18 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
Sous prétexte d'écologie, des véhicules en bon état risquent d'être
précipités vers la casse.
Vingt ans, c'est trop vieux : dès l'été prochain, les voitures
immatriculées avant 1997 seront bannies de Paris ; d'ici quatre ou
cinq ans, le même sort sera réservé à celles mises en circulation avant
2011. « À force de négociations avec la municipalité, les
propriétaires de véhicules de collection feront exception à ces
interdictions
», précise
notre consœur Leila Marchand (Les Échos,
11 mai 2016) – un privilège réservé aux automobiles âgées de trente
ans ou plus ; déjà convoitées par les amateurs, les Clio Williams
devront patienter quelque temps aux portes de la capitale ; tout
comme les Ferrari F40, par exemple ! Les propriétaires de véhicules
plus populaires peuvent s'inquiéter : « personne ne voudra de
votre voiture si elle ne peut plus circuler dans Paris et elle ne vaudra
donc plus rien
», déplore
l'avocat Jean-Baptiste Iosca (Le Parisien,
11 mai 2016).
Obsolescence planifiée
Cette politique s'inscrit dans la continuité des "primes à la casse"
instituées dans les années quatre-vingt-dix. Elle fait écho au projet
fantaisiste qu'avait présenté dans les années trente Bernard London :
apôtre de « l'obsolescence planifiée
», il regrettait
« que les consommateurs aient pris l'habitude, à cause de la
crise, d'utiliser un produit jusqu'à ce qu'il soit hors d'usage
»,
comme
le résume Wikipedia ; de son point de vue,
c'était un frein à l'activité économique. Frédéric Bastiat, icône
française du libéralisme, n'aurait pas manqué de réfuter un « sophisme
» :
« la société perd la valeur des objets inutilement détruits
», expliquait-il
au XIXe siècle ; autrement dit, « destruction n'est pas
profit
».
Or, précipiter des automobiles vers la casse, cela n'a rien d'une
fatalité. À l'intention des heureux collectionneurs roulant en 911, Porsche
propose des tableaux de bord refaits à l'identique, quoique plus
résistants que les originaux ; mais aussi un système multimédia (GPS,
connexion USB, écran tactile...) s'intégrant dans le compartiment réservé
jadis à l'autoradio. Visant un public beaucoup plus large, Aramisauto.com
s'est lancé en 2013 dans le reconditionnement de véhicules
d'occasion ; « le principe n'est pas nouveau
», remarque
Jean Savary (Caradisiac, 2 avril 2015) ;
« mais là
», souligne-t-il, « c'est à l'échelle
industrielle, avec la productivité que cela suppose
». Anne
Hidalgo, s'abrite derrière des considérations écologiques. Mais
n'apporte-t-elle pas une caution politique à la frénésie
consumériste ? « Rappelons juste que la fabrication d'une
voiture occasionne l'émission de huit à douze tonnes de CO2 et qu'il
faut, pour l'éponger avec une voiture consommant un litre de moins aux
cent kilomètres que celle qu'elle remplace, parcourir dans les
300 000 kilomètres
», lui
rétorque encore Jean Savary.
Les Tesla adulées
Dédaignant les sympathiques Twingo (première version), dont la bouille
rigolote et les couleurs pimpantes égaient toujours les rues de Paris,
Mme Hidalgo leur préfère des voitures électriques, à l'image des
luxueuses Tesla. De fait, sans le soutien des pouvoirs publics, peut-être
le constructeur de Palo Alto n'aurait-il pas connu pareil succès. « Le
modèle économique actuel d'Elon Musk est de collecter de l'argent de la
poche de ses concurrents automobiles, sous forme de "permis d'émissions"
»,
dénonce
ainsi Charles Boyer (Contrepoints, 6 mai
2015) ; selon lui, « Tesla perd des sous sur chaque voiture
qu'il vend, et fait des profits en agissant fondamentalement comme un
fermier général, collecteur de taxes auprès de ses concurrents
».
À Singapour, cependant, la Model S a été affublée d'un malus
écologique ; « il faut mettre en perspective la propreté de
l'électricité, produite aux trois quarts à Singapour par des centrales
au gaz naturel
», explique
notre confrère Romain Heuillard (Clubic, 9 mars
2016).
Au moins les Tesla se distinguent-elles par leur capacité à recevoir des
mises à jour, susceptibles de pallier leur obsolescence. À moins qu'il
s'agisse de corriger les bugs résultant d'un développement trop
hâtif ? Quelques propriétaires de Model X ont été confrontés à
des portières bloquées... Tesla innove incontestablement dans le domaine
du marketing. Ainsi propose-t-il à ses clients
d'accroître l'autonomie de leur voiture, délibérément limitée par un
bridage logiciel, en souscrivant une option d'un simple clic ;
« bien entendu, ce n'est pas une opération magique : les
Model S 70 et les Modell S 75 embarquent tous les deux une
batterie de 75l kWh
», précise
Julien Cadot (Numerama, 6 mai 2016). Autrement
dit, le prix de vente se trouve explicitement déconnecté du
coût de fabrication – dans l'industrie automobile, c'est une
révolution !
Révolution en marche
Une autre bouleversement s'annonce : profitant de la connectivité de
ses véhicules, Tesla accumule les données nécessaires au développement de
la conduite autonome. Si l'entreprise « prend une longueur
d'avance aujourd'hui sur la concurrence, c'est parce qu'elle possède
déjà des centaines de milliers de données sur de la conduite réelle, sur
route, de ses modèles
», analyse
Julien Cadot (Numerama, 12 mai 2016). Dans ces
conditions, aux yeux des constructeurs traditionnels, « les
spécialistes des flux d'information [...] sont potentiellement
inquiétants : ils pourraient devenir demain de nouveaux concurrents
ou, pire, leur prendre la position centrale qu'ils occupent aujourd'hui
dans la chaîne de valeur
», comme
expliqué sur Paris Tech Review (26 avril 2016).
Klaus Froehlich, directeur de la recherche et du développement de BMW, en
a pleinement conscience : si son entreprise négocie mal ce virage, prévient-il,
« nous finirons comme un Foxconn pour une société comme Apple, à
ne fournir que des cadres en métal
» (Clubic,
7 mars 2016). La France saura-t-elle tirer son épingle du jeu ?
La Cour des comptes craint qu'elle y soit mal préparée. Ainsi
déplore-t-elle « une "absence de stratégie globale et de
coordination entre les services de l'État", avec notamment une veille
internationale inadéquate pour orienter les actions à mener
»,
comme
le rapporte André Lecondé (Caradisiac, 11 mai
2016). Les responsables politiques seraient bien inspirés de s'en
préoccuper, plutôt que de jeter l'anathème sur les malheureux Parisiens
possesseurs d'une vénérable Twingo.
