Royalisme ou populisme, il faut choisir !

26 mai 2011

Quatrième chronique pour RFR. Parmi les sujets abordés cette fois-ci : la prime sur les dividendes, le rôle de l'État et le populisme.

Selon les conclusions d'un sondage Viavoice-BPCE réalisé pour Les Échos et France info, 62 % des Français seraient favorables à la prime Sarkozy sur les dividendes. C'est désespérant, quoique très compréhensible.

On pourrait disserter des heures durant sur ce dispositif inepte, présenté hier en conseil des ministres. Selon le projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2011, donc, les entreprises comptant plus de cinquante salariés seraient priées de verser une prime à leurs employés, dès lors que les dividendes attribués aux actionnaires augmenteraient par rapport à la moyenne des deux années précédentes. Vous suivez ? Dans le cas contraire, cela n'aurait rien d'étonnant : « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement »... et inversement !

Cette prime est censée contribuer au « partage de la valeur ajoutée » cher au chef de l'État. Comme si les dividendes et leur évolution étaient toujours à l'image des bénéfices. Or, c'est loin, très loin d'être le cas. Prenez la situation de Total, vilipendé pour se profits considérables : ses dividendes étant restés stables, il ne sera pas soumis à la prime Sarkozy. En revanche, le patron d'une PME qui ne se verserait aucun salaire devra négocier avec ses employés l'augmentation de sa rémunération, c'est un comble ! Tout cela n'a aucun sens : pourquoi les salariés seraient-ils plus ou moins avantagés selon que leur entreprise se finance sur les marchés, en mobilisant des actionnaires, ou bien auprès des banques, en souscrivant des prêts rémunérés par des intérêts ?

Les partenaires sociaux ne s'y sont pas trompés. De façon quasi unanime, patrons et syndicats ont dénoncé cette immixtion de l'État dans leurs négociations. Mais l'opinion publique demeure sensible aux slogans simplistes – du genre "pas de prime pour les actionnaires sans prime pour les salariés". Pour le président de la République, il s'agit, naturellement, d'exploiter quelques clichés néo-marxistes ancrés dans les esprits. À commencer par l'opposition systématique entre capital et travail.

On stigmatise volontiers ces actionnaires cupides, accusés de s'enrichir sur le dos des salariés. Qu'en est-il dans les faits ? « Il y a un an, la Bourse française était encore déprimée », rappelle Florin Aftalion, professeur émérite à l'Essec, dans un article publié par La Tribune. « En revanche », poursuit-il, « il y a dix ans, elle était en pleine forme. [...] Un portefeuille représentant l'indice constitué à ce moment-là et conservé depuis aurait aujourd'hui perdu 28 % de sa valeur initiale ; en incorporant les dividendes reçus, son rapport sur dix [ans] aurait été inférieur à 1 % par an ! En valeur réelle, compte tenu de l'inflation, il aurait perdu de l'argent. »

À certains égards, il apparaît donc injuste de jeter l'anathème sur les détenteurs des capitaux. Mais cela s'avère surtout stérile, et même contre-productif. Hélas, les politiciens ne s'en privent pas. Tels Nicolas Sarkozy, nous l'avons vu, mais aussi Marine Le Pen, avec, dans son cas, la bénédiction de certains royalistes. Incarné par une femme, l'homme providentiel leur apparaît soudain plus fréquentable... Mes camarades me pardonneront de les caricaturer – ils savent que je le fais en toute amitié. Cela dit, on s'étonne de les voir ainsi conquis par le virage jacobin du Front national. Sans doute cela s'inscrit-il dans la logique souverainiste : en s'accommodant de la « souverainété nationale » récusée par Maurras, on assimilait déjà, plus ou moins, l'État à la nation ; dorénavant, c'est également la nation qu'on assimile à l'État.

Dans le dernier numéro de L'Action Française 2000, Paul-Marie Coûteaux pointe l'influence des syndicats d'enseignants pour illustrer la perte de souveraineté de l'État. Ce faisant, il exclut implicitement de limiter celle-ci à quelques fonctions régaliennes, et se méprend sur les causes de l'impuissance publique. De toute façon, on n'œuvrera pas au retour du roi en entretenant la conception d'un État tentaculaire dont les monarchistes dénonçaient jadis les germes totalitaires.

