Anne Hidalgo veut la peau des Twingo

18 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Sous prétexte d'écologie, des véhicules en bon état risquent d'être précipités vers la casse.

Vingt ans, c'est trop vieux : dès l'été prochain, les voitures immatriculées avant 1997 seront bannies de Paris ; d'ici quatre ou cinq ans, le même sort sera réservé à celles mises en circulation avant 2011. « À force de négociations avec la municipalité, les propriétaires de véhicules de collection feront exception à ces interdictions », précise notre consœur Leila Marchand (Les  Échos, 11 mai 2016) – un privilège réservé aux automobiles âgées de trente ans ou plus ; déjà convoitées par les amateurs, les Clio Williams devront patienter quelque temps aux portes de la capitale ; tout comme les Ferrari F40, par exemple ! Les propriétaires de véhicules plus populaires peuvent s'inquiéter : « personne ne voudra de votre voiture si elle ne peut plus circuler dans Paris et elle ne vaudra donc plus rien », déplore l'avocat Jean-Baptiste Iosca (Le Parisien, 11 mai 2016).

Obsolescence planifiée

Cette politique s'inscrit dans la continuité des "primes à la casse" instituées dans les années quatre-vingt-dix. Elle fait écho au projet fantaisiste qu'avait présenté dans les années trente Bernard London : apôtre de « l'obsolescence planifiée », il regrettait « que les consommateurs aient pris l'habitude, à cause de la crise, d'utiliser un produit jusqu'à ce qu'il soit hors d'usage », comme le résume Wikipedia ; de son point de vue, c'était un frein à l'activité économique. Frédéric Bastiat, icône française du libéralisme, n'aurait pas manqué de réfuter un « sophisme » : « la société perd la valeur des objets inutilement détruits », expliquait-il au XIXe siècle ; autrement dit, « destruction n'est pas profit ».

Or, précipiter des automobiles vers la casse, cela n'a rien d'une fatalité. À l'intention des heureux collectionneurs roulant en 911, Porsche propose des tableaux de bord refaits à l'identique, quoique plus résistants que les originaux ; mais aussi un système multimédia (GPS, connexion USB, écran tactile...) s'intégrant dans le compartiment réservé jadis à l'autoradio. Visant un public beaucoup plus large, Aramisauto.com s'est lancé en 2013 dans le reconditionnement de véhicules d'occasion ; « le principe n'est pas nouveau », remarque Jean Savary (Caradisiac, 2 avril 2015) ; « mais là », souligne-t-il, « c'est à l'échelle industrielle, avec la productivité que cela suppose ». Anne Hidalgo, s'abrite derrière des considérations écologiques. Mais n'apporte-t-elle pas une caution politique à la frénésie consumériste ? « Rappelons juste que la fabrication d'une voiture occasionne l'émission de huit à douze tonnes de CO2 et qu'il faut, pour l'éponger avec une voiture consommant un litre de moins aux cent kilomètres que celle qu'elle remplace, parcourir dans les 300 000 kilomètres », lui rétorque encore Jean Savary.

Les Tesla adulées

Dédaignant les sympathiques Twingo (première version), dont la bouille rigolote et les couleurs pimpantes égaient toujours les rues de Paris, Mme Hidalgo leur préfère des voitures électriques, à l'image des luxueuses Tesla. De fait, sans le soutien des pouvoirs publics, peut-être le constructeur de Palo Alto n'aurait-il pas connu pareil succès. « Le modèle économique actuel d'Elon Musk est de collecter de l'argent de la poche de ses concurrents automobiles, sous forme de "permis d'émissions" », dénonce ainsi Charles Boyer (Contrepoints,  6  mai 2015) ; selon lui, « Tesla perd des sous sur chaque voiture qu'il vend, et fait des profits en agissant fondamentalement comme un fermier général, collecteur de taxes auprès de ses concurrents ». À Singapour, cependant, la Model S a été affublée d'un malus écologique ; « il faut mettre en perspective la propreté de l'électricité, produite aux trois quarts à Singapour par des centrales au gaz naturel », explique notre confrère Romain Heuillard (Clubic, 9 mars 2016).

Au moins les Tesla se distinguent-elles par leur capacité à recevoir des mises à jour, susceptibles de pallier leur obsolescence. À moins qu'il s'agisse de corriger les bugs résultant d'un développement trop hâtif ? Quelques propriétaires de Model X ont été confrontés à des portières bloquées... Tesla innove incontestablement dans le domaine du marketing. Ainsi propose-t-il à ses clients d'accroître l'autonomie de leur voiture, délibérément limitée par un bridage logiciel, en souscrivant une option d'un simple clic ; « bien entendu, ce n'est pas une opération magique : les Model S 70 et les Modell S 75 embarquent tous les deux une batterie de 75l kWh », précise Julien Cadot (Numerama, 6 mai 2016). Autrement dit, le prix de vente se trouve explicitement déconnecté du coût de fabrication – dans l'industrie automobile, c'est une révolution !

Révolution en marche

Une autre bouleversement s'annonce : profitant de la connectivité de ses véhicules, Tesla accumule les données nécessaires au développement de la conduite autonome. Si l'entreprise « prend une longueur d'avance aujourd'hui sur la concurrence, c'est parce qu'elle possède déjà des centaines de milliers de données sur de la conduite réelle, sur route, de ses modèles », analyse Julien Cadot (Numerama, 12 mai 2016). Dans ces conditions, aux yeux des constructeurs traditionnels, « les spécialistes des flux d'information [...] sont potentiellement inquiétants : ils pourraient devenir demain de nouveaux concurrents ou, pire, leur prendre la position centrale qu'ils occupent aujourd'hui dans la chaîne de valeur », comme expliqué sur Paris Tech Review (26 avril 2016). Klaus Froehlich, directeur de la recherche et du développement de BMW, en a pleinement conscience : si son entreprise négocie mal ce virage, prévient-il, « nous finirons comme un Foxconn pour une société comme Apple, à ne fournir que des cadres en métal » (Clubic, 7 mars 2016). La France saura-t-elle tirer son épingle du jeu ? La Cour des comptes craint qu'elle y soit mal préparée. Ainsi déplore-t-elle « une "absence de stratégie globale et de coordination entre les services de l'État", avec notamment une veille internationale inadéquate pour orienter les actions à mener », comme le rapporte André Lecondé (Caradisiac, 11 mai 2016). Les responsables politiques seraient bien inspirés de s'en préoccuper, plutôt que de jeter l'anathème sur les malheureux Parisiens possesseurs d'une vénérable Twingo.