18 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
Voilà qu'on reparle des "racines chrétiennes" de la France. Un député
propose même de les inscrire dans la Constitution.
Karim Ouchikh, président du Siel (parti associé au FN), ferait-il des
émules ? « Si tous les cultes sont formellement égaux devant
la loi, les religions ne le sont pas devant la mémoire
», expliquait-il
dans le précédent numéro de L'Action Française 2000
(n° 2931 du 5 mai 2016) ; « sans jamais promouvoir un État
confessionnel
», poursuivait-il, « il nous faut donc
fonder une laïcité qui admettrait la prééminence du fait chrétien dans
le débat public
».
La laïcité contre l'islam
Éric Ciotti, député (LR) des Alpes-Maritimes, semble lui faire
écho : « s'il faut défendre à tout prix la laïcité en tant que
facteur d'unité, elle ne peut avoir pour corollaire l'effacement de
notre culture commune
», affirme-t-il dans l'exposé des motifs
d'une
proposition de loi constitutionnelle, enregistrée à la présidence de
l'Assemblée nationale le 6 mai dernier (2016). « La France a
été culturellement façonnée et imprégnée par son histoire chrétienne qui
a forgé les modes de vie, l'organisation sociale, ou encore le
calendrier civil ou les fêtes religieuses
», souligne-t-il.
Soucieux de « graver cette empreinte durable dans le premier
article de notre loi fondamentale
», il propose de
réviser la Constitution en conséquence, afin qu'y soit mentionnée la
« tradition chrétienne
» dont la France est l'héritière.
Mais parallèlement, la "laïcité" serait ajoutée à la devise de la
République – « liberté, égalité, fraternité
». Ce
faisant, il s'agirait de « rappeler avec force la place
fondamentale de ce principe
». Celui-ci « n'a eu de cesse
de reculer
», déplore Éric Ciotti. « L'espace public
est progressivement devenu un lieu d'expression d'appartenances et de
pratiques religieuses
», dénonce-t-il. Bien qu'il ne soit pas
cité, c'est évidemment l'islam qui est visé. Instrumentaliser la laïcité à
ses dépens, voilà une démarche à nos yeux malvenue, quoique désormais
convenue. « La laïcité ne doit
[...] pas nous conduire à
ignorer qui nous sommes, ni d'où nous venons
», prétend certes
M. Ciotti. Cependant, comment pourrait-il en être autrement, étant
donné l'acception dévoyée qu'il en propage par ailleurs ? Selon lui,
« le modèle français exige des individus de confiner à la sphère
privée ce qui relève de leurs croyances religieuses
». Si tel
était effectivement le cas, les prêtres en soutane se trouveraient bannis
de nos rues, au même titre que les femmes couvertes d'un voile
islamique !
Polémique calculée
Toutefois, en l'état actuel du droit, la laïcité ne vire pas
nécessairement au laïcisme. C'est pourquoi il nous semblerait impossible
d'engager des poursuites contre le socialiste Pierre Moscovici,
commissaire européen, qui revendique pourtant, dans l'exercice de ses
fonctions, des convictions de nature quasi religieuse : « je
ne crois pas aux racines chrétiennes de l'Europe
», a-t-il
déclaré le 8 mai sur BFM TV. Comme si
c'était une affaire de foi ! Sans doute s'agit-il, dans un cas comme
dans l'autre, d'envoyer un signal politique, sans traduction concrète,
mais délibérément polémique et "clivant". Rama Yade, quant à elle « rêve
d'un second tour face à Marine Le Pen
», comme
le rapportait Le Point le 28 avril ;
« je voudrais que symboliquement le choix des Français, ce soit
elle ou moi
», a-t-elle déclaré à notre consœur Émilie Trevert.
Dans ces conditions, les détracteurs du « grand remplacement »
ne manqueraient pas d'en faire l'enjeu du scrutin, au risque de déchaîner
bien des passions... Les responsables politiques ont beau se gargariser du
"vivre-ensemble", celui-ci fera vraisemblablement les frais des joutes
électorales.
18 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
Comment L'Action Française traitait l'actualité au
printemps 1916, un siècle avant la commémoration officielle de la bataille
de Verdun.
Il y a cent ans, le
29 mai 1916, à la une de L'Action Française, des
communiqués officiels rendaient compte brièvement des opérations
militaires. Sur la deuxième page du journal, quelques lignes étaient
consacrées à la bataille de Verdun : « on pouvait prévoir,
après l'acharnement des dernières luttes, que les Allemands
s'abstiendraient de toute attaque avant d'avoir reconstitué leurs
divisions décimées par le feu
», soulignait le commandant Z.
Mais il n'en fut rien : « l'ennemi a dirigé un violent
bombardement », observait-il ; depuis deux jours, en revanche,
il n'y avait eu « aucune attaque d'infanterie
».
Kant et Rousseau accablés
Dans un petit article non signé, L'AF s'interrogeait sur la
Grèce, alors « en proie à l'invasion bulgare
» :
« les neutres n'échapperont pas à leur destin
»,
prévenait l'auteur ; « quoi qu'elle fasse, sa cause devrait
être désormais liée à la nôtre : nous nous heurtons aux mêmes
ennemis, son "ennemi héréditaire" le Bulgare et le bloc germanique,
destructeur des peuples
». Nulle complaisance n'était tolérée à
l'égard de l'ennemi. Léon Daudet en débusquait les espions et autres
complices présumés, à l'image des collaborateurs de Maggi (les petits
cubes alimentaires) – « une boîte allemande à masque suisse
»,
dénonçait-il. Charles Maurras, quant à lui, se disait « heureux
d'applaudir aux paroles
» d'un certain Paul Helmer : « c'est
la nation allemande tout entière qui a voulu la guerre
»,
affirmait ce dernier ; « c'est elle tout entière qui doit
être châtiée
», poursuivait-il. Le Martégal prêtait des
origines philosophiques au conflit en cours : « l'État boche
procède d'un type d'individualisme absolu trouvé chez Kant, maintenu et
copieusement développé dans Fichte, comme l'État jacobin émane et évolue
du libéralisme absolu admis également comme point de départ par Rousseau
»,
expliquait-il.
Renvoyés à des considérations plus terre-à-terre, les lecteurs étaient
invités à soutenir l'effort de guerre via la
souscription d'obligations. Une liste de combattants tombés au champ
d'honneur était publiée en une ; c'était déjà la cinq cent
soixantième... Mais toute légèreté n'était pas bannie des colonnes du
journal, où se poursuivait un « feuilleton
» – en
l'occurrence, L'Île au trésor de Robert Louis
Stevenson.
