantiles ! – afin qu'aux quatre coins du
monde soient portées les couleurs de la France.
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17 mars 2011 Article publié dans L'Action Française 2000
Accusées de faire la pluie et le beau temps sur les marchés
financiers, où elles influencent les taux d'emprunt, les agences de
notation demeurent dans le collimateur des politiques. Mais les
responsabilités sont partagées.
L'horizon semble loin de se dégager pour la Grèce. Le
7 mars, Moody's a dégradé de trois crans sa notation
souveraine, suscitant la colère d'Athènes. Paris est lui aussi monté au
créneau : les agences « ne devraient pas noter des
pays qui sont sous contrat avec la Commission européenne, le FMI et la
BCE », a déclaré Christine Lagarde à l'antenne de France
Culture (Les Échos, 11/03/2011).
Fourvoiement
Le ministre de l'Économie va-t-il ouvrir des discussions en
conséquence ? Le cas échéant, souhaitons-lui bon
courage : cela supposerait, vraisemblablement, de réviser la
constitution américaine – dont le premier amendement garantit la
liberté d'expression –, à défaut d'empêcher la circulation des
informations de part et d'autre de l'Atlantique. Vaste programme, à
l'aune duquel on mesure la démagogie du propos. Les responsables
politiques sont coutumiers de ces fourvoiements volontaristes, grâce
auxquels ils flattent peut-être l'opinion, mais entretiennent aussi le
fatalisme ambiant, en revendiquant paradoxalement leur impuissance.
Les agences de notation ont certes prêté le flanc à la
critique. Comme le rappelle Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité
des marchés financiers (AMF), elles se sont montrées « parfois
dépassées par la complexité des produits qu'il leur était demandé de
noter » – tels les CPDO (Constant Proportion Debt
Obligation), élaborés à partir des couvertures de
défaillance (CDS), dont la valeur s'est effondrée avec la crise en
dépit du "triple A" qui leur avait été attribué (Cahiers
de l'évaluation, n° 5, février 2011). Norbert
Gaillard, consultant pour la Banque mondiale, pointe, quant à lui,
l'erreur « d'avoir surnoté la Grèce et, dans une moindre
mesure, le Portugal et l'Espagne au cours des années 2000, c'est-à-dire
lors des premières années d'existence de la zone euro » –
comme si la monnaie unique avait dissipé tout risque de défaut de
paiement. « Entre 1999 et 2003, Fitch et S&P ont
relevé la note de la Grèce de trois et quatre crans sans qu'il y ait de
véritables justifications économiques ou financières. [...]
Aujourd'hui, les agences tentent de rattraper leur erreur, mais elles
dégradent trop tard et sont donc obligées de le faire
massivement. » Ce faisant, elles nourrissent la défiance des
investisseurs à l'égard des États emprunteurs, alimentant d'autant la
crise des dettes souveraines – on parle d'une action
« pro-cyclique ».
Cela dit, « même si des événements ponctuels – dont
il ne s'agit pas de minorer l'importance – relancent les débats publics
sur l'adéquation des niveaux de rating, la seule
mesure "réaliste" de la performance des agences – la capacité à trier
les risques avec un succès statistique – plaide pour [elles], en tous
cas celles qui ont un recul historique », affirme Pierre
Cailleteau, ancien responsables de la notation des États pour Moody's
Investors Service. En outre, « comme le rappellent souvent les
agences de notation, si elles étaient parfaitement prescientes, elles
n'auraient que deux types de ratings :
fera défaut – ne fera pas défaut ».
Médiation nécessaire
Or, la médiation qu'elles opèrent entre émetteurs et
souscripteurs d'un titre obligataire apparaît indispensable, ceux-ci
n'étant disposés à prêter à ceux-là que s'ils sont en mesure d'évaluer
le risque encouru. Reste que le marché de la notation se trouve
concentré autour de trois agences. Les deux principales, Moody's et
Standard & Poor's, en détiendraient même
80 %. « Dans la mesure où de nombreux émetteurs
exigent une double notation, ces agences se retrouvent parfois en
situation de quasi-monopole », observe Jean Tirole, membre du
Conseil d'analyse économique auprès du Premier ministre. Aussi l'AMF
s'est-elle fixé pour objectif de « promouvoir les solutions
alternatives à l'évaluation de crédit par les agences de notation, en
responsabilisant les acteurs qui investissent dans ces
produits ». « Les grandes banques peuvent très bien
[...] recourir à des modèles de notation interne », remarque
Jean-Pierre Jouyet. D'autres plaident en faveur d'une agence publique,
dont l'indépendance serait néanmoins garantie sous la houlette de la
Banque centrale européenne ou du Fonds monétaire international. On n'en
est pas encore là.
Dans l'immédiat, il appartient au régulateur de réviser les
règles prudentielles dont on mesure aujourd'hui la perversité. Si les
politiques stigmatisent désormais le rôle des agences, ils ont
auparavant contribué à les ériger en acteurs clefs du système
financier. « Ces dernières sont devenues au cours du temps des
"auxiliaires de régulation" et retirent de ce statut des revenus
considérables », souligne Jean Tirole. « Les
institutions régulées (banques, compagnies d'assurance, [courtiers],
fonds de pension) voient leurs exigences en capital diminuer
sérieusement lorsqu'elles détiennent des créances bien
notées. » Cela en application des accords de Bâle II.
« Pour lutter contre l'effet pro-cyclique que les notations
peuvent avoir, il est effectivement très souhaitable de conduire une
revue approfondie des différents dispositifs réglementaires afin de les
purger, autant que faire se peut, de références aux notations
externes », reconnaît Jean-Pierre Jouyet. Preuve qu'à l'heure
de la mondialisation, le "politique d'abord" n'est pas inopérant.