4 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
Journaliste, historien, Jacques Bainville (1879-1936) est toujours resté
très lié à l'Action française, tout en rayonnant au-delà. Nous remercions
son biographe, Christophe Dickès, de nous avoir éclairé sur ce point. La
place ayant manqué dans les colonnes du journal, nous publions ci-dessous
l'intégralité des réponses qu'il nous a apportées
Présenter Jacques Bainville « comme un historien d'Action
française
» reviendrait-il à entretenir « une fausse
vérité
», comme cela a été dit dernièrement au micro de Radio
Courtoisie ?
Il me semble difficile de séparer Jacques Bainville de l'école d'Action
française. Dès les premières années de l'AF, Bainville tient à populariser
l'idée de monarchie. Ceci est très net dans sa réponse à l'Enquête
sur la Monarchie de Maurras : il explique qu'il est
nécessaire d'adopter un comportement pédagogique à l'égard de la
population afin de faire comprendre les bienfaits des idées monarchiques.
Plusieurs années après, en 1924, il publie son Histoire de France
qui a précisément cette vocation : réhabiliter l'histoire et le
travail des rois de France alors qu'ils étaient dénigrés par l'histoire
républicaine et progressiste. Bainville est un vulgarisateur, dans le bon
sens du terme. On le sait, il fait partie des historiens dits engagés. Il
est considéré comme tel dans les études historiographiques. Or cet
engagement en faveur des idées monarchiques défendues par l'AF ne souffre
aucune contestation. Il faut aussi lire son carnet intime de 1929 que j'ai
publié aux éditions Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il parle
de l'AF de la façon suivante en 1929 : « La faiblesse de l'AF
n'est pas, comme le croyait Barrès, de ne s'adresser qu'à la raison et
de ne pas tenir compte des puissances des sentiments. C'est de ne
s'adresser qu'aux sentiments nobles, désintéressés, à l'amour du bien
public, à la vertu.
» Mais au-delà de ces sentiments, Bainville
a complètement intégré dans son analyse politique le modèle maurrassien de
l'empirisme organisateur.
Jacques Bainville accordait-il une importance particulière à son
travail pour L'Action Française, ou bien collaborait-il
avec elle au même titre qu'avec d'autres journaux ?
Selon les archives des Renseignements généraux, la fameuse sous-série F7,
Bainville fait partie des structures de l'AF dans les années
d'avant-guerre. Avec le temps, son engagement militant sera moindre. Mais
Jacques Bainville a été toute sa vie rédacteur de L'Action
Française. Il avait à l'AF son bureau et ses amitiés, qu'il n'a
jamais trahies. Il disait de Maurras qu'il lui devait tout, sauf la vie.
L'idée que Bainville aurait pris ses distances avec l'AF vient du fait
qu'après-guerre, ses succès d'écrivain lui ont permis de s'émanciper et de
s'engager pour plusieurs journaux en dehors du cercle monarchiste : La
Liberté, Le Petit Parisien, etc.
Mais cette émancipation et cet engagement professionnel ne doivent pas
occulter la persistance de son antiparlementarisme et de son
antilibéralisme. Ceux qui veulent sortir Bainville de l'AF raisonnent par
anachronisme en estimant que le modèle de la Ve République
aurait convenu à Bainville. En effet, l'intégration de la politique
étrangère comme un domaine réservé du président de la République, sous la
Ve République, aurait pu remporter son adhésion. D'ailleurs, du
point de vue des idées, il me semble évident que ce domaine régalien a été
intégré à la constitution de la Ve République sous l'effet de
la pensée politique de Charles Maurras. Le colloque organisé par le
professeur Georges-Henri Soutou et Martin Motte sur l'influence de Maurras
sur la politique étrangère de la France l'a très bien montré
(Georges-Henri Soutou et Martin Motte, Entre la vieille France et
la seule France, Economica-ISC, collection Bibliothèque
stratégique, 2010). Il ne faut donc pas faire de contresens : c'est bien
Maurras et Bainville qui ont inspiré la politique étrangère de le la
France et le fameux domaine réservé. Non l'inverse.
Sa distance vis-à-vis des antidreyfusards et sa défiance à
l'égard de l'antisémitisme ne plaçaient-elles pas Jacques Bainville en
marge des nationalistes qu'il côtoyait ?
Votre question montre toute la complexité de l'époque de l'affaire
Dreyfus mais aussi de l'Action française en général. Lionel Jospin s'était
pris une volée de bois vert de la part des historiens en plaçant la gauche
du côté des dreyfusards, la droite du côté des antidreyfusards... La
grille de lecture est bien plus nuancée. Bainville est dreyfusard sur le
plan judiciaire, antidreyfusard sur le plan politique car il est estime
que les conséquences de l'affaire seront catastrophiques pour la France.
Quand l'affaire atteint son paroxysme, il observe tout cela d'Allemagne.
Et il s'inquiète de la division française face à l'empire wilhelmien en
devenir... Cette idée va jouer sur son engagement monarchiste. Ceci dit,
il faut rappeler qu'il n'avait aucun engagement politique ni littéraire à
cette époque. Rappelons aussi que quand Dreyfus est condamné en 1894, il a
à peine quinze ans !
Jacques Bainville se définissait-il lui-même comme nationaliste ?
Oui, c'est évident. Toute son œuvre sur l'Allemagne et la France en est
la preuve évidente. Les intellectuels du IIIe Reich justifient
le nationalisme allemand contre la France en partant de l'œuvre de
Bainville. Pour eux, il s'agit de répondre à la conception westphalienne
de l'Allemagne prônée par Bainville dans la tradition politique de
Richelieu.
Alors qu'il était réputé pour sa modération, comment
s'entendait-il avec Léon Daudet, qui disait vomir les tièdes ?
C'était tout simplement son meilleur ami. Jacques Bainville est celui qui
va reconnaître le corps de Philippe Daudet à la morgue en 1923... C'est
vous dire les liens qui unissaient les deux familles. Une autre
anecdote : Hervé, le fils de Jacques, n'a entendu son père se mettre
en colère qu'à une seule reprise : alors que Léon Daudet était en
exil en Belgique, les Bainville déjeunaient chez eux ; or un
journaliste a eu le malheur de sonner à la porte et de les déranger ;
Bainville est entré dans une colère noire, chassant manu militari
l'impétrant. Bainville était un faux calme et il ne supportait pas une
telle intrusion dans l'intimité familiale et amicale. Dernière
anecdote : après son élection à l'Académie française, Bainville rend
hommage aux Daudet, Pampille (Marthe Daudet) et Léon : « Je
crois que si nous avons montré quelque chose, c'est que l'amitié n'est
pas une chimère.
