Quels changements au Parlement européen ?

4 juin 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Un nouveau groupe eurosceptique va se former à Strasbourg. Le Parlement européen n'en restera pas moins une "assemblée de consensus", dont les partis majoritaires continueront de se partager la présidence...

Quelle que soit l'issue des élections, quelques changements sont déjà annoncés à Strasbourg et Bruxelles. L'euroscepticisme devrait bénéficier d'une visibilité inédite. À la fin de la législature 1999-2004, les conservateurs britanniques avaient obtenu un "droit de tendance" au sein de leur groupe, qui les autorisait à se désolidariser de leurs collègues plus fédéralistes dans les discussions portant sur l'avenir institutionnel de l'Union. Désormais, les Tories sont résolus à quitter le PPE-DE, où siègent notamment les députés UMP ; suivis par les Tchèques de l'ODS, ils devraient former avec eux le "noyau dur" d'un nouveau groupe politique.

Arrangement technique

Seront-il rejoints par des souverainistes plus marginalisés ? En tout cas, les "petits partis" souffriront d'une réforme du règlement intérieur de l'assemblée adoptée en juillet dernier : pour constituer un groupe, il faudra réunir au moins vingt-cinq députés issus de sept États membres, contre vingt issus de six pays aujourd'hui.

Le Parlement européen demeurera gouverné par le "consensus" des formations majoritaires, qui en partagent la présidence en vertu d'un "arrangement technique". Rappelons ce chiffres agité au cours la campagne, du NPA jusqu'au Front national : lors des 535 votes finaux par appel nominal intervenus en 2008, droite et gauche se seraient exprimées à l'unisson dans 97 % des cas. « Un score digne de la Douma de l'ex-Union soviétique » commente L'Observatoire de l'Europe ! Prenant en compte le vote des amendements, Jean Quatremer dessine une réalité plus complexe : « Le PPE et le PSE ne votent au final ensemble que dans 69,70 % des cas (mais seulement 56  % dans les affaires sociales et 52,5 % dans le domaine économique). Les villiéristes votent avec les socialistes dans 40 % des cas alors que les communistes votent avec le PPE dans 42 % des cas et avec les villiéristes dans 40,90 % des cas... » (1)

Apolitisme ?

Des subtilités qui ne sauraient gommer une caractéristique essentielle du Parlement européen, « condamné à gouverner au centre » selon Paul Magnette (2). Aucune majorité suffisante ne se dégage dans cette assemblée façonnée par la diversité des paysages politiques nationaux. La fréquence des votes techniques et les incursions limitées de l'Union dans les politiques de redistribution sociale tempèrent la prégnance du clivage gauche-droite, mêlé aux divergences nationales et institutionnelles.

Négociation

L'obtention du consensus serait même facilitée par l'examen préalable des textes dans les groupes politiques, où ils font déjà l'objet d'un compromis. À la différence des partis nationaux, maîtres des investitures, les groupes européens n'ont pas les moyens d'exercer une forte pression sur leurs membres. Les consignes de vote sont donc le fruit d'une négociation, dont les députés seraient enclins à respecter les conclusions dans la mesure où ils y participent.

L'entrée en vigueur du traité de Lisbonne changerait-elle la donne ? L'accroissement des pouvoirs du Parlement européen donnerait au "réflexe majoritaire" de nouvelles occasions de s'exprimer. C'est en tout cas l'espoir des européistes, ravis de combler un "déficit démocratique" au détriment des exécutifs. D'autres institutions, telles la Commission et la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE), ont au moins le mérite de veiller au respect réciproque des engagements souscrits par les États. Or, aux yeux des gouvernements, que peut représenter un rassemblement international de parlementaires, sinon un pouvoir de nuisance ?

Nouveau statut

Le traité modificatif affecte le statut des députés, qui ne seraient plus censés représenter les « peuples des États réunis dans la Communauté », mais les « citoyens de l'Union ». Corolaire symbolique des nouvelles modalités d'indemnisation appliquées dès juillet, conformément à une décision remontant à septembre 2005. « Jusqu'à présent, chaque eurodéputé était rémunéré par son assemblée ou son gouvernement en fonction du salaire des députés nationaux », explique Célia Sampol (3). « D'où les grandes diversités existant entre un Bulgare qui gagnait à peine plus de 9 000 euros par an, pendant qu'un Italien touchait 134 000 euros annuels. Le nouveau statut met un terme à ces disparités et prévoit un salaire mensuel égal pour tous de 7 412,69 euros avant impôts, soit 5 607,24 euros nets. Ce qui correspond à 38,5 % du traitement de base d'un juge de la Cour de Justice européenne. Le financement des rémunérations sera assuré par le budget de l'UE et non plus par les budgets nationaux. »

Imbroglio

Les députés réélus cette année pourront conserver définitivement leur indemnité nationale s'ils le souhaitent, de façon à ne pas perdre au change... Quant aux États, ils pourront imposer le statu quo à leurs élus pendant deux ans, craignant peut-être un décalage avec la moyenne des rémunérations nationales.

Organisées sous l'égide du traité de Nice, les élections européennes désigneront cette année 736 députés, Un nombre qui serait porté à 750 plus le président avec l'application de Lisbonne... et même 754 dans une phase transitoire. Les sièges réservés aux Allemands étant réduits de 99 à 96, il serait paraît-il délicat de renvoyer au pays les trois élus en surnombre. Mais il faudra également désigner dix-huit nouveaux députés, dont deux pour la France. On ignore encore par quel "micmac institutionnel" sera résolu cet imbroglio juridique.

(1) Jean Quatremer : « Parlement européen : des alliances politiques surprenantes » Coulisses de Bruxelles, 22 mai 2008. (D'après les statistiques de votewatch.eu)

(2) Paul Magnette : Le Régime politique de l'Union européenne. Presses de Sciences Po, 310 pages, sept.2006, 15 euros.

(3) Europolitique, supplément au n° 3749, 8 mai 2009.

Amateurisme ?

4 juin 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Jérome Rivière voit trouble dans l'affaire du rosé coupé.

Dans un entretien audio diffusé par Novopress (20/05/09), Jérôme Rivière, directeur de campagne de Libertas France, s'insurge contre le projet de règlement européen autorisant la production de vin rosé par coupage de blanc et de rouge : la Commission voudrait réviser les pratiques œnologiques « pour que demain on puisse importer les vins d'Australie, de Nouvelle-Zélande et d'Afrique du Sud ». Or, selon le rapport du sénateur Gérard César, les vins coupés australiens seraient déjà sur le marché européen, sans indication sur les étiquettes ! Étant donné l'intérêt du dossier pour la campagne des souverainistes, une argumentation plus rigoureuse aurait été la bienvenue.

Le rosé noyé dans l'imbroglio européen

21 mai 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

L'Union européenne doit produire du vin rosé par mélange de blanc et de rouge ; tel est le vœu de la Commission de Bruxelles. Un rapport parlementaire lève une partie du voile sur un "scandale" se révélant beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. Explications.