Selon Maurras, « un État normal laisse agir, sous son sceptre et sous son épée [certes], la multitude des petites organisations spontanées, collectivités autonomes, qui étaient avant lui et qui ont chance de lui survivre, véritable substance immortelle de la nation ». En cela, je suis désolé de le dire, le maître de l'AF ne me semble pas opposé à certains libéraux. Je pense à Alain Madelin, auteur, par exemple, d'un plaidoyer pour la subsidiarité publié sur son blog lundi dernier. « Dans la grande société ouverte qui se dessine aujourd'hui », écrit-il, « les relations verticales d'hier sont largement remplacées par des liens horizontaux dans un grand chamboule-tout de la pyramide des pouvoirs ». La suite est plus intéressante : « On a longtemps cru que plus les choses devenaient complexes, plus elles devaient être dirigées d'en-haut. On sait maintenant qu'au contraire, il faut laisser la plus large autonomie aux éléments qui composent un système complexe pour permettre leur coordination. » Cela rend d'autant plus actuelle la conception "royaliste" de l'État... et d'autant plus regrettable son abandon pas ses promoteurs traditionnels.

Participant des déboires de l'État-providence, la crise de la dette souveraine fournirait un prétexte idéal à la dénonciation de l'incurie républicaine. L'Alliance royale le martèle à chacune de ses campagnes : « Un président est un chef de parti, qui pense à la prochaine élection  ; un roi est un chef d'État, qui pense à la prochaine génération. »  Dans ce contexte, cependant, la vulgate tend à dédouaner les politiques de leurs responsabilités, puisque ceux-ci sont soumis, paraît-il, à la toute-puissance des marchés.

Tandis que monte la grogne populaire, « il appartient à l'Action française non seulement d'accompagner ce mouvement mais aussi et surtout de l'éclairer » C'est, en tout cas, ce que clamait François Marcilhac le 8 mai dernier, dans son discours prononcé à l'occasion de la fête de Jeanne d'Arc. Nous sommes d'accord ! Reste qu'à cet effet, les royalistes devraient plutôt se méfier des sirènes populistes. Appeler au primat du politique sur l'économique, c'est exprimer des valeurs, mais non donner un cap à l'action publique – sauf à revendiquer également le primat de l'État sur les entreprises en lançant un vaste programme de nationalisations.

En son temps, le maître de l'Action française pouvait établir le constat selon lequel « l'économie industrielle ne joue point dans le vaste cadre de la planète ». Manifestement, les circonstances ont changé, et cela s'avère pour le moins déstabilisant. Peut-être cette évolution explique-t-elle la tentation d'enfoncer des portes ouvertes par d'autres, ou celle de se réfugier dans un dédain romantique de l'économie... Il nous appartient pourtant d'en tirer les conséquences. Le défi qui nous est lancé s'annonce passionnant à relever ! Mais peut-être préférera-t-on rester en marge de l'histoire ?

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Intoxication écologiste

22 mai 2011

Les hippies ont-ils colonisé l'AF ? On se le demande à la lecture d'un billet inscrivant quelque mouvance écologiste dans la continuité de l'école maurrassienne.

Voyez plutôt : chercher « à établir des lois pour l'organisation des sociétés humaines en s'inspirant et en s'instruisant de l'observation scrupuleuse des lois de la biosphère » ne serait pas « sans rappeler à quelques égards » l'"emprisime organisateur" cher à Maurras. Lequel résumait sa méthode à « l'examen des faits sociaux naturels et l'analyse de l'histoire politique ». Que l'on place l'homme ou la terre cœur de ses préoccupations, c'est du pareil au même, cela va sans dire !

Mais il y a plus osé encore : « mettre fin à la colonisation multiforme [...] du monde par la civilisation industrielle » relèverait d'un « appel à la "politique naturelle" ». Le pauvre Maurras doit se retourner dans sa tombe ! À ses yeux, n'en déplaise à ses curieux héritiers, il n'était « rien de plus magnifique » que « l'occupation des espaces par la société humaine et leur réduction à ses lois ». Rien d'étonnant à cela, puisque sa démarche consistait, nous semble-t-il, à prendre acte de la nature humaine, pour en assumer délibérément les conséquences, à l'opposé d'un individualisme volontariste. Une nature dont participe au premier chef un caractère industrieux – ce serait même « la définition première de l'homme » selon le Martégal.

On concédera aux écolos que « tous ces changements que nous opérons dans l'économie de notre planète n'ont mené à rien jusqu'ici et [que] rien ne permet d'admettre qu'ils conduisent jamais à rien ». Mais « nous y travaillons parce qu'il est dans notre ordre d'y travailler » – un point c'est tout.