[...] Il y a vingt-huit ans, depuis la
fondation du journal, que nous sommes assis, Léon Daudet et moi, à la
même table de travail.
[...] Je crois que si on voulait la
scier, elle résisterait comme du granit, bien qu'elle ne soit que de
bois blanc.
»
Soucieux de la place de la France au sein du concert des nations,
se distinguait-il en cela d'un Maurras prônant la politique de « la
seule France
» ?
C'est une excellente question à laquelle j'ai répondu à l'occasion du
colloque que j'évoquais précédemment. Sur les principes, Bainville était
maurassien. Plus maurassien d'ailleurs que Charles Maurras lui-même.
Encore une fois, l'empirisme organisateur constitue la base de l'analyse
politique bainvillienne empruntée à Maurras. C'est une des conclusions de
ma thèse de doctorat. Néanmoins, dans les faits politiques, Bainville fait
évoluer Maurras, notamment sur l'entente cordiale. Je me permets de
renvoyer vos lecteurs à ma contribution à ce colloque.
Constatant qu'à la différence de Maurras, Bainville ne s'était
pas enthousiasmé devant Athènes, vous avez parlé d'une « nuance
importante
» dans un précédent entretien ; que
vouliez-vous dire ?
Bainville voyage en Grèce comme tout intellectuel de la IIIe République se devait de le faire. Il tire de ce voyage le livre Les
Sept Portes de Thèbes. Mais le biographe de Bainville, Dominique
Decherf, montre bien que ce voyage ne lui a tout simplement pas plu. Il a
beaucoup de mal à s'extasier devant des ruines et des pierres qui, tout
simplement, ne l'inspirent gère... C'est ici que l'on voit que Bainville
est plus "romain" que "grec".
Les opinions libérales de Jacques Bainville étaient-elles
contestées au sein de l'AF ? Il n'y a « rien de plus
terrible que la liberté donnée à l'État d'imprimer du papier-monnaie
»,
écrivait-il, par exemple, dans L'Action Française du
2 novembre 1925 ; aujourd'hui, de tels propos ne feraient-ils
pas bondir les souverainistes ?
Bainville pensait au système de l'Écossais John Law sous la régence de
Philippe d'Orléans ou encore aux assignats de la Révolution
française : il critiquait l'artificialité du papier-monnaie. Je ne
sais pas s'il a rencontré des objections au sein de l'AF sur son
libéralisme économique. Cela devait être sûrement le cas. Néanmoins, sa
réputation en matière d'investissements n'était plus à faire. Il donnait
des conseils boursiers dans la Revue universelle et rendait accessibles
les difficultés de l'économie dans le journal populaire Le Petit
Parisien. Cela pouvait le distinguer au sein de l'Action
française, dont les composantes sont bien plus complexes que
l'historiographie le laisse souvent entendre.
Des essayistes présentant l'histoire comme le fruit d'une
volonté, d'une planification, voire d'une conspiration, sont parfois
considérés comme les héritiers de Jacques Bainville ; n'est-ce pas se
méprendre quant à la nature de sa pensée ?
À la différence de Maurras, Bainville n'a jamais parlé de la
franc-maçonnerie et encore moins de complot juif. Il ne se reconnaissait
pas dans la théorie maurrassienne des États confédérés. En revanche, il a
critiqué le projet idéologique wilsonien après la Grande Guerre, projet
d'inspiration protestante d'ailleurs rejeté par la représentation du
peuple américain... Bainville n'a jamais fait du conspirationisme un fonds
de commerce et je n'ai jamais trouvé trace chez lui de l'existence d'une
telle planification. D'un point de vue plus général, il estimait que la
nature était plastique. Que l'histoire était faite de renaissances et de
décadences, et que l'homme pouvait agir sur son milieu. D'où le fameux mot
de Maurras : « Tout désespoir en politique est une sottise
absolue.
» Bainville écrivait lui, toujours en 1929 : « Le
nationalisme interdit d'aller jusqu'au bout de la théorie de la
catastrophe.
» Néanmoins, il confesse par ailleurs son
pessimisme, voire une forme de nihilisme mais dont il n'a jamais fait
profession publiquement. Une attitude qui est la conséquence d'une
lucidité sur cette Europe qui, pour la deuxième fois en moins de
vingt-cinq ans, allait sombrer dans le chaos.
Quelle trace l'œuvre de Jacques Blainville a-t-elle laissé dans
l'histoire ?
Je dirai un quadruple héritage : une conception géopolitique de la
France et de son rôle dans le concert des nations ; l'image aussi
d'un Cassandre alors que le conflit franco-allemand avait atteint son
paroxysme dans l'histoire européenne ; un style absolument
remarquable mais aussi des articles aux accents profondément
contemporains : il faut, par exemple, relire L'Avenir de la
civilisation écrit au lendemain de la Grande Guerre. Ce texte
garde toute son actualité et n'a pas pris une ride.
À lire – La Monarchie des Lettres,
anthologie des grands textes de Jacques Bainville (Histoire de trois
générations, Histoire de deux peuples, Les
Conséquences politiques de la paix, des récits de voyages, un
choix de correspondances, mais aussi une centaine d'articles de presse
tirés de la Revue universelle, La Liberté, L'Action
Française, Candide, Le Capital),
introductions et notes de Christophe Dickès, éditions Robert Laffont,
collection Bouquins, 2011, 1 152 pages, 30,50 euros.
NB – Le 19 mars 2016, au micro de Radio
Courtoisie, Michel Rouche, professeur émérite à la Sorbonne, a
fait l'éloge de Jacques Bainville et de son Histoire de France.
