19 octobre 2011 Article publié dans L'Action Française 2000
Libye, Liban, Afghanistan... Le chef d'état-major des armées
commente les opérations extérieures de la France (Opex).
Lors d'une audition devant une commission de l'Assemblée
nationale, le mercredi 5 octobre 2011, dans le cadre du projet
de loi de finances pour 2012, l'amiral Édouard Guillaud, chef
d'état-major des armées (CEMA), s'est livré à un tour d'horizon des
opérations extérieures.
« L'Europe désarme quand le monde réarme »,
a-t-il martelé en préambule. « Si elle devait se confirmer,
voire s'amplifier, cette tendance serait lourde de conséquences pour
notre avenir comme puissance capable de peser sur les affaires du
monde. » Placée en « hibernation »,
l'"Europe de la défense" ne doit pas faire miroiter de faux espoirs...
Provocations au Liban
Cela nuance l'enthousiasme suscité par l'année écoulée. Selon
l'amiral Guillaud, en effet, « peu de pays auraient été
capables et auraient eu la volonté de faire ce que nous avons fait
[...] en Libye, en Côte d'ivoire, sur le territoire national, ainsi
qu'au Japon, où nous sommes intervenus lors du tsunami en envoyant des
avions de transport stratégique pour évacuer nos compatriotes vers la
Corée du Sud ».
L'engagement au Liban demeurerait « le plus délicat
de nos forces », en raison d'une liberté d'action difficile à
garantir. « Il arrive aujourd'hui qu'un maire décide que l'on
ne peut plus traverser son village », a déploré le CEMA.
« Nos soldats – le troisième contingent sur place après ceux
de l'Italie et de l'Indonésie – sont régulièrement menacés
d'humiliation. La semaine dernière, un véhicule espagnol ayant dépassé
de 500 mètres la zone de la FINUL a immédiatement été encerclé
par des 4x4 aux vitres fumées ; des civils en armes en sont
sortis et ont volé aux soldats leurs papiers, leurs cartes, leurs
radios... Effets qui leur ont été rendus cependant le
lendemain. » Cela mettrait nos soldats sous pression, une
telle situation étant « insupportable, pour un grenadier
voltigeur comme pour un général ». Aussi l'amiral juge-t-il
« urgent que l'ONU révise le concept stratégique de la
présence des casques bleus au Liban ».
Évoquant l'Afghanistan, le CEMA a affiché l'optimisme que
requiert sa fonction. « Dix ans après le début de notre
intervention, est venu le temps du transfert des responsabilités de
sécurité à l'armée nationale afghane », a-t-il rappelé.
« Il y a cinq ans, on ne comptait que 30 000 soldats
et policiers afghans. Ils sont aujourd'hui 300 000. »
Des chiffres censés illustrer « la réalité et le succès, dans
le domaine militaire, des opérations de l'OTAN ». D'autant
qu'« il n'a jamais été question de battre les insurgés "à
l'ancienne" ni de transformer l'Afghanistan en havre de
paix ». Le taux de désertion dans l'armée afghane aurait
considérablement diminué : « Il était de l'ordre d'un
tiers, par mois, il y cinq ou six ans ; il est maintenant
inférieur à 10 % et tend à descendre vers
5 %. » Cela grâce au doublement des soldes :
« La coalition a payé les hommes à peu près comme les payaient
les Talibans, voire un peu plus. » Aussi les questions se
posant pour l'avenir portent-elle notamment « sur la
soutenabilité financière du budget de la défense afghan, en particulier
le paiement des soldes de 300 000 policiers et militaires –
chiffre qui se situe dans la norme compte tenu de la taille du
pays ».
En tout cas, « nous avons, pour l'essentiel, rempli
notre part de la feuille de route internationale », soutient
l'amiral Guillaud. « Pour notre part, nous basculons
progressivement des missions de contrôle de zone vers des missions
d'appui et de soutien des forces afghanes. Ce qui a pour conséquences
de réorganiser nos forces – nous n'aurons plus besoin des mêmes
spécialistes – et de réduire notre vulnérabilité – nous n'irons plus
dans les fonds de vallée. » À l'approche de l'élection
présidentielle, cela tombe à pic...
La mise en œuvre de la résolution 1973 du CSNUE a donné lieu à
quelques tergiversations sur le rôle de l'Otan. C'est l'objet de notre
seconde chronique diffusée par Radio Fréquence royaliste.
Le 17 mars, à la demande de la France, du Royaume-Uni, des
États-Unis et du Liban, le Conseil de sécurité des Nations Unies a
adopté la résolution 1973 – une résolution censée légitimer l'usage de
la force pour protéger les populations civiles de Libye.
Aussitôt, une controverse est apparue quant à la contribution
de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord. En dépit de
l'activisme déployé par son secrétaire général, le Danois Anders Fogh
Rasmussen, l'Otan est demeurée sur la touche tandis qu'une coalition
internationale entamait ses opérations dans le ciel libyen. Cela
n'était pas pour déplaire au locataire du Quai d'Orsay :
« Les pays arabes ne veulent pas d'une opération sous le
drapeau Otan », a martelé Alain Juppé. Il est vrai que
l'étoile polaire « a mauvaise presse en Afrique et au
Proche-Orient », comme l'a souligné, par exemple, Olivier
Kempf, sur son blog consacré aux Études géopolitiques
européennes et atlantiques (EGEA).
Cela étant, la bannière américaine bénéficie-t-elle d'une
meilleure image ? Bien sûr que non. Or, faute de mobiliser
d'emblée les moyens alliés, il a bien fallu confier la coordination des
opérations à l'oncle Sam. Lequel n'a pas caché son impatience de céder
les rênes. Jean-Dominique Merchet, qui n'a rien d'un atlantiste
patenté, s'est interrogé sur son blog Secret Défense :
« Quelles structures militaires sont capables de commander une
opération multinationale dans la durée ? Soit les Américains,
soit l'Otan d'une manière ou d'une autre », a-t-il répondu.
« La France n'avait pas les outils de coordination éprouvés et
tout le monde avait peur d'un accident », a renchéri
Kardaillac. « On a concédé à Zébulon Ier (autrement
dit, Nicolas Sarkozy) un "conseil politique" des pays combattants où
chacun enverra un sous-fifre pour nous faire plaisir en écoutant
l'oracle », a-t-il écrit sur le forum Vive le Roy.
Allusion au "compromis" en application duquel une coalition d'États
participe désormais au pilotage politique des opérations en partenariat
avec l'Alliance atlantique.