C'est donc tout le contraire d'une "politique naturelle" qui nous est proposé ici. Il n'est d'ailleurs pas exclu que l'AF renie ses propres principes en récusant plus ou moins l'économie, l'industrie et la technique... « La vérité politique et sociale qui nous conduit n'a pas la forme du regret », disait encore Maurras. « Elle est plutôt désir, curiosité, solide espérance apportant les moyens de réaliser l'avenir avec une imperturbable sécurité. »

Cela étant, à l'époque où il écrivait, le maître de l'Action française pouvait encore établir le constat selon lequel « l'économie industrielle ne joue point dans le vaste cadre de la planète ». Preuve que le monde a changé et qu'on ne saurait se contenter de boire ses paroles.

Gaz de schiste : prudence contre précaution

19 mai 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Sensibles à l'inquiétude populaire, respectueux du "principe de précaution", les députés ont voté l'interdiction d'une technique permettant l'exploitation des gaz de schiste, une ressource énergétique pleine de promesses.

L'exploitation mais aussi l'exploration des mines d'hydrocarbures non conventionnels seront bannies du territoire national, du moins si elles se font par "fracturation hydraulique". Ainsi en a décidé, mercredi 11 mai, l'Assemblée nationale. Cela en vertu du "principe de précaution" inscrit dans la Constitution depuis 2005. Revenant sur ses propres décisions, le gouvernement avait déclaré l'urgence sur une proposition de loi déposée à cet effet par Christian Jacob, le chef de file des députés UMP.

Moratoire américain

Dans le collimateur des parlementaires figuraient, plus particulièrement, les gaz de schiste. Connus depuis longtemps, ceux-ci ont commencé à être exploités aux États-Unis, à la faveur des innovations technologiques stimulées par la hausse des prix de l'énergie. Afin de libérer le fluide prisonnier, un mélange d'eau, de sable et de substances chimiques est injecté dans la roche à très haute pression. Avec le risque de contaminer les nappes phréatiques traversées par les forages ? C'est, en tout cas, la crainte affichée par nos députés, mais aussi par l'État de New York, où un moratoire sur l'exploitation a été décrété, dans l'attente des conclusions de l'Environmental Protection Agency annoncées pour 2012. Son travail s'avère délicat, en raison du secret industriel qui lui est opposé. « L'EPA a dû par exemple assigner Halliburton devant la justice pour obtenir la liste des produits chimiques utilisés dans le procédé », rapporte Étienne Beeker, dans une note du Centre d'analyse stratégique. Une enquête similaire avait été entreprise en 2004. Elle avait conclu, précise-t-il, « à l'innocuité des processus d'extraction pour les eaux potables, ce qui amène de nombreux experts à être confiants dans les résultats de l'étude en cours ».

En avril dernier, Gérard Mestrallet avait déploré que la France décide « de tourner la page des gaz de schiste avant même de l'avoir ouverte » (Les Échos, 14/04/2011). De la part du P-DG de GDF-Suez, ce discours apparaît éminemment convenu. Cela dit, l'intérêt des industriels doit être relativisé : pour Total, l'impact de la loi serait « négligeable ». C'est, en tout cas, ce que soutient son président, Christophe de Margerie. Le groupe, déjà engagé au Danemark, vient d'ailleurs de s'allier à Exxon Mobil pour exploiter des gaz de schiste en Pologne.

De fait, les enjeux sont loin de se résumer aux convoitises des multinationales. Tandis que le "pouvoir d'achat" semble en passe de s'imposer comme un thème phare de la campagne présidentielle, « l'impact de ces nouvelles ressources sur les prix du gaz est déjà sensible », souligne Étienne Beeker – quoique cette baisse soit « difficilement perceptible par le consommateur français, pour lequel le prix du gaz, indexé dans des contrats de long terme à plus de 80 % sur le prix du pétrole, continue d'augmenter ». Faute d'avoir mené les travaux d'exploration nécessaires, on ignore l'ampleur des ressources du sous-sol français. Celles-ci pourraient être considérables : selon certaines estimations, elles représenteraient quatre-vingt-dix ans de la consommation actuelle de gaz (Les Échos, 21/04/2011). C'est dire l'intérêt qu'elles présentent au regard de l'"indépendance énergétique de la France".