Il participait au Libre Journal des lycéens animé par
Antoine Assaf. Cependant, il a évoqué ce « point fondamental
»
à ses yeux : « beaucoup de gens sont persuadés de cette
fausse vérité, à savoir qu'ils considèrent Jacques Bainville comme un
historien d'Action française
», a-t-il déclaré ; or, a-t-il
poursuivi, « lui-même a toujours protesté en disant qu'il n'était
pas membre de l'Action française
» ; et d'affirmer
que « les manifestations qui ont éclaté à la mort de Jacques
Bainville organisées par l'Action française étaient une tentative
d'annexion de la pensée de Jacques Bainville
» ! Il est
vrai que celui-ci a rayonné bien au-delà de l'AF, mais de là à
l'en détacher ainsi, il y un pas que nous nous serons bien évidemment les
derniers à franchir ! L'intervention d'Alain Lanavère s'est avérée
plus consensuelle : « Bainville avait l'immense mérite de
n'être pas universitaire
», a-t-il expliqué « donc
il n'écrit pas l'histoire avec le jargon des universitaires
» ;
« il était un homme tout à fait de son temps, et sa langue est
admirable de clarté
».
4 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
Le Front national deviendrait-il féministe ? En tout cas, s'il
demeure eurosceptique, c'est à sa façon, et non à celle des Britanniques.
L'histoire a-t-elle un « sens
» ? Assurément,
selon Marine Le Pen. À ses yeux, le succès que vient de rencontrer
l'homologue autrichien du Front national en témoigne : « une
très forte poussée
» des mouvements populistes serait à l'œuvre
« dans énormément de pays d'Europe
», s'est
elle félicitée sur France 2. « L'hostilité à
l'immigration explique en grande partie le score du candidat FPÖ à
l'élection présidentielle
», analyse
Daniel Vernet sur Telos. Mais qu'en est-il de la
France ? Celle-ci « est en train de prendre vraiment
conscience qu'elle est une nation multiculturelle
», soutient
Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des
droits de l'homme, dans
un entretien au Monde. « C'est une véritable
chance pour le pays
», affirme-t-elle. L'islam n'en inspire pas
moins la défiance populaire, à tel point que sa hantise contribue à
refaçonner le paysage politique.
Cet islam qui change tout
« En Europe occidentale
», en effet, « les
populismes d'extrême droite ont réussi à détourner le logiciel
idéologique de la gauche sur les questions sociétales
», comme
l'expliquait Jean-Yves Camus, dans L'Humanité, en
janvier 2012. Ainsi soulignait-il qu'aux Pays-Bas, « le génie de
Pim Fortuyn fut de construire une formation postmoderne qui
déconstruisait le multiculturalisme au nom des atteintes que l'islam
porterait
[...] aux libertés individuelles : liberté de
conscience, laïcité, égalité des sexes, droits des homosexuels, droit à
l'irréligion, enfin droit à la sécurité face au terrorisme et à la
violence dirigée contre certaines minorités, en particulier les juifs
».
Sans doute faut-il analyser à cette aune la passion de Florian Philippot
pour la culture des bonsaï. Tout comme ces propos prêtés à Louis Aliot,
rapportés par Marie-Pierre Bourgeois dans
un entretien à Têtu : « Les homos se sont
rendus compte qu'il y avait moins de péril à vivre avec Marine Le Pen
qu'avec les musulmans.
» Le 1er mai, à
l'occasion du "banquet populaire et patriote" organisé par son parti,
Sophie Montel, conseiller régional de Bourgogne-Franche-Comté, est
montée à la tribune : « c'est le Front national qui
défend la femme et ses droits en France
», a-t-elle martelé. Y
compris la contraception et l'avortement, a-t-elle précisé, après s'être
placée sous le patronage de Jeanne d'Arc – une femme « libre et
patriote
» qui « chevauchait et se coupait les cheveux
à la garçonne
». « Elle aussi est libre de disposer de
son corps
», avaient déclaré des militantes des Femen, il y a
deux ans, à
l'occasion d'un hommage qu'elles lui avaient rendu à Poitiers. Alors
qu'elle vient de déserter le pavé parisien sous leurs applaudissements, peut-être
Marine Le Pen participera-t-elle à leur prochain "happening" ?
Le FN mal vu outre-Manche
En attendant, et plus sérieusement, c'est dans les pas des
eurosceptiques britanniques que la présidente du Front national entend
s'inscrire. Non sans rencontrer quelque difficulté. Selon le souhait de
Gisela Stuart, chef de file des partisans du Brexit, l'accès au territoire
britannique devrait même lui être refusé. Cela en raison de « ses
opinions extrémistes
», comme expliqué dans un courrier adressé
au ministre de l'Intérieur, Theresa May, cité
par l'AFP. Perfide Albion ! Marine Le Pen prévoyait
effectivement de se rendre outre-Manche ce mois-ci. Sa visite « permettrait
aux Britanniques qui souhaitent sortir de l'Union européenne de savoir
qu'il y a des responsables européens de premier plan qui les soutiennent
»,
a souligné Florian Philippot, cité
par Euractiv.
Deux visions opposées
Bien des Britanniques apprécieraient sans doute de l'entendre vilipender
la bureaucratie européenne. Mais pour le reste, quoique volontiers
eurosceptiques, se reconnaîtraient-ils dans son discours ? « Après
le Brexit, le Royaume-Uni ne serait plus lié par le tarif extérieur
commun de l'UE sur les importations
», expliquent
des contributeurs de Telos. Or, précisent-ils, « les
partisans d'une sortie de l'UE soutiennent que le Royaume-Uni pourrait
bénéficier de ce changement en retirant unilatéralement tous les droits
de douane sur les importations
». Autrement dit, si Londres
quittait le navire européen, ce serait pour voguer vers des horizons aux
antipodes du « protectionnisme intelligent
» cher au
Front national...
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24 avril 2016
Avec aussi une petite touche de royalisme...
« Le créneau "ni droite, ni gauche", un temps occupé par le FN
[...] paraît faire des émules
», et cela « tous
azimuts
», écrivait Aristide Leucate, dans
le dernier numéro de L'Action Française 2000
(21 avril 2016). Voilà que Rama Yade semble confirmer son
observation : alors qu'elle vient de se déclarer candidate à
l'élection présidentielle, elle se dit « libre d'être de droite,
libre d'être de gauche
», revendiquant le soutien d'une « coopérative
politique
» constituée d'une mosaïque de petits partis aux
inspirations idéologiques diverses (Alliance écologiste et indépendante,
Parti libéral démocrate, Démocratie 21, Rassemblement écocitoyen,
Cercle de la Diversité).