Nouveau symbole des méfaits de la technocratie bruxelloise, le projet de règlement européen levant l'interdiction de produire le rosé de table par coupage de blanc et de rouge est une bénédiction pour les souverainistes en campagne : 87 % des Français y seraient hostiles (1). Poursuivant le décryptage de cette affaire, nous nous appuyons cette fois-ci sur le rapport (2) de Gérard César, sénateur UMP de la Gironde. Pour lui, il est essentiel « de soutenir le ministre de l'Agriculture et de la Pêche, qui négocie ce dossier à Bruxelles [...] afin de faire entendre la voix particulière de notre pays et de tenter d'y rallier certains de nos partenaires européens lors du vote du texte le 19 juin prochain ».

OCM vin

En avril 2008, un règlement avait lancé la réforme de l'Organisation commune du marché vitivinicole (OCM vin). En conséquence, à l'automne dernier, la Commission européenne a proposé deux textes d'application, sur les règles d'étiquetage et les pratiques œnologiques, discutés, respectivement, au sein d'un comité de gestion et d'un comité de réglementation. Dans ce cadre, le 27 janvier, lors d'un vote indicatif autorisant la consultation de l'OMC, « compte tenu des réponses positives apportées à ses autres demandes » selon Gérard César, la France s'est prononcée en faveur d'un "paquet" incluant la mesure controversée.

Introduite en 1999, l'interdiction de produire du rosé par coupage s'appliquait seulement aux vins de table. Cela « se justifiait par l'existence de régimes d'aides distincts pour la distillation de crise des vins de table rouges et des vins de table blancs. Le silence des textes communautaires sur les vins autres que ceux de table signifiait qu'il était licite d'utiliser la technique du coupage pour les vins d'appellation, afin notamment de prendre en compte les spécificités d'élaboration du champagne rosé et de certains vins rouges. »

Un train de retard

La Commission avait-elle caché son jeu ? « Dès les premières discussions préparatoires », elle avait « fait part de ses doutes sur la justification du maintien de l'interdiction du coupage ». Celui-ci devenait à ses yeux « une "discrimination négative" à l'encontre des producteurs communautaires [...] alors que la pratique du mélange rouge-blanc est utilisée aux États-Unis ou en Australie et que ces produits sont déjà sur le marché européen, sans indication sur les étiquettes ». Autrement dit, ce n'est pas la commercialisation – déjà autorisée ! - du rosé coupé qui est en cause, mais sa fabrication sur le territoire des vingt-sept États membres de l'Union européenne.

Ces restrictions étaient-elles préjudiciables aux viticulteurs français ? La faiblesse des échanges internationaux sur le marché des vins rosés relativise cette crainte : « Environ 10 % seulement de la production est commercialisée entre pays. L'absence de normalisation internationale du produit pourrait l'expliquer. Contrairement aux vins rouge ou blanc, le rosé est largement consommé dans son pays ou sa région de production. La concurrence se fait donc, pour l'instant du moins, davantage au sein des pays producteurs qu'entre ceux-ci. » Dès lors, faut-il s'attendre à ce que la demande en rosé coupé soit stimulée par l'émergence d'une offre française ?

Quoi qu'il en soit, le recours au coupage présenterait trois inconvénients selon le sénateur de la Gironde : un risque de standardisation, les producteurs étant susceptibles de recourir aux cépages blancs les plus répandus ; un risque d'édulcoration, avec la tentation de corriger des excès de dureté par l'ajout de sucre ; un risque de confusion dans l'esprit des consommateurs, confrontés à des produits impossibles à différencier à l'œil nu. Gérard César imagine la réaction d'un acheteur déçu par un rosé coupé : la crainte d'un déficit d'image se dessine, affectant les producteurs de rosé traditionnel, voire l'ensemble de la filière vitivinicole.

L'impasse multilatérale

Dans son ultime numéro, La Lettre de l'indépendance annonce carrément « l'agonie des AOC ». Le rapport se veut plus nuancé : « Nul ne peut anticiper aujourd'hui les conséquences économiques de l'autorisation du vin rosé coupé sur la filière vitivinicole française, mais ce sont peut-être les producteurs de vin rosé de table qui ont le plus à craindre. [...] Les producteurs de vins rosés d'appellation avaient la faculté [...] de recourir à la technique du coupage, mais ils l'ont refusée dans leur cahier des charges. Compte tenu de la forte fragmentation du marché du vin, certains observateurs optimistes estiment que les vins rosés haut de gamme seront très faiblement concurrencés par les vins rosés coupés à faible prix. »

Pressé par le temps, Bruxelles ne semble pas disposé à retirer son texte. Or, « l'opposition au règlement sur les pratiques œnologiques repose sur une alliance hétéroclite d'États membres que la Commission européenne pourrait aisément briser en donnant satisfaction aux revendications de certains pays pour isoler la France » (3). Et « si d'aventure une minorité de blocage était réunie [...], il faudrait être vigilant pour que les avancées qu'a obtenues le gouvernement lors des négociations sur le nouveau règlement ne soient pas remises en cause ». « Quant à une réglementation nouvelle au sein de l'OIV (4) (qui autorise le coupage pour les vins) ou de l'OMC (qui interdit d'obliger les pays tiers à indiquer sur leurs étiquettes si le vin rosé est issu de coupage), elle est pour l'heure hors de portée. D'une part, la modification des règles au sein de l'OIV nécessite le consensus des États. D'autre part, les accords relatifs à la politique commerciale communautaire doivent être conclus à la majorité qualifiée par le Conseil "Affaires générales et Relations extérieures" (CAGRE). »

On le voit, « les marges de manœuvre du gouvernement sont très faibles, tant au niveau communautaire qu'au niveau international ». D'où l'intérêt des subtilités exposées ci-dessus : elles illustrent la complexité des pratiques multilatérales, par ailleurs inintelligibles pour le grand public. Voilà une affaire typiquement européenne.

(1) Selon un sondage Ifop pour Sud-Ouest Dimanche et Midi Libre.

(2) N° 392, "annexe au procès-verbal de la séance du 6 mai 2009". Rapport de 32 pages disponible sur le site Internet du Sénat.

(3) Avis aux connaisseurs : l'Allemagne et la Hongrie n'apprécient pas la baisse du plafond autorisé de sulfites ; l'Italie et la Grèce sont hostiles aux mesures relatives à la désalcoolisation.

(4) Organisation internationale de la vigne et du vin.

Un parlement sous influences

17 mai 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Rival des gouvernements représentés au Conseil des ministres, le Parlement européen apparaît également comme un relai potentiel d'influence nationale. Les députés français élus en juin prochain pourront-ils jouer un rôle à Strasbourg et Bruxelles ?

Simple assemblée consultative à l'origine, le Parlement européen est devenu, aux côtés du Conseil des ministres et de la Commission, un sommet incontournable du triangle institutionnel qui pilote l'Union européenne. Investi d'une mission de contrôle, il approuve la composition de la Commission et peut voter une motion de censure à son encontre ; ses pouvoirs lui permettent d'amender ou rejeter le budget européen ; il participe à l'élaboration de la législation communautaire à différents degrés, dont le plus élevé – la codécision – le place à égalité avec le Conseil.