Révolution mondiale

Rien d'étonnant, donc, à ce que le Centre d'analyse stratégique annonce « une révolution gazière qui pourrait bien bouleverser le paysage énergétique mondial ». Entre 2000 et 2008, la part du gaz dans le mix électrique américain serait passée de 18 à 24 %. « Importateurs nets de gaz il y a peu, les États-Unis sont aujourd'hui autosuffisants et ils sont également redevenus le premier producteur de gaz, devant la Russie. De plus, l'attitude de la Chine aura des conséquences considérables pour l'Europe, surtout si ce pays, comme il le souhaite, parvient à exploiter ses réserves très prometteuses de GNC [gaz non conventionnels]. La Russie, pour qui la Chine peut devenir un importateur alternatif important, perdrait une partie de ses débouchés potentiels. Une partie du GNL [gaz naturel liquéfié] en provenance du Moyen-Orient et à destination de l'Asie de l'Est pourrait également être réorientée vers notre continent, qui en profiterait. Les gaz non conventionnels fragiliseraient donc la position de la Russie, notamment dans ses échanges gaziers avec l'Europe. »

Dans ces conditions, si le "principe de précaution" impose de prendre en compte les risques pesant sur l'environnement, la prudence politique requiert, selon nous, leur mise en perspective. D'autant que les inquiétudes sont vraisemblablement décuplées par l'alarmisme écologiste, le sensationnalisme médiatique et le clientélisme électoral. La préoccupation des élus, soucieux d'épargner à leur circonscription la laideur des installations industrielles, apparaît à bien des égards légitimes. « Aujourd'hui, le bonheur public, du moins tel que se l'imagine la puissance du même nom, ne doit pas se faire au prix du malheur individuel », remarque notre confrère Philippe Escande. « Le problème », poursuit-il dans Les Échos (10/05/2011), « c'est que, à ce train-là, la vie promet de devenir de plus en plus difficile. Pour se cantonner au seul cas de l'énergie, aucune technique de production d'électricité, qu'il s'agisse d'hydraulique, de biomasse, d'éolien et à plus forte raison de charbon ou de nucléaire, n'est exempte de risque et toute nouvelle installation en France dans ces énergies pourrait soulever la même colère. » Pour tempérer la grogne des élus, d'aucuns proposent de revoir la fiscalité locale... L'arbitrage politique n'en demeurera pas moins un art difficile.

Après L'Express, France Culture

29 avril 2011

Brève incursion sur la bande FM 😉

À l'occasion du mariage de Kate et William, France Culture a donné la parole aux républicains britanniques, mais aussi aux monarchistes français.

Notre consœur Laurie Fachaux, dont la voix vous sera peut-être familière, est venue visiter les bureaux de L'Action Française 2000, où nous lui avons accordé un bref entretien.

Ce faisant, nous n'avons pas manqué de faire la publicité de notre employeur, sachant bien que notre racolage serait coupé au montage. Or, très courtoisement, notre interlocutrice a finalement choisi d'annoncer notre prochain numéro en conclusion de son reportage. Qu'elle en soit remerciée.

« La guerre des monarchistes français »

24 avril 2011

À l'approche du mariage du prince William, L'Express consacre deux pages aux royalistes.

Votre serviteur arbore-t-il un « sourire poupin » ?. C'est, en tout cas, l'avis de ma consœur Julie Joly, qui l'écrit dans L'Express du 20 avril 2011. Nan mais... Au moins notre racaille préférée nous saura-t-elle gré de l'avoir fait passer pour « une fille rangée » – portrait ô combien immérité, n'est-ce pas ? 😉

Cet article est loin d'avoir enthousiasmé notre collègue François Marcilhac, qui s'en désole sur le blog du Centre royaliste d'Action française. De fait, ce coup de projecteur sur les querelles dynastiques n'est pas à l'honneur des royalistes. Cela étant, bien qu'elle rebondisse sur quelques clichés, notre consœur les tempère, soulignant tout particulièrement la diversité d'une mouvance où l'on croise certes « descendants de la grande noblesse », mais aussi « maurrassiens de la dernière heure, jeunes Chouans idéalistes, vieux réacs ou intellos pur jus ». Car, explique-t-elle, « on l'aura compris, les monarchistes ne défendent pas un programme, mais une famille ».

Mégalomanie mise à part, cela nous donne à réfléchir sur notre métier – que nous apprenons sur le tas –, tandis que nous ne nous reconnaissons que partiellement dans les propos qui nous sont prêtés. Par exemple, si la prose de Maurras a exercé sur nous quelque influence, nous ne croyons pas avoir subi un « choc » à sa lecture. Conséquence de notre expression maladroite ? D'une interprétation excessive ? D'une dramatisation inhérente à la démarche journalistique ? Sans doute aurons-nous l'occasion de le vérifier à l'épreuve de notre propre expérience.