4 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
Journaliste, historien, Jacques Bainville (1879-1936) est toujours resté
très lié à l'Action française, tout en rayonnant au-delà. Nous remercions
son biographe, Christophe Dickès, de nous avoir éclairé sur ce point. La
place ayant manqué dans les colonnes du journal, nous publions ci-dessous
l'intégralité des réponses qu'il nous a apportées
Présenter Jacques Bainville « comme un historien d'Action
française
» reviendrait-il à entretenir « une fausse
vérité
», comme cela a été dit dernièrement au micro de Radio
Courtoisie ?
Il me semble difficile de séparer Jacques Bainville de l'école d'Action
française. Dès les premières années de l'AF, Bainville tient à populariser
l'idée de monarchie. Ceci est très net dans sa réponse à l'Enquête
sur la Monarchie de Maurras : il explique qu'il est
nécessaire d'adopter un comportement pédagogique à l'égard de la
population afin de faire comprendre les bienfaits des idées monarchiques.
Plusieurs années après, en 1924, il publie son Histoire de France
qui a précisément cette vocation : réhabiliter l'histoire et le
travail des rois de France alors qu'ils étaient dénigrés par l'histoire
républicaine et progressiste. Bainville est un vulgarisateur, dans le bon
sens du terme. On le sait, il fait partie des historiens dits engagés. Il
est considéré comme tel dans les études historiographiques. Or cet
engagement en faveur des idées monarchiques défendues par l'AF ne souffre
aucune contestation. Il faut aussi lire son carnet intime de 1929 que j'ai
publié aux éditions Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il parle
de l'AF de la façon suivante en 1929 : « La faiblesse de l'AF
n'est pas, comme le croyait Barrès, de ne s'adresser qu'à la raison et
de ne pas tenir compte des puissances des sentiments. C'est de ne
s'adresser qu'aux sentiments nobles, désintéressés, à l'amour du bien
public, à la vertu.
» Mais au-delà de ces sentiments, Bainville
a complètement intégré dans son analyse politique le modèle maurrassien de
l'empirisme organisateur.
Jacques Bainville accordait-il une importance particulière à son
travail pour L'Action Française, ou bien collaborait-il
avec elle au même titre qu'avec d'autres journaux ?
Selon les archives des Renseignements généraux, la fameuse sous-série F7,
Bainville fait partie des structures de l'AF dans les années
d'avant-guerre. Avec le temps, son engagement militant sera moindre. Mais
Jacques Bainville a été toute sa vie rédacteur de L'Action
Française. Il avait à l'AF son bureau et ses amitiés, qu'il n'a
jamais trahies. Il disait de Maurras qu'il lui devait tout, sauf la vie.
L'idée que Bainville aurait pris ses distances avec l'AF vient du fait
qu'après-guerre, ses succès d'écrivain lui ont permis de s'émanciper et de
s'engager pour plusieurs journaux en dehors du cercle monarchiste : La
Liberté, Le Petit Parisien, etc.
Mais cette émancipation et cet engagement professionnel ne doivent pas
occulter la persistance de son antiparlementarisme et de son
antilibéralisme. Ceux qui veulent sortir Bainville de l'AF raisonnent par
anachronisme en estimant que le modèle de la Ve République
aurait convenu à Bainville. En effet, l'intégration de la politique
étrangère comme un domaine réservé du président de la République, sous la
Ve République, aurait pu remporter son adhésion. D'ailleurs, du
point de vue des idées, il me semble évident que ce domaine régalien a été
intégré à la constitution de la Ve République sous l'effet de
la pensée politique de Charles Maurras. Le colloque organisé par le
professeur Georges-Henri Soutou et Martin Motte sur l'influence de Maurras
sur la politique étrangère de la France l'a très bien montré
(Georges-Henri Soutou et Martin Motte, Entre la vieille France et
la seule France, Economica-ISC, collection Bibliothèque
stratégique, 2010). Il ne faut donc pas faire de contresens : c'est bien
Maurras et Bainville qui ont inspiré la politique étrangère de le la
France et le fameux domaine réservé. Non l'inverse.
Sa distance vis-à-vis des antidreyfusards et sa défiance à
l'égard de l'antisémitisme ne plaçaient-elles pas Jacques Bainville en
marge des nationalistes qu'il côtoyait ?
Votre question montre toute la complexité de l'époque de l'affaire
Dreyfus mais aussi de l'Action française en général. Lionel Jospin s'était
pris une volée de bois vert de la part des historiens en plaçant la gauche
du côté des dreyfusards, la droite du côté des antidreyfusards... La
grille de lecture est bien plus nuancée. Bainville est dreyfusard sur le
plan judiciaire, antidreyfusard sur le plan politique car il est estime
que les conséquences de l'affaire seront catastrophiques pour la France.
Quand l'affaire atteint son paroxysme, il observe tout cela d'Allemagne.
Et il s'inquiète de la division française face à l'empire wilhelmien en
devenir... Cette idée va jouer sur son engagement monarchiste. Ceci dit,
il faut rappeler qu'il n'avait aucun engagement politique ni littéraire à
cette époque. Rappelons aussi que quand Dreyfus est condamné en 1894, il a
à peine quinze ans !
Jacques Bainville se définissait-il lui-même comme nationaliste ?
Oui, c'est évident. Toute son œuvre sur l'Allemagne et la France en est
la preuve évidente. Les intellectuels du IIIe Reich justifient
le nationalisme allemand contre la France en partant de l'œuvre de
Bainville. Pour eux, il s'agit de répondre à la conception westphalienne
de l'Allemagne prônée par Bainville dans la tradition politique de
Richelieu.
Alors qu'il était réputé pour sa modération, comment
s'entendait-il avec Léon Daudet, qui disait vomir les tièdes ?
C'était tout simplement son meilleur ami. Jacques Bainville est celui qui
va reconnaître le corps de Philippe Daudet à la morgue en 1923... C'est
vous dire les liens qui unissaient les deux familles. Une autre
anecdote : Hervé, le fils de Jacques, n'a entendu son père se mettre
en colère qu'à une seule reprise : alors que Léon Daudet était en
exil en Belgique, les Bainville déjeunaient chez eux ; or un
journaliste a eu le malheur de sonner à la porte et de les déranger ;
Bainville est entré dans une colère noire, chassant manu militari
l'impétrant. Bainville était un faux calme et il ne supportait pas une
telle intrusion dans l'intimité familiale et amicale. Dernière
anecdote : après son élection à l'Académie française, Bainville rend
hommage aux Daudet, Pampille (Marthe Daudet) et Léon : « Je
crois que si nous avons montré quelque chose, c'est que l'amitié n'est
pas une chimère.
[...] Il y a vingt-huit ans, depuis la
fondation du journal, que nous sommes assis, Léon Daudet et moi, à la
même table de travail.
[...] Je crois que si on voulait la
scier, elle résisterait comme du granit, bien qu'elle ne soit que de
bois blanc.
»
Soucieux de la place de la France au sein du concert des nations,
se distinguait-il en cela d'un Maurras prônant la politique de « la
seule France
» ?