Les politiques s'arrachent les racines

18 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Voilà qu'on reparle des "racines chrétiennes" de la France. Un député propose même de les inscrire dans la Constitution.

Karim Ouchikh, président du Siel (parti associé au FN), ferait-il des émules ? « Si tous les cultes sont formellement égaux devant la loi, les religions ne le sont pas devant la mémoire », expliquait-il dans le précédent numéro de L'Action Française 2000 (n° 2931 du 5 mai 2016) ; « sans jamais promouvoir un État confessionnel », poursuivait-il, « il nous faut donc fonder une laïcité qui admettrait la prééminence du fait chrétien dans le débat public ».

La laïcité contre l'islam

Éric Ciotti, député (LR) des Alpes-Maritimes, semble lui faire écho : « s'il faut défendre à tout prix la laïcité en tant que facteur d'unité, elle ne peut avoir pour corollaire l'effacement de notre culture commune  », affirme-t-il dans l'exposé des motifs d'une proposition de loi constitutionnelle, enregistrée à la présidence de l'Assemblée nationale le 6 mai dernier (2016). « La France a été culturellement façonnée et imprégnée par son histoire chrétienne qui a forgé les modes de vie, l'organisation sociale, ou encore le calendrier civil ou les fêtes religieuses », souligne-t-il. Soucieux de « graver cette empreinte durable dans le premier article de notre loi fondamentale », il propose  de réviser la Constitution en conséquence, afin qu'y soit mentionnée la « tradition chrétienne » dont la France est l'héritière.

Mais parallèlement, la "laïcité" serait ajoutée à la devise de la République – « liberté, égalité, fraternité ». Ce faisant, il s'agirait de « rappeler avec force la place fondamentale de ce principe ». Celui-ci « n'a eu de cesse de reculer », déplore Éric Ciotti. « L'espace public est progressivement devenu un lieu d'expression d'appartenances et de pratiques religieuses », dénonce-t-il. Bien qu'il ne soit pas cité, c'est évidemment l'islam qui est visé. Instrumentaliser la laïcité à ses dépens, voilà une démarche à nos yeux malvenue, quoique désormais convenue. « La laïcité ne doit [...] pas nous conduire à ignorer qui nous sommes, ni d'où nous venons », prétend certes M. Ciotti. Cependant, comment pourrait-il en être autrement, étant donné l'acception dévoyée qu'il en propage par ailleurs ? Selon lui, « le modèle français exige des individus de confiner à la sphère privée ce qui relève de leurs croyances religieuses ». Si tel était effectivement le cas, les prêtres en soutane se trouveraient bannis de nos rues, au même titre que les femmes couvertes d'un voile islamique !

Polémique calculée

Toutefois, en l'état actuel du droit, la laïcité ne vire pas nécessairement au laïcisme. C'est pourquoi il nous semblerait impossible d'engager des poursuites contre le socialiste Pierre Moscovici, commissaire européen, qui revendique pourtant, dans l'exercice de ses fonctions, des convictions de nature quasi religieuse : « je ne crois pas aux racines chrétiennes de l'Europe », a-t-il déclaré le 8 mai sur BFM TV. Comme si c'était une affaire de foi ! Sans doute s'agit-il, dans un cas comme dans l'autre, d'envoyer un signal politique, sans traduction concrète, mais délibérément polémique et "clivant". Rama Yade, quant à elle « rêve d'un second tour face à Marine Le Pen », comme le rapportait Le Point le 28 avril ; « je voudrais que symboliquement le choix des Français, ce soit elle ou moi », a-t-elle déclaré à notre consœur Émilie Trevert. Dans ces conditions, les détracteurs du « grand remplacement » ne manqueraient pas d'en faire l'enjeu du scrutin, au risque de déchaîner bien des passions... Les responsables politiques ont beau se gargariser du "vivre-ensemble", celui-ci fera vraisemblablement les frais des joutes électorales.

La guerre au quotidien

18 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Comment L'Action Française traitait l'actualité au printemps 1916, un siècle avant la commémoration officielle de la bataille de Verdun.

Il y a cent ans, le 29 mai 1916, à la une de L'Action Française, des communiqués officiels rendaient compte brièvement des opérations militaires. Sur la deuxième page du journal, quelques lignes étaient consacrées à la bataille de Verdun : « on pouvait prévoir, après l'acharnement des dernières luttes, que les Allemands s'abstiendraient de toute attaque avant d'avoir reconstitué leurs divisions décimées par le feu », soulignait le commandant Z. Mais il n'en fut rien : « l'ennemi a dirigé un violent bombardement », observait-il ; depuis deux jours, en revanche, il n'y avait eu « aucune attaque d'infanterie ».

Kant et Rousseau accablés

Dans un petit article non signé, L'AF s'interrogeait sur la Grèce, alors « en proie à l'invasion bulgare » : « les neutres n'échapperont pas à leur destin », prévenait l'auteur ; « quoi qu'elle fasse, sa cause devrait être désormais liée à la nôtre : nous nous heurtons aux mêmes ennemis, son "ennemi héréditaire" le Bulgare et le bloc germanique, destructeur des peuples ». Nulle complaisance n'était tolérée à l'égard de l'ennemi. Léon Daudet en débusquait les espions et autres complices présumés, à l'image des collaborateurs de Maggi (les petits cubes alimentaires) – « une boîte allemande à masque suisse », dénonçait-il. Charles Maurras, quant à lui, se disait « heureux d'applaudir aux paroles » d'un certain Paul Helmer : « c'est la nation allemande tout entière qui a voulu la guerre », affirmait ce dernier ; « c'est elle tout entière qui doit être châtiée », poursuivait-il. Le Martégal prêtait des origines philosophiques au conflit en cours : « l'État boche procède d'un type d'individualisme absolu trouvé chez Kant, maintenu et copieusement développé dans Fichte, comme l'État jacobin émane et évolue du libéralisme absolu admis également comme point de départ par Rousseau », expliquait-il.

Renvoyés à des considérations plus terre-à-terre, les lecteurs étaient invités à soutenir l'effort de guerre via la souscription d'obligations. Une liste de combattants tombés au champ d'honneur était publiée en une ; c'était déjà la cinq cent soixantième... Mais toute légèreté n'était pas bannie des colonnes du journal, où se poursuivait un « feuilleton » – en l'occurrence, L'Île au trésor de Robert Louis Stevenson.