Apologie de la tradition
Malicieusement, notre confrère se demandait si les adeptes d'un tel
positionnement n'étaient pas des « royalistes latents
».
Rama Yade a beau se prétendre« aux antipodes
» d'Emmanuel
Macron (« je ne représente ni la bourgeoisie d'État, ni les
puissances d'argent
», clame-t-elle de façon aussi cinglante
que mesquine), la question mérite d'être posée à son propos également,
comme en témoigne le ton sur lequel elle avait commenté le mariage du
prince William et de Kate Middleton : « la tradition,
c'est quand même bien, quand elle unit deux jeunes gens et un peuple
tout entier
», expliquait-elle
en avril 2011 ; à ses yeux, « le moment le plus intense
(furtif) fut la révérence de Kate, devant la reine Elizabeth qui
semblait en avoir vu tellement
» ; en effet,
remarquait-elle, « il y avait là une transmission, un respect, une
soumission devant la tradition, un genre
»
Romantisme néo-gaullien
Cela étant, c'est au "peuple", et non au roi, que Rama Yade entend rendre
le pouvoir. Son discours ravira les souverainistes, à certains égards du
moins. Regrettant naïvement que l'Union européenne ne dispose pas d'un
véritable président, elle rappelle, cependant, qu'elle avait voté "non" au
référendum de 2005 ; or, dénonce-t-elle, « on n'a pas
respecté mon vote
», puisque le traité établissant une
constitution pour l'Europe est « revenu en 2008 par la fenêtre
».
Reprochant à Paris de « se soumettre en permanence à la
bureaucratie
» de Bruxelles, elle prône « la politique
de la chaise vide
», donnant en exemple la perfide Albion de
David Cameron, mais aussi la Grèce d'Aléxis Tsípras – lequel aurait
« su insuffler de la démocratie en Europe
». À l'avenir,
réclame-t-elle, chaque élargissement devrait faire l'objet d'un
référendum. De son point de vue, « plutôt que de nous soumettre à
la mondialisation
[...] consumériste
», il faudrait que
« la France redevienne une puissance médiatrice
».
« Extirpée de la famille américaine », celle-ci
« parviendrait, avec les symboles, à compenser ce qu'elle a perdu
en termes économiques
», promet Rama Yade, pour qui « la
France n'est pas la France sans la grandeur
».
« Aux Français de dire et faire ! »
Ce romantisme néo-gaullien, mâtine d'accents populistes, se trouve mêlé,
chez Rama Yade, à des revendications typiquement libérales. « Aux
Français de dire et faire !
», clame-t-elle dans
son manifeste. Or, précise-t-elle, « rendre le pouvoir aux
Français
», c'est, certes, en appeler au référendum, mais aussi
« les laisser faire et créer du lien entre eux
».
Autrement dit, il s'agirait de « passer de l'État-providence,
omnipotent et impuissant, à une société-providence, plus innovante
».
Dans cette perspective, « plutôt qu'une économie où les grands
groupes, en connivence avec la haute administration, finissent par se
couper du tissu économique et social de notre pays
», Rama Yade
entend promouvoir « une économie du partage qui introduise une
concurrence plus juste, libère nos entreprises de l'emprise notamment
fiscale de l'État et permette l'innovation
». Aux échecs de
Pôle Emploi et de l'Éducation nationale, elle oppose la réussite de
quelques initiatives privées citées en exemple.
Candidature sans promesse
« Notre pays compte dans ses rangs des Français extrêmement
capables et désireux d'agir
», se félicite Rama Yade. Des
paroles en l'air ? Peut-être bien. « Parce que la valeur
promesse a été disqualifiée, je n'en ferai pas
»,
annonce-t-elle avec une certaine légèreté. Son inclination à
dramatiser les enjeux ne sert pas sa crédibilité : « parce
que les Français ont perdu toute confiance, l'élection française de 2017
ne ressemblera à aucune autre
», croit elle-deviner. « À
situation hors normes, il faut un projet de radicalité
»,
poursuit-elle. Reste à en dessiner les lignes...
En attendant, c'est avec bienveillance, quoique sans illusion, que nous
accueillerons tous les discours appelant les Français à reprendre leur
destin en main : do it yourself – tel serait
notre programme pour 2017 !
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20 avril 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
Référendum aux Pays-Bas sur l'accord d'association avec l'Ukraine : quand les diplomates doivent compter avec les aléas de la démocratie, c'est le rêve d'une Europe politique qui se dissipe.
Régulièrement, l'Union européenne se heurte à l'écueil de la démocratie.
Outre la réforme des ses institutions, c'est désormais sa politique
étrangère qui doit compter avec elle. Ainsi l'accord d'association avec
l'Ukraine vient-il d'être désavoué aux Pays-Bas, à l'occasion d'un
référendum consultatif. Le moment venu, à la faveur d'une nouvelle
"initiative populaire", peut-être le même sort sera-t-il réservé au
Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) ;
la
collecte des signatures nécessaires a déjà commencé à cet effet.
La voix du Parlement
En France, nul référendum n'est à l'ordre du jour. Cependant, les
parlementaires prétendent faire entendre leur voix. Plusieurs dizaines
d'entre eux l'ont martelé dans
une tribune publiée le 7 avril 2016 dans les colonnes du Monde :
« nous demandons solennellement au gouvernement français de
refuser de signer tout accord avec les États-Unis si le Parlement est
réduit au silence
», proclament notamment les socialistes
Patricia Adam, Lalande Bernard et Marie Récalde. Dans
un rapport publié le mois dernier, leur collègue Jean Bizet tentait
d'évaluer « comment le Sénat influe sur l'élaboration des textes
européens
». Ainsi les positions de la chambre haute
auraient-elles été « largement reprises par le gouvernement dans
le dossier sensible et complexe des projets d'accords commerciaux entre
l'Union européenne, le Canada et les États-Unis
», par exemple.
D'une façon générale, les informations transmises par le Secrétariat
général des affaires européennes seraient « très complètes et de
grande qualité, mais [...] communiquées trop tardivement
».