C'est une excellente question à laquelle j'ai répondu à l'occasion du
colloque que j'évoquais précédemment. Sur les principes, Bainville était
maurassien. Plus maurassien d'ailleurs que Charles Maurras lui-même.
Encore une fois, l'empirisme organisateur constitue la base de l'analyse
politique bainvillienne empruntée à Maurras. C'est une des conclusions de
ma thèse de doctorat. Néanmoins, dans les faits politiques, Bainville fait
évoluer Maurras, notamment sur l'entente cordiale. Je me permets de
renvoyer vos lecteurs à ma contribution à ce colloque.
Constatant qu'à la différence de Maurras, Bainville ne s'était
pas enthousiasmé devant Athènes, vous avez parlé d'une « nuance
importante
» dans un précédent entretien ; que
vouliez-vous dire ?
Bainville voyage en Grèce comme tout intellectuel de la IIIe République se devait de le faire. Il tire de ce voyage le livre Les
Sept Portes de Thèbes. Mais le biographe de Bainville, Dominique
Decherf, montre bien que ce voyage ne lui a tout simplement pas plu. Il a
beaucoup de mal à s'extasier devant des ruines et des pierres qui, tout
simplement, ne l'inspirent gère... C'est ici que l'on voit que Bainville
est plus "romain" que "grec".
Les opinions libérales de Jacques Bainville étaient-elles
contestées au sein de l'AF ? Il n'y a « rien de plus
terrible que la liberté donnée à l'État d'imprimer du papier-monnaie
»,
écrivait-il, par exemple, dans L'Action Française du
2 novembre 1925 ; aujourd'hui, de tels propos ne feraient-ils
pas bondir les souverainistes ?
Bainville pensait au système de l'Écossais John Law sous la régence de
Philippe d'Orléans ou encore aux assignats de la Révolution
française : il critiquait l'artificialité du papier-monnaie. Je ne
sais pas s'il a rencontré des objections au sein de l'AF sur son
libéralisme économique. Cela devait être sûrement le cas. Néanmoins, sa
réputation en matière d'investissements n'était plus à faire. Il donnait
des conseils boursiers dans la Revue universelle et rendait accessibles
les difficultés de l'économie dans le journal populaire Le Petit
Parisien. Cela pouvait le distinguer au sein de l'Action
française, dont les composantes sont bien plus complexes que
l'historiographie le laisse souvent entendre.
Des essayistes présentant l'histoire comme le fruit d'une
volonté, d'une planification, voire d'une conspiration, sont parfois
considérés comme les héritiers de Jacques Bainville ; n'est-ce pas se
méprendre quant à la nature de sa pensée ?
À la différence de Maurras, Bainville n'a jamais parlé de la
franc-maçonnerie et encore moins de complot juif. Il ne se reconnaissait
pas dans la théorie maurrassienne des États confédérés. En revanche, il a
critiqué le projet idéologique wilsonien après la Grande Guerre, projet
d'inspiration protestante d'ailleurs rejeté par la représentation du
peuple américain... Bainville n'a jamais fait du conspirationisme un fonds
de commerce et je n'ai jamais trouvé trace chez lui de l'existence d'une
telle planification. D'un point de vue plus général, il estimait que la
nature était plastique. Que l'histoire était faite de renaissances et de
décadences, et que l'homme pouvait agir sur son milieu. D'où le fameux mot
de Maurras : « Tout désespoir en politique est une sottise
absolue.
» Bainville écrivait lui, toujours en 1929 : « Le
nationalisme interdit d'aller jusqu'au bout de la théorie de la
catastrophe.
» Néanmoins, il confesse par ailleurs son
pessimisme, voire une forme de nihilisme mais dont il n'a jamais fait
profession publiquement. Une attitude qui est la conséquence d'une
lucidité sur cette Europe qui, pour la deuxième fois en moins de
vingt-cinq ans, allait sombrer dans le chaos.
Quelle trace l'œuvre de Jacques Blainville a-t-elle laissé dans
l'histoire ?
Je dirai un quadruple héritage : une conception géopolitique de la
France et de son rôle dans le concert des nations ; l'image aussi
d'un Cassandre alors que le conflit franco-allemand avait atteint son
paroxysme dans l'histoire européenne ; un style absolument
remarquable mais aussi des articles aux accents profondément
contemporains : il faut, par exemple, relire L'Avenir de la
civilisation écrit au lendemain de la Grande Guerre. Ce texte
garde toute son actualité et n'a pas pris une ride.
À lire – La Monarchie des Lettres,
anthologie des grands textes de Jacques Bainville (Histoire de trois
générations, Histoire de deux peuples, Les
Conséquences politiques de la paix, des récits de voyages, un
choix de correspondances, mais aussi une centaine d'articles de presse
tirés de la Revue universelle, La Liberté, L'Action
Française, Candide, Le Capital),
introductions et notes de Christophe Dickès, éditions Robert Laffont,
collection Bouquins, 2011, 1 152 pages, 30,50 euros.
NB – Le 19 mars 2016, au micro de Radio
Courtoisie, Michel Rouche, professeur émérite à la Sorbonne, a
fait l'éloge de Jacques Bainville et de son Histoire de France.
Il participait au Libre Journal des lycéens animé par
Antoine Assaf. Cependant, il a évoqué ce « point fondamental
»
à ses yeux : « beaucoup de gens sont persuadés de cette
fausse vérité, à savoir qu'ils considèrent Jacques Bainville comme un
historien d'Action française
», a-t-il déclaré ; or, a-t-il
poursuivi, « lui-même a toujours protesté en disant qu'il n'était
pas membre de l'Action française
» ; et d'affirmer
que « les manifestations qui ont éclaté à la mort de Jacques
Bainville organisées par l'Action française étaient une tentative
d'annexion de la pensée de Jacques Bainville
» ! Il est
vrai que celui-ci a rayonné bien au-delà de l'AF, mais de là à
l'en détacher ainsi, il y un pas que nous nous serons bien évidemment les
derniers à franchir ! L'intervention d'Alain Lanavère s'est avérée
plus consensuelle : « Bainville avait l'immense mérite de
n'être pas universitaire
», a-t-il expliqué « donc
il n'écrit pas l'histoire avec le jargon des universitaires
» ;
« il était un homme tout à fait de son temps, et sa langue est
admirable de clarté
».
4 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
Le Front national deviendrait-il féministe ? En tout cas, s'il
demeure eurosceptique, c'est à sa façon, et non à celle des Britanniques.