Jacques Bainville et l'Action française

4 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Journaliste, historien, Jacques Bainville (1879-1936) est toujours resté très lié à l'Action française, tout en rayonnant au-delà. Nous remercions son biographe, Christophe Dickès, de nous avoir éclairé sur ce point. La place ayant manqué dans les colonnes du journal, nous publions ci-dessous l'intégralité des réponses qu'il nous a apportées

Présenter Jacques Bainville « comme un historien d'Action française » reviendrait-il à entretenir « une fausse vérité », comme cela a été dit dernièrement au micro de Radio Courtoisie ?

Il me semble difficile de séparer Jacques Bainville de l'école d'Action française. Dès les premières années de l'AF, Bainville tient à populariser l'idée de monarchie. Ceci est très net dans sa réponse à l'Enquête sur la Monarchie de Maurras : il explique qu'il est nécessaire d'adopter un comportement pédagogique à l'égard de la population afin de faire comprendre les bienfaits des idées monarchiques. Plusieurs années après, en 1924, il publie son Histoire de France qui a précisément cette vocation : réhabiliter l'histoire et le travail des rois de France alors qu'ils étaient dénigrés par l'histoire républicaine et progressiste. Bainville est un vulgarisateur, dans le bon sens du terme. On le sait, il fait partie des historiens dits engagés. Il est considéré comme tel dans les études historiographiques. Or cet engagement en faveur des idées monarchiques défendues par l'AF ne souffre aucune contestation. Il faut aussi lire son carnet intime de 1929 que j'ai publié aux éditions Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il parle de l'AF de la façon suivante en 1929 : « La faiblesse de l'AF n'est pas, comme le croyait Barrès, de ne s'adresser qu'à la raison et de ne pas tenir compte des puissances des sentiments. C'est de ne s'adresser qu'aux sentiments nobles, désintéressés, à l'amour du bien public, à la vertu. » Mais au-delà de ces sentiments, Bainville a complètement intégré dans son analyse politique le modèle maurrassien de l'empirisme organisateur.

Jacques Bainville accordait-il une importance particulière à son travail pour L'Action Française, ou bien collaborait-il avec elle au même titre qu'avec d'autres journaux ?

Selon les archives des Renseignements généraux, la fameuse sous-série F7, Bainville fait partie des structures de l'AF dans les années d'avant-guerre. Avec le temps, son engagement militant sera moindre. Mais Jacques Bainville a été toute sa vie rédacteur de L'Action Française. Il avait à l'AF son bureau et ses amitiés, qu'il n'a jamais trahies. Il disait de Maurras qu'il lui devait tout, sauf la vie. L'idée que Bainville aurait pris ses distances avec l'AF vient du fait qu'après-guerre, ses succès d'écrivain lui ont permis de s'émanciper et de s'engager pour plusieurs journaux en dehors du cercle monarchiste : La Liberté, Le Petit Parisien, etc. Mais cette émancipation et cet engagement professionnel ne doivent pas occulter la persistance de son antiparlementarisme et de son antilibéralisme. Ceux qui veulent sortir Bainville de l'AF raisonnent par anachronisme en estimant que le modèle de la Ve République aurait convenu à Bainville. En effet, l'intégration de la politique étrangère comme un domaine réservé du président de la République, sous la Ve République, aurait pu remporter son adhésion. D'ailleurs, du point de vue des idées, il me semble évident que ce domaine régalien a été intégré à la constitution de la Ve République sous l'effet de la pensée politique de Charles Maurras. Le colloque organisé par le professeur Georges-Henri Soutou et Martin Motte sur l'influence de Maurras sur la politique étrangère de la France l'a très bien montré (Georges-Henri Soutou et Martin Motte, Entre la vieille France et la seule France, Economica-ISC, collection Bibliothèque stratégique, 2010). Il ne faut donc pas faire de contresens : c'est bien Maurras et Bainville qui ont inspiré la politique étrangère de le la France et le fameux domaine réservé. Non l'inverse.

Sa distance vis-à-vis des antidreyfusards et sa défiance à l'égard de l'antisémitisme ne plaçaient-elles pas Jacques Bainville en marge des nationalistes qu'il côtoyait ?

Votre question montre toute la complexité de l'époque de l'affaire Dreyfus mais aussi de l'Action française en général. Lionel Jospin s'était pris une volée de bois vert de la part des historiens en plaçant la gauche du côté des dreyfusards, la droite du côté des antidreyfusards... La grille de lecture est bien plus nuancée. Bainville est dreyfusard sur le plan judiciaire, antidreyfusard sur le plan politique car il est estime que les conséquences de l'affaire seront catastrophiques pour la France. Quand l'affaire atteint son paroxysme, il observe tout cela d'Allemagne. Et il s'inquiète de la division française face à l'empire wilhelmien en devenir... Cette idée va jouer sur son engagement monarchiste. Ceci dit, il faut rappeler qu'il n'avait aucun engagement politique ni littéraire à cette époque. Rappelons aussi que quand Dreyfus est condamné en 1894, il a à peine quinze ans !

Jacques Bainville se définissait-il lui-même comme nationaliste ?

Oui, c'est évident. Toute son œuvre sur l'Allemagne et la France en est la preuve évidente. Les intellectuels du IIIe Reich justifient le nationalisme allemand contre la France en partant de l'œuvre de Bainville. Pour eux, il s'agit de répondre à la conception westphalienne de l'Allemagne prônée par Bainville dans la tradition politique de Richelieu.

Alors qu'il était réputé pour sa modération, comment s'entendait-il avec Léon Daudet, qui disait vomir les tièdes ?

C'était tout simplement son meilleur ami. Jacques Bainville est celui qui va reconnaître le corps de Philippe Daudet à la morgue en 1923... C'est vous dire les liens qui unissaient les deux familles. Une autre anecdote : Hervé, le fils de Jacques, n'a entendu son père se mettre en colère qu'à une seule reprise : alors que Léon Daudet était en exil en Belgique, les Bainville déjeunaient chez eux ; or un journaliste a eu le malheur de sonner à la porte et de les déranger ; Bainville est entré dans une colère noire, chassant manu militari l'impétrant. Bainville était un faux calme et il ne supportait pas une telle intrusion dans l'intimité familiale et amicale. Dernière anecdote : après son élection à l'Académie française, Bainville rend hommage aux Daudet, Pampille (Marthe Daudet) et Léon : « Je crois que si nous avons montré quelque chose, c'est que l'amitié n'est pas une chimère. [...] Il y a vingt-huit ans, depuis la fondation du journal, que nous sommes assis, Léon Daudet et moi, à la même table de travail. [...] Je crois que si on voulait la scier, elle résisterait comme du granit, bien qu'elle ne soit que de bois blanc. »

Soucieux de la place de la France au sein du concert des nations, se distinguait-il en cela d'un Maurras prônant la politique de « la seule France » ?