Décalage horaire

21 avril 2011

Du poids de la dette et du rapport aux marchés... Rebond sur le dernier éditorial de L'Action Française 2000.

« L'heure est au nationalisme », annonce François Marcilhac à la une de L'Action Française 2000 (n° 2815 du 21 avril 2011). Cela « plus que jamais », au moment où le gouvernement, « sous prétexte d'équilibre des finances publiques », tenterait de placer la France sous le tutelle des agences de notation – allusion au projet de loi constitutionnelle examiné ces jours-ci par l'Assemblée nationale.

C'est exagérer, nous semble-t-il, la portée de la réforme envisagée. Cela étant, quelle qu'en soit la nature, c'est manifestement son motif qui indispose notre éditorialiste : loin de prôner une rigueur exemplaire, le gouvernement prétend néanmoins assainir les finances publiques ; c'est là que le bât blesse.

À l'opposé des « mondialistes », François Marcilhac se range parmi « les partisans de l'indépendance des nations face aux marchés ». Discours éminemment convenu, dont les auteurs croient généralement se parer de vertus morales quand ils se fourvoient dans un snobisme dérisoire. Méprisant la finance, ils disent vouloir en émanciper l'État. Ce serait, sans nul doute, le priver d'un irremplaçable levier d'investissement. On reconnaît ici un travers typique du souverainisme, négligeant la puissance au nom d'une indépendance fantasmée.

Hélas, faute de solliciter les marchés à bon escient, la République a contracté une dette dont l'ampleur est devenue telle – 85 % de la richesse nationale produite en un an – que les responsables politiques se trouvent désormais au pied du mur. Alors qu'elle jouit d'un statut privilégié sur les marchés obligataires, la France pourrait perdre la confiance de ses créanciers, au risque d'alourdir le poids de sa dette, dont la charge – c'est-à-dire le remboursement des seuls intérêts – représente d'ores et déjà le deuxième poste budgétaire de l'État. Faudrait-il précipiter la nation vers la banqueroute en vertu de quelque principe fumeux ?

Le gouvernement se livre, incontestablement, à une opération de communication financière. Mais on aurait tort de traiter son action avec dédain car, en pratique, elle contribuera peut-être à rendre quelque souffle à un État menacé d'étranglement budgétaire. C'est abuser le gogo que de blanchir les politiques en faisant porter le chapeau à Moodys and co. Le système de notation financière présente certes des faiblesses, dont la recension semble d'ailleurs faire l'objet d'un large consensus. Les agences n'en remplissent pas moins une fonction indispensable : en leur absence, faute de pouvoir s'appuyer sur une évaluation des risques, les créanciers imposeraient vraisemblablement des taux supérieurs aux États emprunteurs.

Dans l'immédiat, pour le meilleur ou pour le pire, il n'est pas possible de faire tourner la planche à billets. Et si d'aventure le franc était rétabli, la dette contractée jusqu'alors s'en trouverait renchérie. Va-t-on la dénoncer ? Libéré du joug communiste, d'aucuns s'y seraient essayés avec succès. Le jeu s'avère toutefois dangereux. Mieux vaudrait identifier l'ensemble des dominos avant de s'amuser à pousser le premier – vaste programme ! Quoi qu'en disent les démagogues, dont la propagande personnifie dans quelques figures cupides les multiples ramifications du système financier, c'est tout un chacun qui finirait par payer les frais de sa faillite. Peut-être la complexité des interdépendances est-elle préjudiciable au bien commun. Mais le cas échéant, plutôt que de mettre le feu à la toile, il appartiendrait au politique de la détricoter méticuleusement. Patiemment et sans fracas. Ne s'agirait-il pas d'un travail capétien ?

Laïcité : Roland Ries dément les accusations de l'Agrif

20 avril 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Des propos prêtés au maire de Strasbourg ont déclenché un tollé sur la frange la plus "réactionnaire" de la Toile.

L'Agrif part en croisade contre l'"allahicité" – un concept en vogue dans la blogosphère catholique, censé désigner la « synthèse dialectique de l'islam et de la laïcité ». L'association présidée par Bernard Antony vient de créer un prix qui en récompensera chaque année « un grand penseur ou poète ». Pour 2011, ses foudres se sont abattues sur Roland Ries, sénateur PS du Bas-Rhin et maire de Strasbourg.