Une telle issue apparaissait assez prévisible. C'est pourquoi
les réticences exprimées par Alain Juppé semblent s'inscrire dans une
certaine tradition gaullienne, en vertu de laquelle la France se
devrait de jouer les empêcheur de tourner en rond, mais sans jamais
envisager sérieusement la rupture du lien transatlantique. C'est un
retour au néo-gaullisme que le président de la République avait mis en
sourdine quelques années durant.
À vrai dire, l'ancien Premier ministre avait annoncé la
couleur dès son retour au gouvernement. Alors qu'il occupait l'Hôtel de
Brienne, Alain Juppé avait proclamé « notre ambition d'édifier
une Europe politique ». Ce serait, selon lui, « un
objectif réaliste », en dépit du constat, qu'il établit
lui-même, selon lequel « l'idée de l'Europe comme pôle
d'influence, sans même parler d'une Europe puissance, n'est pas
partagée par tous ». « C'est essentiellement une idée
française », a-t-il reconnu, « et qui ne fait
d'ailleurs même pas l'unanimité chez nous ».
C'est un énième écho au plan Fouchet... Il s'agit, plus ou
moins, d'appliquer à l'Europe la quête d'une pseudo-grandeur chère au
général de Gaulle. Un vieux fantasme hexagonal dont on mesure l'inanité
à l'heure où Paris et Berlin s'opposent sur la question libyenne.
« On va avoir du travail pour préserver l'unité de
l'UE », a remarqué un diplomate cité par Les Échos.
Et alors ? De toute façon, l'Europe ne parviendrait à parler
d'une seule voix qu'en sortant délibérément de l'histoire.
Si nous avons choisi d'évoquer ici cette posture
néo-gaullienne, c'est parce qu'elle n'est pas sans exercer une certaine
attraction sur les royalistes. En témoigne l'enthousiasme que suscita
Dominique de Villepin bravant l'impérialisme américain à la tribune des
Nations Unies, tandis que se dessinait une nouvelle invasion de l'Irak.
L'arrogance du discours a flatté les sentiments, excité notre fibre
chauvine, mais n'était-ce pas le masque de notre impuissance ?
Dans l'espoir d'influencer les Américains, la nomination d'un Français
a la tête du commandement allié pour la Transformation (en
l'occurrence, le général Abrial) nous semble a priori plus
efficace que ces vaines gesticulations.
On entretient par l'esbroufe l'illusion d'une puissance
perdue, ou l'on espère son retour à la faveur d'une étincelle de
volonté qui, une fois jaillie à la tête de l'État, suffirait à embraser
la planète entière. La méfiance exprimée régulièrement à l'égard d'une
Otan caricaturée ne s'explique pas autrement. À l'entretien du lien
transatlantique, on oppose traditionnellement, et bien naïvement,
l'approfondissement potentiel des relations avec Moscou. Ce faisant, on
feint d'ignorer, par exemple, l'accueil favorable que la presse russe
réserva au retour de la France dans les structures alliées intégrées.
Le réel s'avère complexe, mais les royalistes doivent trouver
le courage de l'affronter s'ils veulent mener à bien l'un des premiers
combats qui se présentent à eux, à savoir, celui de la crédibilité.
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3 mars 2011 Article publié dans L'Action Française 2000
Avant de quitter l'Hôtel de Brienne, Alain Juppé a réaffirmé sa
volonté de « relancer la défense européenne » - un
concept dont les contours flous masquent à peine la faiblesse des
avancées.
Une réunion "informelle" des ministres de la Défense de
l'Union européenne s'est tenue à Budapest les 24 et
25 février. Au programme des discussions, notamment :
la crise libyenne, la lutte contre la piraterie (dont la violence
s'accroit au large de la Somalie) et la mutualisation des capacités.
Cette rencontre devait être l'occasion de « concrétiser les
travaux engagés l'année précédente », selon l'Hôtel de
Brienne. Mais tandis que Paris promet « la relance
de la défense européenne », les structures de la Politique
européenne de sécurité et de défense (PSDC), intégrées à l'UE,
souffriraient déjà de sous-effectifs, pointés par notre confrère
Nicolas Gros-Verheyde (Bruxelles 2,
23/02/2011).
Si des avancées sont à observer, c'est plutôt dans les cadres
bilatéraux, quoique les engagements restent, là aussi, à concrétiser.
Ainsi Berlin et Budapest viennent-ils de signer un protocole d'accord
portant sur la logistique. De leur côté, Londres et Ankara négocient un
pacte de coopération : « Les Britanniques pourraient
ainsi entraîner leurs pilotes d'hélicoptères en Turquie, qui présente
un terrain (chaud et montagneux) proche de l'Afghanistan. Des officiers
turcs pourraient être admis au Royal College of Defence Studies. Et
vice versa. Des exercices en commun pourraient aussi être organisés.
Enfin, les Britanniques souhaitent embarquer les Turcs dans la
construction des futures frégates Type 26, prévues à l'horizon
2020. » (Bruxelles 2,
16/02/2011) En France, un projet de loi autorisant la ratification d'un
traité avec le Royaume-Uni a été présenté en Conseil des ministre le
23 février. Conclu pour au moins cinquante ans, l'accord
prévoit la construction et l'exploitation conjointes à Valduc, en
Bourgogne. d'une installation de physique expérimentale.
« Elle permettra de réaliser des expériences de laboratoire
indispensables à la garantie du fonctionnement et à la sécurité des
armes nucléaires des deux États », assure l'Exécutif.
Utopies néo-gaulliennes
« L'accord bilatéral avec le Royaume-Uni est un
accord de coopération en Europe, mais pas un accord de coopération
européenne » analyse Jean-Michel Boucheron, député socialiste
d'Ille-et-Vilaine. S'exprimant, le 16 février, devant la
commission de la Défense nationale et des forces armées de l'Assemblée
nationale, Alain Juppé a cultivé l'ambiguïté : « Dans
ce que les Britanniques définissent comme un accord strictement
bilatéral, nous voyons une brique d'une construction plus
globale », a-t-il déclaré. Ce faisant, peut-être cherche-t-il
à entretenir quelque illusion, tandis qu'il proclame « notre
ambition d'édifier une Europe politique ». Ce serait, selon
lui, « un objectif réaliste », en dépit du constat
selon lequel « l'idée de l'Europe comme pôle d'influence, sans
même parler d'une Europe puissance, n'est pas partagée par
tous ». « C'est essentiellement une idée
française », a reconnu Alain Juppé, « et qui ne fait
d'ailleurs même pas l'unanimité chez nous ».
Dans ces conditions, les partisans des vieilles utopies
néo-gaulliennes continueront, vraisemblablement, de se raccrocher à
quelques symboles. La Cour des comptes ne s'y est pas trompée. Dans son
rapport annuel, elle dénombre huit corps militaires européens auxquels
la France participe, de nature et d'importance variables (Brigade
franco-allemande, Eurocorps, Eurofor, Force navale franco-allemande,
Euromarfor, Joint Force air component command, Commandement européen du
transport aérien, Eurogendfor). « La réalité est que ces
forces n'ont d'européen que le nom », souligne-t-elle.