C'est une excellente question à laquelle j'ai répondu à l'occasion du colloque que j'évoquais précédemment. Sur les principes, Bainville était maurassien. Plus maurassien d'ailleurs que Charles Maurras lui-même. Encore une fois, l'empirisme organisateur constitue la base de l'analyse politique bainvillienne empruntée à Maurras. C'est une des conclusions de ma thèse de doctorat. Néanmoins, dans les faits politiques, Bainville fait évoluer Maurras, notamment sur l'entente cordiale. Je me permets de renvoyer vos lecteurs à ma contribution à ce colloque.

Constatant qu'à la différence de Maurras, Bainville ne s'était pas enthousiasmé devant Athènes, vous avez parlé d'une « nuance importante » dans un précédent entretien ; que vouliez-vous dire ?

Bainville voyage en Grèce comme tout intellectuel de la IIIe République se devait de le faire. Il tire de ce voyage le livre Les Sept Portes de Thèbes. Mais le biographe de Bainville, Dominique Decherf, montre bien que ce voyage ne lui a tout simplement pas plu. Il a beaucoup de mal à s'extasier devant des ruines et des pierres qui, tout simplement, ne l'inspirent gère... C'est ici que l'on voit que Bainville est plus "romain" que "grec".

Les opinions libérales de Jacques Bainville étaient-elles contestées au sein de l'AF ? Il n'y a « rien de plus terrible que la liberté donnée à l'État d'imprimer du papier-monnaie », écrivait-il, par exemple, dans L'Action Française du 2 novembre 1925 ; aujourd'hui, de tels propos ne feraient-ils pas bondir les souverainistes ?

Bainville pensait au système de l'Écossais John Law sous la régence de Philippe d'Orléans ou encore aux assignats de la Révolution française : il critiquait l'artificialité du papier-monnaie. Je ne sais pas s'il a rencontré des objections au sein de l'AF sur son libéralisme économique. Cela devait être sûrement le cas. Néanmoins, sa réputation en matière d'investissements n'était plus à faire. Il donnait des conseils boursiers dans la Revue universelle et rendait accessibles les difficultés de l'économie dans le journal populaire Le Petit Parisien. Cela pouvait le distinguer au sein de l'Action française, dont les composantes sont bien plus complexes que l'historiographie le laisse souvent entendre.

Des essayistes présentant l'histoire comme le fruit d'une volonté, d'une planification, voire d'une conspiration, sont parfois considérés comme les héritiers de Jacques Bainville ; n'est-ce pas se méprendre quant à la nature de sa pensée ?

À la différence de Maurras, Bainville n'a jamais parlé de la franc-maçonnerie et encore moins de complot juif. Il ne se reconnaissait pas dans la théorie maurrassienne des États confédérés. En revanche, il a critiqué le projet idéologique wilsonien après la Grande Guerre, projet d'inspiration protestante d'ailleurs rejeté par la représentation du peuple américain... Bainville n'a jamais fait du conspirationisme un fonds de commerce et je n'ai jamais trouvé trace chez lui de l'existence d'une telle planification. D'un point de vue plus général, il estimait que la nature était plastique. Que l'histoire était faite de renaissances et de décadences, et que l'homme pouvait agir sur son milieu. D'où le fameux mot de Maurras : « Tout désespoir en politique est une sottise absolue. » Bainville écrivait lui, toujours en 1929 : « Le nationalisme interdit d'aller jusqu'au bout de la théorie de la catastrophe. » Néanmoins, il confesse par ailleurs son pessimisme, voire une forme de nihilisme mais dont il n'a jamais fait profession publiquement. Une attitude qui est la conséquence d'une lucidité sur cette Europe qui, pour la deuxième fois en moins de vingt-cinq ans, allait sombrer dans le chaos.

Quelle trace l'œuvre de Jacques Blainville a-t-elle laissé dans l'histoire ?

Je dirai un quadruple héritage : une conception géopolitique de la France et de son rôle dans le concert des nations ; l'image aussi d'un Cassandre alors que le conflit franco-allemand avait atteint son paroxysme dans l'histoire européenne ; un style absolument remarquable mais aussi des articles aux accents profondément contemporains : il faut, par exemple, relire L'Avenir de la civilisation écrit au lendemain de la Grande Guerre. Ce texte garde toute son actualité et n'a pas pris une ride.

À lireLa Monarchie des Lettres,  anthologie des grands textes de Jacques Bainville (Histoire de trois générations, Histoire de deux peuples, Les Conséquences politiques de la paix, des récits de voyages, un choix de correspondances, mais aussi une centaine d'articles de presse tirés de la Revue universelle, La Liberté, L'Action Française, Candide, Le Capital), introductions et notes de Christophe Dickès, éditions Robert Laffont, collection Bouquins, 2011, 1 152 pages, 30,50 euros.

NB – Le 19 mars 2016, au micro de Radio Courtoisie, Michel Rouche, professeur émérite à la Sorbonne, a fait l'éloge de Jacques Bainville et de son Histoire de France. Il participait au Libre Journal des lycéens animé par Antoine Assaf. Cependant, il a évoqué ce « point fondamental » à ses yeux : « beaucoup de gens sont persuadés de cette fausse vérité, à savoir qu'ils considèrent Jacques Bainville comme un historien d'Action française », a-t-il déclaré ; or, a-t-il poursuivi, « lui-même a toujours protesté en disant qu'il n'était pas membre de l'Action française » ; et  d'affirmer que « les manifestations qui ont éclaté à la mort de Jacques Bainville organisées par l'Action française étaient une tentative d'annexion de la pensée de Jacques Bainville » ! Il est vrai que celui-ci a rayonné bien au-delà de l'AF, mais de là à l'en détacher ainsi, il y un pas que nous nous serons bien évidemment les derniers à franchir ! L'intervention d'Alain Lanavère s'est avérée plus consensuelle : « Bainville avait l'immense mérite de n'être pas universitaire », a-t-il expliqué  « donc il n'écrit pas l'histoire avec le jargon des universitaires » ; « il était un homme tout à fait de son temps, et sa langue est admirable de clarté ».

Un Front en mutation

4 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Le Front national deviendrait-il féministe ? En tout cas, s'il demeure eurosceptique, c'est à sa façon, et non à celle des Britanniques.