Entre juin 2004 et février 2009, le Parlement européen a statué « principalement dans les domaines de l'environnement et de la protection des consommateurs, mais aussi du marché intérieur et de la politique des transports » ; son accord fut sollicité pour 18 % des règlements et 71 % des directives adoptés par le Conseil durant cette période, selon les observations d'Yves Bertoncini et Thierry Chopin (1).

Motifs obscurs

Les déboires du "paquet télécom" ont illustré devant l'opinion le "pouvoir de nuisance" acquis par cette assemblée : tandis que le gouvernement français faisait voter la loi "Création et Internet" par le parlement national, les députés au Parlement européen s'obstinaient, contre l'avis du Conseil, à maintenir un amendement menaçant son application. Le traité de Lisbonne multiplierait les occasions de jouer un tel scénario. Les représentants des États membres l'ont pourtant plébiscité ; quel intérêt avaient-ils à se dessaisir progressivement de leurs monopoles ?

« Les raisons pour lesquels les gouvernements ont "parlementarisé" l'Union restent en partie obscures » aux yeux de Paul Magnette (2). « Sans doute certains gouvernements ont-ils été mus par des calculs stratégiques », à l'exemple de l'Allemagne dont les députés sont les plus nombreux. « D'autres gouvernements, nourrissant une vieille méfiance à l'égard de la Commission, ont peut-être parié qu'en renforçant le Parlement européen, ils affaibliraient à long terme le collège des commissaires. » Mais ce choix relèverait aussi « d'une forme de mimétisme institutionnel », ou plus simplement d'idéologie : « Le formalisme qui irrigue les cadres mentaux du personnel politique européen, conjugué au désir de répondre aux critiques du "déficit démocratique" de l'Union, les conduit presque naturellement dans cette voie. »

Néanmoins, « la tentation d'utiliser le Parlement européen pour faire valoir des intérêts strictement nationaux » tendrait à se renforcer depuis la fin des années quatre-vingt-dix : « Dans plusieurs États membres, au Royaume-Uni et en Allemagne en particulier, les partis de la majorité [...] tentent de faire de leurs élus à Strasbourg les alliés du gouvernement. » À l'approche des élections européennes de juin 2004, « le Premier ministre hongrois était allé jusqu'à proposer que tous les partis hongrois forment une liste unique ». La même année, le 29 avril, le président Chirac avait déploré que « l'influence de la France au sein du Parlement européen » ne soit pas « à la hauteur des enjeux pour notre pays » (3). Deux jours plus tard, l'UE allait accueillir dix nouveaux États membres, diminuant d'autant le poids relatif de la France, qui avait déjà perdu son second commissaire avec le traité de Nice. Une réaction devenait d'autant plus pressante.

Le poids des groupes politiques

Au sein du Parlement européen, « les députés ont toujours gardé leurs origines nationales à l'esprit, mais c'est à l'intérieur des groupes partisans qu'ils ont formé leurs positions », si l'on en croit Paul Magnette. Or, « la mise à disposition de moyens techniques (collaborateurs, secrétariat, salle de réunion, budget pour des publications, traductions) ainsi que le droit de parole et d'initiative politique sont fonction de la taille du groupe » souligne Thierry Chopin (4). « Il en va de même pour l'accession aux principaux postes de responsabilités (vice-présidences et questure du Parlement européen, présidences et vice-présidences des commissions et délégations, rapporteurs et coordinateurs). » En conséquence, selon le directeur des études de la Fondation Robert Schuman, « l'influence de la France se mesure d'abord à la capacité de ses députés européens à se rassembler au sein des groupes numériquement les plus importants, en particulier le groupe PPE-DE, dominant depuis 1999, et le groupe socialiste ».

Coordination

Peu enclin à promouvoir l'hégémonie de ses collègues pro-européens, Georges Berthu avait plaidé en mai 2004 pour une « meilleure coordination des élus français sur les votes techniques, qui est tout à fait possible, mais nécessiterait une meilleure organisation au niveau français » ; il aurait même souhaité que les groupes majoritaires acceptent « la formation en leur sein d'une composante non fédéraliste » (5). Un vœu pieux : si l'on observe une moindre dispersion des élus français au cours de la dernière législature, c'est en partie en raison du nouveau mode de scrutin, divisant la France en huit circonscriptions au détriment des petits partis, notamment souverainistes. Yves Bertoncini observe avec satisfaction que la majorité de nos députés (62,82 %) se concentrent au sein du PPE-DE et du PSE : « Parmi les principaux États membres, [...] la France se place ainsi en troisième position en termes de concentration après l'Espagne et l'Allemagne [...]. En revanche, on note toujours une forte présence française parmi les non-inscrits. »

Si la France se trouve mieux représentée aux postes stratégiques, elle continue de reléguer les enjeux européens au second plan. Tombée en disgrâce, Rachida Dati est envoyée à Strasbourg et Bruxelles : c'est tout un symbole. « Les élections législatives françaises de juin 2007 ont montré qu'un nombre non négligeable d'eurodéputés français préféraient briguer un mandat national : vingt-trois eurodéputés sur les soixante-dix-huit que compte la délégation française avaient déposé leur candidature pour rejoindre l'Assemblée nationale. » Avec Thierry Chopin, Yves Bertoncini précise qu'« une douzaine de députés français élus en 2004 ont ainsi quitté le Parlement européen depuis lors, contre seulement cinq parlementaires allemands et cinq parlementaires anglais ».

Autre travers national : le cumul des mandats, pratiqué par deux tiers des élus. Georges Berthu constate en outre que nos députés sont « toujours un peu novices ». Les collaborateurs de la Fondation Robert Schuman le confirment : « Le nombre moyen de mandats exercés par un parlementaire européen allemand est ainsi de 2,4, contre seulement 1,6 pour la France [...] ; mieux, près de la moitié (48 %) des actuels eurodéputés allemands en sont au moins à leur troisième mandat à Strasbourg, alors que ce chiffre est de 18 % pour les eurodéputés français [...]. Cette différence de longévité est encore plus frappante s'agissant des eurodéputés appartenant aux deux groupes les plus influents : la proportion de députés allemands ayant trois mandats ou plus est ainsi de 53 % dans le groupe PPE-DE et de 78 % dans le groupe PSE, contre respectivement 17 % et 13 % pour les députés français. »

Nouveau statut des députés

Les chiffres sont révélateurs, mais « les transformations nécessaires renvoient également à des difficultés plus profondes, en particulier le choix traditionnel d'une logique de puissance au détriment d'une véritable politique d'influence. Peu habitué à user de son soft power, notre pays gagnerait sans doute à faire primer le pouvoir réel sur les enjeux symboliques. » Yves Bertoncini encourage la France à développer « une véritable stratégie d'influence », sans négliger le lobbying. Approuverait-il les propositions de Georges Berthu ?