« En face de cela, l'Union européenne ne dispose [...] que
d'un état-major général, sans chaîne de commandement. » En
outre, « sans méconnaitre les lourdeurs inhérentes à toute
décision d'emploi d'un corps multinational », la Cour
« s'interroge cependant sur les motifs justifiant le maintien
et le développement de ces structures militaires
permanentes ». Et d'appeler à « revoir l'ensemble de
ces dispositifs, dans une perspective de refonte et de réorganisation,
voire de suppression ». Un désaveu cinglant.
Deux ans et demi après son entrée en fonction, Bernard
Bajolet, coordonnateur national du renseignement, a dressé un premier
bilan de ses activités. Extraits de
son audition par une commission de l'Assemblée nationale le
26 janvier 2011.
« Point d'entrée privilégié des services auprès du
président de la République [...], le coordonnateur doit prendre le
recul nécessaire pour lui transmettre les meilleures informations
possibles et rester à l'écart de la politique intérieure. [...] Il
garantit la prise en compte de la fonction renseignement au sein de
l'État. » Occupant ce poste depuis sa création en juillet
2008, Bernard Bajolet assure que « la principale avancée
réside dans le fait que les services se parlent et travaillent
ensemble ». « Désormais, affirme-t-il, le risque que
nous manquions quelque chose par rétention d'information entre les
services est quasi inexistant. »
Le spectre terroriste
DCRI et DGSE travailleraient même « en étroite
concertation, là où il n'y a pas de frontière entre menace intérieure
et menace extérieure. La menace intérieure, quant à elle, est
croissante : elle se nourrit d'un phénomène nouveau
d'auto-radicalisation qui existe dans la plupart des pays européens
ainsi qu'aux États-Unis. [...] L'incident qui s'est récemment produit
en Suède montre que le risque d'attentat commis par des individus qui
se sont radicalisés eux-mêmes est bien réel. » En revanche, il
faudrait « relativiser la relation entre la problématique de
l'intégration et celle de la menace terroriste. Ainsi, dans le cas
récent de la tentative d'attentat suicide à Stockholm, le terroriste
était parfaitement intégré. Il en va de même de l'auteur de la
tentative d'attentat sur la ligne Amsterdam–Détroit en décembre
2009. »
M. Bajolet appelle à renforcer les moyens dédiés au
renseignement intérieur, dont il conviendrait d'ouvrir le recrutement
au-delà des seuls effectifs policiers : « En effet,
le renseignement se diversifie et touche désormais les domaines
économique ou technique. » D'ailleurs, « la
coordination s'est également attachée à renforcer le lien et la
complémentarité entre le dispositif de renseignement économique et
l'intelligence économique – c'est-à-dire la collecte d'informations par
des services autres que les services de renseignement. Il s'agit
notamment des informations ouvertes et de celles disponibles dans les
administrations. Une délégation interministérielle à l'Intelligence
économique a été créée en septembre 2009. [...] Bien que située à
Bercy, elle reçoit ses orientations d'un comité directeur établi à
l'Élysée, tandis que le suivi des recommandations est assuré par
Matignon. »
Défaut de prospective
Mais « l'anticipation ne se limite pas au
renseignement », souligne Bernard Bajolet. « Elle
touche aussi à la prospective. Hélas, celle-ci n'est pas organisée au
niveau interministériel. Nous disposons de différents
organismes : le ministère de l'Intérieur et celui des Affaires
étrangères ont chacun une direction de la prospective et le ministère
de la Défense possède une direction des affaires
stratégiques ; mais ces structures ne sont pas reliées entre
elles. De surcroît, la prospective n'est pas toujours envisagée de
façon opérationnelle. Au-delà de la simple spéculation, elle doit
présenter des scénarios et déboucher sur des politiques concrètes.
Aujourd'hui, cette fonction n'est pas assumée. Le conseil supérieur de
la formation et de la recherche stratégiques placé auprès du Premier
ministre ne joue pas non plus ce rôle. Celui-ci doit donc être
développé au sein de l'État, dans un cadre interministériel, pourquoi
pas au sein du SGDSN ? »
Le coordonnateur national du renseignement veille, en outre,
« à ce que les services disposent des moyens nécessaires pour
accomplir leur mission » : « En ce qui
concerne l'investissement, nous avons la charge de piloter des
programmes dont certains sont mutualisés entre les services, tels les
moyens informatiques et électroniques. Pour ce qui est de l'imagerie
spatiale, nous avons décidé d'engager en national le programme Musis –
successeur d'Hélios – en raison de l'absence de réponse de nos
partenaires européens, tout en leur laissant la porte ouverte. Il nous
semblait en effet crucial de ne pas accroître le risque de rupture
capacitaire. D'autres programmes vont faire l'objet de décisions
prochainement, par exemple le remplacement de nos drones Male – qui
viendront en fin de vie vers 2013. » Mais « il faudra
procéder à des arbitrages », prévient
M. Bajolet : « Tous les projets ne pourront
pas être conduits au même rythme. » Pourtant, à l'heure où
AQMI et son gourou défient ouvertement la France, les besoins
pourraient s'avérer croissants... La vigilance s'impose.
4 février 2011 Article publié dans L'Action Française 2000
Actualité de la défense européenne.
Alain Juppé s'est rendu à Bruxelles le 27 janvier. Ce
faisant, conformément aux priorités qu'il avait exposées en présentant
ses vœux au personnel de la Défense, le ministre entendait
« redonner des couleurs à l'Europe de la Défense ».
Laquelle, dans son acception la plus stricte (autrement dit, dans le
cadre de l'Union européenne), semblait boudée par Paris, en pleine
idylle avec Londres.
Reprenant le refrain des gaullistes plus ou moins reconvertis
dans la quête d'une Europe puissance, Alain Juppé a martelé que le
Vieux Continent « ne [pouvait] prétendre à un rôle au niveau
international [s'il n'était] pas en capacité d'assurer sa sécurité de
manière autonome ». Incantation somme toute gratuite, que
seule la crise finira, peut-être, par enraciner dans quelque timide
réalité.
À la faveur des restrictions budgétaires, en effet, la
"mutualisation" est dans toutes les bouches, sinon dans tous les
esprits. Mais l'Allemagne vient de renoncer à treize des
cinquante-trois Airbus A400M qu'elle avait commandés. Quant aux
Suédois, « ils achètent US et font la nique à l'hélicoptère
européen » selon le constat de notre confrère Nicolas
Gros-Verheyde, visiblement désabusé.