L'histoire a-t-elle un « sens » ? Assurément, selon Marine Le Pen. À ses yeux, le succès que vient de rencontrer l'homologue autrichien du Front national en témoigne : « une très forte poussée » des mouvements populistes serait à l'œuvre « dans énormément de pays d'Europe », s'est elle félicitée sur France 2. « L'hostilité à l'immigration explique en grande partie le score du candidat FPÖ à l'élection présidentielle », analyse Daniel Vernet sur Telos. Mais qu'en est-il de la France ? Celle-ci « est en train de prendre vraiment conscience qu'elle est une nation multiculturelle », soutient Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, dans un entretien au Monde. « C'est une véritable chance pour le pays », affirme-t-elle. L'islam n'en inspire pas moins la défiance populaire, à tel point que sa hantise contribue à refaçonner le paysage politique.

Cet islam qui change tout

« En Europe occidentale », en effet, « les populismes d'extrême droite ont réussi à détourner le logiciel idéologique de la gauche sur les questions sociétales », comme l'expliquait Jean-Yves Camus, dans L'Humanité, en janvier 2012. Ainsi soulignait-il qu'aux Pays-Bas, « le génie de Pim Fortuyn fut de construire une formation postmoderne qui déconstruisait le multiculturalisme au nom des atteintes que l'islam porterait [...] aux libertés individuelles : liberté de conscience, laïcité, égalité des sexes, droits des homosexuels, droit à l'irréligion, enfin droit à la sécurité face au terrorisme et à la violence dirigée contre certaines minorités, en particulier les juifs ». Sans doute faut-il analyser à cette aune la passion de Florian Philippot pour la culture des bonsaï. Tout comme ces propos prêtés à Louis Aliot, rapportés par Marie-Pierre Bourgeois dans un entretien à Têtu : « Les homos se sont rendus compte qu'il y avait moins de péril à vivre avec Marine Le Pen qu'avec les musulmans. » Le 1er mai, à l'occasion du "banquet populaire et patriote" organisé par son parti, Sophie Montel, conseiller régional de Bourgogne-Franche-Comté, est montée à la tribune : « c'est le Front national qui défend la femme et ses droits en France », a-t-elle martelé. Y compris la contraception et l'avortement, a-t-elle précisé, après s'être placée sous le patronage de Jeanne d'Arc – une femme « libre et patriote » qui « chevauchait et se coupait les cheveux à la garçonne ». « Elle aussi est libre de disposer de son corps », avaient déclaré des militantes des Femen, il y a deux ans, à l'occasion d'un hommage qu'elles lui avaient rendu à Poitiers. Alors qu'elle vient de déserter le pavé parisien sous leurs applaudissements, peut-être Marine Le Pen participera-t-elle à leur prochain "happening" ?

Le FN mal vu outre-Manche

En attendant, et plus sérieusement, c'est dans les pas des eurosceptiques britanniques que la présidente du Front national entend s'inscrire. Non sans rencontrer quelque difficulté. Selon le souhait de Gisela Stuart, chef de file des partisans du Brexit, l'accès au territoire britannique devrait même lui être refusé. Cela en raison de « ses opinions extrémistes », comme expliqué dans un courrier adressé au ministre de l'Intérieur, Theresa May, cité par l'AFP. Perfide Albion ! Marine Le Pen prévoyait effectivement de se rendre outre-Manche ce mois-ci. Sa visite « permettrait aux Britanniques qui souhaitent sortir de l'Union européenne de savoir qu'il y a des responsables européens de premier plan qui les soutiennent », a souligné Florian Philippot, cité par Euractiv.

Deux visions opposées

Bien des Britanniques apprécieraient sans doute de l'entendre vilipender la bureaucratie européenne. Mais pour le reste, quoique volontiers eurosceptiques, se reconnaîtraient-ils dans son discours ? « Après le Brexit, le Royaume-Uni ne serait plus lié par le tarif extérieur commun de l'UE sur les importations », expliquent des contributeurs de Telos. Or, précisent-ils, « les partisans d'une sortie de l'UE soutiennent que le Royaume-Uni pourrait bénéficier de ce changement en retirant unilatéralement tous les droits de douane sur les importations ». Autrement dit, si Londres quittait le navire européen, ce serait pour voguer vers des horizons aux antipodes du « protectionnisme intelligent » cher au Front national...

Rama Yade entre souverainisme et libéralisme

24 avril 2016

Avec aussi une petite touche de royalisme...

« Le créneau "ni droite, ni gauche", un temps occupé par le FN [...] paraît faire des émules », et cela « tous azimuts », écrivait Aristide Leucate, dans le dernier numéro de L'Action Française 2000 (21 avril 2016). Voilà que Rama Yade semble confirmer son observation : alors qu'elle vient de se déclarer candidate à l'élection présidentielle, elle se dit « libre d'être de droite, libre d'être de gauche », revendiquant le soutien d'une « coopérative politique » constituée d'une mosaïque de petits partis aux inspirations idéologiques diverses (Alliance écologiste et indépendante, Parti libéral démocrate, Démocratie 21, Rassemblement écocitoyen, Cercle de la Diversité).

Apologie de la tradition

Malicieusement, notre confrère se demandait si les adeptes d'un tel positionnement n'étaient pas des « royalistes latents ». Rama Yade a beau se prétendre« aux antipodes » d'Emmanuel Macron (« je ne représente ni la bourgeoisie d'État, ni les puissances d'argent », clame-t-elle de façon aussi cinglante que mesquine), la question mérite d'être posée à son propos également, comme en témoigne le ton sur lequel elle avait commenté le mariage du prince William et de Kate Middleton : « la tradition, c'est quand même bien, quand elle unit deux jeunes gens et un peuple tout entier », expliquait-elle en avril 2011 ; à ses yeux, « le moment le plus intense (furtif) fut la révérence de Kate, devant la reine Elizabeth qui semblait en avoir vu tellement » ; en effet, remarquait-elle, « il y avait là une transmission, un respect, une soumission devant la tradition, un genre »

Romantisme néo-gaullien

Cela étant, c'est au "peuple", et non au roi, que Rama Yade entend rendre le pouvoir. Son discours ravira les souverainistes, à certains égards du moins. Regrettant naïvement que l'Union européenne ne dispose pas d'un véritable président, elle rappelle, cependant, qu'elle avait voté "non" au référendum de 2005 ; or, dénonce-t-elle, « on n'a pas respecté mon vote », puisque le traité établissant une constitution pour l'Europe est « revenu en 2008 par la fenêtre ». Reprochant à Paris de « se soumettre en permanence à la bureaucratie » de Bruxelles, elle prône « la politique de la chaise vide », donnant en exemple la perfide Albion de David Cameron, mais aussi la Grèce d'Aléxis Tsípras – lequel aurait « su insuffler de la démocratie en Europe ». À l'avenir, réclame-t-elle, chaque élargissement devrait faire l'objet d'un référendum. De son point de vue, « plutôt que de nous soumettre à la mondialisation [...] consumériste », il faudrait que « la France redevienne une puissance médiatrice ». « Extirpée de la famille américaine », celle-ci « parviendrait, avec les symboles, à compenser ce qu'elle a perdu en termes économiques », promet Rama Yade, pour qui « la France n'est pas la France sans la grandeur ».