En 2004, celui-ci réclamait, entres autres, une meilleure articulation du travail parlementaire national et européen : « Certains pays ont [...] systématisé cette symbiose en logeant les uns et les autres dans des immeubles voisins, voire communicants. À Paris, on en est encore à des années-lumière. » Les velléités du gouvernement nourrissaient alors le pessimisme du député MPF : « Encore faudrait-il aussi que les pouvoirs publics français n'alimentent pas eux-mêmes la tendance la plus fédéraliste en soutenant des projets aberrants, comme celui de statut unifié des députés européens. Par ce texte, [...] les députés européens ne recevraient plus leur rémunération principale de leurs pays respectifs, mais seraient entièrement payés sur le budget communautaire. Or "qui paye commande" ! Comment peut-on vouloir à la fois l'aboutissement de cette réforme, et une reprise en mains de la défense des intérêts français ? » Cinq ans plus tard, le projet est en passe d'aboutir. Bien que sa portée nous semble avant tout symbolique, cette réforme est effectivement symptomatique des ambiguïtés caractérisant l'édification d'une "fédération d'États-nations".

(1) Yves Bertoncini & Thierry Chopin : « Les "élections européennes" en France : un triple choix » Questions d'Europe, n° 135, 27 avril 2009. Disponible sur www.robert-schuman.org

(2) Paul Magnette : Le Régime politique de l'Union européenne. Presses de Sciences Po, 310 pages, septembre 2006, 15 euros.

(3) Conférence de presse retranscrite sur le site Internet du ministère des Affaires étrangères.

(4) Thierry Chopin : « L'influence française au Parlement européen : bilan et perspectives - Quels enjeux à l'horizon des élections européennes de 2009 ? » Questions d'Europe, n° 119-120, 8 décembre 2008. Disponible sur www.robert-schuman.org

(5) Georges Berthu : « Améliorer l'efficacité française au Parlement européen » Note du 20 mai 2004 publiée sur le site http://fondationdeservicepolitique.com

Les axes de la campagne électorale

7 mai 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

À l'approche du scrutin du 7 juin, la campagne tarde à démarrer, y compris sur la Toile, où les "programmes politiques" ne sont pas légion. Aperçu des thématiques développées par l'Alliance royale, Debout la République, le Front national, Libertas, le MoDem, le PS et l'UMP.

À six semaines des élections européennes, nous avons arpenté la Toile à la recherche des "manifestes politiques" de quelques partis. Certains sites de campagne reflètent le désintérêt suscité par le scrutin : outre le nom de ses têtes de liste, le Front national diffuse seulement quelques affiches. L'UMP publie des actualités et met en valeur la "communauté" de ses sympathisants, sur le modèle de Facebook, sans formaliser ses propositions, peut-être dans l'attente d'un discours du président de la République ; les internautes en quête d'un programme doivent se contenter d'un tract peu fourni, où l'on remarque l'importance accordée à l'outre-mer.

Discours protectionnistes

L'heure n'est plus aux déclarations eurobéates. Certes, le PS entretient le mythe selon lequel la construction européenne aurait « garanti la paix » ; et le MoDem s'illusionne en croyant pouvoir renverser la situation où, « depuis des années, chaque pays essaie de marquer des points contre les autres ». Confrontés à la crise économique, les partis préfèrent accompagner le retour médiatique du politique. Dans la continuité du « succès de la présidence française de l'Union », l'UMP martèle ce slogan : « Quand l'Europe veut, l'Europe peut. » Réunis sous la bannière de Libertas, le MPF et CPNT exploitent une thématique similaire : « Prenons l'Europe en main. »

Des appels de pied au protectionnisme sont lancés de toutes parts : l'UMP nous encourage à voter « pour une Europe qui nous protège » ; selon les socialistes, « le débat n'est pas tant de savoir si nous  serions des partisans ou des adversaires du protectionnisme, mais bien de déterminer quels intérêts nous souhaitons protéger ». La hantise du dumping illustre la nécessité d'une harmonisation des fiscalités européennes aux yeux du PS et du MoDem. Reste à convaincre nos partenaires, dans un domaine où l'unanimité demeurerait la règle malgré l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

Le PS s'indigne d'« un budget européen réduit à moins de 1 % de la richesse produite en Europe » ; le MoDem lui fait écho, proposant « un budget européen dont le volume serait décidé par le Parlement européen et alimenté par un impôt unique sur l'ensemble des pays de l'Union ». Autre suggestion du parti centriste : la nomination d'« un procureur européen avec autorité sur les polices ». De retour au pouvoir, ces fédéralistes se montreront-ils aussi disposés à dépouiller l'État de ses prérogatives ?

L'Alliance royale plébiscite la création de deux commissariats européens, « pour la coordination de la sécurité des pays européens » d'une part, « pour l'environnement et la sécurité sanitaire » d'autre part. Quels rapports entretiendraient-ils avec les directions générales de la Commission, le Centre de suivi et d'information en charge de la protection civile, l'Agence européenne pour l'Environnement ? On l'ignore, mais ces propositions témoignent de la volonté largement partagée d'envisager l'Europe indépendamment du marché unique. François Bayrou souhaiterait que « l'exigence sociale, démocratique et écologique soit placée au même niveau que la concurrence ». Pourquoi pas au-dessus ? De toute façon, la concurrence n'est qu'un instrument censé servir la prospérité, dont l'efficacité inspire une circonspection stimulée par la crise.

Le PS feint d'offrir à l'Europe « le droit à l'alternance » : « Il y a aujourd'hui la possibilité de donner sa place à la politique au cœur de l'Europe et d'assumer jusqu'au bout le clivage avec la droite en faisant échec à une candidature Barroso et, nous le souhaitons, en ayant un candidat commun issu du PSE pour la présidence de la Commission. » C'est mal parti. D'autant qu'en dépit de leur affiliation à gauche, les gouvernements britannique, espagnol et portugais devraient appuyer la reconduction de José Manuel Barroso.

Vœu pieux

Autre vœu pieux : la constitution d'« une Europe forte avec une vraie défense européenne ». Cela « n'est pas aujourd'hui crédible » rétorque l'Alliance royale. Prenant le risque de froisser ses sympathisants, celle-ci considère même « que la France doit se maintenir dans l'Otan, [...] la seule organisation militaire capable de répondre aux besoins de sécurité dans nos zones d'intérêts stratégiques ». Debout la République prétend qu'« avec le traité de Lisbonne (article 27-7), la France n'aurait pas pu faire entendre sa voix sur la guerre en Irak ». Le texte incriminé - qui n'est pas stricto sensu un article du traité de Lisbonne - introduit une clause de défense mutuelle et rappelle la compatibilité des politiques de l'UE avec les engagements souscrits dans le cadre de l'Otan. Or cela n'est pas nouveau et ne concerne pas directement l'intervention en Irak, décidée en dehors des structures atlantiques.