Réunis à Bruxelles le 31 janvier, les ministres de la
Défense de l'Union européenne ont adopté des conclusions sur la
Politique de sécurité et de défense commune (PSDC), réduites à trois
paragraphes – ce qui nous épargnera, pour une fois, le verbiage inutile
propre à ces documents. Ils invitent Mme Catherine Ashton,
Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de
sécurité, à plancher sur les axes de travail que lui avaient soumis la
France, l'Allemagne et la Pologne (le triangle de Weimar) en décembre
dernier : renforcement des capacités industrielles ;
amélioration de la coopération UE-Otan, plombée par le différend
opposant Chypre et la Turquie ; mise en place de capacités
permanentes de planification et de conduite des opérations, à défaut
d'un véritable état-major, récusé par les Britanniques ;
élargissement des missions potentielles des groupements tactiques, qui
pourraient intervenir pour des opérations humanitaires – ce qui leur
donnerait, certes, un semblant d'utilité.
En définitive, l'adoption d'un accord-cadre avec le Monténégro
apparaît comme le seule avancée tangible réalisée par la PSDC en ce
début d'année.
3 décembre 2010 Article publié dans L'Action Française 2000
Tandis que le Charles de Gaulle apporte
son soutien à la Force internationale d'assistance à la sécurité,
l'Otan et ses alliés lancent officiellement le processus de transition
censé transférer aux Afghans la charge de leur sécurité. L'heure du
retrait a-t-elle sonné ?
Le Charles de Gaulle croise actuellement
au large du Pakistan, moins d'un mois après avoir quitté Toulon. Jeudi
dernier, 25 novembre, son groupe aérien embarqué (GAE) a
conduit ses premiers vols en appui de la Force internationale
d'assistance à la sécurité (FIAS ou ISAF) en Afghanistan. Ce faisant,
la Marine ne répond pas à des considérations strictement
opérationnelles, en vertu desquelles ses appareils seraient
vraisemblablement basés à Kandahar, au plus proche des zones
d'intervention. Il s'agit plutôt d'entretenir un savoir-faire.
Un Rafale s'abime en mer
Si l'on en croit l'état-major des Armées, ce groupe aérien
s''intègrerait parfaitement dans le dispositif allié :
« La première mission a été réalisée par un avion de guet
aérien Hawkeye qui a opéré pendant cinq heures au-dessus du territoire
afghan pour coordonner et contrôler les vols d'une centaine d'aéronefs
de la coalition. En coordination avec un Hawkeye américain, l'appareil
français a notamment géré les circuits de ravitaillement des avions de
combat. [Le] 26 novembre, les avions de combat
Rafale et Super Etendard modernisés (SEM) ont réalisé leurs
premières missions d'appui aux troupes engagés au sol (CAS ou close air
support ). Les avions ont éclairé l'itinéraire d'une patrouille
britannique dans le sud de l'Afghanistan, appuyé une évacuation
sanitaire et ont assuré une alerte CAS, prêts à être engagés en cas de
combat au sol. En deux jours, les aéronefs du GAE ont réalisé une
dizaine de sorties totalisant environ vingt-cins heures de
vol. » Deux jours plus tard, hélas, un Rafale s'est abimé en
mer après que son pilote se fut éjecté. Un problème de jauge de
carburant serait à l'origine de cet accident, selon notre confrère
Jean-Dominique Merchet.
Les pilotes français devraient néanmoins continuer de survoler
l'Afghanistan, un mois durant, alors que les chefs d'État ou de
gouvernement de l'Otan ont annoncé, lors du sommet de Lisbonne des 19
et 20 novembre, que les Alliés entraient « dans une
nouvelle phase » de leur mission. En effet, selon la
déclaration finale, « le processus de transition, qui verra
les Afghans assumer la responsabilité totale de la sécurité et le plein
leadership dans certaines provinces et certains
districts, devrait commencer début 2011 ». En vérité, le
transfert des responsabilités est déjà entamé. Il est même très avancé
dans la région capitale. « La montée en puissance de l'ANA
[l'Armée nationale afghane] lui permet désormais de participer à
85 % des opérations menées par la FIAS et à toutes les
opérations menées en RC-Est où est déployée la Task Force La
Fayette », soutient l'état-major des Armées.
« La transition sera soumise au respect de
conditions, pas d'un calendrier, et elle n'équivaudra pas à un retrait
des troupes de la FIAS », ont tempéré les Alliés. Cependant,
ont-ils promis, « à l'horizon fin 2014, les forces afghanes
endosseront pleinement la responsabilité de la sécurité dans l'ensemble
de l'Afghanistan ». « C'est un message très important
pour nos compatriotes », a prétendu le chef de l'État. Sans
doute l'est-il plus encore pour les électeurs américains... Ne
l'oublions pas : quoi qu'on pense de cette guerre, elle se
joue, dans une large mesure, devant les opinions occidentales.
« Pour des sociétés postmodernes enclines au relativisme et
dépourvues du sens de la durée, la guerre d'Afghanistan est une épreuve
de vérité », commente Jean-Sylvestre Mongrenier sur le blog de
l'Alliance géostratégique (AGS).
« Premier test de ce changement », annoncé
par Nicolas Gros-Verheyde : le retrait des troupes
canadiennes, en dépit duquel sera maintenue une mission d'instruction
forte de 950 hommes. « Cette solution permet de
respecter la décision prise en 2008 de retirer les troupes mais ne
mécontente pas les alliés de l'Otan », commente notre
confrère. « Au passage, comme nous l'expliquent les médias
canadiens, cela permet de se passer de l'autorisation du Parlement, la
présence en Afghanistan ne relevant plus d'une "mission de
combat". » Du moins, officiellement.
Une armée mal préparée
« Une fois intégré par tous, qu'un retrait immédiat
est difficilement envisageable, l'envoi de formateurs est vu comme la
solution ayant un rapport coût-bénéfice dans le temps le plus
sensé », observe Florent de Saint Victor, interrogé par l'AGS.
« Et cela, malgré le fait que le rôle des OMLT à la française [operational
mentoring and liaison teams, ou équipes de liaison et de
tutorat opérationnel] est loin d'être sans risque. Il est possible de
voir dans cela une forme d'incohérence, camouflée par la communication
stratégique, qui régulièrement fait un effort particulier pour
convaincre de l'importance de l'ANA dans la sortie de crise. »
Selon cet analyste, « c'est au niveau local que l'action des
OMLT se fait le plus ressentir. L'autonomie de l'ANA dépendant
largement de l'expérience acquise au contact de la coalition. Les OMLT
françaises ne peuvent rougir de leurs résultats. Les unités afghanes
mentorées par les Français sont souvent appelées dans les Quick
Reaction Force (QRF) de niveau national et ont participé à la dernière
grande opération de l'ère McChrystal, l'opération Moshtarak lancée en
février 2010. »
Dans ces conditions, la transition annoncée est-elle promise à
la réussite ? L'armée afghane semblerait « enfermée
dans une manière de faire la guerre (à l'américaine, à l'otanienne)
qu'elle ne pourra assumer à terme. On ne s'improvise pas en une dizaine
d'années un monstre froid de planification, de normes, de processus.