« Aux Français de dire et faire ! »

Ce romantisme néo-gaullien, mâtine d'accents populistes, se trouve mêlé, chez Rama Yade, à des revendications typiquement libérales. « Aux Français de dire et faire ! », clame-t-elle dans son manifeste. Or, précise-t-elle, « rendre le pouvoir aux Français », c'est, certes, en appeler au référendum, mais aussi « les laisser faire et créer du lien entre eux ». Autrement dit, il s'agirait de « passer de l'État-providence, omnipotent et impuissant, à une société-providence, plus innovante ». Dans cette perspective, « plutôt qu'une économie où les grands groupes, en connivence avec la haute administration, finissent par se couper du tissu économique et social de notre pays », Rama Yade entend promouvoir « une économie du partage qui introduise une concurrence plus juste, libère nos entreprises de l'emprise notamment fiscale de l'État et permette l'innovation ». Aux échecs de Pôle Emploi et de l'Éducation nationale, elle oppose la réussite de quelques initiatives privées citées en exemple.

Candidature sans promesse

« Notre pays compte dans ses rangs des Français extrêmement capables et désireux d'agir », se félicite Rama Yade. Des paroles en l'air ? Peut-être bien. « Parce que la valeur promesse a été disqualifiée, je n'en ferai pas », annonce-t-elle avec une certaine légèreté.  Son inclination à dramatiser les enjeux ne sert pas sa crédibilité : « parce que les Français ont perdu toute confiance, l'élection française de 2017 ne ressemblera à aucune autre », croit elle-deviner. « À situation hors normes, il faut un projet de radicalité », poursuit-elle. Reste à en dessiner les lignes...

En attendant, c'est avec bienveillance, quoique sans illusion, que nous accueillerons tous les discours appelant les Français à reprendre leur destin en main : do it yourself – tel serait notre programme pour 2017 !

L'Europe politique au défi de la démocratie

20 avril 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Référendum aux Pays-Bas sur l'accord d'association avec l'Ukraine : quand les diplomates doivent compter avec les aléas de la démocratie, c'est le rêve d'une Europe politique qui se dissipe.

Régulièrement, l'Union européenne se heurte à l'écueil de la démocratie. Outre la réforme des ses institutions, c'est désormais sa politique étrangère qui doit compter avec elle. Ainsi l'accord d'association avec l'Ukraine vient-il d'être désavoué aux Pays-Bas, à l'occasion d'un référendum consultatif. Le moment venu, à la faveur d'une nouvelle "initiative populaire", peut-être le même sort sera-t-il réservé au Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) ; la collecte des signatures nécessaires a déjà commencé à cet effet.

La voix du Parlement

En France, nul référendum n'est à l'ordre du jour. Cependant, les parlementaires prétendent faire entendre leur voix. Plusieurs dizaines d'entre eux l'ont martelé dans une tribune publiée le 7 avril 2016 dans les colonnes du Monde : « nous demandons solennellement au gouvernement français de refuser de signer tout accord avec les États-Unis si le Parlement est réduit au silence », proclament notamment les socialistes Patricia Adam, Lalande Bernard et Marie Récalde. Dans un rapport publié le mois dernier, leur collègue Jean Bizet tentait d'évaluer « comment le Sénat influe sur l'élaboration des textes européens ». Ainsi les positions de la chambre haute auraient-elles été « largement reprises par le gouvernement dans le dossier sensible et complexe des projets d'accords commerciaux entre l'Union européenne, le Canada et les États-Unis », par exemple. D'une façon générale, les informations transmises par le Secrétariat général des affaires européennes seraient « très complètes et de grande qualité, mais [...] communiquées trop tardivement ». Quant aux réponses apportées par la Commission européenne, « si elles restent encore d'inégale qualité », elles « gagnent en intérêt et ont tendance [...] à être transmises plus rapidement que par le passé, ce qui permet de nourrir un dialogue extrêmement utile ». Cela étant, Bruxelles ferait la sourde oreille dès lors qu'il est question de subsidiarité : interpellée sur ce point, la Commission « campe sur ses positions [...] et ne répond pas vraiment aux objections du Sénat ».

Ce dialogue mené tantôt avec Matignon, tantôt avec Bruxelles, illustre les deux aspects du "déficit démocratique" qu'aurait creusé la construction européenne. Dans une optique souverainiste, il traduit l'accroissement des pouvoirs de l'Union européenne aux dépens des institutions nationales. Mais suivant une autre acception, il rend compte de l'éviction du Parlement au profit du gouvernement. Or, comme le rappelle Jean Bizet, « dans notre système [...], le pouvoir exécutif n'est pas juridiquement tenu de se conformer aux résolutions votées par les assemblées parlementaires » ; « il n'existe pas, comme dans certains États membres, la Finlande et le Danemark par exemple, de mandat de négociation auquel le gouvernement doit obligatoirement se tenir ».

Cependant, peut-être les gouvernements européens sont-ils en passe de perdre l'autonomie qu'ils semblaient avoir ainsi acquise. Le référendum néerlandais en témoigne : si l'accord d'association avec l'Ukraine n'avait pas été négocié au nom de l'UE, peut-être aurait-il été ratifié dans l'indifférence générale. Dans cette perspective, la médiation européenne ne constituerait plus un blanc-seing mais, au contraire, une étiquette infamante susceptible d'inspirer la défiance populaire.

Retour au seul commerce

Quoi qu'il en soit, alors qu'elles étaient déjà en vigueur à titre provisoire, la plupart des dispositions de l'accord signé avec l'Ukraine le resteront vraisemblablement définitivement. Les traités européens le permettent, dès lors qu'elles relèvent des compétences exclusives de l'Union. Qu'en est-il, d'ailleurs, du traité négocié avec Singapour ? La Cour de justice de l'Union européenne tranchera prochainement...

Si la démocratie directe devait durablement s'immiscer dans les relations internationales, l'Union européenne devrait sans doute se cantonner à négocier des accords strictement commerciaux, relevant donc de sa compétence exclusive, afin d'en garantir une ratification sans encombre. Jean Quatremer ne s'y est pas trompé : « le "non" néerlandais est un coup dur pour la politique étrangère des Vingt-Huit », déplore-t-il sur son blog. « L'idée était d'inclure le commerce dans une démarche politique afin d'en faire un instrument diplomatique », explique un diplomate européen, cité par notre confrère ; de son point de vue, « ne plus faire que du commercial pour éviter un référendum serait une sacrée régression ». C'est le rêve d'une Europe politique qui se dissipe encore une fois.