Selon un communiqué de l'Agrif, « à des parents d'élèves qui lui demandaient pourquoi on servait à leurs enfants des menus halal dans les cantines scolaires de Strasbourg et pas de repas maigre par exemple avec du poisson le vendredi », M. Ries aurait répondu : « Nous servons de la viande halal par respect pour la diversité, mais pas de poisson par respect pour la laïcité. »

Moult blogueurs se sont emparés de cette annonce. Néanmoins, si l'on excepte un article publié par Causeur (le site d'Élisabeth Lévy), seule la frange réactionnaire de la Toile semble l'avoir diffusée. Cela pourrait expliquer le silence du maire de Strasbourg, qui se refuse, pour l'heure, à réagir par communiqué. Il n'en dément pas moins les accusations de l'Agrif : ces propos sont « totalement contraire à ses convictions », nous a confié l'un de ses collaborateurs.

Quant aux repas servis dans les cantines de Strasbourg, ils garantiraient effectivement aux élèves musulmans la possibilité de manger halal tous les jours – et cela depuis plus de dix ans. En revanche, du poisson ne figure pas toujours au menu le vendredi. Mais un repas végétarien est proposé quotidiennement. « Les catholiques y trouvent leur compte », nous a-t-on assuré. Sans doute l'Agrif ne sera-t-elle pas de cet avis !

NB - La réacosphère a beau se targuer de verser dans la "réinformation", elle a fait écho au communiqué de l'Agrif sans témoigner d'un esprit critique manifeste. Au point que nous sommes peut-être les premiers à signaler la réaction du maire de Strasbourg – qu'il a certes fallu solliciter. Si les accusateurs n'ont pas d'autre preuve à agiter que la bonne foi supposée d'une mère de famille, alors l'attribution de leur "prix" relève d'une mascarade dérisoire, dont la publicité donne à réfléchir sur l'influence de la Toile.

Remontrances européennes

20 avril 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Défaut potentiel de transposition, atteinte au principe de libre circulation : la routine !

La France protègerait-elle insuffisamment ses mers ? C'est, en tout cas, l'accusation formulée le 6 avril par la Commission européenne. Bruxelles lui a adressé un avis motivé, constatant qu'elle ne lui avait pas communiqué ses dispositions concernant la transposition d'une directive-cadre portant sur la « stratégie pour le milieu marin ».

La veille, Paris avait été désavoué par la Cour de Justice de l'Union européenne. En cause : le code français de déontologie des professionnels de l'expertise comptable, qui proscrit le démarchage. Cela en violation de la directive "services". « Cette interdiction est susceptible d'affecter davantage les professionnels provenant des autres États membres en les privant d'un moyen efficace de pénétration du marché français », observe la Cour, qui pointe, en conséquence, « une restriction à la libre prestation de services transfrontaliers ».

Victime d'une logique similaire, Bucarest est prié de réviser sa fiscalité. A été jugée contraire au droit de l'Union une taxe frappant les véhicules lors de leur première immatriculation en Roumanie. « Cette réglementation a pour effet de dissuader l'importation et la mise en circulation de véhicules d'occasion achetés dans d'autres États membres », souligne la Cour. Énième illustration de la mise en œuvre, par les juges de Luxembourg, du principe de libre circulation.

Face à la mondialisation, mobiliser les ambitions

20 avril 2011

Troisième chronique enregistrée pour RFR. SI nous versons délibérément dans la polémique, c'est en toute amitié pour nos camarades, dont la variété des opinions nous chagrine d'autant moins que les options électorales ont toujours été les plus diverses à l'AF.

L'UMPS n'en a plus pour longtemps ! En effet « l'union des patriotes » est en marche. Emporté par la "vague bleu Marine", Paul-Marie Coûteaux s'attèle à sa réalisation afin de constituer « un gouvernement de salut public incluant toutes les forces qui refusent le fatalisme mondialiste ».

C'est, à n'en pas douter, un renfort de poids pour Marine Le Pen. La notoriété du Front national est certes sans commune mesure avec celle du Rassemblement pour l'indépendance de la France. Sauf, peut-être, aux yeux de quelques royalistes (dont nous avons été) qui se sont flattés d'entre-apercevoir grâce à lui les arcanes du pouvoir. Le RIF s'est d'ailleurs enthousiasmé de voir l'AFP faire écho à son appel – preuve que cela n'était pas gagné d'avance. Reconnaissons toutefois qu'en pareille circonstance, nous n'aurions pas boudé notre plaisir.