Cet échafaudage construit par la coalition, quoique critiquable, est
pourtant incontournable. Décoller progressivement l'ANA de la coalition
est le défi du transfert des compétences exécuté district par district.
D'ailleurs, et quoique ayant commencé depuis des mois, il ne fait que
depuis récemment les gros titres à l'approche du sommet de l'Otan de
Lisbonne. C'est d'ailleurs étrange que l'Otan ne communique pas plus
sur l'application de ce plan déjà mis en place et qui semble donner, en
particulier dans la capitale Kaboul, des résultats probants. »
En dépit des effets d'annonce, la France n'est pas encore sortie du
bourbier afghan.
18 novembre 2010 Article publié dans L'Action Française 2000
La défense antimissile balistique sera l'une des principales
questions à l'ordre du jour du sommet des chefs d'État ou de
gouvernement des pays de l'Otan qui se tiendra à Lisbonne les 19 et
20 novembre.
De retour aux affaires, Alain Juppé renoncera-t-il à plaider
en faveur d'un « désarmement nucléaire
mondial » ? L'année dernière, il avait lancé un appel
en ce sens, y voyant la « seule réponse à la prolifération
anarchique ». Sa nomination à l'hôtel de Brienne pourrait
faire jaser dans les rangs de l'Alliance atlantique, où Paris s'oppose
régulièrement aux détracteurs de la dissuasion. Bien que celle-ci
constitue « l'asurance-vie de la nation » aux yeux du
président de la République, nos voisins européens – Allemagne,
Belgique, Pays-Bas – se débarrasseraient volontiers des missiles
tactiques américains stationnés sur leur sol.
Concept stratégique
Cela devrait alimenter les discussions qui se tiendront les 19
et 20 novembre à Lisbonne, où les chefs d'État ou de
gouvernement des vingt-huit pays de l'Otan se réuniront pour entériner
un nouveau concept stratégique. À cet effet, ils s'appuieront sur les
recommandations du "groupe d'experts" présidé par Madeleine
Albright, dont nous avions donné un aperçu
en juin dernier. Entre autres propositions figurait l'inscription de la
défense antimissile « au nombre des missions essentielles de
l'Alliance ». Une perspective ardemment soutenue par le Danois
Anders Fogh Rasmussen, le secrétaire général de l'Otan, qui
s'estimerait « investi d'une mission quasi
évangélique » selon le sénateur Daniel Reiner.
Sa visite en France, le 15 octobre dernier, emporta
la conversion de Paris. « Il s'agit d'une inflexion
stratégique amorcée par Jacques Chirac en 2006, et prolongée par
Nicolas Sarkozy lors du discours de Cherbourg le 21 mars
2008 », souligne le sénateur Josselin de Rohan, auteur d'un
rapport d'information déposé le 10 novembre 2010.
Unissant sa voix à celle de Londres, Paris précisa sa position le
2 novembre : « Nous soutiendrons à Lisbonne
une décision concernant la défense antimissile des territoires,
reposant sur le développement du système antimissile de théâtre [...]
qui soit financièrement réaliste, cohérente avec le niveau de la menace
émanant du Moyen-Orient, et permette un partenariat avec la
Russie. »
À cela s'ajoutait cette observation : « La défense
antimissile est un complément et non un substitut à la
dissuasion. » « Il convient à mon sens de s'opposer à
toute logique de substitution, pour des raisons tant intellectuelles -
ne pas saper la crédibilité de la dissuasion - que
budgétaires », explique Camille Grand, directeur de la
Fondation pour la recherche stratégique. « En effet, si la
défense antimissile devait se substituer à la dissuasion, le niveau
d'ambition serait tout autre, avec la nécessité d'investissements
beaucoup plus importants. La logique de complémentarité permet donc
aussi d'assigner des limites financières au développement de la défense
antimissile. »
Un projet hors de prix
D'ores et déjà, Jean-Pierre Chevènement juge l'investissement
« hors de prix dans le contexte actuel » – d'autant
qu'il offre une protection somme toute aléatoire. Mais les conditions
financières auxquelles pourrait être assurée une couverture du
territoire européen demeurent obscures. Michel Miraillet, directeur en
charge des Affaires stratégiques au ministère de la Défense, constate
« que les travaux en cours manquent toujours de maturité et
que l'analyse globale demandée à Strasbourg-Kehl ne sera pas achevée
pour le sommet de Lisbonne. [...] Nous n'avons aucune idée de la nature
de l'architecture à terminaison, ni de garantie sur le niveau de
contrôle politique qui sera accordé aux Européens dans la préparation
et la gestion de la bataille balistique. Les coûts avancés restent très
approximatifs et certainement largement sous-évalués. [...] Nous avons
le sentiment que la "facturation" a été adaptée par les Américains aux
interrogations des Alliés. »
Les considérations militaires ne suffisent pas à expliquer la
pression exercée par Washington. « La capacité des grandes
puissances à offrir à leurs alliés n'ayant pas la volonté ou la
capacité de se lancer dans cette course technologique une défense
antimissile balistique "clef en main" est devenue un outil diplomatique
au service d'une stratégie d'influence », analyse Josselin de
Rohan. « Dans le cas européen », poursuit-il,
l'approche « retenue par l'administration Obama, avec de
premiers déploiements prévus en 2011, va structurer la relation de
sécurité qui nous lie aux États-Unis de façon plus puissante encore que
l'approche retenue par la précédente administration. À cet égard, le
choix du cadre multilatéral, à travers l'Otan, est un progrès car il
préserve un tant soit peu une certaine possibilité de partage de la
décision avec les Européens. Tel ne serait plus le cas si, faute
d'accord à l'Otan, les États-Unis reprenaient des démarches bilatérales
analogues à celles engagées par l'administration Bush. » On
reconnaît ici la démarche à l'origine du retour de la France dans le
commandement intégré de l'Otan, et, plus généralement, en faveur d'une
implication dans les structures multilatérales. Les gaullistes
apprécieront !
Un outil de recherche
Pour le sénateur Jacques Gautier « la défense antimissile est
avant tout un formidable outil de recherche et technologie ».
Mais la France peut déjà s'enorgueillir de quelques compétences sur les
différents segments de la défense antimissile balistique.