L'histoire a-t-elle un « sens
» ? Assurément,
selon Marine Le Pen. À ses yeux, le succès que vient de rencontrer
l'homologue autrichien du Front national en témoigne : « une
très forte poussée
» des mouvements populistes serait à l'œuvre
« dans énormément de pays d'Europe
», s'est
elle félicitée sur France 2. « L'hostilité à
l'immigration explique en grande partie le score du candidat FPÖ à
l'élection présidentielle
», analyse
Daniel Vernet sur Telos. Mais qu'en est-il de la
France ? Celle-ci « est en train de prendre vraiment
conscience qu'elle est une nation multiculturelle
», soutient
Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des
droits de l'homme, dans
un entretien au Monde. « C'est une véritable
chance pour le pays
», affirme-t-elle. L'islam n'en inspire pas
moins la défiance populaire, à tel point que sa hantise contribue à
refaçonner le paysage politique.
Cet islam qui change tout
« En Europe occidentale
», en effet, « les
populismes d'extrême droite ont réussi à détourner le logiciel
idéologique de la gauche sur les questions sociétales
», comme
l'expliquait Jean-Yves Camus, dans L'Humanité, en
janvier 2012. Ainsi soulignait-il qu'aux Pays-Bas, « le génie de
Pim Fortuyn fut de construire une formation postmoderne qui
déconstruisait le multiculturalisme au nom des atteintes que l'islam
porterait
[...] aux libertés individuelles : liberté de
conscience, laïcité, égalité des sexes, droits des homosexuels, droit à
l'irréligion, enfin droit à la sécurité face au terrorisme et à la
violence dirigée contre certaines minorités, en particulier les juifs
».
Sans doute faut-il analyser à cette aune la passion de Florian Philippot
pour la culture des bonsaï. Tout comme ces propos prêtés à Louis Aliot,
rapportés par Marie-Pierre Bourgeois dans
un entretien à Têtu : « Les homos se sont
rendus compte qu'il y avait moins de péril à vivre avec Marine Le Pen
qu'avec les musulmans.
» Le 1er mai, à
l'occasion du "banquet populaire et patriote" organisé par son parti,
Sophie Montel, conseiller régional de Bourgogne-Franche-Comté, est
montée à la tribune : « c'est le Front national qui
défend la femme et ses droits en France
», a-t-elle martelé. Y
compris la contraception et l'avortement, a-t-elle précisé, après s'être
placée sous le patronage de Jeanne d'Arc – une femme « libre et
patriote
» qui « chevauchait et se coupait les cheveux
à la garçonne
». « Elle aussi est libre de disposer de
son corps
», avaient déclaré des militantes des Femen, il y a
deux ans, à
l'occasion d'un hommage qu'elles lui avaient rendu à Poitiers. Alors
qu'elle vient de déserter le pavé parisien sous leurs applaudissements, peut-être
Marine Le Pen participera-t-elle à leur prochain "happening" ?
Le FN mal vu outre-Manche
En attendant, et plus sérieusement, c'est dans les pas des
eurosceptiques britanniques que la présidente du Front national entend
s'inscrire. Non sans rencontrer quelque difficulté. Selon le souhait de
Gisela Stuart, chef de file des partisans du Brexit, l'accès au territoire
britannique devrait même lui être refusé. Cela en raison de « ses
opinions extrémistes
», comme expliqué dans un courrier adressé
au ministre de l'Intérieur, Theresa May, cité
par l'AFP. Perfide Albion ! Marine Le Pen prévoyait
effectivement de se rendre outre-Manche ce mois-ci. Sa visite « permettrait
aux Britanniques qui souhaitent sortir de l'Union européenne de savoir
qu'il y a des responsables européens de premier plan qui les soutiennent
»,
a souligné Florian Philippot, cité
par Euractiv.
Deux visions opposées
Bien des Britanniques apprécieraient sans doute de l'entendre vilipender
la bureaucratie européenne. Mais pour le reste, quoique volontiers
eurosceptiques, se reconnaîtraient-ils dans son discours ? « Après
le Brexit, le Royaume-Uni ne serait plus lié par le tarif extérieur
commun de l'UE sur les importations
», expliquent
des contributeurs de Telos. Or, précisent-ils, « les
partisans d'une sortie de l'UE soutiennent que le Royaume-Uni pourrait
bénéficier de ce changement en retirant unilatéralement tous les droits
de douane sur les importations
». Autrement dit, si Londres
quittait le navire européen, ce serait pour voguer vers des horizons aux
antipodes du « protectionnisme intelligent
» cher au
Front national...
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24 avril 2016
Avec aussi une petite touche de royalisme...
« Le créneau "ni droite, ni gauche", un temps occupé par le FN
[...] paraît faire des émules
», et cela « tous
azimuts
», écrivait Aristide Leucate, dans
le dernier numéro de L'Action Française 2000
(21 avril 2016). Voilà que Rama Yade semble confirmer son
observation : alors qu'elle vient de se déclarer candidate à
l'élection présidentielle, elle se dit « libre d'être de droite,
libre d'être de gauche
», revendiquant le soutien d'une « coopérative
politique
» constituée d'une mosaïque de petits partis aux
inspirations idéologiques diverses (Alliance écologiste et indépendante,
Parti libéral démocrate, Démocratie 21, Rassemblement écocitoyen,
Cercle de la Diversité).
Apologie de la tradition
Malicieusement, notre confrère se demandait si les adeptes d'un tel
positionnement n'étaient pas des « royalistes latents
».
Rama Yade a beau se prétendre« aux antipodes
» d'Emmanuel
Macron (« je ne représente ni la bourgeoisie d'État, ni les
puissances d'argent
», clame-t-elle de façon aussi cinglante
que mesquine), la question mérite d'être posée à son propos également,
comme en témoigne le ton sur lequel elle avait commenté le mariage du
prince William et de Kate Middleton : « la tradition,
c'est quand même bien, quand elle unit deux jeunes gens et un peuple
tout entier
», expliquait-elle
en avril 2011 ; à ses yeux, « le moment le plus intense
(furtif) fut la révérence de Kate, devant la reine Elizabeth qui
semblait en avoir vu tellement
» ; en effet,
remarquait-elle, « il y avait là une transmission, un respect, une
soumission devant la tradition, un genre
»
Romantisme néo-gaullien
Cela étant, c'est au "peuple", et non au roi, que Rama Yade entend rendre
le pouvoir. Son discours ravira les souverainistes, à certains égards du
moins. Regrettant naïvement que l'Union européenne ne dispose pas d'un
véritable président, elle rappelle, cependant, qu'elle avait voté "non" au
référendum de 2005 ; or, dénonce-t-elle, « on n'a pas
respecté mon vote
», puisque le traité établissant une
constitution pour l'Europe est « revenu en 2008 par la fenêtre
».
Reprochant à Paris de « se soumettre en permanence à la
bureaucratie
» de Bruxelles, elle prône « la politique
de la chaise vide
», donnant en exemple la perfide Albion de
David Cameron, mais aussi la Grèce d'Aléxis Tsípras – lequel aurait
« su insuffler de la démocratie en Europe
». À l'avenir,
réclame-t-elle, chaque élargissement devrait faire l'objet d'un
référendum. De son point de vue, « plutôt que de nous soumettre à
la mondialisation
[...] consumériste
», il faudrait que
« la France redevienne une puissance médiatrice
».