Tandis que le Front national fait passer « ma retraite, ma famille, mon emploi... avant l'Europe », d'autres souverainistes ont adopté une posture plus nuancée, "eurocompatible" selon l'expression du "sécessionniste" Reinelde Maes (afe-blog.com, 26/04/09) : « Osons une Europe différente » lance Nicolas Dupont-Aignan ; c'est « une dimension nécessaire de notre avenir » confirme Libertas. Tout en revendiquant sa « prudence » à l'égard de la construction européenne, l'Alliance royale observe que « certains secteurs industriels ont [...] besoin d'une masse critique suffisante pour être concurrentiels dans un contexte de mondialisation : aéronautique, espace, défense, énergie, pharmacie, etc. » Selon l'AR, l'Europe est « une zone relativement homogène en matière stratégique. Beaucoup d'enjeux concernant la France [...] sont aussi en même temps européens : terrorisme, accès aux ressources d'énergie, sécurité maritime, etc. »

L'Alliance royale esquisse « un aménagement de ce qui existe déjà : un conseil européen représentant les États, une assemblée, des commissions exécutives et des instances juridictionnelles, chacune agissant dans le strict cadre des coopérations auxquelles les États membres auront bien voulu souscrire ». Exit la « Grosse Kommission » fustigée régulièrement par Les Manants du Roi, éclatée en diverses entités. L'AR plébiscite une communauté où « nul État européen ne peut être contraint d'appliquer des directives ou des lois européennes sur son territoire s'il ne les a pas lui-même ratifiées. Nulle institution européenne ne peut exercer de coercition de droit sur les États membres en dehors de traités librement et préalablement consentis par eux. » Qu'adviendrait-il du droit communautaire dérivé ? L'Alliance laisse planer une certaine ambiguïté. Elle se préoccupe en tout cas de la réversibilité des engagements : de son point de vue, « l'adoption de la monnaie unique apparaît comme imprudente, non pas nécessairement pour ses conséquences économiques, mais parce qu'elle lie la France de façon trop forte ».

Référendum

Imaginant eux aussi un nouveau traité, les gaullistes de DLR voudraient qu'il soit « approuvé par référendum le même jour dans tous les pays de l'Union ». On mesure l'irréalisme de la proposition à la vue du laborieux processus de ratification du traité de Lisbonne. Cela supposerait en outre de chambouler des traditions, voire des dispositions constitutionnelles, puisque la Loi fondamentale allemande circonscrit l'usage du référendum à la réorganisation du territoire fédéral. Maladroitement, Nicolas Dupont-Aignan en vient à promouvoir « l'uniformisation » qu'il dénonce ! L'"identité" est d'ailleurs un thème jugé porteur, y compris par le MoDem : « Nous défendrons l'Europe qui garantit les identités, les modes de vie, les langues et les cultures sur son sol et dans le monde. » Mais les développeurs de Libertas ont négligé la traduction des termes anglais apparaissant sur la version imprimable de chaque page du site Internet ; un comble !

Ne négligeons pas la France !

« Les querelles institutionnelles ne sont plus de saison » affirme le PS, « car l'ordre du jour de la nouvelle administration est économique et social. Le traité de Lisbonne est une donnée, mais ne saurait borner l'ambition des socialistes pour l'Europe. » Ni celle des autres ! Or, « pour réorienter l'Europe », faut-il « d'abord envoyer au parlement de Strasbourg une majorité de députés de gauche » ou d'une quelconque sensibilité ? Cela n'a rien d'évident, car l'UE n'est pas émancipée de l'influence des exécutifs nationaux. Le MoDem s'en offusque implicitement en voulant changer une situation où « les gouvernants de notre pays et les dirigeants européens préparent toutes les décisions entre eux, dans le secret ». Beaucoup dépend de nous. C'est pourquoi « l'Alliance royale estime qu'une coopération à l'échelle de l'Europe n'est possible que par le renforcement des institutions françaises ». Qu'elle suscite espoirs ou inquiétudes, l'Union européenne reflète à bien des égard nos propres ambitions, nos propres frustrations. Ne négligeons pas la France !

De Gallo à Maurras

16 avril 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Promu à Pâques commandeur dans l'ordre de la Légion d'honneur, Max Gallo entretient sa "fibre nationale" en embrassant l'histoire capétienne, tout en renouvelant son soutien à Nicolas Sarkozy.

Max Gallo s'est souvent attiré les sympathies de l'Action française. Saluant la réception de ce « patriote » à l'Académie française, Pierre Lafarge écrivait dans notre numéro du 17 janvier 2008 : « Cet ancien thuriféraire de Robespierre a fini par comprendre que la France était née avant 1789 et que sa construction devait tout aux capétiens. »

L'historien-romancier le confirme dans un entretien publié par Le Parisien le 5 avril : « Pourquoi l'histoire est-elle à ce point la matière, le ciment de notre communauté ? Parce que nous sommes une nation qui s'est construite à partir de la volonté d'une certaine famille, d'une certaine région, l'Île-de-France. C'est une nation politique. Nous ne sommes pas une race. [...] Je crois que c'est une particularité française. »

Nos lecteurs apprécieront son affirmation de la persistance du fait national, ainsi que son appel au « coup d'État institutionnel » en Europe, mais les plus virulents à l'égard de Nicolas Sarkozy déchanteront : Max Gallo salue la capacité du président de la République « à échapper au formalisme des institutions », renouvelant sans ambiguïté le soutien qu'il lui avait apporté en 2007.

La gauche ou la droite ?

Interrogé sur la "normalisation" des rapports avec l'Otan, l'ancien chevènementiste observe que « dans la situation actuelle, la non-participation de la France au commandement intégré [...] aurait été une aberration ». Plus étonnant : il compare volontiers l'élection de Nicolas Sarkozy à celle de Barack Obama, preuve que « le peuple français n'est pas un peuple xénophobe ». Les médias n'avaient pas fait tout une affaire de la présidentielle française, c'est peut-être la différence.

L'académicien s'autorise tout de même quelques critiques : « Sarkozy n'a pas pris conscience rapidement du fait qu'il y a dans l'exercice du pouvoir, en France, un aspect symbolique qui doit être respecté. [...] L'idée du sacré doit être préservée. [...] Il y a des événements qui ont pu me choquer. J'aurais préféré que la soirée des résultats se passe ailleurs qu'au Fouquet's. Bien qu'ayant accompagné le président au Vatican, sa formulation sur le prêtre et l'instituteur n'est pas la mienne. »

Interrogé sur ses rapports avec la gauche, Max Gallo rétorque : « Je n'appartiens plus à la famille des formations politiques qui se situent à gauche. Je ne dis pas qu'elles n'arriveront pas au pouvoir mais elles ne m'intéressent pas. En revanche, si être de gauche, c'est penser que le but de tout homme politique est de briser les déterminismes sociaux et biologiques, je suis tout à fait pour la gauche. » Dans ce cas, nous serons pour la droite !