« Voire de certaines capacités », affirme
M. de Rohan. « Conformément au Livre blanc, elle
développe une capacité d'alerte avancée (satellite d'alerte et radar
très longue portée). Elle a mis en service le SAMP/T, doté d'une
première capacité de défense de théâtre contre les missiles balistiques
"rustiques". La France possède un savoir-faire unique en Europe en
matière balistique. À travers son industrie, elle participe à
l'élaboration du système de commandement et de contrôle (C2) de
l'espace aérien de l'Otan dont la fonction serait élargie à la défense
du territoire européen contre les missiles balistiques. »
En conséquence, selon François Auque, P-DG de EADS Astrium
notre pays serait « le seul en Europe et peut-être dans le
monde à être en situation de parler sur ce sujet aux
États-Unis ». Il pourrait apporter ses petites "briques
technologiques" au dispositif de l'Otan. Ce faisant, estime Antoine
Bouvier, président de MBDA, « nous gagnerions une capacité
d'influence sur la conception et le fonctionnement du système, par
exemple en matière de règles d'engagement. Cette contribution
spécifique constitue à mes yeux la dernière opportunité pour se
positionner sur la défense antimissile. »
La question cruciale du commandement
Il convient d'insister, avec Michel Miraillet, « sur
la question-clef du système de commandement » :
« L'objectif fondamental des États-Unis reste la protection du
territoire américain. Comment décidera-t-on si un missile se dirigeant
vers les États-Unis doit être intercepté au dessus du territoire
européen ou au dessus de l'Atlantique ? La réponse n'est pas
nécessairement la même si l'on se place du point de vue américain ou
européen. Or le SACEUR [commandant suprême des forces alliées en
Europe] est également commandant des forces américaines en Europe et
possède une "double casquette". Il apparait en tout cas essentiel que
nous pesions de tout notre poids dans l'élaboration des règles
d'engagement de l'Otan. » Camille Grand remarque toutefois
qu'« il pourrait être de l'intérêt des Américains de laisser
une place aux Européens en matière de commandement, au travers de la
définition des règles d'engagement, pour mieux les convaincre de
soutenir le développement d'un système de défense
antimissile ». Affaire à suivre.
L'Otan se préoccupe du "genre", y compris sur le théâtre
afghan.
Nous n'en revenons pas : deux conseillers
« pour les questions de genre » sont affectés à
l'ISAF, la Force internationale d'assistance à la sécurité engagée en
Afghanistan. L'Otan
s'en réjouit : c'est « une
première » dans une opération placée sous sa responsabilité. À
cet effet, le capitaine Ella van den Heuvel a suivi une formation
spécifique aux Pays-Bas, complétée par un stage en Suède, avant de
rejoindre Kaboul, « où elle aide les commandants pour ce qui
est de la prise en compte de la dimension de genre ».
« Il est encore très difficile d'intéresser les
femmes à la carrière militaire », déplore cet officier.
« Je pense que c'est parce qu'elles se font encore des idées
fausses sur l'armée. Lorsque je raconte mon expérience, et que je
précise que j'aide les femmes afghanes, la plupart de mes collègues
féminines me disent qu'elles aimeraient en faire autant. Mais la
dimension de genre n'est pas seulement l'affaire des
femmes... » Effectivement : « La dimension de genre
devrait faire partie intégrante des activités de chaque division, de
chaque opération, qu'elle soit planifiée ou en cours
d'exécution ; elle devrait aussi être prise en compte dans les
ressources, le renseignement, le budget et les finances »,
selon l'amiral Giampaolo di Paola, président du Comité militaire de
l'Otan.
Dans l'Armée nationale afghane (ANA), la première femme
sous-officier viendrait de prendre ses fonctions au commandement des
forces multinationales. Sa tenue tranchera avec celle de ses
compatriotes, dont l'écrasante majorité portent la burqa (du moins en
Kapisa). Mais l'Otan ne gagnera pas « le cœur et les
esprits » de la population en s'attaquant de la sorte aux
mentalités locales. Bien que ce discours s'adresse vraisemblablement
aux opinions occidentales, on s'inquiète de voir l'idéologie pénétrer
jusque dans les rangs des armées.
La DGSE communique, par la voix de son patron et celle de son
directeur technique, à la recherche de nouveaux ingénieurs. Aperçu de
la "doctrine officielle" primant dorénavant en matière de renseignement.
« La connaissance et l'anticipation », dont
le renseignement est « un élément essentiel », sont
appelées à devenir « le cinquième pilier de la défense et de
la sécurité nationale », avec la prévention, la dissuasion, la
protection et la projection, annonce Érard Corbin de Mangoux, dans
un entretien accordé à Isabelle Lasserre. Nommé à la tête de
la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), il a entamé
« une petite révolution intellectuelle » :
« Pour la première fois, on intègre le renseignement, au plus
haut niveau de l'État, dans la panoplie d'outils dont disposent les
décideurs de la politique étrangère, de sécurité et de défense. C'est
le sens de la création du Conseil national du renseignement qui, sous
l'autorité du président, définit les orientations stratégiques en la
matière. » (1)
Quelles menaces ?