Sont donc appelés à se rassembler les « patriotes », c'est-à-dire, dans le cas présent,  visiblement, les souverainistes, pourfendeurs de l'Union européenne et des multiples avatars du multilatéralisme (Otan, OMC, etc.). Le terme "patriote" apparaît employé dans une acception pour le moins restrictive, ou plutôt exclusive : quid, par exemple, de nos camarades de l'Alliance royale ? Tout patriotisme leur serait-il étranger ? L'attachement à son pays ne se mesure pas à l'aune des convictions politiques.

La mobilisation des "volontaires patriotes" ne va pas sans quelque connotation révolutionnaire. De fait, le souverainisme cultive une certaine nostalgie du jacobinisme... Cela étant, ayant été formé à l'école d'Action française, nous ne récusons pas le principe du "compromis nationaliste". Reste son objet.

Or, fédérer quelques grincheux contre une Europe méconnue ne suffit pas à tracer un cap. Considérons l'expérience britannique : les Tories ont beau vociférer contre l'Union européenne, ils n'ont pas songé un instant à en claquer la porte depuis leur retour au pouvoir. C'est tout naturel : l'exercice des responsabilités se heurte à des réalités volontiers négligées par l'opposition. A fortiori quand celle-ci est privée de toute culture de gouvernement, à l'image du Front national.

N'en déplaise aux esprits romantiques, l'action politique est loin de se réduire à quelques coups d'éclats annoncés avec fracas. Elle s'inscrit dans un système – par analogie à la mécanique newtonienne. Un système où de multiples forces interviennent. Inertie oblige, on n'en modifie pas l'équilibre d'un claquement de doigts.

Parmi les forces en jeu, il y a les représentations de l'opinion, avec lesquelles interagissent les discours politiques. En la matière, les ressorts exploités par le Front national et ses alliés potentiels sont-ils fondamentalement différents de ceux privilégies par l'UMP ou le Parti socialiste ? À bien y réfléchir, cela n'est pas évident.

Prenons quelques exemples : attribuer directement à l'immigration la responsabilité du chômage, c'est promouvoir la conception malthusienne de l'emploi à l'œuvre dans la réforme des 35 heures ; promettre aux contribuables de nationalité française qu'ils seront les bénéficiaires exclusifs des aides sociales, c'est souscrire aux sollicitations permanentes de l'État-providence ; fustiger le droit d'ingérence, qui sert de prétexte aux opérations militaires, c'est encourager la France à sortir de l'histoire ; enfin, dénoncer la loi du marché, par nature immuable, c'est entretenir les illusions volontaristes  condamnant le politique à sa déchéance.

À ce titre, appeler à lutter contre la mondialisation, voire le mondialisme, nous apparaît significatif. Passer d'un terme à l'autre, c'est laisser entendre qu'un architecte est à l'œuvre dans la construction du "village global". C'est faire beaucoup d'honneur à Jacques Attali ! C'est aussi légitimer la frilosité de la nation confrontée à la nouvelle donne internationale.

Si le PS et l'UMP s'accordent sur un relatif attentisme, alors leurs détracteurs se livrent, somme toute, à des menées défaitistes. Ils pourraient louer le génie de la France, parier sur l'inventivité de son peuple, galvaniser les énergies pour affronter la concurrence des pays émergents. Mais que nous proposent-ils, sinon de bâtir un bunker dont les fondations reposeraient vraisemblablement sur du sable ?

À cette « union des patriotes », la raison comme les sentiments nous font préférer la mobilisation des ambitions – fussent-elles mercantiles ! – afin qu'aux quatre coins du monde soient portées les couleurs de la France.

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Critique du néo-gaullisme

29 mars 2011

La mise en œuvre de la résolution 1973 du CSNUE a donné lieu à quelques tergiversations sur le rôle de l'Otan. C'est l'objet de notre seconde chronique diffusée par Radio Fréquence royaliste.

Le 17 mars, à la demande de la France, du Royaume-Uni, des États-Unis et du Liban, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 1973 – une résolution censée légitimer l'usage de la force pour protéger les populations civiles de Libye.

Aussitôt, une controverse est apparue quant à la contribution de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord. En dépit de l'activisme déployé par son secrétaire général, le Danois Anders Fogh Rasmussen, l'Otan est demeurée sur la touche tandis qu'une coalition internationale entamait ses opérations dans le ciel libyen. Cela n'était pas pour déplaire au locataire du Quai d'Orsay : « Les pays arabes ne veulent pas d'une opération sous le drapeau Otan », a martelé Alain Juppé. Il est vrai que l'étoile polaire « a mauvaise presse en Afrique et au Proche-Orient », comme l'a souligné, par exemple, Olivier Kempf, sur son blog consacré aux Études géopolitiques européennes et atlantiques (EGEA).