Certes, « trop perpétuées, les inégalités outrées peuvent tendre à capter une somme de biens qui seraient ainsi rendus inutiles et stériles ». Mais l'État « ne peut gérer l'intérêt public qu'à la condition d'utiliser avec une passion lucide les ressorts variés de la nature sociale, tels qu'ils sont, tels qu'ils jouent, tels qu'ils rendent service. L'État doit se garder de prétendre à la tâche impossible de les réviser et de les changer ; c'est un mauvais prétexte que la "justice sociale" : elle est le petit nom de l'égalité. L'État politique doit éviter de s'attaquer aux infrastructures de l'état social qu'il ne peut pas atteindre et qu'il n'atteindra pas, mais contre lesquelles ses entreprises imbéciles peuvent causer de généreuses blessures à ses sujets et à lui-même. » (Charles Maurras, La Politique naturelle)

Il appartient à la puissance publique, tout à la fois, de mettre à profit et de tempérer les déterminismes naturels et sociaux, non de s'y opposer. C'est pourquoi nous respectons la différence des sexes tout en récusant le "machisme" ; notre aversion pour la "discrimination positive" procède de la même conviction. L'actualité nous donne régulièrement l'occasion de l'expliciter.

L'armée réclame un roi

2 avril 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

La guerre est une chose trop sérieuse pour la laisser faire par des républicains... Commentaire d'un discours prononcé par le chef d'état-major des armées.

À l'approche du soixantième anniversaire de la signature du traité de l'Atlantique Nord, un colloque sur « la France, la défense européenne et l'OTAN au XXIe siècle » s'est tenu le 11 mars sous l'égide de la Fondation pour la Recherche stratégique (www.frstrategie.org). Parmi les intervenants : le général Jean-Louis Georgelin, chef d'état-major des armées (CEMA).

Évidemment, on ne relève dans son discours aucune réserve quant à la politique du président de la République, qui exposa en fin de journée ses arguments en faveur du retour de la France dans le commandement militaire intégré de lOTAN : « Mon expérience présente [...] me montre que notre appareil militaire n'est en rien affaibli ou affecté par nos engagements dans le cadre de cette organisation », affirme le CEMA. Incidemment, il renvoie à quelques vérités que la démocratie feint d'ignorer.

En dépit d'un « sentiment d'insularité stratégique », consécutif à « l'absence de menace immédiate à nos frontières et [à] l'effacement apparent du spectre de la guerre interétatique », le général observe que « l'horizon d'un soldat reste [...] dominé par la prise de risque et l'hypothèse du sacrifice ultime ». Un sacrifice difficile à justifier sans invoquer « le lien consubstantiel qui unit le militaire à sa nation ». Or, à l'heure ou la plupart des engagements interviennent « au profit d'une entité internationale ou d'une alliance militaire », le CEMA se trouve confronté à un défi : dans ces conditions, comment faire comprendre à ses hommes le sens de leur action ?

Affirmation de puissances

Le général souligne également le poids des nations – ou plutôt des États – sur la scène internationale : « Un projet collectif, singulièrement lorsqu'il implique des questions de défense, ne vaut que par l'engagement des nations. » Lesquelles se rassemblent sur des « valeurs », mais aussi des « intérêts ». S'il salue « le succès du formidable pari européen », le CEMA est loin de proclamer la fin de l'histoire. Il lance même un avertissement : « Notre environnement international demeure fragile. L'affirmation ou la réaffirmation de puissances [...] ; l'augmentation des dépenses militaires, partout, sauf en Europe ; et l'apparition de menaces plus diffuses susceptibles d'affecter nos sociétés devraient nous inciter à la plus grande vigilance. »

Décision suprême

Aussi la France doit-elle faire entendre sa voix. « Dans mes fonctions de chef d'état-major des armées, j'observe que l'expression de cette souveraineté se traduit par l'autonomie de décision qui est celle du président de la République. » La souveraineté incombe en effet à celui qui assume la responsabilité de la décision suprême. Implicitement, le général  Georgelin acquiescerait presque aux propos de Maurras. Relisons Mes Idées politiques : « Ni implicitement, ni explicitement, nous n'acceptons le principe de la souveraineté nationale. [...] Quand on la proclame, cela veut dire qu'il n'y a plus de souverain réel. [...] Le grand honneur de reconnaître et d'expier doit être réservé au type de gouvernement où la souveraineté est concentrée dans l'âme unique et dans la personne vive d'un homme. » L'armée réclame un roi !

L'histoire en otage

2 avril 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Retour sur l'histoire du négationnisme en France.

Le négationnisme s'est immiscé dans l'actualité ces derniers mois. Nos lecteurs intéressés par cette "école" pseudo-historique pourront consulter l'étude que Valérie Igounet a consacrée à ses représentants français (1). L'auteur considère Maurice Bardèche comme l'« initiateur » de la contestation des crimes nazis. Ouvertement fasciste, le beau-frère de Robert Brasillach devint l'éditeur d'un transfuge de la gauche pacifiste, député SFIO puis militant actif de la Fédération anarchiste : Paul Rassinier. Revenu de déportation à Buchenwald et Dora, celui-ci entreprit de relativiser la responsabilité des SS dans les camps, incriminant plutôt les communistes. Ces "précurseurs" ouvrirent la voie à Robert Faurisson, un professeur de lettres amoureux de la vérité selon ses dires, sans aucun doute avide de provocation.

Signe des insuffisances de la recherche historique, il fut, dans les années soixante-dix, l'« un des premiers Français à fouiller dans les archives d'Auschwitz, à comparer des documents et à mettre en évidence des contradictions entre [...] les plans et [...] le terrain ». Se rendant sur place, un pharmacien qui préparait un roman observa moult incohérences, au point de douter à son tour de l'existence des chambres à gaz homicides. Aussi Jean-Claude Pressac travailla-t-il aux côtés de Robert Faurisson pendant quelque temps. La rupture fut consommée après qu'il eut décelé les « traces d'aménagement criminelles » d'un camp qui, en réalité, n'avait pas été conçu dès l'origine à des fins d'extermination. Une découverte fondamentale. Non sans hésitation, Pierre Vidal-Naquet introduisit cet "amateur" dans les milieux universitaires. Ses conclusions, publiées aux États-Unis en 1989 sous le titre Auschwitz - Technique and operation of the gas chambers, devinrent « une des références bibliographiques dans l'histoire du génocide ». Dans un entretien accordé au Spiegel du 9 février dernier, Mgr Williamson s'est engagé à étudier l'ouvrage de ce "négationniste repenti". Celui-ci n'en reste pas moins une personnalité controversée, étant donné son choix de ne considérer que les « données et documents techniques » ; d'autant qu'il révise à la baisse le nombre de victimes.

Valérie Igounet rend compte de la pénétration du négationnisme dans l'idéologie et le discours du Front national, ainsi que des collusions de l'extrême droite avec des courants pro-arabes, voire islamistes. Les sympathies que s'attire aujourd'hui Dieudonné sont à ce titre significatives. L'auteur souligne également le soutien décisif apporté au négationnisme par un microcosme d'extrême gauche mené par Pierre Guillaume, animateur de La Vieille Taupe, une librairie "révolutionnaire". Influencé par Amadeo Bordiga, il a vu dans les horreurs du nazisme « un alibi, utile au capitalisme, pour justifier son exploitation de la classe prolétarienne ».