« Les services français ont développé des
coopérations d'abord avec leurs partenaires étrangers, avant de
comprendre tout l'intérêt qu'ils avaient à resserrer les liens avec les
autres services nationaux qui sont leurs premiers partenaires
naturels. » Le monde dans lequel ils opèrent « a
profondément changé depuis vingt ans. Les menaces sont devenues
beaucoup plus diverses, diffuses et changeantes que naguère. Elles
émanent de groupes terroristes, d'organisations criminelles, d'États,
de réseaux proliférant et de pirates. Elles prennent leur source dans
des conflits déstabilisateurs et des États faillis, sans parler des
cybermenaces – nouvelles et en plein développement – et de
l'espionnage, toujours aussi actif. »
Mais « contrairement au tableau très sombre que
certains médias ou analystes étrangers brossent de la société
française, les valeurs démocratiques et laïques qui la fondent,
l'habitude qu'a notre pays d'accueillir des populations étrangères
depuis plus d'un siècle, le modèle intégrationniste »
rendraient la France « moins exposée que d'autres à cette
dérive pathologique qu'est le radicalisme violent ». On
voudrait le croire ! Quoi qu'il en soit, « on sait
que quelques individus seulement peuvent causer des dommages
insupportables pour nos concitoyens. Même si la société française en
produit infiniment peu, c'est déjà trop, et il faut donc les repérer
assez tôt pour les empêcher de nuire. »
Selon son directeur, « le mode de fonctionnement de
la DGSE est assez atypique ». Seuls les Allemands seraient
organisés de la même façon : « Nous sommes un service
intégré, qui réunit à la fois la partie technique, les capacités
d'analyse et les opérations plus offensives. Les Britanniques [...] ont
trois agences différentes : une agence technique qui travaille
pour tout le monde ; un service de renseignement extérieur qui
collecte l'information ; et un service d'analyse qui mouline
le tout. Plus, bien sûr, un service intérieur. C'est un modèle qui
marche bien, mais qui est plus vorace que le nôtre en hommes et en
argent. Le système français permet une meilleure coordination et une
efficacité accrue. En gros, nous sommes capables de mobiliser
l'ensemble de nos équipes sur un thème donné et de traiter tous les
aspects d'un dossier, y compris l'analyse. »
Appel à candidatures
Entre autres faiblesses, Érard Corbin de Mangoux
pointe des difficultés de recrutement : « Nous
cherchons à recruter des agents qui fassent preuve, dans leur travail,
de retenue et de discrétion. Mais parfois nous n'avons pas le
choix : certaines langues sont difficiles à trouver sur le
marché ou ne sont pratiquées que par des personnes qui ne présentent
pas toutes les qualités requises. Dans ce cas, il faut faire des
compromis. »
Entre cent et cent cinquante postes d'ingénieurs seraient à
pouvoir chaque année jusqu'en 2014. « La plupart des membres
de la direction technique effectuent les mêmes tâches que dans le
privé », rapporte
notre confrère Rémy Maucourt. « On pourrait presque
croire qu'ils travaillent pour une société comme une autre, mais les
enjeux restent fondamentalement différents. La pression est importante,
venant de la hiérarchie mais surtout de la nature des missions. Les
contraintes de confidentialité sont extrêmes : un agent ne
parle pas de ses activités, ni à ses proches ni à sa famille. Au
public, il ne donne que son prénom. Il ne consulte pas ses mails
personnels au bureau : pour des raisons de sécurité, son
réseau est fermé. »
Si certains jugent « valorisant » de
travailler pour le pays, d'autres soulignent que »le
patriotisme n'entre pas en ligne de compte dans le
recrutement ». Des conditions avantageuses compenseraient
l'interdiction de se syndiquer ou de faire grève...
« Aujourd'hui, la défense des intérêts de la nation n'est plus
le principal argument pour attirer les candidats vers les services
secrets. » Selon Bernard Barbier, directeur technique, ceux-ci
offriraient simplement « un bon début de carrière ».
Une perspective exaltante, sans doute à la mesure de lépoque.
(1) « Le Conseil national du renseignement (CNR)
définit les grandes orientations et fixe les priorités assignées aux
six services de renseignement français : la DGSE ;
la DRM (Direction du renseignement militaire) qui traite le
renseignement d'intérêt militaire et opérationnel ; la DPSD
(Direction de la protection et de la sécurité de la défense) qui veille
à la sécurité des informations et du personnel relevant de la Défense
nationale ; la DCRI (Direction centrale du renseignement
intérieur), issue de la fusion de la DST et des RG ; la DNRED
(Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières et
financières) qui dépend du ministère de l'Intérieur ; enfin,
le TRACFIN, service s'occupant des circuits financiers clandestins et
de´pendant du ministère du Budget. Le CNR est anime´ par un
coordonnateur national, l'ambassadeur Bernard Bajolet, placé sous
l'autorité du président de la République. »
7 octobre 2010 Article publié dans L'Action Française 2000
Confrontés au choc des cultures, les soldats du 27e bataillon
de chasseurs alpins ont évolué sous le feu des talibans, dans un
paysage majestueux, de novembre 2008 jusqu'à juin 2009.
Aperçu d'un récit captivant.
« Là-bas, très loin de la France, c'est vraiment la
guerre... » Patrick de Gmeline – un historien militaire – l'a
constaté au plus près des combats. Intégré dans la réserve du
27e bataillon de chasseurs alpins (27e BCA) basé à
Cran-Gevrier (Haute-Savoie), il a côtoyé, des mois durant, les soldats
de la task force Tiger, engagée en Afghanistan de
novembre 2008 à juin 2009. Fort de riches descriptions, son
livre (1) nous convie à leur rencontre. « Au-delà du seul récit
des faits militaires, qui a ses limites, j'ai voulu proposer au public
un récit privilégiant les hommes », annonce-t-il d'emblée.
Huit mois de préparation
L'auteur rend compte des huit mois de préparation intense, ponctués
par des événements douloureux, voire tragiques, telle l'embuscade de
Surobi, où dix Français trouvent la mort. La nouvelle tombe lors de la
permission estivale, nourrissant l'inquiétude du chef de corps, le
colonel Nicolas Le Nen. De retour au sein du bataillon, celui-ci ne
constate aucune désertion. Sa confiance en ses hommes s'en trouve
renforcée : « Ils ont à peine vingt ans, peu d'instruction,
certains issus de milieux que l'on appelle maintenant "défavorisés", et
ils sont des exemples pour toute une jeunesse. » Un sergent confie
que ce drame « ne change rien à sa résolution : il préfère, comme
il le dit, "combattre les terroristes chez eux plutôt que d'attendre et
de les voir arriver en force chez lui" ».
« Vous servez un pays et une nation qui se sont forgés, au fil
des siècles, à coups d'épées », rappelle le chef de corps, à
l'approche du départ. « Cette idée de nation est le creuset dans
lequel se sont fondues et se fondent encore l'unité et la cohésion de
notre peuple, mais aussi nos valeurs essentielles de liberté, d'égalité
et de fraternité. Vous verrez dans quelques mois ce que constituent un
pays et un peuple qui ne constituent pas une nation, des tribus
afghanes qui s'entredéchirent, des seigneurs de la guerre et de la
drogue exploiter les paysans, des femmes et des filles asservies par
leurs maris, leurs pères et leurs frères... »
Près de sept heures de vol sont nécessaires pour découvrir de
« magnifiques paysages, alternant les plaines vertes, irriguées de
nombreux cours d'eau, les vastes surfaces arides, rocheuses, dénudées,
les montagnes élevées, couronnées de neige sous un ciel qui peut être
très bleu ». Dans la vallée de Tagab, où évoluent les compagnies
du 27e BCA, « les villages sont composés de maisons à toits
en terrasses, construites [...] en terre séchée de couleur ocre. Elles
sont séparées par des murs épais, hauts de deux mètres cinquante, qui
délimitent des rues ou plutôt des ruelles. Les portes des maisons
s'ouvrent, comme des trous sombres, dans ces murs qui protègent des
intempéries et défendent en même temps, transformant les habitations en
autant de petits fortins. »
Où sont les femmes ?