« Extirpée de la famille américaine », celle-ci
« parviendrait, avec les symboles, à compenser ce qu'elle a perdu
en termes économiques
», promet Rama Yade, pour qui « la
France n'est pas la France sans la grandeur
».
« Aux Français de dire et faire ! »
Ce romantisme néo-gaullien, mâtine d'accents populistes, se trouve mêlé,
chez Rama Yade, à des revendications typiquement libérales. « Aux
Français de dire et faire !
», clame-t-elle dans
son manifeste. Or, précise-t-elle, « rendre le pouvoir aux
Français
», c'est, certes, en appeler au référendum, mais aussi
« les laisser faire et créer du lien entre eux
».
Autrement dit, il s'agirait de « passer de l'État-providence,
omnipotent et impuissant, à une société-providence, plus innovante
».
Dans cette perspective, « plutôt qu'une économie où les grands
groupes, en connivence avec la haute administration, finissent par se
couper du tissu économique et social de notre pays
», Rama Yade
entend promouvoir « une économie du partage qui introduise une
concurrence plus juste, libère nos entreprises de l'emprise notamment
fiscale de l'État et permette l'innovation
». Aux échecs de
Pôle Emploi et de l'Éducation nationale, elle oppose la réussite de
quelques initiatives privées citées en exemple.
Candidature sans promesse
« Notre pays compte dans ses rangs des Français extrêmement
capables et désireux d'agir
», se félicite Rama Yade. Des
paroles en l'air ? Peut-être bien. « Parce que la valeur
promesse a été disqualifiée, je n'en ferai pas
»,
annonce-t-elle avec une certaine légèreté. Son inclination à
dramatiser les enjeux ne sert pas sa crédibilité : « parce
que les Français ont perdu toute confiance, l'élection française de 2017
ne ressemblera à aucune autre
», croit elle-deviner. « À
situation hors normes, il faut un projet de radicalité
»,
poursuit-elle. Reste à en dessiner les lignes...
En attendant, c'est avec bienveillance, quoique sans illusion, que nous
accueillerons tous les discours appelant les Français à reprendre leur
destin en main : do it yourself – tel serait
notre programme pour 2017 !
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20 avril 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
Référendum aux Pays-Bas sur l'accord d'association avec l'Ukraine : quand les diplomates doivent compter avec les aléas de la démocratie, c'est le rêve d'une Europe politique qui se dissipe.
Régulièrement, l'Union européenne se heurte à l'écueil de la démocratie.
Outre la réforme des ses institutions, c'est désormais sa politique
étrangère qui doit compter avec elle. Ainsi l'accord d'association avec
l'Ukraine vient-il d'être désavoué aux Pays-Bas, à l'occasion d'un
référendum consultatif. Le moment venu, à la faveur d'une nouvelle
"initiative populaire", peut-être le même sort sera-t-il réservé au
Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) ;
la
collecte des signatures nécessaires a déjà commencé à cet effet.
La voix du Parlement
En France, nul référendum n'est à l'ordre du jour. Cependant, les
parlementaires prétendent faire entendre leur voix. Plusieurs dizaines
d'entre eux l'ont martelé dans
une tribune publiée le 7 avril 2016 dans les colonnes du Monde :
« nous demandons solennellement au gouvernement français de
refuser de signer tout accord avec les États-Unis si le Parlement est
réduit au silence
», proclament notamment les socialistes
Patricia Adam, Lalande Bernard et Marie Récalde. Dans
un rapport publié le mois dernier, leur collègue Jean Bizet tentait
d'évaluer « comment le Sénat influe sur l'élaboration des textes
européens
». Ainsi les positions de la chambre haute
auraient-elles été « largement reprises par le gouvernement dans
le dossier sensible et complexe des projets d'accords commerciaux entre
l'Union européenne, le Canada et les États-Unis
», par exemple.
D'une façon générale, les informations transmises par le Secrétariat
général des affaires européennes seraient « très complètes et de
grande qualité, mais [...] communiquées trop tardivement
».
Quant aux réponses apportées par la Commission européenne, « si
elles restent encore d'inégale qualité
», elles « gagnent
en intérêt et ont tendance
[...] à être transmises plus
rapidement que par le passé, ce qui permet de nourrir un dialogue
extrêmement utile ». Cela étant, Bruxelles ferait la sourde oreille
dès lors qu'il est question de subsidiarité : interpellée sur ce
point, la Commission « campe sur ses positions
[...] et ne
répond pas vraiment aux objections du Sénat
».
Ce dialogue mené tantôt avec Matignon, tantôt avec Bruxelles, illustre
les deux aspects du "déficit démocratique" qu'aurait creusé la
construction européenne. Dans une optique souverainiste, il traduit
l'accroissement des pouvoirs de l'Union européenne aux dépens des
institutions nationales. Mais suivant une autre acception, il rend compte
de l'éviction du Parlement au profit du gouvernement. Or, comme le
rappelle Jean Bizet, « dans notre système
[...], le pouvoir
exécutif n'est pas juridiquement tenu de se conformer aux résolutions
votées par les assemblées parlementaires
» ; « il
n'existe pas, comme dans certains États membres, la Finlande et le
Danemark par exemple, de mandat de négociation auquel le gouvernement
doit obligatoirement se tenir
».
Cependant, peut-être les gouvernements européens sont-ils en passe de
perdre l'autonomie qu'ils semblaient avoir ainsi acquise. Le référendum
néerlandais en témoigne : si l'accord d'association avec l'Ukraine
n'avait pas été négocié au nom de l'UE, peut-être aurait-il été ratifié
dans l'indifférence générale. Dans cette perspective, la médiation
européenne ne constituerait plus un blanc-seing mais, au contraire, une
étiquette infamante susceptible d'inspirer la défiance populaire.
Retour au seul commerce
Quoi qu'il en soit, alors qu'elles étaient déjà en vigueur à titre
provisoire, la plupart des dispositions de l'accord signé avec l'Ukraine
le resteront vraisemblablement définitivement. Les traités européens le
permettent, dès lors qu'elles relèvent des compétences exclusives de
l'Union. Qu'en est-il, d'ailleurs, du traité négocié avec Singapour ?
La Cour de justice de l'Union européenne tranchera prochainement...