Quant aux réponses apportées par la Commission européenne, « si
elles restent encore d'inégale qualité
», elles « gagnent
en intérêt et ont tendance
[...] à être transmises plus
rapidement que par le passé, ce qui permet de nourrir un dialogue
extrêmement utile ». Cela étant, Bruxelles ferait la sourde oreille
dès lors qu'il est question de subsidiarité : interpellée sur ce
point, la Commission « campe sur ses positions
[...] et ne
répond pas vraiment aux objections du Sénat
».
Ce dialogue mené tantôt avec Matignon, tantôt avec Bruxelles, illustre
les deux aspects du "déficit démocratique" qu'aurait creusé la
construction européenne. Dans une optique souverainiste, il traduit
l'accroissement des pouvoirs de l'Union européenne aux dépens des
institutions nationales. Mais suivant une autre acception, il rend compte
de l'éviction du Parlement au profit du gouvernement. Or, comme le
rappelle Jean Bizet, « dans notre système
[...], le pouvoir
exécutif n'est pas juridiquement tenu de se conformer aux résolutions
votées par les assemblées parlementaires
» ; « il
n'existe pas, comme dans certains États membres, la Finlande et le
Danemark par exemple, de mandat de négociation auquel le gouvernement
doit obligatoirement se tenir
».
Cependant, peut-être les gouvernements européens sont-ils en passe de
perdre l'autonomie qu'ils semblaient avoir ainsi acquise. Le référendum
néerlandais en témoigne : si l'accord d'association avec l'Ukraine
n'avait pas été négocié au nom de l'UE, peut-être aurait-il été ratifié
dans l'indifférence générale. Dans cette perspective, la médiation
européenne ne constituerait plus un blanc-seing mais, au contraire, une
étiquette infamante susceptible d'inspirer la défiance populaire.
Retour au seul commerce
Quoi qu'il en soit, alors qu'elles étaient déjà en vigueur à titre
provisoire, la plupart des dispositions de l'accord signé avec l'Ukraine
le resteront vraisemblablement définitivement. Les traités européens le
permettent, dès lors qu'elles relèvent des compétences exclusives de
l'Union. Qu'en est-il, d'ailleurs, du traité négocié avec Singapour ?
La Cour de justice de l'Union européenne tranchera prochainement...
Si la démocratie directe devait durablement s'immiscer dans les relations
internationales, l'Union européenne devrait sans doute se cantonner à
négocier des accords strictement commerciaux, relevant donc de
sa compétence exclusive, afin d'en garantir une ratification sans
encombre. Jean Quatremer ne s'y est pas trompé : « le "non"
néerlandais est un coup dur pour la politique étrangère des Vingt-Huit
»,
déplore-t-il
sur son blog. « L'idée était d'inclure le commerce dans une
démarche politique afin d'en faire un instrument diplomatique
»,
explique un diplomate européen, cité par notre confrère ; de son
point de vue, « ne plus faire que du commercial pour éviter un
référendum serait une sacrée régression
». C'est le rêve d'une
Europe politique qui se dissipe encore une fois.
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8 mars 2016
La preuve par l'euro.
On croyait que le FN mettrait de l'eau dans son vin. Mais non.
« Tout le monde au Front national est pour la fin de l'euro et la
souveraineté monétaire
», continue
de marteler Florian Philippot, son vice-président. « Si nous
arrivons au pouvoir
», a-t-il prévenu dimanche dernier, 6 mars
2016, « il est certain qu'au bout de six mois maximum la France aura
une monnaie nationale
».
Que les antifascistes se rassurent : ce faisant, Florian Philippot
exclut manifestement toute perspective d'accession au pouvoir à court
terme. Dans le cas contraire, c'est bien évident, il se garderait de
susciter aussi délibérément la fuite des capitaux qui s'accentuerait au
fur et à mesure que Marine Le Pen serait donnée gagnante dans les
sondages.
Par souci de l'intérêt national, puisque c'est un patriote, comme chacun
sait. Mais aussi par nécessaire calcul. S'il était coupable d'appauvrir la
France avant même de prendre les rennes de l'État, le FN en compromettrait
précisément la conquête.
Pour ne rien arranger, Florian Philippot promet un référendum sur
l'euro ! Les ménages seront-ils privés d'argent liquide le temps que
se déroule le nécessaire débat censé éclairer la conscience des
citoyens ? La Grèce, voilà le modèle à suivre !
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2 mars 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, les petits garçons
vibraient au rythme des aventures télévisées du capitaine Albator... Le
moment est venu de leur rafraîchir la mémoire.
Le capitaine Harlock, alias Albator, vient de faire son retour dans les
librairies. Dans l'ombre de Goldorak, ce personnage a bercé toute une
génération de petits Français. Apparu dans un manga en 1969, puis à la
télévision en 1978, il a présenté plusieurs visages au fil de ses
aventures, jusqu'à la caricature : porté au cinéma en 2013, il y est
apparu sous les traits d'un psychopathe, tentant de racheter ses fautes à
la faveur d'un génocide galactique prétendument rédempteur...
Retour aux sources
C'est à un retour aux sources que nous sommes conviés aujourd'hui, alors
que vient de paraître la traduction française du premier tome d'un nouveau
manga, Capitaine Albator – Dimension
Voyage. Il s'agit d'un remake fidèle de
l'histoire originelle, faisant, en quelque sorte, la synthèse d'une œuvre
éparse à la cohérence toute relative. Ainsi
le personnage de Kirita (Vilak) est-il repris du dessin animé de
1978, mais sous les traits d'un autre, apparu dans les années 2000.
Officiant toujours au scénario, Leiji Matsumoto, soixante-dix-huit ans, a
cédé son crayon à Kouiti Shimaboshi. Le dessin s'avère modernisé, mais les
nostalgiques ne devraient pas en être dépaysés.
Signe des temps : la reine Sylvidra arbore désormais un décolleté.