Les hommes paraissent « dignes et fiers », mais jamais, ou
presque, on ne croise le regard de leurs épouses. « La femme, chez
le paysan le plus inoffensif – s'il y en a un ! – est vraiment
considérée comme moins que rien », constatent les militaires
français. « Si un muret se présente [...], elle doit le franchir
seule, sans l'aide de l'homme qui marche loin devant, et le faire
franchir aux plus jeunes enfants. Sans compter que leurs vêtements ne
leur facilitent pas la tâche. Elles sont presque toutes "burqanisés" –
terme inventé par les alpins – et leurs longues robes entravent leurs
mouvements... » Tandis qu'il dirige une distribution de matériel
scolaire, un lieutenant est furieux : « Il s'aperçoit que les
filles n'ont pas droit à ces fournitures. L'une d'elle, même, qui tente
de s'approcher, reçoit des pierres lancées par des
garçons ! » À l'opposé, l'auteur décrit, à l'entrainement,
« près de l'un des VAB de la Légion, un caporal féminin, sourcils
froncés sous son casque ». Se trouve-t-elle vraiment à sa
place ? Une fois n'est pas coutume, des considérations
opérationnelles rendent l'engagement des personnels féminins
indispensable : ils sont les seuls habilités à fouiller des
Afghanes.
Les infirmières françaises doivent attendre un mois avant que des
femmes se présentent à elles, après que trois cents hommes eurent déjà
défilé dans leur service. « Si elles viennent au début
accompagnées d'un mari ou d'un frère, elles vont venir progressivement
seules, en confiance. » La distance est de mise lors des premiers
contacts avec la population. Patrouillant dans une ambiance qu'ils
jugent moyenâgeuse, les soldats ont fière allure, revêtus de leur
treillis, encombrés par le Famas, affublés d'un gilet pare-balles...
« Des Martiens sur les Champs-Élysées, à Paris, ne feraient pas
plus d'effet », commente Patrick de Gmeline. Un officier accepte,
non sans hésitation, l'invitation d'un villageois qui le convie à
prendre le thé. Pénétrant chez son hôte, qui se révélera très aimable,
il veille « à immédiatement retirer ses gants et son casque :
il sait que les Américains, dans ces circonstances, ne le font pas, ce
qui contribue à les faire (très) mal voir ».
Le passage par la base aérienne de Bagram avait déjà provoqué un
semblant de choc culturel. « Une base ? Non, une ville, avec
ses 13 000 habitants et, surtout, ses infrastructures si
représentatives de la puissance [...] américaine.
[...] En somme une petite parcelle des riches États-Unis au milieu
sinon du désert, du moins d'un monde oriental dont la pauvreté est
flagrante. » Les Français sont partagés entre le rire et la
stupéfaction... « Mais cette force matérielle est peut-être aussi
une faiblesse. Le ménage [...] est fait par des "locaux", autrement dit
des Afghans venus des villages voisins, c'est-à-dire de la misère.
Comment perçoivent-ils cette abondance déplacée dans ce pays aux mains
des talibans qui ont la part belle pour leur propagande, au moins sur
ce point ! » Plus tard, un lieutenant s'indigne :
« Les pays riches ont oublié qu'ils ont de la chance... Ils sont
devenus fous ! » Pour quelques-uns, en effet,
« l'Afghanistan est aussi une sorte de fuite d'un pays, le leur
pourtant, où la vie est devenue ultramédiatisée, sans plus de valeurs
hormis matérielles, guidée par le seul culte de l'argent, pleine de
contradictions. Ce n'est pas en faisant de l'Afghanistan un pays
occidentalisé, américanisé, qu'on lui donnera un idéal de vie. »
Sur le terrain, l'attention est requise à chaque instant. Outre les
embuscades, plane la menace des IED, les engins explosifs improvisés.
Les soldats évoluent avec trente, parfois cent kilos sur le dos. Au
cours des arrestations, ils doivent compter avec des policiers afghans
témoignant « d'un zèle très relatif », quand la fouille d'une
maison ne se transforme pas « en déluge de feu ». Les alpins
opèrent souvent de nuit, profitant de l'avantage procuré par les
lunettes de vision nocturne, et s'approchant de leur objectif aussi
discrètement que possible. Cependant, des veilleurs guettent à la
sortie de leurs bases de Nijrab et Tagab...
Point d'orgue des opérations : la conquête de la vallée
d'Alasay, « dans laquelle les soldats afghans et alliés ne sont
pas entrés depuis un an et où les Soviétiques, il y a quelques années,
ne s'aventuraient que difficilement ». Au cours des combats, un
soldat afghan est étranglé par un taliban arrivant par derrière.
« Ils ont vraiment des couilles ces insurgés », remarque un
sergent. Alors qu'un missile Milan atteint sa cible, « un cri de
triomphe jaillit des poitrines... comme lorsqu'un joueur de foot marque
un but. [...] Tels des gosses, les alpins saluent chaque impact de cris
de sioux. » Mais la guerre n'est pas un jeu. En témoigne, dans
cette bataille, la mort, à vingt-trois ans, du caporal Nicolas Belda.
« Malgré le bruit assourdissant, le silence tombe sur les hommes
dont l'œil s'est figé. »
La TF Tiger, une troupe d'élite
« Aveuglés par leur fierté toute moyen-orientale de guerriers,
[les talibans] sont tombés dans le piège tendu : accepter un bras
de fer qu'ils n'étaient pas capables de remporter. » Cette
victoire renforce l'estime gagnée auprès des Américains, qui auraient
volontiers confié une telle opération aux forces spéciales. « Les
soldats US sont visiblement bluffés par l'esprit traditionnellement
débrouillard des "Frenchies", leur sens du système D. Combien de
véhicules américains, embourbés ou en panne, ont été remis dans l'axe
ou réparés par des alpins techniciens ! » Un sergent ironise
: « Des généraux américains [...] doivent encore se demander [...]
comment des soldats peuvent faire cela sans porter un t-shirt Navy
Seals, des lunettes Ray-Ban et un hélicoptère par personne ! »
Au fil des pages, humour et émotion sont au rendez-vous. Mais on
retient surtout la noblesse des caractères dépeints par Patrick de
Gmeline, qui forcent l'admiration. D'aucuns jugeront peut-être son
ouvrage apologétique. Faut-il s'en offusquer ? « Nous ne
sommes pas dupes, la majorité des Français ne comprend pas ce que nous
faisons », déplore un lieutenant. « C'est difficile pour un
soldat de ne pas se sentir soutenu par un élan national. » Ce
livre vient rendre justice à nos soldats. Ce n'est pas le moindre de
ses mérites.
(1) Patrick de Gmeline : Se battre pour l'Afghanistan - Soldats de montagne contre les talibans ; Presses de la cité, mai 2010, 398 p., 21 euros.