Si la démocratie directe devait durablement s'immiscer dans les relations
internationales, l'Union européenne devrait sans doute se cantonner à
négocier des accords strictement commerciaux, relevant donc de
sa compétence exclusive, afin d'en garantir une ratification sans
encombre. Jean Quatremer ne s'y est pas trompé : « le "non"
néerlandais est un coup dur pour la politique étrangère des Vingt-Huit
»,
déplore-t-il
sur son blog. « L'idée était d'inclure le commerce dans une
démarche politique afin d'en faire un instrument diplomatique
»,
explique un diplomate européen, cité par notre confrère ; de son
point de vue, « ne plus faire que du commercial pour éviter un
référendum serait une sacrée régression
». C'est le rêve d'une
Europe politique qui se dissipe encore une fois.
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8 mars 2016
La preuve par l'euro.
On croyait que le FN mettrait de l'eau dans son vin. Mais non.
« Tout le monde au Front national est pour la fin de l'euro et la
souveraineté monétaire
», continue
de marteler Florian Philippot, son vice-président. « Si nous
arrivons au pouvoir
», a-t-il prévenu dimanche dernier, 6 mars
2016, « il est certain qu'au bout de six mois maximum la France aura
une monnaie nationale
».
Que les antifascistes se rassurent : ce faisant, Florian Philippot
exclut manifestement toute perspective d'accession au pouvoir à court
terme. Dans le cas contraire, c'est bien évident, il se garderait de
susciter aussi délibérément la fuite des capitaux qui s'accentuerait au
fur et à mesure que Marine Le Pen serait donnée gagnante dans les
sondages.
Par souci de l'intérêt national, puisque c'est un patriote, comme chacun
sait. Mais aussi par nécessaire calcul. S'il était coupable d'appauvrir la
France avant même de prendre les rennes de l'État, le FN en compromettrait
précisément la conquête.
Pour ne rien arranger, Florian Philippot promet un référendum sur
l'euro ! Les ménages seront-ils privés d'argent liquide le temps que
se déroule le nécessaire débat censé éclairer la conscience des
citoyens ? La Grèce, voilà le modèle à suivre !
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2 mars 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, les petits garçons
vibraient au rythme des aventures télévisées du capitaine Albator... Le
moment est venu de leur rafraîchir la mémoire.
Le capitaine Harlock, alias Albator, vient de faire son retour dans les
librairies. Dans l'ombre de Goldorak, ce personnage a bercé toute une
génération de petits Français. Apparu dans un manga en 1969, puis à la
télévision en 1978, il a présenté plusieurs visages au fil de ses
aventures, jusqu'à la caricature : porté au cinéma en 2013, il y est
apparu sous les traits d'un psychopathe, tentant de racheter ses fautes à
la faveur d'un génocide galactique prétendument rédempteur...
Retour aux sources
C'est à un retour aux sources que nous sommes conviés aujourd'hui, alors
que vient de paraître la traduction française du premier tome d'un nouveau
manga, Capitaine Albator – Dimension
Voyage. Il s'agit d'un remake fidèle de
l'histoire originelle, faisant, en quelque sorte, la synthèse d'une œuvre
éparse à la cohérence toute relative. Ainsi
le personnage de Kirita (Vilak) est-il repris du dessin animé de
1978, mais sous les traits d'un autre, apparu dans les années 2000.
Officiant toujours au scénario, Leiji Matsumoto, soixante-dix-huit ans, a
cédé son crayon à Kouiti Shimaboshi. Le dessin s'avère modernisé, mais les
nostalgiques ne devraient pas en être dépaysés.
Signe des temps : la reine Sylvidra arbore désormais un décolleté.
Albator s'en trouvera-t-il émoustillé, comme des quadragénaires le furent
jadis à la vue des Sylvidres dénudées ? Rien n'est moins sûr. Alors
qu'il voue une amitié indéfectible à Tochiro, on ne lui connaît qu'une
seule et unique aventure, à l'issue tragique. En tout cas, les féministes
ne l'apprécient guère. Relisant le manga fondateur, Charles-Édouard
Mandefield s'était désolé d'un « machisme décalé
». Un
passage a plus particulièrement retenu son attention, explique-t-il
sur Otakia (en ligne) : celui où Kei Yuki
(Nausicaa) « met sa vie en péril pour ménager la susceptibilité de
Tadashi
» (Ramis) « et lui faire croire qu'il l'a
sauvée
». « Dans cette histoire
», conclut
notre confrère, « le message en filigrane est donc que les femmes
[...] doivent masquer leur vraie valeur pour ne pas offusquer la gente
masculine
». C'est oublier que ces récits sont destinés surtout
à des garçons... Peut-être certains en auront-ils tiré quelque leçon
d'humilité !
Reste à savoir ce qu'il adviendra de cet épisode dans la suite du remake. Dans ce premier tome, alors que les Sylvidres
se préparent à envahir la Terre, « la civilisation matérialiste a
conduit le peuple à la dépravation
», comme le remarque l'une
d'entre elles. Conscient de la menace, le professeur Daiba alerte le
ministre censé présider aux destinées de l'humanité. Hélas, déplore-t-il,
« cette tète de mule ne pense qu'a jouer au golf
» !
Son fils, Tadashi, en est révolté : « ce n'est qu'un
inconscient qui se complaît dans l'indolence
», observe-t-il.
« Depuis quand les hommes ne son-ils plus qu'une bande de
dégonflés ?
», se demande-t-il encore. À la mort de son
père, il décide de rejoindre l'Arcadia commandé par Albator. Un vaisseau
« avec à son bord de vrais hommes
» !
Romantisme viril
Considérant ses semblables avec dédain, Albator n'en engage
pas moins un combat désespéré pour sauver la Terre. Sans doute ce
"romantisme viril" explique-t-il la sympathie que lui accordent les
militants italiens de Casapound. Les identitaires français ne sont pas en
reste : « ce personnage luttant pour une humanité dans
laquelle il peine pourtant à se reconnaître, marqué par ses combats dans
son cœur comme sur son visage, et hissant le pavillon noir à tête de
mort sur son vaisseau, avait tout pour séduire les pirates identitaires
»,
explique
Philippe Vardon-Raybaud. Dans son livre, Éléments pour une
contre-culture identitaire, tout comme dans celui d'Adriano
Scianca, Casapound – Une terrible beauté est née !, Albator
côtoie Ernst Jünger, dont il incarne précisément la
figure du rebelle : « celui qui, isolé et privé de sa
patrie par la marche de l'univers, se voit enfin livré au néant
» ;
« résolu à la résistance
», il « forme le dessein
d'engager la lutte, fût-elle sans espoir
» ; « est
rebelle, par conséquent
», aux yeux de l'écrivain
allemand, « quiconque est mis par la loi de sa nature en rapport
avec la liberté, relation qui l'entraîne dans le temps à une révolte
contre l'automatisme et à un refus d'en admettre la conséquence éthique,
le fatalisme
».