2017 : le FN n'y croit pas

8 mars 2016

La preuve par l'euro.

On croyait que le FN mettrait de l'eau dans son vin. Mais non. « Tout le monde au Front national est pour la fin de l'euro et la souveraineté monétaire », continue de marteler Florian Philippot, son vice-président. « Si nous arrivons au pouvoir », a-t-il prévenu dimanche dernier, 6 mars 2016, « il est certain qu'au bout de six mois maximum la France aura une monnaie nationale ».

Que les antifascistes se rassurent : ce faisant, Florian Philippot exclut manifestement toute perspective d'accession au pouvoir à court terme. Dans le cas contraire, c'est bien évident, il se garderait de susciter aussi délibérément la fuite des capitaux qui s'accentuerait au fur et à mesure que Marine Le Pen serait donnée gagnante dans les sondages.

Par souci de l'intérêt national, puisque c'est un patriote, comme chacun sait. Mais aussi par nécessaire calcul. S'il était coupable d'appauvrir la France avant même de prendre les rennes de l'État, le FN en compromettrait précisément la conquête.

Pour ne rien arranger, Florian Philippot promet un référendum sur l'euro ! Les ménages seront-ils privés d'argent liquide le temps que se déroule le nécessaire débat censé éclairer la conscience des citoyens ? La Grèce, voilà le modèle à suivre !

Albator : sur l'Arcadia, c'est l'anarchie plus un !

2 mars 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, les petits garçons vibraient au rythme des aventures télévisées du capitaine Albator... Le moment est venu de leur rafraîchir la mémoire.

Le capitaine Harlock, alias Albator, vient de faire son retour dans les librairies. Dans l'ombre de Goldorak, ce personnage a bercé toute une génération de petits Français. Apparu dans un manga en 1969, puis à la télévision en 1978, il a présenté plusieurs visages au fil de ses aventures, jusqu'à la caricature : porté au cinéma en 2013, il y est apparu sous les traits d'un psychopathe, tentant de racheter ses fautes à la faveur d'un génocide galactique prétendument rédempteur...

Retour aux sources

C'est à un retour aux sources que nous sommes conviés aujourd'hui, alors que vient de paraître la traduction française du premier tome d'un nouveau manga, Capitaine Albator – Dimension Voyage. Il s'agit d'un remake fidèle de l'histoire originelle, faisant, en quelque sorte, la synthèse d'une œuvre éparse à la cohérence toute relative. Ainsi le personnage de Kirita (Vilak) est-il repris du dessin animé de 1978, mais sous les traits d'un autre, apparu dans les années 2000. Officiant toujours au scénario, Leiji Matsumoto, soixante-dix-huit ans, a cédé son crayon à Kouiti Shimaboshi. Le dessin s'avère modernisé, mais les nostalgiques ne devraient pas en être dépaysés.

Signe des temps : la reine Sylvidra arbore désormais un décolleté. Albator s'en trouvera-t-il émoustillé, comme des quadragénaires le furent jadis à la vue des Sylvidres dénudées ? Rien n'est moins sûr. Alors qu'il voue une amitié indéfectible à Tochiro, on ne lui connaît qu'une seule et unique aventure, à l'issue tragique. En tout cas, les féministes ne l'apprécient guère. Relisant le manga fondateur, Charles-Édouard Mandefield s'était désolé d'un « machisme décalé ». Un passage a plus particulièrement retenu son attention, explique-t-il sur Otakia (en ligne) : celui où Kei Yuki (Nausicaa) « met sa vie en péril pour ménager la susceptibilité de Tadashi » (Ramis) « et lui faire croire qu'il l'a sauvée ». « Dans cette histoire », conclut notre confrère, « le message en filigrane est donc que les femmes [...] doivent masquer leur vraie valeur pour ne pas offusquer la gente masculine ». C'est oublier que ces récits sont destinés surtout à des garçons... Peut-être certains en auront-ils tiré quelque leçon d'humilité !

Reste à savoir ce qu'il adviendra de cet épisode dans la suite du remake. Dans ce premier tome, alors que les Sylvidres se préparent à envahir la Terre, « la civilisation matérialiste a conduit le peuple à la dépravation », comme le remarque l'une d'entre elles. Conscient de la menace, le professeur Daiba alerte le ministre censé présider aux destinées de l'humanité. Hélas, déplore-t-il, « cette tète de mule ne pense qu'a jouer au golf » ! Son fils, Tadashi, en est révolté : « ce n'est qu'un inconscient qui se complaît dans l'indolence », observe-t-il. « Depuis quand les hommes ne son-ils plus qu'une bande de dégonflés ? », se demande-t-il encore. À la mort de son père, il décide de rejoindre l'Arcadia commandé par Albator. Un vaisseau « avec à son bord de vrais hommes » !

Romantisme viril

Considérant ses semblables avec dédain, Albator n'en engage pas moins un combat désespéré pour sauver la Terre. Sans doute ce "romantisme viril" explique-t-il la sympathie que lui accordent les militants italiens de Casapound. Les identitaires français ne sont pas en reste : « ce personnage luttant pour une humanité dans laquelle il peine pourtant à se reconnaître, marqué par ses combats dans son cœur comme sur son visage, et hissant le pavillon noir à tête de mort sur son vaisseau, avait tout pour séduire les pirates identitaires », explique Philippe Vardon-Raybaud. Dans son livre, Éléments pour une contre-culture identitaire, tout comme dans celui d'Adriano Scianca, Casapound – Une terrible beauté est née !, Albator côtoie Ernst Jünger, dont il incarne précisément la figure du rebelle : « celui qui, isolé et privé de sa patrie par la marche de l'univers, se voit enfin livré au néant » ; « résolu à la résistance », il « forme le dessein d'engager la lutte, fût-elle sans espoir » ; « est rebelle, par conséquent », aux yeux de l'écrivain allemand, « quiconque est mis par la loi de sa nature en rapport avec la liberté, relation qui l'entraîne dans le temps à une révolte contre l'automatisme et à un refus d'en admettre la conséquence éthique, le fatalisme ».