Fallait-il condamner lourdement les adeptes de cette « métamorphose moderne de l'antisémitisme » ? « Ceux qui sont contre [...] ne vivent pas au milieu des survivants et n'entendent pas leurs cris », déplora Serge Klarsfeld, qui défendait la loi Gayssot en 1990 : « Les poursuites s'imposent dans la période actuelle. Après, une fois que tous les témoins seront morts, ce ne sera plus nécessaire. » Selon Pierre Vidal-Naquet, en revanche, « il n'appartient pas aux tribunaux de définir la vérité historique » : « Faire de la vérité sur la Shoah une vérité légale [...] paraît une absurdité. Le fait de punir l'expression du révisionnisme ne fera que transformer ces gens-là en martyrs. » Un point de vue partagé par Valérie Igounet, qui s'est exprimée à ce sujet le 26 janvier 2004 sur un forum en ligne du Nouvel Observateur. Fort heureusement, le discours des historiens ne se réduit pas à l'écho qu'en renvoie la sphère politico-médiatique. Ne l'oublions pas.

(1) Valérie Igounet : Histoire du négationnisme en France. Éd. du Seuil, mars 2000, 692 p., 28 euros.

La fin de l'eldorado numérique ?

5 mars 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Le gouvernement s'attaque au téléchargement illégal sur Internet. À cet effet, la loi "Création et Internet" arrive devant les députés. Une façon de préserver la vitalité de la création et la diversité culturelle ? Beaucoup n'y voient qu'une perfusion consentie à des industriels passés maîtres dans l'art du lobbying.

Maintes fois reporté, en dépit de l'urgence décrétée par le gouvernement, l'examen par l'Assemblée nationale du projet de loi "Création et Internet" devait débuter le 4 mars. Ce texte prévoit d'élargir les compétences de l'Autorité de régulation des mesures techniques (ARMT) : rebaptisée Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), elle orchestrera la riposte contre les abonnés à Internet complices d'une violation de la propriété intellectuelle.

En contrepartie, producteurs et distributeurs se sont engagés à rendre plus attractive leur offre dématérialisée : la suppression des verrous numériques (DRM) empêchant le transfert des fichiers d'un appareil à l'autre est une avancée significative ; un remaniement de la "chronologie des médias" est également envisagé, dans un premier temps pour rendre les films accessibles en ligne sans délai après leur sortie en DVD ou Blue-ray.

Adresses IP

Cela conformément aux recommandations de la mission Olivennes, qui avait préparé la signature des accords de l'Élysée le 23 novembre 2007. L'essentiel du dispositif est  connu depuis lors. Saisie par les ayant droits - qui arpentent d'ores et déjà la Toile à la recherche des fraudeurs -, l'Hadopi pourra adresser un ou deux avertissements aux abonnés mis en cause, éventuellement par courriel, au moins une fois par lettre recommandée selon le souhait du Sénat. Tant qu'une sanction n'aura pas été prononcée, ces mises en demeure ne seront susceptibles d'aucune contestation. En cas de récidive, la Haute Autorité pourra exiger des fournisseurs d'accès à Internet (FAI) la suspension des connexions, pour une durée de trois mois à un an. Les clients n'en resteront pas moins redevables à leur égard. S'ils ont souscrit une offre couplée avec le téléphone et la télévision, ils devront continuer à bénéficier de ces services : une casse-tête technique pour les FAI. Avant la signature de tout nouveau contrat, ceux-ci auront l'obligation de vérifier qu'aucune sanction ne pèse sur le souscripteur.

Ce sont donc les abonnés à Internet, et non les "pirates" eux-mêmes – passibles de trois ans de prison et 300 000 euros d'amende pour contrefaçon -, qui seront visés par l'Hadopi, parce qu'ils sont censés veiller, selon l'exposé des motifs, à ce que leur connexion « ne fasse pas l'objet d'une utilisation qui méconnaît les droits de propriété littéraire et artistique ». À moins que les députés retiennent un amendement déposé en ce sens, les accusés ne seront pas informés de la nature des "piratages" commis via leur abonnement. On imagine les disputes qui surviendront dans les familles sanctionnées, dont les membres se renverront mutuellement la faute, ignorant qu'un voisin se sera connecté à leur réseau sans fil, ou qu'un inconnu aura usurpé leur adresse IP...

Identifiant chaque point d'accès au réseau mondial, les adresses IP feront l'objet d'une collecte constituant des preuves à la fiabilité contestée : même des imprimantes pourraient être accusées de piratage ! Or, la loi rendra d'autant plus nombreux les internautes cherchant à brouiller les pistes... « Alors que certains parlementaires opposés au texte prédisent que cette loi multipliera les réseaux chiffrés et privés, il semble [...] que la réalité les ait déjà rattrapés », observe Richard Ying. « [Le] ministre en tient toutefois compte comme le montre le dossier de presse distribué à l'occasion du MIDEM 2009 : "Bien entendu, [...] certains internautes parviendront toujours [...] à dissimuler leurs adresses IP ou à recourir à d'autres moyens sophistiqués pour échapper à des sanctions éventuelles. [...] Ce que recherche en fait le projet de loi, c'est de faire changer les esprits grâce à une campagne pédagogique et préventive massive. Peu importe, de ce point de vue, qu'une minorité de gens particulièrement astucieux y échappent. »

Le ministre de la Culture, Christine Albanel, affichait son optimisme dans un communiqué diffusé le 11 février : « Il ressort en effet d'une récente étude d'opinion que 90 % des personnes averties cesseraient de pirater à réception du deuxième message. » Une proportion appelée à diminuer progressivement, étant donné la débrouillardise des internautes. D'autant que les "pirates" les plus actifs sont probablement les plus avertis. Si le téléchargement était enrayé, des logiciels se proposeraient sans doute d'automatiser l'enregistrement de reproductions légales. Vraisemblablement, le gouvernement ne parviendrait durablement à ses fins qu'en plaçant chaque ordinateur sous surveillance.