Cependant, errant dans l'espace (et non dans les forêts), notre rebelle
ne serait-il pas un apatride ? « Sous la bannière de la
liberté, il parcourt les mers sans fin de l'univers en ne comptant que
sur lui-même
», s'enthousiasme un jeune homme déshérité, croisé
dans les pages du manga. Alors qu'il s'apprête à s'envoler, Tadashi
détruit un drapeau aux couleurs de la confédération terrestre. « Mon
étendard à moi est orné d'une tête de mort
», se justifie-t-il.
Cela étant, toute notion d'héritage ne lui est pas étrangère, bien au
contraire, car il poursuit, à sa façon, l'œuvre de son père. Albator,
quant à lui, cultive la fidélité dans la tradition de sa lignée...
Nationalisme japonais
Au sein de l'équipage, il règne un sympathique désordre, dont s'émeut
Tadashi : « ce vaisseau est un vrai cirque
», se
lamente-t-il, outré, alors qu'il en fait la visite. Mais quand vient
l'heure du combat, sous les ordres du capitaine, chacun répond toujours à
l'appel... Autrement dit, à bord de l'Arcadia, c'est l'anarchie plus
un ! Ce vaisseau présente l'allure générale d'un cuirassé, sur lequel
auraient été greffées les ailes d'un avion, mais aussi la poupe d'un vieux
galion. La grande classe ! Dans une œuvre connexe, Leiji Matsumoto
avait même exhumé le croiseur Yamato, puisant ainsi « dans les
racines du nationalisme japonais
», comme l'expliquait Didier
Giorgini dans la revue Conflits (n° 3, automne 2014)...
Preuve que la politique n'est jamais très loin !
Leiji Matsumoto (scénario) et Kouiti Shimaboshi (dessins), Capitaine
Albator – Dimension Voyage, tome I, Kana, février 2016,
5,95 euros.
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18 février 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
La perspective d'un Brexit impose la reprogrammation du logiciel
souverainiste.
La singularité du Royaume-Uni figure à l'ordre du jour de la réunion du
Conseil européen des 18 et 19 février prochains (2016). Dans la
perspective du référendum qui se tiendra vraisemblablement fin juin, le
Premier ministre David Cameron doit négocier un arrangement censé
justifier, auprès de l'opinion publique britannique, le maintien de son
pays dans l'Union européenne. Ce faisant, Londres cherche-t-il à
réaffirmer son indépendance vis-à-vis de Bruxelles ? En partie
seulement, si l'on en juge par ses demandes formulées officiellement en
novembre dernier.
Protéger les intérêts de la City
Symboliquement, le gouvernement britannique voudrait en finir avec cette
« union toujours plus étroite
» promise par les traités
européens. Parallèlement, il souhaiterait conférer de nouvelles
responsabilités aux parlements nationaux, et surtout revoir les conditions
suivant lesquelles les ressortissants d'un État membre peuvent librement
circuler d'un pays à l'autre ; il s'agirait, en quelque sorte, de
répondre à la hantise du "tourisme social". Londres réclame, par ailleurs,
un approfondissement du marché unique, la conclusion de nouveaux accords
commerciaux avec les États-Unis, la Chine ou le Japon, mais aussi la
garantie que la zone euro ne poursuivra pas son intégration à ses dépens.
C'est l'influence de la City qui est en jeu. Dernièrement, la Banque
centrale européenne s'y était attaquée de front, tentant d'imposer un
ancrage territorial dans la zone euro aux chambres de compensation les
plus importantes. Dans cette affaire, la Cour de Justice de l'Union
européenne avait finalement arbitré en faveur des intérêts britanniques,
mais peut-être n'en sera-t-il pas toujours ainsi.
La zone euro, là où le bât blesse
Or, c'est précisément l'un des points sur lesquels la négociation
pourrait achopper. « Nous sommes attachés
[...] à ce que
les pays qui ne sont pas membres de la zone euro
[...] soient
respectés
» et « informés de tout ce qui se décide
»,
a
déclaré le président de la République, Français Hollande ;
« mais il ne peut pas y avoir de veto des pays hors zone euro sur
ce que nous avons à faire dans la zone euro
», a-t-il prévenu.
Des engagements de principe seront sans aucun doute souscrits pour
rassurer les Britanniques. Il faudra bien les accompagner de quelques
déclinaisons pratiques. Un exemple est donné par notre confrère Jorge
Valero : comme
il l'explique sur Euractiv, une possibilité serait
« de programmer la réunion des ministres des Finances de la zone
euro (Eurogroupe) après que tous les ministres européens des Finances se
[seront] rencontrés (Ecofin), plutôt que le contraire, comme c'est le
cas actuellement
».
En tout cas, les exigences de la perfide Albion ne manqueront pas de
légitimer l'espoir, exprimé entre autres par l'ancien Premier ministre
Michel Rocard, d'une relance de la construction européenne à la faveur
d'un "Brexit". Incidemment, les souverainistes semblent condamnés à
reprogrammer leur logiciel : l'Europe « à géométrie variable
»,
dont ils étaient traditionnellement les chantres, ne se retrouve-t-elle
pas instrumentalisée par leurs meilleurs ennemis ? « Une
Europe plus intégrée sera une Europe des différences
», a ainsi
expliqué à l'AFP Sandro Gozi, secrétaire d'État italien aux Affaires
européennes, cité
par Euractiv. Un détricotage prochain de l'Union
européenne n'en reste pas moins envisagé. Peut-être David Cameron a-t-il
effectivement ouvert la boîte de Pandore. Sans surprise, Marine
Le Pen prétend inscrire ses pas dans ceux du Premier ministre
britannique. Sans doute s'accorderait-elle avec
Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur du Sénat, selon laquelle l'Europe
serait « à un tournant de son histoire
».
Résilience de l'UE
Laurent Warlouzet, maître de conférences en histoire à l'université
d'Artois, juge déplacée cette dramatisation des enjeux. « En fait,
cette perspective cataclysmique sous-estime la résilience
institutionnelle de l'Union européenne
», explique-t-il
dans un entretien à La Tribune. « Avant
l'UE
», rappelle-t-il, « la CEE a déjà survécu à de
nombreuses crises qui remettaient en cause son existence, de la crise de
la Chaise vide en 1965 à la crise budgétaire britannique
[...],
sans parler des événements plus récents, du "non" français de 2005 à la
crise de l'euro
». Quant au « risque de désagrégation
du camp occidental
» (à moins qu'il s'agisse d'une
opportunité, selon les points de vue), il ne serait « pas
plus présent
». « L'Otan a toujours eu un périmètre
différent de l'ensemble CEE-UE
», poursuit-il. De toute façon,
« les divisions majeures au moment de la guerre en Irak en 2003
ont montré que les divergences stratégiques n'ont jamais empêché la
poursuite de la coopération en matière de gouvernance économique et
sociale, qui reste encore aujourd'hui le domaine de compétence majeure
de l'Union européenne
». Autrement dit, l'Europe n'a pas dit
son dernier mot.
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