Cependant, errant dans l'espace (et non dans les forêts), notre rebelle ne serait-il pas un apatride ? « Sous la bannière de la liberté, il parcourt les mers sans fin de l'univers en ne comptant que sur lui-même », s'enthousiasme un jeune homme déshérité, croisé dans les pages du manga. Alors qu'il s'apprête à s'envoler, Tadashi détruit un drapeau aux couleurs de la confédération terrestre. « Mon étendard à moi est orné d'une tête de mort », se justifie-t-il. Cela étant, toute notion d'héritage ne lui est pas étrangère, bien au contraire, car il poursuit, à sa façon, l'œuvre de son père. Albator, quant à lui, cultive la fidélité dans la tradition de sa lignée...

Nationalisme japonais

Au sein de l'équipage, il règne un sympathique désordre, dont s'émeut Tadashi : « ce vaisseau est un vrai cirque », se lamente-t-il, outré, alors qu'il en fait la visite. Mais quand vient l'heure du combat, sous les ordres du capitaine, chacun répond toujours à l'appel... Autrement dit, à bord de l'Arcadia, c'est l'anarchie plus un ! Ce vaisseau présente l'allure générale d'un cuirassé, sur lequel auraient été greffées les ailes d'un avion, mais aussi la poupe d'un vieux galion. La grande classe ! Dans une œuvre connexe, Leiji Matsumoto avait même exhumé le croiseur Yamato, puisant ainsi « dans les racines du nationalisme japonais », comme l'expliquait Didier Giorgini dans la revue Conflits (n° 3, automne 2014)... Preuve que la politique n'est jamais très loin !

Leiji Matsumoto (scénario) et Kouiti Shimaboshi (dessins), Capitaine Albator – Dimension Voyage, tome I, Kana, février 2016, 5,95 euros.

Londres attend la réponse de Bruxelles

18 février 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

La perspective d'un Brexit impose la reprogrammation du logiciel souverainiste.

La singularité du Royaume-Uni figure à l'ordre du jour de la réunion du Conseil européen des 18 et 19 février prochains (2016). Dans la perspective du référendum qui se tiendra vraisemblablement fin juin, le Premier ministre David Cameron doit négocier un arrangement censé justifier, auprès de l'opinion publique britannique, le maintien de son pays dans l'Union européenne. Ce faisant, Londres cherche-t-il à réaffirmer son indépendance vis-à-vis de Bruxelles ? En partie seulement, si l'on en juge par ses demandes formulées officiellement en novembre dernier.

Protéger les intérêts de la City

Symboliquement, le gouvernement britannique voudrait en finir avec cette « union toujours plus étroite » promise par les traités européens. Parallèlement, il souhaiterait conférer de nouvelles responsabilités aux parlements nationaux, et surtout revoir les conditions suivant lesquelles les ressortissants d'un État membre peuvent librement circuler d'un pays à l'autre ; il s'agirait, en quelque sorte, de répondre à la hantise du "tourisme social". Londres réclame, par ailleurs, un approfondissement du marché unique, la conclusion de nouveaux accords commerciaux avec les États-Unis, la Chine ou le Japon, mais aussi la garantie que la zone euro ne poursuivra pas son intégration à ses dépens. C'est l'influence de la City qui est en jeu. Dernièrement, la Banque centrale européenne s'y était attaquée de front, tentant d'imposer un ancrage territorial dans la zone euro aux chambres de compensation les plus importantes. Dans cette affaire, la Cour de Justice de l'Union européenne avait finalement arbitré en faveur des intérêts britanniques, mais peut-être n'en sera-t-il pas toujours ainsi.

La zone euro, là où le bât blesse

Or, c'est précisément l'un des points sur lesquels la négociation pourrait achopper. « Nous sommes attachés [...] à ce que les pays qui ne sont pas membres de la zone euro [...] soient respectés » et « informés de tout ce qui se décide », a déclaré le président de la République, Français Hollande ; « mais il ne peut pas y avoir de veto des pays hors zone euro sur ce que nous avons à faire dans la zone euro », a-t-il prévenu. Des engagements de principe seront sans aucun doute souscrits pour rassurer les Britanniques. Il faudra bien les accompagner de quelques déclinaisons pratiques. Un exemple est donné par notre confrère Jorge Valero : comme il l'explique sur Euractiv, une possibilité serait « de programmer la réunion des ministres des Finances de la zone euro (Eurogroupe) après que tous les ministres européens des Finances se [seront] rencontrés (Ecofin), plutôt que le contraire, comme c'est le cas actuellement ».

En tout cas, les exigences de la perfide Albion ne manqueront pas de légitimer l'espoir, exprimé entre autres par l'ancien Premier ministre Michel Rocard, d'une relance de la construction européenne à la faveur d'un "Brexit". Incidemment, les souverainistes semblent condamnés à reprogrammer leur logiciel : l'Europe « à géométrie variable », dont ils étaient traditionnellement les chantres, ne se retrouve-t-elle pas instrumentalisée par leurs meilleurs ennemis ? « Une Europe plus intégrée sera une Europe des différences », a ainsi expliqué à l'AFP Sandro Gozi, secrétaire d'État italien aux Affaires européennes, cité par Euractiv. Un détricotage prochain de l'Union européenne n'en reste pas moins envisagé. Peut-être David Cameron a-t-il effectivement ouvert la boîte de Pandore. Sans surprise, Marine Le Pen prétend inscrire ses pas dans ceux du Premier ministre britannique. Sans doute s'accorderait-elle avec Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur du Sénat, selon laquelle l'Europe serait « à un tournant de son histoire ». 

Résilience de l'UE

Laurent Warlouzet, maître de conférences en histoire à l'université d'Artois, juge déplacée cette dramatisation des enjeux. « En fait, cette perspective cataclysmique sous-estime la résilience institutionnelle de l'Union européenne », explique-t-il dans un entretien à La Tribune. « Avant l'UE », rappelle-t-il, « la CEE a déjà survécu à de nombreuses crises qui remettaient en cause son existence, de la crise de la Chaise vide en 1965 à la crise budgétaire britannique [...], sans parler des événements plus récents, du "non" français de 2005 à la crise de l'euro ». Quant au « risque de désagrégation du camp occidental » (à moins qu'il s'agisse d'une opportunité, selon les points de vue), il ne serait « pas plus présent ». « L'Otan a toujours eu un périmètre différent de l'ensemble CEE-UE », poursuit-il. De toute façon, « les divisions majeures au moment de la guerre en Irak en 2003 ont montré que les divergences stratégiques n'ont jamais empêché la poursuite de la coopération en matière de gouvernance économique et sociale, qui reste encore aujourd'hui le domaine de compétence majeure de l'Union européenne ». Autrement dit, l'Europe n'a pas dit son dernier mot.