Aussi les polémistes dénoncent-ils volontiers une dérive totalitaire. La charge pesant sur les FAI pourrait les pousser tout doucement sur la voie du filtrage, qui s'imposera inévitablement sur les réseaux publics. Prenant la CNIL à témoin, La Quadrature du Net souligne que l'Hadopi pourra, « sans contrôle de l'autorité judiciaire », obtenir la copie des informations de connexion « collectées à l'origine à des fins de lutte contre le terrorisme ». Catoneo s'insurge sur Royal Artillerie : « Nous allons rejoindre, grâce à l'ancien patron d'un hypermarché culturel qui débite la médiocrité à torrents, le club des pays policiers du web avec la Chine, l'Iran, le Vietnam, Singapour et... la Syrie, car pour "protéger la création", la profession exige que l'on scanne en masse. [...] Du monde, beaucoup de monde aux pupitres de flicage en France ! [...] Réclameront-ils des képis pour faire peur dans la webcam ? »

« Avec l'estimation de "3 000 lettres recommandées d'avertissement par jour" de Christine Albanel, le coût des envois de courriels et de recommandés sera de 9,3 millions d'euros, qui ne sont plus dans le budget de fonctionnement de l'Hadopi », plafonné à 6,7 millions d'euros (Richard Ying). Autant d'argent alimentant la perfusion d'un modèle économique submergé par les nouvelles technologies. Le gouvernement s'appuie sur le postulat que « la consommation illégale est aujourd'hui une source de destruction de valeur » qui « compromet la diversité des œuvres et constitue une menace pour la vitalité de la création, donc pour l'identité de la France et de l'Europe » (rapport Olivennes). Or, il est « difficile d'établir "le coût du partage illégal de fichiers" », selon le Groupe de travail sur l'économie de l'information de l'OCDE, dont l'étude Contenus numériques haut débit - La musique est citée par La Quadrature du Net. « Cette difficulté est reflétée dans les résultats des études sur la question et dans les critiques méthodologiques dont [elles] ont pu faire l'objet. [...] La plupart des études confirment que ces deux phénomènes opèrent en même temps – selon les utilisateurs : le partage non autorisé de fichiers conduit certains à augmenter leur consommation et d'autres à la réduire. »

Bouleversement

« Aujourd'hui, plus d'un Français sur deux a accès à I'Internet haut débit. » Forts de ce constat, les rédacteurs du projet de loi observent que « bien plus qu'un phénomène de société, c'est un véritable tournant qui constitue, pour la diffusion de la culture, une chance extraordinaire, sans précédent depuis l'invention de l'imprimerie ». Ont-ils saisi toute la mesure de ce bouleversement ? Le 23 novembre 2007, le président de la République s'était vanté de « faire prévaloir le droit légitime des auteurs et de ceux qui contribuent à leur expression, sur l'illusion et même sur le mensonge de la gratuité ». Cela sonne faux, à l'heure où 20 Minutes annonce ses premiers bénéfices, tandis que la Toile regorge de services accessibles sans contrepartie directe : messagerie, stockage, suites logicielles, et même écoute en toute légalité de plusieurs millions de titres sur Deezer !

« Répondant à l'argument de la gratuité destructrice de partisans de la loi, des adversaires avancent des exemples de réussites économiques issues d'un téléchargement gratuit », rapporte Richard Ying. « Le plus célèbre est celui de Radiohead qui a diffusé son nouvel album sans contrainte, laissant aux internautes le choix d'une rémunération. Le comanager de Radiohead, Brian Message, évoque cette méthode de distribution à "coûts quasi nuls" : "La musique diffusée ou téléchargée gratuitement en ligne a une vraie valeur économique. [...] À partir de cette gratuité, il devient possible de fidéliser le public, de vendre des places de concert, des collectors, etc. [...] C'est peut-être paradoxal, mais la gratuité fait désormais partie du business de la musique." De façon similaire, il est fréquent de lire [...] que des talents musicaux se sont fait connaître et gagnent leurs revenus grâce à des téléchargements et écoutes gratuits. » Selon Nicolas Sarkozy, « si on laissait faire, il n'y aurait que quelques artistes qui s'en sortiraient - les plus connus - et [...] les jeunes artistes ne pourraient plus avoir accès à rien du tout ». Beaucoup pensent le contraire, alors que le bouche à oreille, aux effets décuplés par la Toile, relativise la toute-puissance du marketing uniformisateur.

Une alternative

Attachée à son eldorado, la blogosphère s'est enflammée contre la loi, dénonçant une violation des "droits de l'homme". Le Parlement européen s'en est fait l'écho, mais aucune voix ne s'est élevée au Sénat contre l'adoption du projet le 30 octobre 2008. Manifestement, les industriels de la culture ont mené un travail de lobbying efficace. Leurs opposants devront en prendre de la graine. D'autant que leurs propositions sont jugées crédibles par certaines "autorités", telle la Commission pour la libération de la croissance française. Selon le rapport Attali, cité par Richard Ying, une politique de « contrôle des usages individuels constituerait un frein majeur à la croissance. [...] Ces mécanismes introduiraient une surveillance de nature à porter atteinte au respect de la vie privée et aux libertés individuelles, tout à fait contraire aux exigences de la création et à la nature réelle de l'économie numérique. [...] La rémunération des artistes doit être assurée par des mécanismes d'abonnement et par les vrais bénéficiaires du téléchargement : les fournisseurs d'accès Internet. » Un plaidoyer en faveur de la "licence globale" ! Nous y reviendrons dans notre prochain numéro.

Principales sources :

  • Présentation du projet de loi Création et Internet. Dossier de presse du ministère de la Culture et de la Communication, 18 juin 2008.
  • Hadopi, "Riposte graduée" : Une réponse inefficace, inapplicable et dangereuse à un faux problème. Dossier mis en ligne par La Quadrature du Net, version 1.0, 9 fevrier 2009.
  • Le projet de loi "Création et Internet" : inadéquat dans la lutte contre le téléchargement illégal. Analyse de Richard Ying (http://richard.ying.fr/), version 1.3, 11 février 2009.

L'arlésienne, ou la TVA dans l'Union

5 février 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Comment l'UE encadre-t-elle la taxe sur la valeur ajoutée ?

La taux de TVA dans la restauration passera-t-il bientôt, en France, de 19,6 à 5,5 % ? Jacques Chirac s'y était engagé en 2002. Renouvelant cette promesse, Nicolas Sarkozy se heurte lui aussi à l'opposition de l'Allemagne. Le 20 janvier, lors du conseil Ecofin (réunion des ministres des Finances de l'UE), celle-ci a assoupli sa position. Berlin craignait jusqu'à présent d'alimenter les revendications de ses propres ressortissants en donnant son feu vert.

Or, la TVA est encadrée par le droit européen, dont la modification requiert l'unanimité des États membres en matière de fiscalité. Érigée parfois en garantie suprême de notre indépendance, cette exigence apparaît ici comme un frein aux initiatives du gouvernement, qui ne se risquera pas à enfreindre pour si peu les règles d'une "partie" se jouant à vingt-sept. Paradoxe inhérent à l'intégration européenne !

Le système commun de taxe sur la valeur ajoutée est régi par une directive du 28 novembre 2006. Ce texte impose jusqu'au 31 décembre 2010 un taux standard minimum de 15 %. Il autorise en outre la fixation d'un ou deux taux réduits de 5 % minimum, dont il restreint toutefois l'application à quelques livraisons de biens et prestations de services clairement identifiés (les services de restauration n'en font pas partie). Ainsi, chaque État demeure libre de fixer un taux standard et un taux réduit, mais non de définir les domaines où s'appliquent l'un ou l'autre.

Par ce biais, les gouvernements européens entendaient vraisemblablement se prémunir d'un risque de "distorsion de concurrence" . Dans cette affaire, celui-ci est pourtant loin d'être évident : d'un bout à l'autre de l'Europe, les restaurateurs ne se disputent pas les mêmes clients ; quant au tourisme, s'en trouve-t-il vraiment affecté ?