Cela étant, la bannière américaine bénéficie-t-elle d'une meilleure image ? Bien sûr que non. Or, faute de mobiliser d'emblée les moyens alliés, il a bien fallu confier la coordination des opérations à l'oncle Sam. Lequel n'a pas caché son impatience de céder les rênes. Jean-Dominique Merchet, qui n'a rien d'un atlantiste patenté, s'est interrogé sur son blog Secret Défense : « Quelles structures militaires sont capables de commander une opération multinationale dans la durée ? Soit les Américains, soit l'Otan d'une manière ou d'une autre », a-t-il répondu. « La France n'avait pas les outils de coordination éprouvés et tout le monde avait peur d'un accident », a renchéri Kardaillac. « On a concédé à Zébulon Ier (autrement dit, Nicolas Sarkozy) un "conseil politique" des pays combattants où chacun enverra un sous-fifre pour nous faire plaisir en écoutant l'oracle », a-t-il écrit sur le forum Vive le Roy. Allusion au "compromis" en application duquel une coalition d'États participe désormais au pilotage politique des opérations en partenariat avec l'Alliance atlantique.

Une telle issue apparaissait assez prévisible. C'est pourquoi les réticences exprimées par Alain Juppé semblent s'inscrire dans une certaine tradition gaullienne, en vertu de laquelle la France se devrait de jouer les empêcheur de tourner en rond, mais sans jamais envisager sérieusement la rupture du lien transatlantique. C'est un retour au néo-gaullisme que le président de la République avait mis en sourdine quelques années durant.

À vrai dire, l'ancien Premier ministre avait annoncé la couleur dès son retour au gouvernement. Alors qu'il occupait l'Hôtel de Brienne, Alain Juppé avait proclamé « notre ambition d'édifier une Europe politique ». Ce serait, selon lui, « un objectif réaliste », en dépit du constat, qu'il établit lui-même, selon lequel « l'idée de l'Europe comme pôle d'influence, sans même parler d'une Europe puissance, n'est pas partagée par tous ». « C'est essentiellement une idée française », a-t-il reconnu, « et qui ne fait d'ailleurs même pas l'unanimité chez nous ».

C'est un énième écho au plan Fouchet... Il s'agit, plus ou moins, d'appliquer à l'Europe la quête d'une pseudo-grandeur chère au général de Gaulle. Un vieux fantasme hexagonal dont on mesure l'inanité à l'heure où Paris et Berlin s'opposent sur la question libyenne. « On va avoir du travail pour préserver l'unité de l'UE », a remarqué un diplomate cité par Les Échos. Et alors ? De toute façon, l'Europe ne parviendrait à parler d'une seule voix qu'en sortant délibérément de l'histoire.

Si nous avons choisi d'évoquer ici cette posture néo-gaullienne, c'est parce qu'elle n'est pas sans exercer une certaine attraction sur les royalistes. En témoigne l'enthousiasme que suscita Dominique de Villepin bravant l'impérialisme américain à la tribune des Nations Unies, tandis que se dessinait une nouvelle invasion de l'Irak. L'arrogance du discours a flatté les sentiments, excité notre fibre chauvine, mais n'était-ce pas le masque de notre impuissance ? Dans l'espoir d'influencer les Américains, la nomination d'un Français a la tête du commandement allié pour la Transformation (en l'occurrence, le général Abrial) nous semble a priori plus efficace que ces vaines gesticulations.

On entretient par l'esbroufe l'illusion d'une puissance perdue, ou l'on espère son retour à la faveur d'une étincelle de volonté qui, une fois jaillie à la tête de l'État, suffirait à embraser la planète entière. La méfiance exprimée régulièrement à l'égard d'une Otan caricaturée ne s'explique pas autrement. À l'entretien du lien transatlantique, on oppose traditionnellement, et bien naïvement, l'approfondissement potentiel des relations avec Moscou. Ce faisant, on feint d'ignorer, par exemple, l'accueil favorable que la presse russe réserva au retour de la France dans les structures alliées intégrées.

Le réel s'avère complexe, mais les royalistes doivent trouver le courage de l'affronter s'ils veulent mener à bien l'un des premiers combats qui se présentent à eux, à savoir, celui de la crédibilité.

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