Albator s'en trouvera-t-il émoustillé, comme des quadragénaires le furent
jadis à la vue des Sylvidres dénudées ? Rien n'est moins sûr. Alors
qu'il voue une amitié indéfectible à Tochiro, on ne lui connaît qu'une
seule et unique aventure, à l'issue tragique. En tout cas, les féministes
ne l'apprécient guère. Relisant le manga fondateur, Charles-Édouard
Mandefield s'était désolé d'un « machisme décalé
». Un
passage a plus particulièrement retenu son attention, explique-t-il
sur Otakia (en ligne) : celui où Kei Yuki
(Nausicaa) « met sa vie en péril pour ménager la susceptibilité de
Tadashi
» (Ramis) « et lui faire croire qu'il l'a
sauvée
». « Dans cette histoire
», conclut
notre confrère, « le message en filigrane est donc que les femmes
[...] doivent masquer leur vraie valeur pour ne pas offusquer la gente
masculine
». C'est oublier que ces récits sont destinés surtout
à des garçons... Peut-être certains en auront-ils tiré quelque leçon
d'humilité !
Reste à savoir ce qu'il adviendra de cet épisode dans la suite du remake. Dans ce premier tome, alors que les Sylvidres
se préparent à envahir la Terre, « la civilisation matérialiste a
conduit le peuple à la dépravation
», comme le remarque l'une
d'entre elles. Conscient de la menace, le professeur Daiba alerte le
ministre censé présider aux destinées de l'humanité. Hélas, déplore-t-il,
« cette tète de mule ne pense qu'a jouer au golf
» !
Son fils, Tadashi, en est révolté : « ce n'est qu'un
inconscient qui se complaît dans l'indolence
», observe-t-il.
« Depuis quand les hommes ne son-ils plus qu'une bande de
dégonflés ?
», se demande-t-il encore. À la mort de son
père, il décide de rejoindre l'Arcadia commandé par Albator. Un vaisseau
« avec à son bord de vrais hommes
» !
Romantisme viril
Considérant ses semblables avec dédain, Albator n'en engage
pas moins un combat désespéré pour sauver la Terre. Sans doute ce
"romantisme viril" explique-t-il la sympathie que lui accordent les
militants italiens de Casapound. Les identitaires français ne sont pas en
reste : « ce personnage luttant pour une humanité dans
laquelle il peine pourtant à se reconnaître, marqué par ses combats dans
son cœur comme sur son visage, et hissant le pavillon noir à tête de
mort sur son vaisseau, avait tout pour séduire les pirates identitaires
»,
explique
Philippe Vardon-Raybaud. Dans son livre, Éléments pour une
contre-culture identitaire, tout comme dans celui d'Adriano
Scianca, Casapound – Une terrible beauté est née !, Albator
côtoie Ernst Jünger, dont il incarne précisément la
figure du rebelle : « celui qui, isolé et privé de sa
patrie par la marche de l'univers, se voit enfin livré au néant
» ;
« résolu à la résistance
», il « forme le dessein
d'engager la lutte, fût-elle sans espoir
» ; « est
rebelle, par conséquent
», aux yeux de l'écrivain
allemand, « quiconque est mis par la loi de sa nature en rapport
avec la liberté, relation qui l'entraîne dans le temps à une révolte
contre l'automatisme et à un refus d'en admettre la conséquence éthique,
le fatalisme
».
Cependant, errant dans l'espace (et non dans les forêts), notre rebelle
ne serait-il pas un apatride ? « Sous la bannière de la
liberté, il parcourt les mers sans fin de l'univers en ne comptant que
sur lui-même
», s'enthousiasme un jeune homme déshérité, croisé
dans les pages du manga. Alors qu'il s'apprête à s'envoler, Tadashi
détruit un drapeau aux couleurs de la confédération terrestre. « Mon
étendard à moi est orné d'une tête de mort
», se justifie-t-il.
Cela étant, toute notion d'héritage ne lui est pas étrangère, bien au
contraire, car il poursuit, à sa façon, l'œuvre de son père. Albator,
quant à lui, cultive la fidélité dans la tradition de sa lignée...
Nationalisme japonais
Au sein de l'équipage, il règne un sympathique désordre, dont s'émeut
Tadashi : « ce vaisseau est un vrai cirque
», se
lamente-t-il, outré, alors qu'il en fait la visite. Mais quand vient
l'heure du combat, sous les ordres du capitaine, chacun répond toujours à
l'appel... Autrement dit, à bord de l'Arcadia, c'est l'anarchie plus
un ! Ce vaisseau présente l'allure générale d'un cuirassé, sur lequel
auraient été greffées les ailes d'un avion, mais aussi la poupe d'un vieux
galion. La grande classe ! Dans une œuvre connexe, Leiji Matsumoto
avait même exhumé le croiseur Yamato, puisant ainsi « dans les
racines du nationalisme japonais
», comme l'expliquait Didier
Giorgini dans la revue Conflits (n° 3, automne 2014)...
Preuve que la politique n'est jamais très loin !
Leiji Matsumoto (scénario) et Kouiti Shimaboshi (dessins), Capitaine
Albator – Dimension Voyage, tome I, Kana, février 2016,
5,95 euros.
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18 février 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
La perspective d'un Brexit impose la reprogrammation du logiciel
souverainiste.
La singularité du Royaume-Uni figure à l'ordre du jour de la réunion du
Conseil européen des 18 et 19 février prochains (2016). Dans la
perspective du référendum qui se tiendra vraisemblablement fin juin, le
Premier ministre David Cameron doit négocier un arrangement censé
justifier, auprès de l'opinion publique britannique, le maintien de son
pays dans l'Union européenne. Ce faisant, Londres cherche-t-il à
réaffirmer son indépendance vis-à-vis de Bruxelles ? En partie
seulement, si l'on en juge par ses demandes formulées officiellement en
novembre dernier.
Protéger les intérêts de la City
Symboliquement, le gouvernement britannique voudrait en finir avec cette
« union toujours plus étroite
» promise par les traités
européens. Parallèlement, il souhaiterait conférer de nouvelles
responsabilités aux parlements nationaux, et surtout revoir les conditions
suivant lesquelles les ressortissants d'un État membre peuvent librement
circuler d'un pays à l'autre ; il s'agirait, en quelque sorte, de
répondre à la hantise du "tourisme social". Londres réclame, par ailleurs,
un approfondissement du marché unique, la conclusion de nouveaux accords
commerciaux avec les États-Unis, la Chine ou le Japon, mais aussi la
garantie que la zone euro ne poursuivra pas son intégration à ses dépens.
C'est l'influence de la City qui est en jeu. Dernièrement, la Banque
centrale européenne s'y était attaquée de front, tentant d'imposer un
ancrage territorial dans la zone euro aux chambres de compensation les
plus importantes. Dans cette affaire, la Cour de Justice de l'Union
européenne avait finalement arbitré en faveur des intérêts britanniques,
mais peut-être n'en sera-t-il pas toujours ainsi.
La zone euro, là où le bât blesse
Or, c'est précisément l'un des points sur lesquels la négociation
pourrait achopper. « Nous sommes attachés
[...] à ce que
les pays qui ne sont pas membres de la zone euro
[...] soient
respectés
» et « informés de tout ce qui se décide
»,
a
déclaré le président de la République, Français Hollande ;
« mais il ne peut pas y avoir de veto des pays hors zone euro sur
ce que nous avons à faire dans la zone euro
», a-t-il prévenu.
Des engagements de principe seront sans aucun doute souscrits pour
rassurer les Britanniques. Il faudra bien les accompagner de quelques
déclinaisons pratiques. Un exemple est donné par notre confrère Jorge
Valero : comme
il l'explique sur Euractiv, une possibilité serait
« de programmer la réunion des ministres des Finances de la zone
euro (Eurogroupe) après que tous les ministres européens des Finances se
[seront] rencontrés (Ecofin), plutôt que le contraire, comme c'est le
cas actuellement
».
En tout cas, les exigences de la perfide Albion ne manqueront pas de
légitimer l'espoir, exprimé entre autres par l'ancien Premier ministre
Michel Rocard, d'une relance de la construction européenne à la faveur
d'un "Brexit". Incidemment, les souverainistes semblent condamnés à
reprogrammer leur logiciel : l'Europe « à géométrie variable
»,
dont ils étaient traditionnellement les chantres, ne se retrouve-t-elle
pas instrumentalisée par leurs meilleurs ennemis ? « Une
Europe plus intégrée sera une Europe des différences
», a ainsi
expliqué à l'AFP Sandro Gozi, secrétaire d'État italien aux Affaires
européennes, cité
par Euractiv. Un détricotage prochain de l'Union
européenne n'en reste pas moins envisagé. Peut-être David Cameron a-t-il
effectivement ouvert la boîte de Pandore. Sans surprise, Marine
Le Pen prétend inscrire ses pas dans ceux du Premier ministre
britannique. Sans doute s'accorderait-elle avec
Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur du Sénat, selon laquelle l'Europe
serait « à un tournant de son histoire
».
Résilience de l'UE
Laurent Warlouzet, maître de conférences en histoire à l'université
d'Artois, juge déplacée cette dramatisation des enjeux. « En fait,
cette perspective cataclysmique sous-estime la résilience
institutionnelle de l'Union européenne
», explique-t-il
dans un entretien à La Tribune. « Avant
l'UE
», rappelle-t-il, « la CEE a déjà survécu à de
nombreuses crises qui remettaient en cause son existence, de la crise de
la Chaise vide en 1965 à la crise budgétaire britannique
[...],
sans parler des événements plus récents, du "non" français de 2005 à la
crise de l'euro
». Quant au « risque de désagrégation
du camp occidental
» (à moins qu'il s'agisse d'une
opportunité, selon les points de vue), il ne serait « pas
plus présent
». « L'Otan a toujours eu un périmètre
différent de l'ensemble CEE-UE
», poursuit-il. De toute façon,
« les divisions majeures au moment de la guerre en Irak en 2003
ont montré que les divergences stratégiques n'ont jamais empêché la
poursuite de la coopération en matière de gouvernance économique et
sociale, qui reste encore aujourd'hui le domaine de compétence majeure
de l'Union européenne
». Autrement dit, l'Europe n'a pas dit
son dernier mot.
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18 février 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
La Cour des comptes se penche sur l'île aux Parfums. Pointant les ratés
de la départementalisation, elle souligne l'ampleur des défis à relever, à
commencer par celui de l'immigration.
Mayotte est devenue officiellement le cent unième département français
voilà bientôt cinq ans, le 31 mars 2011. Cela en application d'une
réforme « mal préparée
», selon
l'analyse de la Cour des comptes présentée le mois dernier. En tout
cas, au sein même de l'outre-mer français, l'île aux Parfums cultive une
triste singularité. « Malgré d'incontestables améliorations dans
le domaine socio-économique
», soulignent les magistrats de la
rue Cambon, « le chômage demeure le plus élevé des DOM
(36,6 %) et le PIB par habitant, bien qu'ayant augmenté de
65 % entre 2005 et 2011, ne s'élève qu'à 7 900 euros,
contre 31 500 euros au niveau national et
18 900 euros à La Réunion
».
Manque d'infrastructures
Or, les opportunités de développement économique seraient « encore
hypothétiques
». Certes, l'inauguration d'un nouveau terminal
aéroportuaire pourrait ouvrir des perspectives en matière touristique,
mais « à la condition, non remplie à ce jour, que se développent
des infrastructures hôtelières adaptées
». Malheureusement,
« pour le département comme pour les communes, les dépenses
d'investissement servent
[...] de variable d'ajustement, alors
même que les besoins en équipements demeurent très importants
».
L'accès à l'eau, par exemple, s'avère insuffisant. Quant aux écoles, elles
accueillent des élèves rencontrant davantage de difficultés que leurs
camarades de métropole : « 67 % des élèves de CE1 et
75 % des élèves de CM2 possèdent des acquis "insuffisants ou
fragiles" en français (contre 21 et 26 % respectivement en
métropole)
».
Des milliers de clandestins
Relativement pauvre, la population mahoraise n'en demeure pas moins en
forte croissance. Évaluée à quelque deux cent vingt mille habitants au
1er janvier 2014, elle a triplé depuis 1985. La moitié des habitants
ont moins de dix-sept ans et demi. Mais « la population d'origine
mahoraise
» y serait « aujourd'hui minoritaire
», comme
le martèle l'ancien député Mansour Kamardine, dans un entretien au Figaro.
Selon l'Insee, les étrangers régulièrement installés à Mayotte
représenteraient 40 % de la population. Mais qu'en es-il des
clandestins ? Ils pourraient être « plusieurs dizaines de milliers
»,
rapporte la Cour des comptes. Près de vingt mille auraient été interpellés
et éloignés en 2014. Mais sans doute ne représentent-ils « qu'une
partie des flux réels
», souligne la Rue Cambon. Dernièrement,
davantage de bateaux de passeurs ont été interceptés. De plus, en
septembre dernier, un nouveau centre de rétention administrative est entré
en service. Toutefois, prévient la Cour des comptes, « le traitement
de la question migratoire impose de renforcer la coopération avec
l'environnement immédiat de Mayotte, et notamment avec l'Union des
Comores ». Depuis 2013, un Haut Conseil paritaire réunit ainsi des
représentants français et comoriens. Cela permettrait « un début
de coopération sur le contrôle de la circulation maritime dans la zone
».
Cependant, Moroni souhaite-t-il vraiment travailler en ce sens ?
N'oublions pas que l'Union des Comores conteste toujours la souveraineté
française sur Mayotte.
Déséquilibres régionaux
Confrontée à tous ces défis, l'île aux Parfums serait « au bord
de la guerre civile
», prévient Mansour Kamardine. George
Pau-Langevin, ministre des Outre-mer, ne veut pas y croire ; elle se
montre rassurante. En tout cas, quels que soient les efforts consentis
pour endiguer les flux migratoires, Mayotte restera confrontée à la
pression inhérente aux déséquilibres régionaux. « En effet,
l'écart de développement avec le reste de l'archipel rend Mayotte
particulièrement attractive
», comme le souligne la Rue Cambon.
Attractive au sein de l'archipel des Comores, elle le sera plus encore à
mesure qu'elle comblera son retard de développement économique au sein de
la République française. S'agirait-il de résoudre la quadrature du
cercle ?
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6 janvier 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
Déchoir des Français de naissance de leur
nationalité : telle est la mesure la plus controversée du
projet de révision de la Constitution présenté par le gouvernement.
Tandis que l'exécutif socialiste est accusé d'empiéter sur les
plates-bandes du Front national, l'opposition peine à faire entendre sa
voix. Ainsi Nathalie Kosciusko-Morizet s'essaie-t-elle à défendre
« la cohésion nationale » : « la
France se divise sur la déchéance de nationalité »,
regrette-t-elle sur
son blog. 85 % de nos compatriotes seraient pourtant
favorables à la révision de la Constitution proposée par le
gouvernement, selon
un sondage Opinionway pour Le Figaro...
Aussi cette question agite-t-elle surtout le pays légal !
L'enjeu apparaît d'autant plus symbolique que bien des dispositions
permettent d'ores et déjà de déchoir un Français de sa nationalité.
Nationalité mal acquise
Hervé Mariton, quant à lui, appelle à débattre non pas de la
déchéance, mais des conditions d'attribution de la nationalité. Selon
lui, « le principe directeur doit être le droit du sang,
naturellement enrichi par la vie » – autrement dit, par
« la naturalisation ». « Aussi horribles que soient
les actes commis par les enfants de France, je souhaite une nationalité
qui soit irréfragable, irréversible », a-t-il
expliqué au micro de France Inter.
« Je souhaite que cette nationalité ne soit pas supposée mal
acquise, qu'elle ne soit pas fragile pour les uns, moins fragile pour
d'autres », a-t-il poursuivi.
Implicitement, le député de la Drôme semble récuser toute
conception contractualiste de la nation. Une conception que nourrit, à
certains égards, le projet de loi présenté par le gouvernement. Cela
n'a pas échappé à Manuel Valls : accusé de trahir la gauche,
le Premier ministre prétend au contraire la servir en défendant une
« conception historique ouverte de la nation française, fondée
sur l'adhésion à l'idéal républicain et sur la volonté commune de
vivre-ensemble ». À l'inverse, s'exprimant
sur Facebook, il a rejeté l'idée de « fonder la
nationalité [...] sur ce qui par nature ne peut jamais être
révoqué ».
Double allégeance
Ce faisant, peut-être croit-il nous rassurer, entretenant, à
son corps défendant, l'illusion que la France pourrait se
débarrasser de ses brebis galeuses ? Un anthropologue s'en
inquiète dans les colonnes du Monde : «
cette proposition de déchéance de nationalité pose le postulat que
l'engagement dans le terrorisme ne concerne que les immigrés de
confession musulmane », déplore
ainsi Dounia Bouzar. Avec quelque maladresse, il semble
vouloir exprimer sa préoccupation quant aux conversions soudaines à un
islam d'emblée radical. Un symptôme parmi d'autres du mal qui gangrène
la France ?
En tout cas, plus encore que le droit du sol (dont
l'application s'avère d'ailleurs relative), c'est la double nationalité
qui semble mise en accusation. Parmi ses bénéficiaires, beaucoup ont
reçu leur seconde nationalité en héritage, par le sang donc ;
de ce point de vue, le droit du sol serait effectivement égratigné.
Mais d'autres ont pu l'acquérir... À l'image de Gérard Depardieu, par
exemple ! Dans quelle mesure les faveurs que lui accorde
Vladmiir Poutine affaiblissent-elles les liens qui l'unissent à la
France ? Incidemment, les suspicions associées à la critique
d'une "double allégeance" pourraient donc faire l'objet d'une timide
traduction juridique.
La hantise des apatrides
Il est vrai que le gouvernement n'envisage de retirer leur
nationalité qu'à des Français qui demeureraient alors les
ressortissants d'un pays tiers. Il n'est pas question de créer des
apatrides, martèle-t-on à l'envi. De toute façon, nous dit-on, les
engagements internationaux souscrits par la France le lui
interdiraient. C'est précisément ce que conteste François-Xavier
Berger, dans
un article publié par Mediapart. Quoi
qu'il en soit, peut-être cette hantise-là reflète-t-elle une conscience
plus ou moins confuse des limites d'un certain idéal individualiste. Sur
Contrepoints, Nafy-Nathalie rappelle
opportunément ces propos d'Hannah Arendt : « Être
déchu de sa citoyenneté, c'est être privé de son appartenance au
monde. »
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